3 mai, fin de journée
Je rentre enfin après cette journée tumultueuse. Je sais que je devrais aller voir Logan, lui parler… J’ai besoin qu’il me dise encore et encore que mon vieux est mort, qu’on ne risque plus rien, j’ai besoin de lui demander pardon jusqu’à plus soif d’avoir fait mon gosse quand on m’a ignoré pour la sécurité. Et puis, au final, tout est de ma faute, il n’y a pas eu de mort, mais ça aurait pu. Même sans décès, les blessures sont toutes là, visibles ou non. Maddie a mis du temps à rentrer mais je sens bien qu’elle m’évite et je crois que je peux la comprendre.
Je vais mollement dans le garage, cela fait plusieurs jours que je n’entre plus du tout dans la maison de toute façon, même pour prendre mes douches et faire chauffer des trucs à bouffer, je me débrouille autrement. Pourtant, en cette fin de journée, je suis intrigué, j’entends Lobos pleurer et… je la musique ? Putain, Ava chie là !! Logan a été clair sur ce sujet. Elle veut qu’on se fasse virer ou quoi?! Si c’est une façon de me faire payer de l’avoir quitté elle merde grave.
Je n’ai pas envie de me prendre une nouvelle crise dans la gueule, mais je ne peux pas prendre le risque qu’on nous tombe sur la tronche pour ça. Je vais frapper à la porte.
« Ava ? »Tequilla couine devant la porte et Lobos nous répond de l’intérieur par des aboiements nerveux. Je crois que c’est à partir de là que je comprends qu’il y a un drame. C’est plutôt mécaniquement que je défonce presque la porte pour arriver sur ce grand hall d’entrée. Mes yeux la voient mais mon cerveau refuse de comprendre ce qui se dessine pourtant sous mon regard. Je ne sens plus mes jambes et tombe au sol pendant que Lobos se réfugie contre mois en gémissant. La musique tourne en boucle et j’entends à peine les paroles.
Spring has come
The earthworms are poking their faces out of the ground
The little birds are eating them
Spring has come
Children are going to school
Stray dogs are having many puppies
Spring has come
Women are facing the mirror
Custard pies are baking.Je reste pétrifié devant ce qui m’attend à l’intérieur. Une partie de moi comprend immédiatement, l’autre refuse. Je sens vaguement des larmes qui me coulent sur les joues pendant que Lobos me bouscule presque pour obtenir un réconfort que je suis incapable de lui donner. Je ne peux détacher mon regard de la parodie remuante de celle qui fut ma femme qui est en train de se balancer dans les airs, pendue par une corde reliant son cou à la cage d’escalier.
Je dois fermer les yeux pour revoir ma louve telle qu’elle n’aurait jamais dû cesser d’être, ses sourires, nos moments de tendresses, sa façon de me regarder quand j’arrivais encore à la faire rire, ses mimiques dubitatives quand je m’entrainais à parler Français, cet éclat dans ses prunelles qui étaient toujours passionné, dans la colère, dans l’amour, dans la folie… mais quand je les ré-ouvre, je ne vois plus rien de tout ça, juste un œil blanc inexpressif qui me fixe. Elle qui avait une si jolie voix quand elle chantait, elle ne fait plus que des grognements à mon attention en tendant lamentablement ses bras vers moi.
Je ne mets un certain temps à mon avis à pouvoir bouger, le temps que mon cerveau accepte que cela n’est pas un mauvais rêve.
Je me revois à genoux devant elle a lui jurer de la protéger pendant que je sors mon arc et encoche une flèche.
Je crois qu’au fond de moi je sais ce que je dois faire. Harvey et Riley peuvent revenir à tout moment, et je ne veux pas leur faire vivre cela. J’ai les mains qui tremblent, mes yeux sont remplis de larmes. Je me souviens de cette fougueuse princesse des rues, affamée, effrayée, mais pourtant si fière dans ce cinéma abandonné de Detroit. Je m’entends encore lui dire ce que je murmure à nouveau.
« Viens avec moi… je prendrais soins de toi… je te protègerais… »Ma flèche se fige entre les deux yeux. Cette mauvaise copie de la femme splendide que j’ai aimée cesse de bouger. C’est presque mécaniquement que je vais la décrocher. Je fais attention à elle comme si elle était encore là, comme si je risquais de lui faire plus mal que je ne l’avais déjà fait.
Je nous revois encore ici, il y a en train de nous déchirer, je la traitais de menteuse, je lui reparlais de Declan, de mes doutes sur toutes les conneries qu’elle m’avait racontées et surtout je lui avouais tout pour Joey et moi… et sur le fait que sans le vouloir j’avais donné ce qu’elle avait piétiné à une autre.
Je remarque qu’elle a mis la robe qu’elle portait quand je l’ai demandé en mariage. Elle ne porte aucun de ses bijoux, juste la bague que je lui ai offerte. J’ai mal comme je ne pensais jamais pouvoir souffrir. Je remarque le papier qui sort de sa poche. Je fini par réussir à le lire malgré les sanglots qui me parcourent. Avalohn écrivait bien, et j’entends presque sa voix me susurrer ses derniers mots. Cet adieu à nos rêves, a ces enfants que nous n’aurons jamais, à cette vie qui aurait pu être la nôtre. Ses excuses aussi, son sentiment de m’avoir fait du mal, d’avoir tout cassé… Je suis en colère, après elle, pour ses mensonges intolérables, après moi, de ne pas avoir pu la sauver, après le monde entier pour nous obliger à subir cela. Mais le chagrin l’emporte vite sur le reste. Si elle savait ce que j’ai fait pour elle, pour quelque chose qui n’avait jamais eu lieu... Cette lettre me laisse un gout amer et plus de questions encore qui resteront sans réponse.
Je retire la corde le plus délicatement possible et reste à regarder son visage en attendant un miracle. Un truc comme dans les films. Je l’embrasse sur le front une dernière fois en lui demandant pardon. Mais rien ne vient.
Je ne sais plus trop la suite tellement tout est confus. Je ne sais pas combien de temps il m’a fallu pour aller chercher un drap et la couvrir avec, ou pour partir avec elle dans les bras vers le cimetière de Fort Hope. Je ne suis pas sûr d’avoir croiser des gens, je crois. Est-ce qu’on m’a parlé ? Peut être… de toute façon je ne suis plus vraiment là et c’est pas comme si j’en avait quelque chose à foutre que tout le camp apprenne que le Punishers se balade avec un cadavre dans les bras.
Je la dépose avec précaution au sol, comme si elle était juste endormie et qu’il ne fallait pas la réveiller. Je prends machinalement la pelle et commence à creuser la dernière tanière de la Louve. Je déverse toute ma peine, ma souffrance et ma colère dans chaque coup de pelle, hanté par des souvenirs de promesses bafouées sans vraiment faire plus attention à ce qui se passe autour de moi.