Adossé contre le mur froid de la cage d'escalier, Lïnko avait du mal à réaliser ce qu'il s'était passé. La vive douleur qui pulsait à son cou l'empêchait de garder la tête froide, mais plus encore, la réalité toute nouvelle d'un fait pourtant simple résonnait sans cesse entre ses tempes. Il allait mourir. Le visage furieux d'Alpha lui apparu un bref instant, mais il ne comprit pas ses paroles, se retrouvant cependant allongé sur le sol humide et couvert de sang. Ses yeux, plus froids qu'à l'usuelle, ne reflétaient rien. Le vide absolu. Ils étaient fixés sur un point du plafond, comme si quelque chose y était suspendu, et que l'islandais était le seul à le percevoir. L'adrénaline commençait à redescendre et sa tête s'était mise à tourner. Alors... C'est comme ça que je quitte ce monde ? C'est... C'est tout ce que tu m'as réservé...?

Le nordien fronça les sourcils, les yeux soudainement humides. Relâchant l'appui qu'il avait sur sa blessure, le barbare serra les poings. Il ne ressentait aucune forme de colère, et comment l'aurait-il pu ? Depuis tout gosse, il vouait une admiration sans borne au Dieu des Dieux, Odïn, et s'était toujours persuadé que sa propre mort aurait un sens. Mourir au combat. Mourir pour sauver un être cher. Mourir pour défendre une cause. Mourir pour faire avancer les choses. Je vais mourir... Pour rien ? Il avait l'impression qu'Odïn l'avait trahi, et ses yeux s'agrandirent quand il en réalisa la cause. Tu ne veux pas de moi à ta table, c'est ça ? Cette pensée eut l'effet d'un coup de hache en plein coeur. Il n'avait pas sa place au Valhalla, c'était aussi simple que ça. Une larme lui échappa, et au final, Lïnko acceptait son sort, à en juger par le coin de sourire qui s'était glissé sur ses lèvres.

Une pression effaça cependant son rictus d'acceptation, et il reconnu la silhouette de Neo, non loin. Il ne chercha pas à cacher l'humidité qui avait perlé au coin de ses yeux, puisqu'il se sentait maintenant extraordinairement calme. Le regard toujours ancré sur un bout de plafond, il murmura « Je pense pas qu'il ai touché un point vital. Je serais déjà dans les vap, sinon. » Délaissant le ciment gris qui occupait ses yeux, il les posa sur l'ex-pompier, réalisant que le survivant se retrouvait dans cette merde à cause de lui. Le barbu prit le temps de le détailler. Après tout, c'est probablement la dernière personne qu'il verrait. Esquissant un sourire un peu refroidi par la brûlure qui pulsait à son cou, il ajouta en haussant un sourcil « Désolé vieux. » Au delà de sa propre mort, Lïnko savait très bien qu'Alpha allait en chier pour regagner le camp. « Tu devrais partir maintenant. »

Un pied l’un devant l’autre, Haley jouait au funambule sur le bord du toit d’un grand centre-commercial. Ses écouteurs dans les oreilles, une vieille chanson d’un chanteur prépubère nommé Justin Bieber résonnait dans ses oreilles, c’était une journée normale, la routine depuis qu’elle avait quitté cette secte, ces cannibales complètement tarés qui l’ont forcée à piéger d’autres survivants pour qu’ils se fassent ensuite bouffer… Des remords et des regrets, elle en avait pleins. Mais aujourd’hui, elle essayait d’aller de l’avant avec Aube, cette fille qui s’est faite amputer d’une main de sa faute mais qui a quand même accepté de rester avec elle pour vivre là-dehors dans cet enfer entre préadolescentes.

Après cette journée de folie passée à courir partout et à tuer du rôdeur, elles s’étaient installées pour passer la nuit dans le salon d’une baraque en ruine, elles ont bloqué toutes les entrées avec des meubles, ont condamné les fenêtres comme elles le pouvaient et ont essayé de s’endormir convenablement sur des matelas en priant pour ne recevoir aucune visite durant la nuit… Tout s’était plutôt bien passé malgré le manque de sommeil qui est apparu chez la petite brune qui l’a réveillée aux aurores. Et sans réfléchir, voulant prendre un peu d’air, elle s’est habillée, s’est équipée de son sac à dos puis elle est sortie pour se balader en ville et peut-être mettre la main sur des choses qui pourraient leur être utile. C’est comme ça qu’elle s’est retrouvé sur ce toit, à faire comme ces personnes qu’elle voyait sous des chapiteaux de cirque et qui marchaient sur de simples petits fils.

Si Aube se réveillait pendant son absence, elle lui avait laissé une petite note pour la prévenir de son absence et lui dire de ne pas s’inquiéter, qu’elle reviendrait le plus vite possible. Elle voulait lui faire une surprise, lui apporter quelque chose qui pourrait la faire sourire après cette altercation qu’elles avaient eue. Elle voulait se faire pardonner. « Hopla ! » Elle sautait du bord pour atterrir les deux pieds sur le toit et faire son petit chemin jusqu’à la grosse vitre, la fenêtre ouvrante qui se trouvait au centre du toit et qui donnait sur une petite boutique de jouets pour enfants. Après quelques seconds à jeter des coups d’œil là-dessous sur cet endroit qu’elle ne voyait et ne pouvait décrire que brièvement, Haley s’est dirigé sans attendre jusqu’à la porte de secours puis l’a tirée pour lentement descendre les escaliers qui menaient à ce fameux magasin de jouets, veillant à faire le moins de bruit possible. Malgré toute la poussière et les cadavres avec une balle dans le crâne qui traînaient dans les rayons du magasin enfantin, les lieux étaient propres, plutôt calmes. Haley n’arrivait pas à en croire ses yeux, elle avait l’impression de rêver en entrant dans une boutique qui avait été si bien conservée. Les étagères étaient encore bien garnies et les rayons bien remplis, personne n’avait cherché à embarquer ou à voler quoi que ce soit durant ces deux dernières années… Un peu normal, à quoi pourrait servir des Barbie ou une peluche en pleine apocalypse, hein ?

Haley répondit elle-même à cette fameuse question en attrapant [Vous devez être inscrit et connecté pour voir ce lien] et en la jetant au fond de son sac déjà bien remplis de hauts récupérés la veille dans un magasin de vêtements. Peut-être qu’une peluche, ça ferait sourire sa meilleure amie ?

Elle s’amusait. Elle laissait ses mains froides parcourir et caresser toutes ces peluches mignonnes qui trônaient autour d’elle lorsqu’une alarme retentit. Elle devait se concentrer pour bien l’entendre, ça n’avait pas l’air bien près… C’était pas l’alarme du centre-commercial puisqu’il n’y avait pas d’électricité, mais ça ressemblait à une alarme de voiture. Les sourcils froncés, Haley quittait la boutique pour se rapprocher un peu, avec quelques difficultés de cette fameuse alarme, descendant pas mal de marches et mettant les pieds sur quelques cadavres pour finalement voir une espèce de foule de monstres, de rôdeurs gratter et se pousser contre une porte, une porte qui avait l’air de mener au parking du bâtiment puisque le mot y était écrit.

Ils ne l’avaient pas encore remarquée mais elle était là, juste à quelques mètres derrière eux, cachée derrière cette armoire sur laquelle étaient exposées quelques vieilles enceintes. Les grognements, cette odeur affreuse qui empestait et que rejetaient ces monstres dégoulinants… Haley fut bientôt sur le point de quitter les lieux après avoir assisté à cette petite scène de regroupement de rôdeurs quand elle entendit une voix. Une voix bien plus rauque que la sienne, une voix d’homme âgé. Qu’est-ce qu’elle devait faire, les laisser là, dans leur merde ou leur prêter main forte ? Qu’est-ce qu’elle pouvait bien faire avec un sac à dos rempli de fringues, une peluche et un couteau ? Rien, rien du tout face à d’aussi nombreux monstres. Elle a silencieusement fouillé son sac à de multiples reprises, décidant de ne pas les abandonner sur les lieux. Et à part des fringues, de vieux papiers de bonbons et des trucs inutiles qui ne pourraient lui servir à faire quoi que ce soit sur le moment, elle ne trouvait rien de bien intéressant. Puis ses yeux se posèrent sur ces fameuses enceintes, puis ensuite ses mains. Il n’y avait pas d’électricité dans le bâtiment, mais peut-être qu’il n’y avait pas besoin d’en avoir pour les faire fonctionner ? Elle a commencé à toucher l’appareil, à appuyer sur un fameux bouton « ON/OFF » qui alluma complètement l’appareil qui devait fonctionner par batterie ou piles… Pour les sauver, pour attirer tous ces rôdeurs, elle n’avait qu’à le brancher et à lancer une chanson avant de se mettre à fuir. Est-ce qu’elle voulait vraiment laisser son seul MP3 ici ? Est-ce qu’elle voulait prendre le risque de crever ? Non… mais elle l’a fait, parce qu’elle était totalement insouciante et que si elle pouvait sauver des inconnus qui lui auraient sûrement rendu la pareille à sa place. Elle a branché la prise jack à son MP3 puis elle a lancé un autre single très connu de son pote Justin Bieber, et voilà qu’on entendait le gamin chanter (hurler) à travers le magasin high tech et dans une bonne partie du centre commercial, jusque-là silencieux. PUTAIN DE MERDE.

Et voilà que les rôdeurs se tournaient lentement et commençaient à approcher les enceintes, les bras levés comme s’ils étaient prêts à mettre ses mains sur elle pour la bouffer toute crue. Haley s’est soudainement mise à reculer jusqu’à s’adosser à l’un des murs vitrés de la boutique, effrayée comme jamais, à la limite des tremblements. Peut-être qu’elle aurait tout simplement dû se barrer et ne rien tenter pour sauver des inconnus.