Cela devait être la troisième fois que Juliet vérifiait le contenu de son sac à dos, qu’elle avait considérablement allégé pour cette journée à venir. Elle en avait retiré tout ce qui n’était absolument pas vital et nécessaire, même si elle n’avait pas pu se défaire de quelques affaires qu’elle jugeait essentielle, et dont elle ne pourrait pas se passer s’il s’avérait qu’elle ne puisse pas rentrer tout de suite, ou même jamais, à Fort Hope. Après tout, de nos jours, chaque survivant qui mettait les pieds en dehors du camp n’avait pas vraiment la certitude d’y revenir à nouveau. Il suffisait désormais d’un rien pour que tout bascule : une horde de rôdeurs déterminés à vous croquer, des survivants mal intentionnés, des cannibales,…bref, les sources de danger ne cessaient de se multiplier, jour après jour. Et dans le doute, la jeune femme préférait être prête à toute éventualité. Elle vérifia une dernière fois le positionnement sur sa cuisse du kunaï que Lïnko lui avait offert, comme il le lui avait appris, puis les munitions du glock rose que Maddie lui avait donné quand elle s’inquiétait de sa défense. Cette dernière lui adressa un sourire moqueur, que Juliet soupçonnait forcé au possible, alors que la brune lui annonçait qu’elle voulait vraiment être prête. Puis après s’être assurée que sa meilleure amie pourrait se débrouiller toute seule le temps de son absence, Jules quitta la maison, non sans éprouver une pointe de culpabilité.

Elle savait bien que la rouquine prenait sur elle pour ne pas craquer, pour faire semblant que tout allait bien malgré l’horreur qu’elle avait vécu, qu’elle plaquait un sourire parfaitement faux sur son visage que tout le monde semblait gober. Tout le monde, mais pas elle. Pas Juliet, pas après toutes ces années qu’elles avaient passé ensemble. C’était sans doute cliché de dire qu’elles se connaissaient sur le bout des doigts, c’était sans doute le cas avant, mais chacune d’entre elles avait changé depuis que leur monde était parti en vrilles, et même Juliet s’en rendait compte. Il était donc très probable que Maddie également. Mais malgré cela, la brune savait repérer les faux sourires, sans doute parce que jusqu’à il n’y avait pas si longtemps que ça, c’était sa grande spécialité, à elle aussi. Mais plus maintenant. Maintenant, Juliet allait mieux, bien mieux même, et c’était une bonne chose, puisqu’elle allait pouvoir être un meilleur soutien pour sa meilleure amie maintenant qu’elle avait réussi à panser certaines de ses plaies.

Quoi qu’il en soit, ça embêtait bien Jules de laisser la rouquine derrière elle, mais cette dernière n’avait cessé de lui répéter qu’elle avait un tas de boulot en perspective, des plans pour l’amélioration de Fort Hope à peaufiner, et Juliet n’avait pas insisté, pour la simple et bonne raison que ce qu’elle avait à faire était également important. Pour elle, du moins. Elle avait décidé de prendre sa survie en main, de tout faire pour perdre cette image d’empotée qui lui collait à la peau, et à laquelle elle-même avait fini par croire, la poussant à douter de ses propres capacités. La brune avait déjà franchi une étape dans ce changement grâce aux cours de combat fournis par Lïnko, mais Juliet savait bien qu’elle avait encore tout un tas de choses à apprendre, et la survie dans cette jungle qu’était devenu Détroit en faisait partie. C’était pour cela qu’elle s’était rapprochée d’Amalia, dans le but que cette dernière lui donne quelques petites leçons qui pourraient permettre à l’artiste de se sortir des situations désastreuses dans lesquelles elle pourrait se retrouver malgré elle. Jules rejoignit donc les portes principales de Fort Hope à pieds, où sa prof du jour et elle avaient rendez-vous, plus que jamais motivée par cette journée à venir.

Est-ce qu'un jour je parviendrai réellement à m'habituer au fait que certains peuvent vraiment voir un professeur en moi ? Je n'ai jamais eu cette prétention, je ne jouais même pas à ça étant gosse. Comme si j'avais toujours su que je n'avais pas la fibre pédagogue en moi. En tout cas pas avec les autres. Car lorsque je devais aider mes sœurs et leur apprendre quelque chose, cela me paraissait naturel. Quoi qu'il en soit, aujourd'hui je me demande encore pourquoi j'ai accepté de faire ce que je fais. Je sais que c'est utile aux autres et que cela ne pourra pas faire de mal si un jour les barricades qui protègent Fort Hope viennent à céder mais... Je ne sais pas, ça me fait toujours aussi bizarre de me dire que les gens peuvent avoir besoin de moi. Peuvent avoir envie d'apprendre quelque chose de moi. Cela me semble si improbable.

En tout cas, que cela me plaise ou non, j'ai un cours à assurer aujourd'hui. Un cours à l'extérieur qui plus est. Alors autant terminer de préparer mes affaires au lieu de me plaindre sans arrêt. Je vérifie encore quelques fois le contenu de mon sac à dos avant de prendre les derniers petits trucs qu'il me faut et de quitter ma maison. On s'est donné rendez-vous à l'entrée du campement et j'ai environ trois minutes pour y arriver. Autant dire que je ferais mieux d'accélérer le pas si je ne veux pas arriver très en retard. Oui, je sais, pour voir la chose positivement je devrais dire que je ne suis pas en retard mais que je me fais désirer. Mais l'un comme l'autre : je n'aime pas ça. Et cela n'a d'ailleurs jamais été le cas. Moi et le retard... Généralement ça fait deux.

En arrivant au niveau des portes de Fort Hope, je constate que je suis arrivée la première. Et bien il faut croire que j'ai eu de la chance. Je pose à peine mon sac sur le sol que je vois mon élève du jour arriver. Et à la voir, il semblerait qu'elle soit particulièrement motivée. Je dois dire que malgré mon air toujours aussi désagréable, je ne peux m'empêcher d'esquisser un léger sourire en coin. Et bien si elle est aussi motivée de recevoir des cours de ma part c'est peut-être que je ne me débrouille pas trop mal. Et ça fait toujours du bien à l’ego de se dire des choses de ce genre non ?

« Alors, prête à aller tester si tu as bien retenu ce que je t'ai donné comme conseils ici ? De toute façon t'as pas à t'en faire, je suis là avec toi et on ira pas dans les endroits les plus dangereux. Le but c'est pas non plus de risquer notre vie pour un cours ! Enfin, pas pour l'instant en tout cas. » Dis-je d'un air à la fois sérieux et amusé. Oui, c'est un mélange très particulier. Je crois même que je dois être l'une des rares personnes à être capable de montrer ces deux émotions en même temps. Mais c'est un peu ma marque de fabrique du coup.

En un sens je ne lui ai pas menti, nous n'allons pas prendre le risque d'y rester alors qu'elle n'est pas encore capable de se débrouiller seule. Le but n'est pas de risquer notre peau pour qu'elle apprenne des choses. Car si jamais l'une des deux venait à perdre la vie dans cette expédition « pédagogique » cela n'aurait absolument aucun intérêt. Par contre, le jour où elle sera réellement prête à gérer ça seule, dans ce cas nous irons dans un endroit un peu plus dangereux certainement. Histoire de voir si elle est capable de gérer une situation d'urgence sans céder à la panique. Parce que ça... C'est loin d'être une évidence. Et pourtant, c'est la première règle de la survie.