Cela faisait trois jours maintenant qu'il tombait sans interruption d'un ciel bouché  une petite pluie fine qui s'insinuait sournoisement jusque sous le pull, laissant une désagréable sensation d'humidité et de froid dans tout le corps.
Seule et sans aucune envie de rencontrer du monde, elle était restée cloîtrée dans son ambulance camionnette, vaguement transformée en camping-car et s'était occupé l'esprit en dessinant, chose qu'elle n'avait pas fait depuis longtemps.
Quand les morts vivants cognaient un peu trop fort sur la carrosserie, elle démarrait le véhicule, en profitait pour mettre le chauffage à fond et partait un peu plus loin sans omettre d'en écraser quelques-uns pour le plaisir. Le reste du temps, elle picorait à contre coeur quelques poignées de haricots ou dormait sur le brancard qui lui servait de lit, bien emmitouflée dans sa couverture.

Elle avait adoré ce moment de solitude et de repos mais au soir du troisième jour, force était de constater qu'elle s'ennuyait comme un rat mort.
Aussi, quel ne fut pas sa surprise de voir du soleil en s'éveillant le quatrième matin.
Ragaillardie, elle sortit dans la rue, vérifia qu'un quelconque danger ne la guettait pas et entreprit de faire des exercices physiques afin d'entretenir sa forme et sa dextérité au combat.
Au bout d'une demi heure, fatiguée et trempée de sueur, elle remonta à bord afin de faire une toilette dans le petit lavabo, se délassa une dernière fois et décida de démarrer le moteur histoire de découvrir d'autres horizons.

Cela faisait un moment qu'elle désirait aller dans le New Center sans en avoir jamais eu l'occasion, c'était le moment où jamais.
Entre le Fischer Building  et la flopée de rues résidentielles, le quartier avait dû être riche. Aujourd'hui le grand immeuble à l'architecture Art déco était en triste état et les maisons cossues étaient délabrées ou éventrées par les pillards mais peu lui importait. Parmi tous ces bâtiments, il s'en trouverait bien un ou deux à visiter, non pour y chercher forcément de la nourriture mais plutôt des objets comme un briquet, des couverts, quelques magazines ou une montre.

Par contre, comme c'était à prévoir l'endroit jadis très fréquenté pullulait de morts-vivants.
« J'aurais intérêt à faire gaffe et à trouver une baraque avec une porte qui ferme bien ! » se dit-elle en examinant les maisons.
Enfin elle en vit une, au bout d'une rue, légèrement à l'écart des autres, bourgeoise à souhait et qui semblait encore en assez bon état.
Slalomant doucement entre les véhicules abandonné, elle trouva à se garer juste en face, non loin d'un camping-car.
Coupant les gaz, elle observa les alentours et constatant qu'un calme relatif y régnait, elle attrapa son sac à dos et sortit du véhicule.
Elle prit soin de bien fermer les portières à clé mais au moment de se diriger vers la bâtisse, elle cru apercevoir la silhouette d'une femme qui semblait vouloir aller au même endroit.

Avant de faire un pas supplémentaire vers la maison convoitée, elle se retourna sur le véhicule garé presque à côté du sien car un détail l'avait interpelé.
Ce n'était pas un camping-car mais un panier à salade en bonne et due forme et sa proximité avec l'ambulance la fit presque sourire; le hasard était parfois bien surprenant ! mais au moment de reprendre sa route la silhouette aperçue se précisa en la forme d'une femme qui se dirigeait très exactement vers la même bâtisse.
« Putentrailles, elle ne va quand-même pas me piquer ma baraque ! » s'exclama t-elle mentalement.

Eh bien si.
La fille était déjà devant le bâtiment et toquait au carreau afin de vérifier la quiétude ou non du lieu et comme apparemment rien n'avait bougé ni grogné, elle avait cassé la vitre, ouvert la fenêtre et s'était immiscée à l'intérieur.
Malou en resta comme deux ronds de flan; c'était bien la première fois qu'on lui grillait la priorité et pendant quelques secondes elle ne sut même pas comment  prendre l'intrusion.

Mauvais caractère inné aidant, elle décida finalement de mal le vivre et continua d'avancer tout en observant les alentours d'un air rageur.
Arrivée devant la porte elle actionna discrètement la poignée en vain, elle était fermée, ce qui était logique puisque la fille était passé par la fenêtre.
Elle décida alors d'aller y jeter un oeil, juste histoire de regarder en douce l'état de la pièce en espérant que l'inconnue soit déjà partie ailleurs.
A pas de loup, rasant le mur, elle arriva à hauteur de l'embrasure, se mit sur la pointe des pieds et regarda vite fait pour se baisser encore plus rapidement.
Elle avait vu un salon presque vide, étagères renversées et huisseries d'une armoire béantes; la maison avait déjà été visitée et si elle était pillée c'était qu'il y avait forcément une autre entrée.

Forte de cette hypothèse, elle fit le tour du logement et trouva une porte de service entrouverte.
Ce n'était pas forcément bon signe aussi attrapa t-elle son rouleau à pâtisserie qui dépassait du sac à dos avant d'ouvrir le battant vermoulu d'un geste sec en se cachant derrière afin de voir tranquillement ce qui passerait par là.
Comme rien ne se produisit, elle risqua un pas et découvrit un petit hall d'entré donnant presque directement sur une cuisine sens dessus-dessous.
La jeune fille en conclut que ce ne serait pas ici qu'elle dénicherait de la nourriture mais les victuailles n'étaient pas les seules choses dont elle avait besoin; il lui fallait un briquet, des vêtements de rechanges à sa taille et divers autres objets nécessaires à la survie ou à un minimum de confort.
Elle aurait bien aimé voir les chambres et la salle de bain mais le gros problème était la personne à l'intérieur...

Qui était-elle ?
Et si c'était une pillarde sans foi ni loi, armée jusqu'aux dents et du genre à tirer à bout portant sans sommation ou pire, brandissant un énorme couteau de cuisine ensanglanté avec des yeux rétrécis par la haine...
A force de barjoter Malou finit par se faire peur toute seule et recula précautionneusement avec dans l'idée de s'en aller d'ici.
Après tout il y avait plein d'autres baraques dans le coin et au pire elle pouvait aussi aller dans une autre rue.

Elle attendit un bon moment, piquée devant la porte de service puis, comme personne ne se manifestait elle trouva cela trop louche pour désirer rester une seconde de plus.
Elle repartit vers l'ambulance, démarra et s'en alla.