30 juin 2016

Honnêtement, la solitude me pèse. Bien plus que je n'aurais jamais pu l'imaginer. Le pire dans tout ça, c'est que j'aurais pensé qu'ainsi mes cauchemars cèsseraient, parce que je retrouverai un peu de mon "mordant" d'avant qu'on rejoigne le laboratoire. Mais le peu de fois où je parviens à fermer l'oeil, c'est pour revoir les pires scénarios possibles. Pour imaginer qu'il est arrivé les pires choses à ma soeur. Pour me convaincre inconsciemment qu'elle ne me pardonnera jamais de l'avoir abandonnée.

Peut-être que c'est la vérité. Peut-être qu'elle ne viendra jamais me chercher parce qu'elle n'en a pas envie. Peut -être qu'elle me déteste parce que je l'ai abandonnée alors qu'elle avait besoin de moi certainement plus que jamais. Et si jamais c'est le cas, c'est sûrement que je l'ai mérité. Lorsque je me suis blessée, j'ai immédiatement regretté d'être partie si loin. Mais sur le coup, je n'ai pas réfléchi. Je n'ai pas pensé à ma légendaire malchance. Il faut croire que le destin a décidé de me le rappeler d'une manière un peu trop forte.

Chaque jour j'attends pourtant dans cette cave où nous avions survécu pendant des semaines et des semaines, espérant qu'elle arrive d'un seul coup pour que je puisse la prendre dans mes bras et m'excuser du tort que j'ai pu lui faire. Mais malgré moi mes espoirs s'amenuisent de jour en jour. Comme si je me faisais à l'idée de finir mes jour sans être capable de la rejoindre. C'est relativement défaitiste, je sais. Mais j'en ai fait des tentatives de retourner au laboratoire par mes propres moyens. Je n'ai jamais réussi à aller très loin.

Fixant les murs qui m'entourent, je ne peux m'empêcher de repenser à tous les souvenirs que je peux avoir ici. Bons ou mauvais, ils ne font que me rappeler une chose: nous avons survécu toutes les deux. Quoi qu'il nous soit arrivé par le passé, nous sommes passées par dessus pour ne nous en sortir que plus fortes. Et malgré tout, cela me donne l'envie de continuer. De puiser dans les forces qu'il me reste malgré le manque de nourriture, d'eau et de repos. D'aller de l'avant jusqu'au jour où je pourrai la retrouver.

« Aller Marilyn, bouge toi faut avaler un truc! » Dis-je en me relevant du matelas qui se trouvait au sol pour aller chercher une boîte de conserve encore fermée sur l'étagère. C'est ma dernière. Donc soit je vais devoir prier pour un miracle, soit je vais devoir aller trouver un endroit que je n'ai pas encore visité dans les alentours pour me trouver à manger. Et après tout ce temps, je crois que ça va devenir un peu compliqué.

Lorsque l'on manque de quelque chose, c'est assez impressionnant de voir à quel point la moindre petite redécouverte de ce plaisir semble inouïe. Mais il faut savoir mettre fin aux "bonnes choses" pour pouvoir y avoir droit une fois de plus. Arrivant à peu près au quart de la petite boîte de conserve que je tenais entre mes mains, je me fais violence pour ne pas la terminer d'un coup. Mais je ne sais pas combien de temps je vais encore devoir rester ici. Alors mieux vaut jouer la sécurité.

Relevant mes lunettes sur ma tête de sorte à mettre mes cheveux en arrière, je soupire un coup et me frotte les yeux de mes deux mains après avoir posé mon "plat" sur le sol à côté de moi. Je suis épuisée, c'est vrai. Mes joues sont creusées et les cernes ornent mon visage avec une fierté déconcertante. Mes doigts passent dans mes cheveux et récupèrent mes lunettes afin de les remettre convenablement sur mon nez.

D'un seul coup, je me fige. J'ai l'impression... Non, ce n'est pas possible. C'est certainement mon esprit qui me joue des tours. Pourtant, tout au fond de mon être, je sens que ce n'est pas vrai. Que cette fois je ne suis pas en train d'halluciner. Et si c'était un piège? C'est dingue comme la survie à l'extérieur rend paranoïaque tout de même. Par mesure de sécurité, j'attrape ma machette qui n'est jamais bien loin de moi et je me tiens prête à me lever pour me jeter sur un potentiel agresseur.

Des bruits de pas dans les escaliers, la poignée de la porte qui tourne avant que cette dernière ne se mette à grincer sur ses gonds mal huilés. Ma main se resserre sur le manche de mon arme et mon corps se tend. Mais d'un seul coup... Impossible... Je lâche mon arme, sentant des larmes monter à mes yeux à une vitesse affolante si bien que je ne peux absolument pas les retenir. Ignorant la douleur induite par mon genou toujours déboîté ainsi que mon entorse qui n'est pas prête d'aller mieux, je me relève pour me diriger vers elle. Sortir de la pénombre en levant les mains pour qu'elle ne puisse pas me confondre avec quelqu'un et me tuer sur un malentendu.

« Oh mon dieu... J'ai pas rêvé c'est bien toi..! » J'ai la confirmation qu'elle est bel et bien devant moi. Je la détaille rapidement du regard avant de finalement me dire que j'ai besoin de quelque chose de plus urgent. Je m'approche d'elle rapidement, boîtant bas, et viens la prendre dans mes bras en laissant mes larmes couler sur mes joues. Des larmes de joie, de soulagement, de regrets aussi car je n'aurais jamais dû m'en aller.

Je la serre dans mes bras, comme si j'avais peur qu'elle ne disparaisse. Comme si la vie pouvait d'un seul coup me reprendre ce cadeau comme elle me l'avait apporté. Mes mains tremblent mais peu m'importe. La douleur induite par ma jambe pourrait me faire hurler, mais j'ai beaucoup plus important à faire. Ma petite soeur est là, devant moi, pour la première fois depuis des semaines et des semaines... « Je suis désolée Olivia... Je voulais revenir mais... C'était si loin et... Ma jambe... J'te demande pardon... »

Revoir ma soeur est certainement le plus beau cadeau que la vie aurait pu me faire. Je ne dis pas que je n'ai pas été heureuse de retrouver d'autres personnes de ma vie passée, comme Lana ou bien Stella. Mais avec Liv... Les choses sont totalement différentes. Elle est tout ce que j'ai de plus précieux au monde. Cela a toujours été le cas et cela le sera toujours. Rien ne pourra jamais me faire changer d'avis concernant ma petite soeur. Ma belle Olivia...

Je la garde dans mes bras, et je sens qu'elle aussi me serre contre elle. J'aimerais que cet instant dure pour toujours, tant elle m'a manqué pendant les dernières semaines. J'ai eu si peur qu'il lui arrive quelque chose. Et a voir sa réaction, c'était pareil de son côté. Et lorsque ses mots parvinrent à mon oreille, mes larmes redoublèrent d'intensité et coulèrent sur mes joues sans retenue. Elle savait que j'étais en vie. Elle n'avait pas abandonné. Elle savait que je n'avais pas voulu la laisser, que je n'étais pas rentrée parce que je ne le pouvais pas. Et ça... J'avais l'impression qu'on m'enlevait enfin l'étau qui me comprimait la cage thoracique depuis des jours et des jours.

Ses mains vinrent entourer mon visage et malgré moi un sourire presque idiot se dessina sur mes lèvres. J'étais si heureuse de la voir que je ne pensais même plus à ma douleur. A ces signaux de détresse que mon corps envoyait pour me faire prendre conscience de l'état de ma jambe. Parce qu'à force de toujours retarder le moment où j'en prendrai soin, je ne pourrai plus jamais marcher comme avant.

En entendant le rire de ma soeur, je l'accompagne un peu, bien incapable de rester impassible face au soulagement et au bonheur que j'arrive à deviner dans son expression. C'est bête. Mais j'en suis convaincue. Je suis son regard vers ma jambe avant de hocher la tête et de venir tendrement déposer un baiser sur le front de ma cadette. Un geste qui m'a bien manqué pendant tout ce temps.

« Je marche dessus depuis plusieurs semaines, ça devrait encore tenir le coup pour quelques pas... Mon dieu Olivia, si tu savais comme je suis heureuse de te voir... Plus jamais... Plus jamais je te laisserai loin de moi... C'est promis.» Une dernière accolade et je me détache de ma soeur pour ramasser les affaires que j'ai encore ici. Mes armes, ma boite de conserve que je vais me faire le plaisir de terminer sur la route vu que mon estomac crie toujours famine, ainsi qu'une petite bouteille d'eau vide. On sait jamais, ça peut toujours servir. « Rentrons chez nous...»

La douleur m'importe peu. Elle me paraît vraiment moindre comparée au bonheur que je peux ressentir d'être en face de ma soeur. De pouvoir la toucher, entendre sa voix. Tout ça pour de vrai, et non plus simplement parce que mon esprit fatigué me fait divaguer et avoir des hallucinations. Je ne sais pas si je le lui raconterai ça. Je ne suis pas sûre qu'elle ait besoin de l'entendre. Et puis il doit bien y avoir assez de questions qui se bousculent dans sa tête en ce moment même. Je la connais. Elle doit être en train de prendre sur elle pour ne pas toutes les lâcher d'un coup.

Lorsqu'Olivia m'ordonne de m'appuyer sur elle pour marcher en attendant d'arriver au labo pour remettre tout cela en place, je m'exécute sans même chercher à discuter. Et finalement, le moment fatidique arrive. Elle exprime son incompréhension quant à mon départ, et je peux la comprendre. Personne à part moi ne pouvait savoir quelle était la raison précise de mon départ. Et je crois bien que même moi je ne sais pas tout.  

« Depuis quelques temps, tu vas peut-être trouver ça bête, mais je me sentais inutile. Incapable d'avancer dans nos recherches avec Rajesh, toujours cloîtrée sans jamais faire quelque chose de constructif... J'avais besoin de me retrouver en quelque sorte. Et lorsque tu m'as appris toutes ces choses, j'ai été blessée... Blessée que tu m'aies caché ça pendant si longtemps. Je m'étais dit que c'était que tu n'avais plus besoin de moi. » Je soupire d'un coup, baissant le regard tout en sentant mon coeur se serrer alors que nous grimpions les marches qui allaient nous mener vers la sortie.

« Tu ne m'as pas déçue Olivia, tu ne le feras jamais... J'avais besoin d'évacuer ma colère. J'étais folle de rage contre moi. De ne pas avoir été là, de ne pas être assez présente pour toi. J'avais prévu de partir seulement quelques jours pour essayer de retrouver celle que j'étais avant qu'on arrive au labo, celle qui était capable de te protéger. Je me suis dit qu'on en aurait encore plus besoin avec ce qui va arriver... Mais avec ma chance légendaire, et bien on voit le résultat... » Et oui, la légendaire maladresse couplée à l'infinie malchance de Nora Castillo a encore frappé. Pourtant, les tentatives de rentrer au laboratoire n'ont pas été peu nombreuses. Mais à chaque fois, je devais faire demi-tour car incapable de continuer à cause de ma jambe.

En arrivant en haut des escaliers, je soupire de soulagement. Il n'y a rien de pire que de monter des marches avec une jambe dans l'état dans lequel se trouve la mienne. Par chance, Olivia était là donc j'ai mis trois fois moins de temps à les gravir que seule. Je pousse la porte d'entrée pour nous laisser sortir et je vois ma voiture. Avant que nous ne nous y rendions, je tiens à m'excuser. Je regarde donc ma petite soeur avec sérieux et m'arrête, l'attirant contre moi. « Je te demande pardon. Sincèrement. Je ne voulais pas t'inquiéter. Je ne voulais pas... Désolée... »

Avec le temps qui a passé, j'ai largement eu l'occasion de regretter ma décision de quitter le laboratoire. Ce qui devait être une escapade de quelques jours seulement s'est transformée en mésaventure de plusieurs semaines. Blessures, faim, peur, et j'en passe. Je dois dire que je suis passée par de nombreux états d'âme. Mais pas une seule fois je n'ai ressenti de la fierté. Ce qui est sûr, c'est que j'ai effectivement réussi à me retrouver. A devenir même plus forte que je ne pouvais l'être avant. En un sens, cela pourrait être vu comme une victoire. Même si cela m'a coûté beaucoup. Et plus encore. Cela a fait du mal à ma sœur. Et ça, c'est quelque chose que je ne pourrai jamais me pardonner. Même si je ne suis pas sûre que cela aidera les choses.

Je prends donc appui sur ma cadette à mesure que nous montons les marches qui nous séparent de l'extérieur. La lumière agresse mes yeux lorsque nous nous retrouvons à l'extérieur et alors que je déballe tout ce que j'ai sur le cœur à Olivia elle ne m'interrompt pas. Ce n'est qu'après m'avoir ouvert la porte de la jeep et m'avoir fait m'y installer qu'elle ne reprend la parole. Et autant dire que ses mots n'appellent pas vraiment de réponse. Elle m'intime de m'attacher tout en me disant que je raconte n'importe quoi. Du Olivia tout craché... Et puis je suppose qu'avec les hormones, son caractère ne doit pas vraiment s'arranger...

Et alors qu'elle me rabroue comme une enfant de six ans, je ne peux m'empêcher de me dire au fond de moi qu'elle a malgré tout toutes les qualités pour être une bonne mère. Même si les choses la font paniquer, à l'entendre me reprendre comme elle le fait je ne peux m'empêcher de sourire intérieurement. Mais bien entendu, je vais me passer de le lui faire remarquer. Cependant, ce petit moment d'écart me passe vite et je baisse le regard honteusement. Elle a raison. J'ai totalement merdé. Et une fois qu'elle a terminé de souligner mes erreurs, je ferme les yeux et inspire longuement avant de prendre la parole.

« J'ai totalement merdé et je le sais... Olivia, je ne sais pas comment faire pour que tu me pardonnes ce que j'ai fait. J'étais incapable d'agir avec ma tête il faut croire et apparemment le destin a décidé de me le faire payer. Je voulais rentrer au plus tard quelques jours après mon départ. Mais je suis tombée de deux étages quand le sol a cédé sous mon poids dans un bâtiment en ruines. Je pensais trouver des trucs, au final j'ai juste réussi à me faire mal. Par chance je suis tombée sur un survivant qui m'a remis l'épaule en place mais il ne pouvait rien faire pour ma jambe. Alors j'ai forcé dessus, j'ai essayé de rentrer plusieurs fois mais la douleur était trop forte et je n'arrivais même pas au quart du chemin avant d'être à deux doigts de tomber dans les pommes. Je voulais juste devenir quelqu'un de qui tu pourrais être fière. De qui ton enfant pourrait être fier aussi. Quelqu'un capable de vous protéger tous les deux. »

Je me stoppe, fermant les yeux et mordant mes lèvres pour retenir mes larmes. Je ne dois pas pleurer. Je ne peux pas lui infliger ça en plus de ce que je lui ai déjà fait subir pendant les dernières semaines. J'inspire longuement, reprenant contenance avant de relever le regard vers ma cadette lorsqu'elle me demande si mon escapade m'a réussi. Elle n'a pas vraiment bien formulé sa phrase mais en soit je pense avoir compris qu'elle ne disait pas ça méchamment. Je la connais, après tout.

« Oui, malgré tout ça m'a aidée. J'ai pu longuement penser à ce que je voulais, à ce pour quoi je veux avancer. Je me suis rendue compte que ce n'était pas en restant enfermée dans une pièce pendant des jours et des jours que j'allais réussir à aider et protéger ceux que j'aime. A te protéger toi. Et je ne veux plus prendre le risque de te perdre. Plus jamais. Et je ne te laisserai plus. Je te le promets Liv... »

Olivia. Ma petite sœur. Mon petit rayon de soleil. Ma raison de vivre, depuis son tout premier souffle. Si ce n'était pas pour elle, je n'aurais jamais fait tout ce que j'ai pu décider de faire dans ma vie. Déjà, je n'aurai jamais eu le courage d'endosser une peine de prison pour quelqu'un d'autre. Est-ce que j'en aurais eu besoin ? Peut-être pas. Mais même si cela a été une période assez difficile de ma vie, je ne m'en plains pas. Cela m'a changée, mais j'ai su m'en sortir sans trop de séquelles. De toute évidence, je n'étais plus la même mais cela ne s'en est jamais ressenti sur ma relation avec ma petite sœur. Pourtant j'aurais pu. Mais je ne l'ai pas fait.

La retrouver aujourd'hui m'a donné l'impression d'être à nouveau entière. Non seulement d'avoir pu retrouver celle que je voulais être pour elle au travers de mon aventure, mais aussi de ne plus être seule. La solitude m'a réellement blessée, peut-être encore plus que ma chute. Ce qui fait que lorsque je l'ai vue apparaître dans l'entrée de cette cave où nous survivions ensemble auparavant, j'ai eu l'impression que mon cœur se remettait enfin à battre. Qu'il se débarrassait tant bien que mal de la poussière qui le recouvrait depuis quelques temps pour reprendre sa place d'origine. Même si je m'en voulais énormément pour ce qui avait bien pu se passer, pour l'avoir abandonnée même si c'était en quelque sorte contre mon gré, j'étais heureuse. Heureuse de l'entendre me passer un savon, heureuse de retrouver mon autoritaire cadette avec son caractère bien trempé. Et de toute évidence, encore plus difficile avec les hormones qui la travaillent.

Est-ce un crime de parvenir à être heureuse pour si peu ? Et bien dans ce cas, j'ai de la chance que les systèmes judiciaires soient tombés car je serais retournée en prison sans passer par la case départ ni toucher $200. Le chemin jusqu'au laboratoire se fit assez rapidement, bien plus que je ne pensais qu'il serait, et Olivia se gara au plus proche de l'entrée pour que je n'aie pas trop à marcher. Je voulais sortir seule, avancer seule jusqu'à l'intérieur, mais c'était sans compter sur les ordres de ma petite tempête blonde.

Venant prendre appui sur ma cadette alors qu'elle me l'ordonnait pour qu'elle puisse m'emmener à l'infirmerie, je venais déposer tendrement mes lèvres sur son front. Comme je l'ai toujours fait. C'était mon truc à moi, ça. « Je t'aime ma puce. Tu m'as beaucoup trop manqué... Plus jamais un truc comme ça. C'est promis. » Dis-je d'un ton des plus sérieux et sincères. Je ne veux plus jamais prendre le risque de la perdre. Ces semaines à imaginer que je ne la reverrais peut-être plus m'ont usée à un point que je n'aurais jamais soupçonné que ça soit possible d'user quelqu'un. Reprenant donc notre route jusqu'à l'infirmerie, je boitais toujours un peu, comme tout le temps ces derniers temps. Les choses rentrent enfin dans l'ordre. Et j'en suis heureuse. Tout simplement.