Ce temps, ce vent, la pluie qui commence à tomber doucement... Ça ne présage rien de bon. Ça va saucer. Et mon petit doigt me dit, hélas, que ça ne va pas se limiter à une grosse averse, puis, re-bonjour le beau temps. Non, non. C'est un putain de déluge qui va nous tomber sur le coin de la gueule, ça, j'vous l'dis. Tout le monde semble s'en rendre plus ou moins compte. Car, tout le monde se met plus ou moins à la tâche, dans une optique de survie face aux éléments. Barricader, fortifier, ranger, protéger... Il faut limiter les potentiels dégâts à venir. Peut-être que l'on s'active pour rien, mais... Mieux vaut prévenir que guérir, n'est-ce pas ?

Fidèle à mon poste, la première chose à laquelle j'ai pensé, après la sécurité de ma fille, ce sont nos plants. Trop d'eau tue l'eau. Si les sols du jardin non couvert par la serre sont gorgés de liquide comme des éponges géantes... On peut dire adieu à des mois de travail et des semaines de légumes conservables après récolte. Autant dire que ces pertes sont un luxe que nul survivant, de nos jours, ne peut se permettre. Il suffit de peu pour ruiner toute une communauté et affamer chacun. Je ne veux pas tenter le diable en laissant notre précieux potager sous la merci de la tempête.

Armée, ou plutôt enseveli, de plusieurs bâches empruntées çà et là dans les caves des habitations et de quelques paniers d'osier, je marche du mieux que je peux vers ma destination. Faut dire qu'avec ma petite taille, être aussi chargée, c'est bien handicapant. Je n'vois même pas où je fous les pieds.
C'est alors que je sens le poids dans mes bras s'alléger subitement. Redressant la tête, un sourcil arqué de surprise, je reconnais notre bon vieux chef à tous, visiblement décidé à me filer un coup de main avec toiles étanches.
- Merci. Lâchant un faible sourire, je lui pointe nos cultures d'un mouvement de tête. Je profite que le temps soit encore à peu près clément pour mettre au sec le jardin. Tu m'aides ? Y'a peut-être déjà quelques trucs à récolter, en vu du mois ça ne sera pas grand chose, mais, toujours ça de gagné. Le reste, faut absolument qu'on le tienne à l'écart des fortes pluies.

Se tenir prêt, toujours. Dès que les premiers signes s'étaient présentés dans le ciel, Logan n'avait pas perdu de temps pour rameuter les troupes. Aujourd'hui exceptionnellement pas de sorties autorisées et effectif minimal à la garde : il restait trop de choses à faire pour se préparer à affronter l'orage qui menaçait d'approcher. D'aucun l'aurait trouvé trop inquiet pour un rien, mais plus le ciel s’obscurcissait, plus il se disait qu'il n'avait peut-être pas tort et plus on le prenait au sérieux dans le camp, chacun s'activant sur sa tâche.

Lui-même faisait un dernier tour du camp avant de se mettre à aider les autres, sans trop savoir encore sur quoi se porterait son choix. Probablement sur les barricades, après avoir passé des mois entiers et mis son couple en péril pour les construire, il l'aurait eu mauvaise de les laisser tomber au premier coup de vent. Et du vent, il y en avait déjà pas mal, là... Mais il n'eut pas vraiment le temps de quitter le parc où ils avaient installé les jardins qu'il rencontra un tas de paniers en osiers plantés sur une paire de jambes qui lui fit froncer les sourcils. Allant à la rencontre de cet étrange spectacle, il s'empara de la charge de la jeune femme qui se cachait derrière, passant son visage sur le côté pour lui adresser un semblant de sourire. "T'arrives à voir où tu vas ?" demanda-t-il avec humour alors qu'elle le remerciait et lui expliquait ses intentions. "Allons-y ! Ce serait dommage qu'on ait plus rien à manger quand le beau temps reviendra !"

Ils se rendirent donc jusqu'à l'étendue de terre d'où perçait les quelques plantations du groupe. Cette année, leur jardin se présentait mieux que bien, ça n'avait plus rien à voir avec les petites jardinières autrefois plantées sur le toit de la caserne et ça rendait l'homme assez nostalgique. Mais loin de faire le moindre commentaire, il se contenta de poser ce qu'il tenait sur le sol et de se tourner vers Lana. "Comment tu pensais faire tenir les bâches ?" demanda-t-il, curieux. Il était bien loin d'avoir la main verte, tout ce qui concernait le jardin, il le laissait bien volontiers aux autres. "Enfin, j'imagine que t'avais d'abord l'intention de ramasser ce qu'on peut manger." reprit-il en pointant les paniers du doigt. Logique. "Hum... Peut-être qu'on pourrait creuser des tranchées autour du jardin, pour évacuer l'eau ? Rien de très profond, mais assez pour que le poids ne pèse pas trop sur les bâches."

Je suis assez agréablement surprise que Logan n'avait déjà rien de prévu. Car, ainsi, il n'a pas perdu une seconde pour prendre la décision de m'aider. Tout comme moi, il a l'air de voir l'importance capitale de la mise en sûreté de la partie du potager non protégée par la serre. C'est tant mieux.

A cause de la pluie, les sols menacent, déjà, d'être boueux. Il va falloir agir assez vite, pour éviter la catastrophe.
Posant au sol les paniers que je portais, je passe une main dans mes cheveux en me les grattant tout en répondant.
- Bah écoute... On a pas trente-six solutions... Va falloir trouver des pierres assez lourdes pour maintenir les bâches en place et espérer que les vents ne ruinent pas tout ça. Faudrait aussi essayer de les tendre au maximum, pour que l'eau ruisselle sur les côtés au lieu de s'accumuler au milieu et écraser les plantes en dessous.
J'acquiesce lorsqu'il présume que notre première tâche est de récolter ce qui est récoltable. M'agenouillant au pied du potager, je tâte quelques légumes, voir l'état de mûrissement, s'ils ont bonne mine, etc. Tout en répondant à mon collègue.
- L'idée est bonne. On aura qu'à les creuser en dernier, une fois les bâches posées. Car si on pose les bâches en dernier... La pluie aura déjà largement le temps d'humidifier à mort les sols.
Lui pointant du doigt un panier, je l'invite à venir près de moi.
- Bon... Faut savoir que Mai, c'est pas le mois où on récolte la blinde de choses. On a que les oignons et les courgettes. La roquette et les épinards aussi, car, ce sont des plantes à croissances rapides qu'on peut récolter un mois après leur plantation. Cela dit... Je ricane légèrement en le regardant avec une once de taquinerie. Comme t'as pas l'air dans ton élément, j'vais pas te demander de t'occuper de deux trucs qui, à tes yeux, doivent se ressembler comme deux gouttes d'eau en mode "bah... c'est de la salade, quoi...". Du coup, tu penses être capable de reconnaître des oignons et des courgettes et prendre ceux qui ont une tête à être mangeable ? On pourra facilement les tenir comestibles toute la semaine si on leur trouve un endroit sec. Les épinards et la roquette, par contre, ça sera les premières choses à devoir manger. Au bout de trois ou quatre jours, ça tire déjà une sale tête quand c'est laissé à l'air libre.

Le plan mis en place était clair et plutôt simple, Logan n'ayant rien à y redire s'empara donc d'un premier panier en observant les légumes d'un air assez dubitatif. Effectivement pour lui, tout se ressemblait à peu près, mais bon... "Figure-toi que Joy m'a laissé tout un tas de bouquins sur le jardinage en partant ! J'suis sûr que j'pourrais garder un cactus en vie plus d'une semaine." répliqua-t-il quand même, en prenant un air faussement vexé que madame le juge aussi mal. "Mais va pour les courgettes et les oignons, c'est moins risqué." Après lui avoir tout de même adressé un sourire, il se lança dans sa partie de la récolte, pas vraiment sûr de lui, mais essayant quand même d'y mettre du sien. Au pire, ce qui n'était pas encore tout à fait mûr pouvait l'être après cueillette, non ? Pour ce qu'il en savait...

Cela ne prendrait malheureusement pas des heures au vue de ce qu'il y avait à récolter. "Qu'est-ce que t'as fait de la petite ?" demanda-t-il en ajoutant encore quelques courgettes dans son panier. "Hmm, tu crois pas que la serre risque de s'envoler si ça continue comme ça ?" Il s'était retourné pour observer la-dite serre du coin de l’œil et même si leur installation avait de la gueule, il ne croyait soudainement plus trop aux chances qu'elle survive à une tempête trop violente.

- Mais oui, mais oui, je te crois ! Lui lançais-je, accompagné d'un vague geste de la main et roulement de regard malicieux. Posant ma main gauche contre ma bouche, je fais mine de tousser en murmurant, entre deux quintes : J'plains l'dit cactus. Évidemment, il sait que je le taquine. Derrière mon masque d'indifférence et mes paroles moqueuses, tout le monde sait que je ne cherche pas à être une langue de vipère. Sauf dans certains cas. Mais ce n'est clairement pas le cas. Et puis... Heureusement, Logan à cent fois plus le sens de l'humour que son fils adoptif qui est d'un susceptible mordant. Je peux, donc, sans trop de problèmes me moquer gentiment de lui. D'autant plus qu'il a les armes pour me renvoyer la balle de façon cinglante, histoire d'être quittes.

Je le regarde quelques instants se mettre à la tâche. Bien qu'il soit hésitant par moment, il se débrouille parfaitement. Je peux donc très rapidement m'occuper de mes affaires en sortant de terre les pieds d'épinards et de roquette n'attendant qu'à être dégustés.
Lâchant un soupir face à la question du chef de la communauté, je repense à la légère crise que m'a fait Katie lorsque je lui ai dit qu'elle allait devoir rester bien sagement avec ceux surveillant les enfants. Elle voulait rester avec moi et me donner un coup de main... Quelle enfant adorable, vraiment...
- Ton fils et Juliet s'occupent des enfants pendant qu'on se prépare à faire face à la tempête. Elle est avec eux. Ta fille aussi, je suppose ? Je me gratte la tête, tant pis si je me retrouve avec de la terre dans les cheveux, je ne suis plus à ça près. J'espère que tout ça ne sera pas trop long et compliqué pour elle, ce n'est qu'un bébé. Mon panier désormais "bien rempli" par rapport au peu que nous avons, je tourne la tête vers la serre en posant une main rassurante sur l'épaule de mon camarade. Je peux te dire que le nombre de fois où on s'est appuyé contre ses murs ou, carrément, rétamé dessus à cause d'une perte d'équilibre en zigzagant entre les plantes... Elle devrait supporter la tempête. C'est du solide. Mais, si tu as vraiment peur... On peut toujours tenter de bidouiller un peu, avec quelques planches de bois. Mais, je te préviens : je suis aussi douée en bricolage que toi en jardinage !

Si Logan mesurait parfaitement l'importance de la tâche qu'ils accomplissaient en ce moment, cueillir des légumes n'était vraiment pas une passion pour lui et il se laissa rapidement distraire à faire la conversation, prouvant au passage qu'il n'était peut-être pas aussi rigide et coincé qu'on le prétendait. « Oui, j'l'ai laissé avec Jules ce matin. J'suis sûr qu'elles s'en sortiront toutes les deux très bien. » Il se replongea un moment dans sa cueillette pour cacher la mine inquiète que lui donnait la simple idée de savoir sa fille loin de lui pendant plusieurs heures. Depuis presque un mois maintenant, il ne s'en éloignait plus et, même s'il refusait de l'admettre même à lui-même, il n'avait aucune envie de la laisser aux soins d'Isha. Malheureusement, il fallait bien qu'il participe un peu à la préparation du camp, n'étant pas vraiment le genre à abuser de ses pouvoirs pour se tourner les pouces.

Son attention dériva une nouvelle fois, sur la serre cette fois, mais là encore Lana ne partageait pas ses inquiétudes et affirmait déjà qu'elle tiendrait le coup sans problème. De toutes manières, ils n'auraient sans doute pas le choix vu la masse de travail à accomplir avant la fin de la journée. « Hm... On va commencer par s'occuper du jardin et on verra ensuite, alors. J'te fais confiance, si elle s'écroule, tu devras affronter la tempête Maddie ! » Il se surprenait lui-même de sa bonne humeur, surtout compte tenu de la situation qui n'avait franchement rien d'amusant. Tout ce qu'ils avaient à perdre aurait du le clouer sur place, mais non, il souriait en déposant son panier sur le sol et en regardant autour de lui. « Chasser des pierres, alors... Tes petites bras arriveront à le supporter ? » Il lui fit un clin d’œil avant de s'éloigner un peu, à la recherche de ces fameuses pierres.

Tout comme moi, malgré le fait que nous tâchons de le cacher sous notre fierté, je perçois une once d’inquiétude aussi bien dans le ton que l'attitude de Logan. Je le comprends. On aura beau se dire que Juliet fait une merveilleuse babysitter, qu'elle est quelqu'un de confiance et de responsable, tout comme Isha malgré son impulsivité immature, rien n'arrivera à apaiser complètement nos instincts de parents. Et puis, je ne sais pas pour lui, mais... J'ai toujours cette impression d'amertume, lorsque j'ai la sensation d'être inutile ou impuissante pour le bien de ma fille. Si ça ne tenait qu'à moi, je gérerai toujours tout toute seule. Mais, je ne peux hélas pas me décupler. Enfin bref. Évitons de rester bloqués sur nos petits anges. Bien qu'il soit difficile de ne pas penser à elles. Nous avons du travail. Tâchons de nous y concentrer.

Haussant avec nonchalance les épaules, je laisse échapper un gloussement étonnamment franc pour une situation comme celle-ci, loin d'être à prendre à la légère.
- Si la serre s'écroule, tempête Maddie ne pourra que s'en prendre à elle-même ! C'est pas moi qui l'ai mise sur pied, cette construction. Si elle pète, j'plaide non-coupable !
Redressant mes manches à la fois mouillées et terreuses, je fais mine d'être vexée par les propos de mon supérieur avant de lui montrer mes biceps.
- Je suis loin d'être en sucre, très cher.

Nous ne devons pas avoir l'air bien intelligents, à ainsi jouer au petit poucet. Mais bon. Que voulez-vous ? Il faut bien les dénicher, ces cailloux teneur de bâches ! Après un certain temps, nous finissons par réunir des pierres assez lourdes et grosses pour supporter la mission qu'on leur réserve.
- Ça va suffire, tu penses ? Ou il en faut d'autres ?

D'un œil expert, Logan observa la jeune femme bander ses muscles pour lui prouver qu'elle allait s'en sortir pour soulever les pierres. « J'ai hâte de voir ça, tiens... » Son ton laissait clairement entendre qu'il la jugeait, même s'il était certain qu'elle s'en sortirait très bien, comme il le prouvait en s'éloignant déjà pour s'occuper de sa propre part de travail. Ça n'était pas si compliqué d'en trouver, au final, il fallait surtout les extirper du sol et se contenter de celles suffisamment imposantes pour faire le travail ce qui était un peu moins aisé. Mais après de longues minutes de labeur, ils avaient amassé un petit tas qui semblait suffisant pour la tâche à accomplir. « Ce sera très bien ! » assura Logan. En fait, il n'en savait rien, ça dépendrait surtout du vent qui se lèverait ou non au cours de la journée, mais pour le moment, ça suffisait.

« Allez, on a presque fini ! » Là encore, c'était un peu trop optimiste, mais il alla quand même chercher une première bâche pour en poser un coin sur le sol, qu'il bloqua immédiatement avec une première pierre. Pour le moment, tout allait bien alors il s'occupa de déplier le plastique pour recouvrir un premier rectangle du jardin. Le tout était de penser à déposer les pierres au fur et à mesure pour ne pas laisser le vent défaire leur travail en même temps qu'ils le faisaient. C'était long et franchement pas amusant, mais il fallait en passer par là pour espérer manger dans les semaines à venir.

« On s'en sort comme des pros, tu vois que mes lectures du soir ne servent pas à rien ! » affirma le barbu quand la première bâche fut posée. Il s'était redressé pour observer leur œuvre et c'était vraiment parfait, vraiment. Si tant est que la météo se décide à leur laisser une chance, ils venaient peut-être de sauver le jardin. Du moins, s'ils continuaient d'avancer à un bon rythme, parce que la pluie commençait à tomber un peu plus sérieusement. « J'espère que t'as pas peur d'être mouillée, on a encore du boulot. » Sur ces bonnes paroles, monsieur se remit au travail, recommençant son petit rituel avec une autre bâche. Ce n'était que maintenant qu'il était vraiment plongé dans le jardin qu'il mesurait l'étendue du travail accompli ici depuis des mois. Ça ne faisait pas encore un an qu'ils étaient installés là, mais ils avaient déjà de quoi nourrir tout le groupe rien qu'en surface.

Malgré ses réticences mutines quant au fait que je sois capable de "débrouillardise virile", je crois qu'au final notre très cher chef de meute se voit dans l'obligation de m'accorder le respect en acceptant que je viens de faire mes preuves en la matière de "supporter" les poids reposant sur mes "petits bras".

Après avoir contemplé notre travail d'un regard critique, bref, mais nécessaire, Logan annonce que oui. Cela devrait faire l'affaire. Du moins, on ne peut que l'espérer de tout cœur. C'est, de loin, ce que l'on a de mieux et de possible à faire.

Répétant encore et encore la manœuvre, nous voyons peu à peu l'évolution de notre labeur. Une évolution ayant de quoi nous rendre optimistes. Vraiment, avec ce que nous faisons... Il y a une véritable possibilité de sauver les cultures. Et, ça, ce n'est pas rien.

Un gloussement me raclant la gorge, je rassure avec malice mon camarade.
- Oh, tu sais... Au point où on en est, c'n'est pas un rhume qui va me tuer. Mais bon... Je t'avoue, quand même, que plus vite on aura terminé, plus vite je serai ravie de me poser au sec en priant pour que la tempête soit plus clémente que dévastatrice.

La tâche progresse, les parcelles à recouvrir régressent... Si bien qu'en peu de temps, voilà les dernières pierres posées.
Se redressant pour voir le rendu final, un grand sourire me fend les lèvres alors que je tends la main à mon collègue, attendant qu'il y tape amicalement dedans.
- Eh bien ma foi... Bon travail, mon cher ! Voilà une bonne chose de faîte.

Le jardin potage, c'est fait.
Tu ne gagneras pas contre nous, satané vent.