Bon… Il m’a fallu une heure pour vérifier intégralement ce foutu matelas, mais au moins je suis sûr de ne pas dormir avec quelque chose. Mon sac à dos est posé contre le mur à côté. La nuit ne va pas tarder à tomber, heureusement, je dispose de quelques provisions récupérées sur la route et de mon réchaud. J’allume donc le gaz et l’allume avec mon vieux zippo, enfin, celui de mon père. Je m’étends vers l’arrière pour attraper mon sac et le pose près du réchaud, sa chaleur me fait du bien par ce temps. Et dire que je viens de passer la quasi-totalité de la journée à me cacher des mordeurs qui traînent partout dans le quartier pour au final revenir avec deux petites boîtes de conserves. J’espère au moins que ces tomates séchées ne seront pas dégueux.
Bref, il est temps de sortir mon smartphone du sac.
- Merde ! Plus que quarante pourcents. Déjà ?!
Je ne l’ai pas allumé depuis des semaines. Quand le courant a été coupé, je me suis faite la promesse de l’allumer de temps en temps pour checker le réseau. Mais cette fois, j’ai une autre idée en tête. Évidemment, le réseau est inexistant mais je switch dans les applications pour trouver le dictaphone. Bingo !
- Ok. Euuuuuh. Je m’appelle Bernadette Mackenzie. Mes amis m’appellent Bernie. J’ai 34 ans. Eeeeeet… Je ne sais pas trop quoi dire. Je pense que c’est plus par esprit de préservation mais j’ai envie de raconter mon histoire à quelqu’un. - silence - Je suis née à Chicago dans l’Illinois, mon père était professeur de littérature et ma mère bio-chimiste. J’ai de bons souvenirs de mon enfance, j’étais tranquille, j’ai vécu mes premières expériences : premiers alcools, première clope, premiers garçons… Je suis allée à l’université pour suivre des cours d’art et de littérature et j’ai validé mon premier cycle avec succès. Bon, c’est à peu près à ce moment-là que je me suis rendu compte que j’adorais dessiner et écrire, donc j’ai fais quelques planches d’une BD de mon imagination et je les ai envoyés à des éditeurs. C’est comme ça que j’ai pu me lancer. Quand l’apocalypse est arrivée… Eh bien… C’était sacrément malsain. Il y a eu des émeutes, des meurtres, et tous ces gens qui sont devenus cannibales. Je les appelle les mordeurs. Ils sont encore là, mais il faut les éviter au maximum. Donc le jour où la mort a sonné à ma porte, pour être franche, c’est mon père qui est allé ouvrir parce que je discutais avec ma mère. Ce que je pensais être un sans-abris s’est rué sur mon père et l’a mordu. Avec toute la volonté du monde, on a réussi à avoir assez de forces pour le virer de la maison avant de s’occuper de mon père. C’était donc mon premier contact avec ce que les médias de masse ont qualifié de revenant. Bien sûr, j’en avais entendu parler aux informations et dans les journaux, mais c’était présenté comme un virus qui n’atteindrait pas les USA et encore moins l’Illinois. La surprise fut donc totale, mais quand mon père est mort, il a fallu prendre une décision. On l’a donc enfermé dans la chambre parentale afin qu’il ne nous blesse pas. Puis nous sommes parties, incapables de tuer celui qui nous avait aimé toute sa vie. - Vibreur et sonnerie - Ah seulement vingt pourcents ? Comment c’est possible ? Ce téléphone est vraiment qu’une blague ! Bon de toute manière, ils ne sont pas prêts de remettre la 3G, je vais continuer mon histoire. Donc j’en étais au moment où j’ai quitté Chicago avec ma mère. Assez vite, on est tombées sur un groupe de personnes qui avaient fuit la ville comme nous et s’étaient réfugiés dans les bois. On est restées avec eux et j’ai commencé à apprendre quelques trucs de survie comme ouvrir une bière avec un briquet ou jouer de la musique avec des conserves vides et une louche en bois. C’était assez calme, on bougeait de temps en temps pour ne pas risquer que quelqu’un nous tombe dessus et ça allait très bien. Jusqu’au jour où tout s’effondra. Je sais que ça fait un peu dramatique dit comme ça mais le groupe explosa lors de la première attaque. Des types nous avaient tendu une embuscade dans une clairière. Comme j’étais devant avec ma mère et Jeremy, un des membres du groupe, on a été capables de courir jusqu’au bois pour se cacher dans les fourrés. Après trois jours de marche, on était totalement désespérés, sans rien dans le ventre et n’ayant pas dormi depuis plus de 48 heures quand le cerveau de Jeremy disjoncta. Il se jeta sur moi en m’accusant de les avoir entraînés dans un piège et commença à m’immobiliser pour me déshabiller. Évidemment, ma mère se jeta sur lui pour l’en empêcher et c’est à ce moment que la balle siffla dans les airs pour se loger dans la poitrine de celle qui m’avait élevé et que j’avais réussi à garder près de moi-même dans la fin. Je ne suis pas vraiment capable d’expliquer ce qu’il s’est passé ensuite, ce que je peux dire, c’est que j’ai réussi à le désarmer, qu’il a commencé à s’enfuir et que je lui ai tiré dans la jambe gauche. La première fois. Ensuite, je me souviens très bien de ce qu’il s’est passé, je lui ai à nouveau tiré dessus pour lui faire exploser le genou de l’autre jambe. Après ça, j’ai honte de le dire mais j’avais un tel besoin de vengeance que j’ai vidé mon chargeur dans sa tête. - Bip, bip - Ok dix pourcents, ça devrait suffire pour la fin de mon histoire. Donc j’ai récupéré ce que je pouvais porter et j’ai filé à moitié consciente pour éviter de me faire bouffer. C’est à ce jour l’expérience la plus traumatisante que j’ai vécu. Après ça j’ai continué d’avancer en direction de détroit et ai rencontré un type un peu bizarre sur la route. On a discuté durant une soirée, il m’a offert un repas et est reparti comme si de rien n’était. Il m’a dit qu’il partait à Détroit, là où tout était sécurisé. Je ne l’ai jamais revu mais il s’était bien planté ! Détroit est un bourbier où même les crottes ne veulent pas rester. Mais je perçois des signaux de vie dans cette ville. Il y a des lumières la nuit, et des endroits où la poussière a été remuée comme seul un humain bien vivant peut le faire. Je sais qu’il doit rester quelques traces d’humanité dans cette ville. Voilà, j’ai terminé.
Encore une vibration et l’écran d’arrêt s’affiche. Bon, mon histoire est enregistrée au moins. Si un jour quelqu’un arrive à relancer ce gadget, il y aura une trace de mon passage sur Terre. Je sais que cette action était totalement inutile, surtout que j’avoue un meurtre de sang froid et particulièrement sanguinaire dans mes mémoires. Même si je ne pense pas que ça puisse me porter malheur de laisser une preuve comme cela. Je repense à ce type que j’ai croisé, plutôt mignon, qui semble savoir survivre et pourtant, il était si détendu et confiant. Je souris une seconde avant de manger une tomate. Que je crache parce qu’elle n’est plus comestible et me concentre sur la boîte de raviolis en train de chauffer. Enfin, vu la taille de la boîte ça doit plutôt être UN ravioli. Mais bon, je ne cracherai pas sur de la nourriture.