Mon regard se lève doucement vers le ciel, observant les nuages menaçant qui se profilent à l’horizon. Fort Hope est en état d’alerte, surement comme tout Détroit. Une tempête se profile visiblement et grâce à une réactivité presque immédiate de la communauté, nous nous sommes tous répartis des tâches. Ma mission, consiste à mettre à l’abri les provisions et de manière plus globale, les réserves dont nous disposons. Logan m’a donc informé, d’où trouver toutes ces belles choses, et c’est avec des sentiments contraires, que j’ai appris que je ferais équipe avec Drake. Pour être parfaitement honnête avec moi-même, je ne saurais dire si j’en suis heureuse ou non, si cela me fait sourire ou me fait faire la gueule. Tout ce que je sais, c’est qu’à présent, vu que nous partageons le même toit, je commence à changer d’avis sur lui, à remarquer certaines choses qu’il a dans son attitude comme de faux airs qu’il se donne.

A pas décidés, nous approchons finalement de la demeure où tout est stocké. Notre mission est simple, sécurisé toutes les réserves et j’ai déjà ma petite idée de comment procéder. Tournant la clé dans la serrure, je pénètre dans la demeure, suivie par Drake. Sans retirer ma veste, je me tourne vers lui, le fixant droit dans les yeux.

- Je pense qu’il serait préférable de mettre tout ce qu’on peut à l’étage non ? En cas d’inondation, tout ce qu’il y a est perdu…

J’agite les deux bâches pliées que je tiens dans ma main, toujours sans le quitter des yeux.

- Et ça, c’est pour protéger certains trucs en cas de fuites… T’as d’autres idées ?

Je ne suis qu’à moitié sereine. Déjà, la tempête m’angoisse un peu, mais travailler avec Drake est quelque chose que je n’ai jamais fait, du moins pas depuis longtemps… Je m’efforce à lui offrir un petit sourire, qui se veut sympathique et réconfortant. Je ne sais pas ce qu’il pense de moi, j’admets que ça aussi, a le don de me stresser.

Drake lève les yeux au ciel, fronçant le nez avec air contrarié. L'apocalypse des morts qui prennent la place des vivants, ça ne suffisait visiblement pas. Il faut maintenant que la nature s'y colle, avec pour objectif visiblement de raser tout ce qui reste de l'humanité. En même temps, sans pour être autant un de ces cons d'écologistes hippies ou de bouffeurs de laitue, Drake peut facilement envisager que les humains y sont peut-être pour quelque chose. Il y avait tellement de personnes, dans une telle société de consommation... Si les morts ne s'étaient pas mis à revenir, ça aurait été une autre catastrophe qui attendrait les hommes. Tout était déjà écrit à l'avance. L'humanité est pour la Terre ce qu'est un poux ou une sangsue pour l'homme ; un parasite.

Quoi qu'il en soit, ce n'est pas aujourd'hui que Drake va mourir suite à une tempête après tout ce qu'il a déjà dû survivre. Ses yeux quittent le ciel et rencontrent ceux de sa coéquipière. Aiko n'est pas ravie de devoir travailler avec lui, mais Drake quant à lui, est plutôt content d'un tel partenariat. Il va pouvoir l'embêter à sa guise pendant toute la durée des préparations de défense contre la tempête et ça, ça n'a pas de prix.

Drake la suit aussitôt, se mettant en route sans dire un mot. Il se contente de suivre du regard le roulis de son joli popotin devant lui. Il entre dans la réserve et écoute Aiko sagement, souriant en coin.

- Tu sais que notre premier danger c'est une tempête, pas vrai ? Donc du vent, en plus de la pluie ? La charrie-t-elle aussitôt, donnant le ton. Il va falloir faire bien plus que ça. Moi je vais mettre des planches aux fenêtres et peut-être une ou deux poutres. Des sacs de sable contre les murs aussi. Toi, tu vas faire les trucs de femme. Mettre les réserves dans les bâches, les protéger de la pluie et les mettre à l'étage supérieur.  

Drake pose la caisse à outils à terre, celle qui a emprunté, et sort un marteau et des clous. Mais alors qu'il se tourne vers la porte, son regard est porté vers une caisse entreposée... Un papier en aluminium qui cache une denrée rare...

- Du chocolat... Souffle-t-il.

Aussitôt, avec les yeux gourmands d'un garçon de cinq ans, Drake repose ses outils et s'approche de la caisse, saisissant le chocolat.

- Qui est-ce qui va s'en mettre plein la panse ? C'est bibi ! Claironne-t-il en rigolant. Il jette un coup d'oeil à Aiko. Tu peux en avoir un petit bout si tu es sage.

Cela aurait en effet été très étonnant que ce cher Drake accepte mes idées sans intervenir. Mais étonnement, certaines de ses remarques me semblent pertinentes. Je sursaute subitement, observant avec un certain étonnement le brun. Ses remarques sexistes m’auraient sûrement mises en rognes, mais depuis qu’il vit avec moi, j’ai l’impression d’avoir gagné en répartie et aussi, je décide de garder pour plus tard une possible réplique cinglante. Je me dirige donc vers les provisions afin de tout monter en haut, mais mon élan se voit stoppé, lorsque je vois Drake s’avancer vers un carton de vivres. Mon attention se porte alors aussitôt vers lui, mais surtout dans ce qu’il saisit de sa large main. Une tablette de chocolat. Je réagis. Je repose le carton que j’avais dans les mains et attrape la tablette. Je l’enfonce dans le carton et ferme ce dernier, gardant les volets de papier épais clos sous ma paume. Je le fixe. A croire qu’il avait fait exprès de me tendre la perche pour me venger....

- Tu qui aimes tant faire la différence entre les femmes et les hommes. A ton vénérable âge, tu devrais savoir que seul les femmes peuvent grignoter. Parce que comme ça on prend des fesses, des cuisses, c’est beau … Alors que les hommes, ça prend juste du ventre… T’es déjà assez large comme ça.

Tout ça dit sur un ton doux, mielleux, très visiblement moqueur. Avant qu’il ne me râle dessus davantage, je récupère la boîte et la serre précieusement contre mon torse. Je monte aussitôt les escaliers et ajoute.

- Reposes ça tout de suite !

Je ne sais pas s’il a prit quelque chose, mais je l'ai senti… J’arrive dans la chambre et me mets à entreposer sur un sommier sans matelas, le plus de caisses possibles. Je les cales comme je peux, de façon à ce qu’il n’y ai plus de trous. La bâche est posée au pied du lit, encore quelques voyages et je n’aurais plus qu’à bien fixer cette dernière et à passer aux autres pièces.

Il fallait s'y attendre. Aiko est aussi rigide qu'un balais en bois en ce qui concerne le règlement. Elle est sûrement rigide dans d'autres domaines, ceci-dit. Mais Drake avait tout de même ce petit espoir qui demeurait, espérant pouvoir partager du chocolat volé et même se mettre à la recherche d'alcool gratuit. Il voulait pouvoir passer une soirée amusante, et faire un peu de travail entre deux beuveries. L'ex-taulard est certain qu'avec une autre personne du fort, à part Logan, son projet se serait réalisé. Qui peut dire non au chocolat à part Aiko après tout ?

Drake plisse donc les yeux lorsque sa compagne de corvée met le chocolat dans le carton et le referme sous ses yeux. Sa gourmandise ne fait qu'enfler aussitôt, puisque la frustration se rajoute à son panel d'émotions. Drake pousse un soupire gras à sa réponse, insinuant que l'électricien est bien en chair, avant de se détourner et de rouler son joli petit cul pour monter les escaliers. Drake fait une moue et tend aussitôt sa main vers un autre carton, se figeant quand elle le rabroue aussitôt sans se retourner. Cette nana a des yeux derrière la tête, ou quoi ?

Drake grommelle donc dans sa barbe et saisit sa trousse à outils. Il se met à renforcer les fenêtres et les portes avec des gestes consciencieux. Il avance bien dans son travail pendant une bonne heure avant de finir inévitablement par s'ennuyer. Drake repose alors ses outils et s'approche des escaliers. Il monte silencieusement les escaliers et ouvre lentement la porte, observant sans un mot la jeune femme.

Il sourit en coin en la voyant s'activer, appréciant le beau tableau. Il finit par s'appuyer contre le chambranle :

- Bouh ! Dit Aiko, pourquoi tu ne veux pas t'amuser un peu ?
Personne ne va rien remarquer...  C'est vrai quoi, depuis que j'ai emménagé avec toi on fait rien de marrant... Franchement, tu te lâches jamais un peu ? Je dis pas ça pour t'emmerder, c'est une vrai question. En fait tu sais quoi, on passe jamais de temps ensemble. A quoi ça sert de m'offrir ton logement si on partage rien ? T'arrive à me faire sentir aussi seul que lorsque j'étais sur la route.

Un sursaut me saisit, alors que Drake me fait subitement savoir sa présence, avec l’intelligence d’un enfant. Il me cri alors un Bouh, avant d’enchaîner pour me parler à toute vitesse. Je me remets bien vite de la surprise qu’il m’a causée, avant que ce même état physique ne revienne rapidement. Le brun me parle, me surprend même. Je fronce légèrement le nez face à ses questions, ses accusations.

- Cela fait-il parti des rares moments où tu es sincère ? Ou dès que je vais te répondre tu vas partir en fou rire …?

Je suis sur la réserve, mais je doute qu’il puisse réellement m’en vouloir. Ses paroles sont pourtant bien réelles, ça me file une petite claque psychologique, mais hors de question qu’il le remarque.

- Bon, j’ignore si t’es vraiment sincère mais moi je vais l’être… Écoute. Ce n’est pas que je ne m’amuse jamais. Pas plus tard que la semaine dernière je suis allée dehors avec Matth. On s’est entrainé un peu à l’arc, on a bien rit, on était deux sur un cheval et on a ramené une vache pour le Fort. C’était une après-midi très amusante !

Je m’assois sur une chaise abandonnée là et le regarde fixement. Je soupir un peu avant de me frotter le front.

- Tu as raison, je n’arrive pas à me détendre avec toi. Mais tu es tellement cassant, parfois même blessant, que je n’ai pas envie de me faire avoir. Sincèrement, même quand tu es gentil, ce qui est rare, tu ne l’es pas longtemps. Mais tu sais quoi, je suis d’accord pour faire un pas vers toi … On aura qu’à aller faire un tour dehors après la tempête, voir comment l’extérieur aura été bouleversé, on pourra trouver des choses amusantes. Mais on ne vole rien ici ! Que quelqu’un le remarque ou pas, chaque denrée a été dure à trouver. Alors faut que tu respect ça. Comme tu l’as dit, tu n’es plus seul dehors. Essaye de faire un effort pour te plier à quelques règles basiques pour la communauté.

Je me lève et me dirige vers la porte, je passe près de lui et tente un sourire, léger, mais honnête.

- Tu viens ? On a encore pas mal de travail à faire pour peu de temps...