Mes pas foulent le sol graveleux, ce dernier est recouvert de détritus, de feuilles mortes et de morceaux de matériaux en tous genres. Que cela soit du verre, du bois ou des résidus de pierre, tout est là pour encombrer le sol. Chaque pas est ainsi, pas totalement silencieux, souvent accompagné d’un petit bruit sourd, quel qu’il soit. La dernière fois que je suis sorti du lab pour une mission, c’était avec un homme que je ne connaissais que peu. Je l’avais vu une ou deux fois dans le laboratoire avant de finalement lui proposer une sortie. Heureusement que je suis du genre social, je n’imagine pas sinon... Notre mission aura été très enrichissante mais ce dernier, m’a conseillé de chercher à faire d’autres missions du même genre avec d’autres personnes du laboratoire. Il m’a conseillé une certaine Olivia, qui a selon lui de très bonnes capacités de survie elle aussi. Ecoutant son bon conseil, j’avais guetté un peu partout dans le labo une fille qui répondrait à ce nom. Et ce matin même, j’ai réussis à la trouver, ne tardant pas à lui expliquer ma situation ; nouveau, connais personne, envie de bouger, ça te tente une balade ? Bien entendu, dans une monde pareil, une balade signifie bien une chose ; sortir et fouiller tout ce qu’on peut, espérer ramener des trucs utiles pour le labo et ses réfugiés. C’est ainsi que maintenant, j’avance doucement avec Olivia près de moi. Je lui lance un léger coup d’œil et souris légèrement.

- Merci d’être venu. Promis, tu ne le regretteras pas, je suis sûr qu’on trouvera des trucs sympas et que tu pourras en profiter un peu.

Je lui laisse l’embarras du fois. Après tout, je ne connais pas vraiment les environs, elle doit être venue dans ce quartier bien plus souvent que moi. Mes doigts se serrent doucement sur ma hache, tandis que j’observe ma nouvelle compagne de mission. Aujourd’hui, j’ai laissé Shadow au laboratoire, première fois que nous sommes séparés depuis si longtemps. Je pense que cela ne lui plait pas vraiment mais je me suis dit qu’aujourd’hui, pour cette mission, je ne l’emmènerai pas avec moi. Mon attention se reporte vers la ruelle. Je suis assez soulagé de constater qu’elle est pour l’instant très vide, très calme et surtout, silencieuse.

- Tu as une idée d’un endroit à fouiller ? Une zone ou un bâtiment que tu as souvent lorgné sans oser t’y aventurer ?

Je regarde autour de nous, venant pousser du pied une cannette vide. Dommage, celle-ci ne finira pas dans nos estomacs. Je n’ai jamais été très soda mais je me dis qu’aujourd’hui, il serait très appréciable de trouver un truc à se partager. Je ne connais pour le moment aucun mal que la nourriture ou la boisson ne puissent soigner !

- T’as pas envie qu’on se trouve genre un vieux distributeur de bouffe avec des trucs dedans ? Je me rêve d’une barre chocolatée …

J’essaye d’établir une discussion, de nous trouver des points communs, de la faire rire avec mes stupidités habituelles. Je suis véritablement fier de ma bêtise, elle permet de faire sourire un peu les gens, de leur faire oublier les horreurs que nous avons tous dû traverser pour en arriver là… Si mon frère avait été là il m’aurait frappé doucement sur l’épaule pour me faire taire, je lui aurais surement donné trop faim avec mes rêvasseries. Mais c’est vrai que si j’avais su plus tôt que tout ça arriverait, je me serais gavé de sushis et de hamburgers, j’aurais même offert à ma chienne une montagne de steaks pour la récompenser de tout ce qu’elle avait toujours fait pour moi jusque-là ! Maintenant nous voilà tous, nous survivants, à devoir bien galérer pour manger correctement. Si je n’avais pas de chien, je pense que les quelques portions de croquettes que je trouvais parfois à Shadow au début de l’apocalypse, j’aurais pu les manger tellement la faim était intense. Je suis sûr que certains survivants peu débrouillards rêveraient d’avoir quelques trucs peu comestibles à se mettre sous la dent actuellement.

Olivia enjamba le verre brisé. Ses talons écrasèrent des éclats dans un bruit caractéristique. Elle tenta de s’habituer à la pénombre ambiante et essayer de discerner ce qu’il s’y passa. Pas une activité, c’était prévisible, mais du bruit de ci de là. Ses yeux se posèrent sur la porte condamnée, avant de revenir au reste de l’endroit. Ce fut Aaron qui attira finalement son attention lorsqu’elle le vit se pencher par terre pour commencer à faire du rangement. Fronçant les sourcils de surprise, elle se garda bien de dire quelque chose en regardant l’homme. Est-ce qu’elle avait accepté une sortie avec un maniaque de la propreté complètement taré ? Elle le laissa faire en s’étonnant qu’il soit encore en vie avec des tocs comme celui-ci…

Sa justification la laissa tout bonnement sur le cul. Liv s’était attendue à tout, mais pas à ce qu’il lui réponde presque effrontément en étant pas peu fier de son œuvre. Ce type était probablement fini à la pisse, ou quelque chose comme ça. Si elle mit un certain temps à lui répondre, elle ne put s’empêcher de le faire cependant au bout d’un moment :

« Alors toi… t’es con. » Lui lança-t-elle en se détournant de lui, comme si l’épisode était terminé et qu’ils pouvaient passer à autre chose.

Elle s’avança au bout de l’espace pour chercher une porte ouverte, sans grand succès, avant qu’Aaron ne lui indique le bout d’un couloir en lui expliquant qu’il devait probablement y avoir ce qu’ils voulaient là-bas. Elle fronça un sourcil avant de le regarder de haut en bas :

« Tu as l’intention de nettoyer tout l’immeuble ou on a une chance d’échapper à ça ? » Lui rétorqua-t-elle un peu froidement en prenant les devants.

Elle s’avança au bout de ce dernier, passant une main sur chaque porte qu’elle croisait pour tenter d’y entrer. La majorité était clairement verrouillée, mais Olivia eut la chance de pouvoir rentrer dans un bureau ainsi que dans un placard laissé à l’abandon. Pas grand-chose à y trouver malheureusement, la chasse n’était clairement pas bonne. Et même si ça n’enchantait pas Aaron, il valait mieux monter dans les étages et ne pas avoir fait tout ça pour rien. Ses yeux se posèrent sur l’homme avant de revenir vers lui, et elle lui désigna de la tête les chaines qui entouraient la porte :

« Il va falloir dégager ça et monter. » Lui annonça-t-elle en s’approchant.

Son pied de biche se coinça dans le cadenas, et elle donna plusieurs à-coups violent pour le faire céder. Liv n’était pas des plus fortes, mais elle s’en sortait comme ça. Finalement, l’objet éclata d’un coup, et elle le dégagea en laissant Aaron jouer de ses muscles pour libérer l’espace. Ça n’allait pas être une partie de plaisir, mais s’il y avait des bonbons à la clé, ça valait totalement le coup.

En tendant l’oreille avec un minimum d’attention, on peut entendre les plaintes. Les plaintes et les grognements de tous les infectés à l’étage, ces grouillants, qui même enfermés depuis surement plusieurs jours, semaines voir mois, ne sont toujours pas morts de faim. A croire qu’ils se bouffent entre eux pour survivre, ou pire encore, qu’ils n’ont même pas besoin de manger pour rester en vie. Je jurerais pouvoir percevoir d’ici, le bruit traînant de leurs jambes à moitié arrachés, les gargouillements sinistres de leurs gorges à moitié déchiquetées et ouvertes. La voix de la belle blonde retentit et me fait même sursauter. Sa froideur me surprend, me ferme même soudain, comme une huître. J’aurais espéré que notre excursion se passerait sous un soleil plus radieux, plutôt que sous un violent et soudain vent glaciale. Frigide.

J’avance doucement à sa suite, ma fidèle hache bien serrée dans le creux de ma paume, je lui emboite simplement le pas. Elle vérifie chaque porte, pour essayer d’ouvrir afin d’y trouver derrière, quelques chose d’intéressant. Mais il n’y a pourtant rien à y faire, s’ils y a des bonbons dans le coin, ils semblent s’être très bien cachés. Le bas de cet immeuble semble vierge de tous types de friandises, ce qui vient légèrement à faire déchanter nos estomacs qui auraient bien profités de quelques bonbecs acides ! Liv fait ainsi demi-tour, revenant sur nos pas pour quelque chose qui me semble pas mal irresponsable. Mes pas foulent le carrelage sale et par endroits défoncés, alors que l’on revient à notre point de départ, le halle d’entrée de notre bâtiment. Armée de son pied de biche, elle s’avance jusqu’à la porte barricadée avec une grosse chaîne. Étonnement, je sais ce qu’elle va faire et quand bien même, je trouve sincèrement qu’il s’agit d’une mauvaise idée, je n’interviens pas en mal dans ses actes. Je viens même en soutien et étonnement, je pense qu’il s’agit d’une question d’habitude. Avec mon frère … A défaut de réussir à lui éviter les ennuis, je me contente de l’en sortir une fois qu’il y a sauté à pieds joints. Après quelques coups assurés de pieds de biches et une pression de ma part sur la porte, cette dernière s’entrouvre. Assez pour qu’elle comme moi, ayons la place de passer. Elle m’a informé qu’une vingtaine de zombies environ étaient à l’étage de cet immeuble. A deux, cela peut s’avérer faisable si nous nous débrouillons assez bien. J’observe la fente peu éclairée et me tourne vers la blonde.

- J’entre en premier… Fais attention à toi.

Heureusement, je suis de corpulence moyenne. Ni trop gros, ni pas assez. Si j’avais eu la carrure de mon frère, ma poitrine bonnet C m’aurait empêché de passer, mais là, même si mon torse frotte contre la porte, je peux me faufiler avec aisance. Le bruit qu’elle a fait a dû alerter les zombies du coin, mais heureusement pour nous, le bâtiment n’est pas trop ancien et les escaliers sont assez lumineux pour discerner les formes et ainsi, être sûr que pour le moment, je ne vois ni n'entends aucun infecté dans le coin. Je m’avance un peu, afin de laisser à miss Castillo la place pour me rejoindre. L’air droit, posture assurée, je tiens au creux de ma paume ma hache. J’avance doucement, montant les marches l’une après l’autre, sans me presser. Mes sourcils sont froncés alors que je reste sincèrement concentré pour ne pas rater la présence d’un nuisible s’il y en a un. Il y a, au bout de cet escalier, une nouvelle porte. Elle est simplement fermée et cela semble suffire à retenir les infectés car en effet, je n’entends rien qui s’acharne contre la porte, mais j’entends pourtant bel et bien ces saloperies de l’autre côté. Nous sommes assez silencieux, je pense qu’ils ne nous ont pas encore remarqués. Pourtant, j’attends Liv près de la porte. Je m’approche doucement d’elle et murmure au creux de son oreille.

- On monte d’un étage supplémentaire pour voir s’ils sont moins nombreux en haut ? Ou on tente par ici ?

Est-ce que ça valait vraiment le coup ? Des bonbons contre sa vie ? Si elle aimait ça, elle n’était pas persuadée de vouloir sincèrement tenter sa chance. Elle laissa Aaron rentrer dans l’espace consacré, et attendit qu’il lui donne son feu-vert pour s’y glisser à son tour. Rentrant le ventre, bombant le buste, elle fit de pouvoir y rentrer dans se faire mal. S’habituant à la pénombre ambiante, elle posa une main sur l’épaule de l’homme pour lui signifier que c’était bon pour elle : elle était prête.

Puis, elle prêta l’oreille à ce qu’il se passait au-dessus. Des bruits, des gargouillements, le pas lourd et traînant de créature, des grognements leur parvenant des canalisations non loin. La pression monta d’un cran, venant se poser sur ses épaules. Bonne ou mauvaise idée, finalement ? Est-ce que ça valait vraiment le coup ? Aaron avait repris son sérieux le plus complet, et semblait disposé à la suivre, à rester sur son idée. Elle ne savait pas si elle devait lui en être reconnaissante ou non, du coup. Mais maintenant qu’ils y étaient, ça serait dommage de reculer.

Gravissant les escaliers jusqu’à l’étage, Liv fit attention d’être vraiment silencieuse pour ne pas attirer l’attention de ceux qui étaient dans le coin. En parvenant sur le premier palier, elle avisa la porte d’un regard perçant, comme pour essayer d’y voir à travers alors que c’était impossible. La question d’Aaron la sortit de ses pensées : une vingtaine de rôdeurs c’était gérable. Mais plus ? Et si la dernière fois, le compte avait augmenté ? S’ils se laissaient surprendre, ou dépasser, d’une manière ou d’une autre ?

« Faisons un rapide état des lieux. » Suggéra-t-elle.

Elle leva les yeux au ciel. Les portes n’étaient pas fermées, là où ils étaient. Ça voulait dire qu’ils pouvaient sortir de là à tout instant, et les prendre à revers. Elle ne voulait pas que ça arrive, mais elle ne pouvait pas non plus lutter contre. Prenant les devants cette fois, elle monta les marches qui la séparait du dessus, et arrivée à l’étage, planta son oreille contre la porte pour vérifier qu’il n’y avait pas du bruit derrière.

Rien. Mais elle avait peur de se fourvoyer. Elle avait peur que les bruits de ceux d’en-dessous couvrent ce qu’il se passait ici. Il fallait y jeter un coup d’œil pour être sûr, non ? Sa main sur la poignée, elle tira dessus avec le plus de lenteur et de douceur possible dans l’espoir de pouvoir voir. La lumière pourrait attirer l’attention, mais la probabilité pour que ça ait vraiment une inciden-

Liv n’eut pas le temps de finir de penser. La porte grinça bruyamment, et elle eut à peine le temps de lever le regard qu’elle repéra deux yeux vitreux se précipiter contre le bois qui les séparait. Une main décharnée perça dans l’ouverture en tentant de la saisir. Les doigts se refermèrent sur le vide, elle eut tout juste le bon réflexe de se reculer, avant de claquer violemment la porte pour briser l’os de ce bras. Ce dernier sorti de la peau flétrie, et un autre coup brutal termina de le rompre et d’arracher la peau. Le membre tomba, elle referma la porte en entendant lutter de l’autre côté…

Et s’agiter en bas.

« Chié ! » Cracha-t-elle en relevant le regard vers Aaron. « On monte ! » Ordonna-t-elle en lui désignant l’escalier à nouveau.

Drôle de réflexe, mais dans l’urgence et avec l’improvisation, il ne fallait pas espérer mieux. Surtout quand ils entendirent distinctement la porte du dessous s’ouvrir, et les râles se firent plus précis encore. La cavalerie arrivait. Sauf que c’était celle des morts pour le déjeuner.

C’était bien l’idée la plus stupide de la planète. Grimper. Grimper tarnation ! Pourquoi avait-elle décider de faire ça ? Ou iraient-ils une fois parvenue tout en haut, au juste ? Elle pesta intérieurement, en continuant pourtant sa route, incapable de s’arrêter. Ils devaient mettre impérativement de la distance entre cette masse informe et inhumaine et eux. Ils DEVAIENT s’enfuir au plus vite pour ne pas se faire croquer un morceau. Si elle pouvait y survivre, elle ne pensait pas qu’Aaron aurait cette chance. Aussi le pressa-t-elle pour parvenir jusqu’au toit, où ils manquèrent d’enfoncer la porte pour se trouver une sortie.

Elle ralentit la cadence, à bout de souffle, se pliant en deux : les mains sur les genoux, elle chercha à retrouver sa respiration. Son cœur venait de faire une formidable embardée, et elle en avait mal aux jambes. Ramenant ses cheveux en arrière, elle jeta un coup d’œil en arrière pour voir Aaron bloquer la porte avec les moyens du bord. Ça tiendrait ! Combien de temps, elle n’en avait aucune idée, mais suffisamment pour trouver une autre solution à son problème présent. Elle chercha déjà autour d’elle de quoi palier à la situation, sans rien trouver de très pertinent.

Et Aaron, lui, ne manqua pas de s’énerver de la situation, il avait toutes les raisons d’être en colère. Liv ne pouvait pas dire qu’elle s’en tirait à meilleur compte pour sa part : elle était coincée aussi sur ce fichu toit, et en un rien de temps, des morts viendraient se presser devant la seule véritable issue qu’ils avaient. Ils allaient faire quoi du coup ? et la suggestion qu’il lui sortit lui fit avoir les gros yeux : Un saut périlleux ? Elle regarda l’endroit, l’écart qu’il y avait entre les toits, et elle éclata d’un rire mauvais :

« Tu as qu’à sauter tout seul et quand tu seras mort ou avec une jambe brisée, on en reparlera ok ? » Lâcha-t-elle sans pouvoir cacher son mépris…

Elle aurait été tout simplement incapable de reconnaître que c’était une issue « envisageable ». Se casser une jambe, c’était toujours mieux que de mourir. A peine songea-t-elle à ça que le bruit des grattements se pressa contre la lourde porte, heureusement coincée par les bons soins d’Aaron. Elle poussa un long soupir.

« On va attendre un peu, hein… » Suggéra-t-elle dans la foulée en s’installant contre le muret qui cernait le toit. « Je tiens pas mourir bêtement… »

Je suis tendu comme un fou. Proche du bord, j’analyse notre situation et constate. Très franchement, le toit d’en face ne me semble vraiment pas inatteignable. Il est loin, certes. Mais rien d’insurmontable selon moi et entre une cheville foulée, des genoux écorchés et un bras en moins, ou la mort, je choisis sans hésiter les deux premières options. Elle semble fatiguée… Me concernant, l’adrénaline me rend inépuisable pour l’instant. Mon regard se fait soudain plus conciliant. Elle me demande d’attendre, ce qui ne suffit pas à me calmer.

- Liv … Je ne suis pas du genre à abandonner les gens. Surtout que toi, je t’aime bien.

Je soupir, me frottant lentement la nuque d’un air lascif. Je retourne observer le bord, le vide en dessous qui pourrait en effrayer plus d’un. Personnellement, à l’instant T, je n’ai pas peur. L’adrénaline, le stresse, l’instinct de survie, je peux appeler ça comme je veux, je reste cependant calme, je prends le temps de réfléchir. Liv a le droit d’avoir peur, je la comprends, mais le temps presse. Mon regard se tourne vers la porte. Franchement, je ne sais pas combien de temps cela peut encore tenir. Peut-être des jours, des heures, quelques secondes… Je devrais peut-être stresser davantage, être entrain de paniquer, mais pour le moment ça va. Mes pensées s’envolent quelques instants vers mon frère aîné. Je n’ai pas vraiment d’inquiétudes, je suis sûr de rentrer. Mais si je mourais aujourd’hui ? Je l’abandonnerai. Lui et tant d’autres. Et Liv ? Je ne la connais encore que peu, mais je suis sûr qu’elle manquerait à beaucoup de monde. Dans un univers chaotique comme le nôtre, où nos paires tombent comme des mouches, il serait bien dommage d’ajouter nos deux noms au tableau déjà blanchi de crais. D’un pas décidé, je retourne vers Olivia et la fixe droit dans les yeux.

- Olivia. La porte, on ne sait pas combien de temps elle tiendra. Je ne vois personnellement aucune autre issu ! J’accepte d’attendre un peu. Je te laisse quelques minutes pour souffler, me proposer autre chose peut-être.

Je me recule un peu et respire profondément, les yeux clos.

- J’accepte d’y aller en premier. J’ouvre la marche. Je pourrais te rattraper en cas de besoin, te porter si tu te blesses.

Gonflant le biceps, histoire de détendre un peu l’atmosphère ;

- Je suis incapable de me blesser, je suis en béton armé.

Je suis définitivement plus calme que je ne l’aurais cru. Avoir été sur le front, avoir servi dans l’armée, tout ça m’aura finalement vraiment servi… Je crois qu’en rentrant, j’irais proposer mes services, je donnerai des cours à ceux qui voudront apprendre le maniement des armes. Heureusement que nous sommes en Amérique non de Dieu ! En France, se procurer des armes aurait été si compliqué …

Elle pouvait sentir son cœur battre à tout rompre dans sa poitrine, comme au bord de l’implosion. La situation la tendait davantage encore, et passer ses nerfs sur Aaron ne changeait rien du tout à l’histoire. C’était frustrant, loin d’être grisant. Elle ne pouvait pas comprendre ces gens qui s’amusaient en étant en danger, qui se disaient que c’était une bonne idée, que ça leur permettait de se surpasser. Elle n’était pas comme ça. Elle, elle avait besoin de ses certitudes, de ses calculs, de pouvoir voire l’échiquier dans son intégralité avant d’avancer un pion. C’était là, en ça, qu’ils étaient si différents avec Darren. Qu’importait de toute façon : désormais, Olivia se savait prise au piège et incapable de trouver autre chose pour se sortir de là, et maintenant qu’ils étaient coincés sur un toit sans accès à une issue de secours, elle pouvait toujours courir pour un tour de magie sortie de son chapeau.

Ses yeux bleus se braquèrent sur l’homme à ses côtés. Il n’allait pas l’abandonner disait-il… Quel crétin ! A sa place, elle n’aurait pas hésité un seul instant, à s’abandonner toute seule. C’était évident qu’elle ne valait pas la peine que les autres se donner pour la garder auprès d’eux. C’était évident, et d’autant plus angoissant pour elle de voir qu’il tenait à cette amitié. Il l’aimait bien. Et il était prêt à lui laisser quelques minutes pour souffler, ou même à préparer le chemin pour elle. Ce type était une perle, et celle qui lui mettrait la main dessus aura bien de la chance.

« Ok, ok… » Concéda-t-elle finalement, en essayant d’évacuer sa mauvaise humeur et sa frustration comme elle le pouvait. La porte semblait bouger à chaque fois que les morts se pressaient contre, et ils n’avaient plus vraiment le choix.

Elle s’avança pour estimer la distance entre l’endroit où ils étaient et le toit en face. Elle regarda, et eut l’impression de se faire absorber par le vide. Ça mettrait de la distance entre eux et la mort, certes, mais s’ils se rataient ? ça serait une chute violente, de plusieurs étages, avec une fin aussi expéditive au bout du compte que s’ils se faisaient bouffer par la horde présente dans ce bâtiment. Au moins, ils ne souffriraient pas trop longtemps après une chute pareille. Pour peu qu’ils tombent directement sur le crâne au passage, et tout irait pour le mieux dans le meilleur des mondes.

« On y va ensemble… » Souffla-t-elle avec une assurance qu’elle avait trouvé en elle dieu savait où ! « Et t’as intérêt à être vraiment en béton armé, parce que si je dois te ramener sur le dos en rentrant, je te jure que tu vas passer un sale quart d’heure. »

Il n’avait pas idée de ce qu’elle pourrait faire avec son trente-huit-fillette profondément enfoncé dans son derrière pour lui apprendre à se blesser inutilement. Il n’y avait plus qu’à, désormais. Elle prit de la distance avec Aaron, pour se mettre au plus loin du bord. Pour pouvoir avoir de l’élan. Et pile avant que la porte ne cède sous les assauts des morts, les deux s’élancèrent…

Olivia n’était pas rassurée. Je pouvais clairement le comprendre ! C’est jamais simple, jamais facile de faire aveuglément confiance à quelqu’un. Même si on commence doucement à se connaître, on peut pas dire qu’on a une confiance aveugle l’un pour l’autre ! Pourtant, je sens son stress, sa panique. Elle ne veut pas mourir mais la différence entre nous, c’est que je fais tout pour rester serein, que je le suis en apparence. Il me faut la rassurer rapidement, parce que je sais que le temps est compté. C’est ainsi, qu’en lui donnant l’impression de lui laisser le choix, je l’ai doucement tiré vers mon option. Sauter sur le toit d’en face n’est pas sans risque. Mais je suis sûr que c’est un saut plus que réalisable. Olivia est quand même quelqu’un d’assez sportif, résistant. J’aurais trouvé autre chose si elle avait été en talons par exemple, mais aujourd’hui et heureusement pour nous, elle n’en a pas. Je la regarde agir en silence, tandis qu’elle s’approche du vide pour jauger la distance, si cela lui semble réalisable.

- Regarde pas en bas…

Soufflais-je en approchant d’elle. Je la laisse analyser simplement mais ce petit commentaire visait à lui donner un ordre claire, histoire qu’elle ne se ravise pas. Il ne faut pas penser à l’éventualité d’un échec, il faut penser qu’on réussira tout simplement. Et si le pire venait à arriver, je pense préférer cette mort à celle d’être dévoré vivant de toute manière. La blonde me donna finalement son accord … On y va ensemble. Cette phrase ne peut que me rassurer, me faire crier victoire intérieurement ! Pour se détendre, elle me lâcha même un petit avertissement.

- T’inquiète, j’aurais rien. Même pas une égratignure !

Je l’accompagne, restant tout de même à une certaine distance d’elle pour avoir la place et éviter de se toucher, de se faire trébucher stupidement. Je me mets à courir quand elle s’élance, prenant vite un peu plus de vitesse qu’elle. Je sprint littéralement, pour pouvoir sauter le plus loin possible mais surtout pour atterrir avant elle. Si elle n’a pas sauté assez loin, je pourrais ainsi la rattraper. Je saute lorsque le bord de l’immeuble arrive enfin et étrangement, cet instant me file des frissons dans tout le corps. Ce saut, s’apparente pour mon corps aux sauts en parachute que j’ai effectué auprès de l’armée. Comme pour ces derniers, je reçois d’un coup une puissante dose d’adrénaline. Lorsque mes pieds touchent le sol du bâtiment en face, je roule aussitôt à terre et fait demi-tour, pour vérifier qu’Olivia est avec moi. A quelques millisecondes de différence avec moi, elle atterri aussi. Ma main lui attrape le poignet, comme pour lui assurer par mon contact que c’est bien réel.

- On a réussis tu vois !

La joie, l’excitation peuvent se lire sur mon visage. Bon sang, quand je pense que j’ai eu quelques doutes. Non, finalement, aucun de nous n’est blessé, aucun de nous n’y est resté tout va bien ! Nous sommes en parfaite sûreté, nous pouvons descendre du toit par l’intérieur et regagner le lab. Je ris doucement, alors que je la serre dans mes bras. Je ne sais pas si elle est tactile, mais elle vient de découvrir que je le suis. En réalité, je suis vraiment très fier d’elle. C’était un choix très flippant et elle l’a pris sans avoir à s’interroger pendant cent ans ! Elle a vite et bien agis, c’est pas forcément évident pour tout le monde. Elle m’a fait confiance et je n’ai pas trahi cette confiance.

Ne pas regarder en bas, courir et sauter. Ne pas regarder en bas, courir et sauter.

La marche à suivre était des plus simples, il n’y avait pas à en douter. Pourtant, tout ça lui semblait dingue. Décidément ! L’adrénaline n’était pas pour elle, les coups de chaud encore moins. Elle détestait toujours autant ce qui n’était pas prévu, ce qui n’avait pas de sens, ce qu’elle ne pouvait pas maitriser. Toute sa vie, Olivia s’était arrangée pour en prévoir tous les aspects, elle ne doutait pas que tout pourrait lui échapper en un rien de temps.

En franchissant le vide, en retombant de l’autre côté, en sentant son cœur se soulevait à l’idée de ne pas réussir à franchir cet obstacle. Liv perdait le contrôle qu’elle aimait tant, elle laissait la main au hasard dans une tension insupportable. Il n’y eut que lorsqu’elle atterrit de l’autre côté, en avisant une roulade qui lui permit de ne pas se fracturer la cheville au passage, qu’elle parvint à retrouver son souffle quelques secondes avant de se redresser.

En se retournant, elle put voir tous les rôdeurs s’échappant par la porte s’avancer jusqu’au bord du batiment pour réussir à les attraper, tendant les mains, basculant pour certain par-dessus le muret avant de faire la chute de plusieurs étages. Ses yeux suivirent le mouvement, horrifiée ! ça aurait pu être eux ! Alors l’excitation d’Aaron lui arracha une pointe de colère : elle tourna le regard vers lui avec les yeux ronds, la moue contrariée de celle qui n’aimait décidément pas cette sensation de grand n’importe quoi :

« La ramène pas trop toi ! » Le gronda-t-elle sèchement en plissant les yeux : « On a failli mourir et on a pas de bonbons ! » Quel était le pire dans tout ça, au fond ? Elle n’était même pas persuadée que son esprit faisait très clairement le tri dans toutes ses idées.

Elle avisa tout simplement l’escalier de secours à quelques pas d’eux – enfin un batiment aux normes ! elle avait presque envie de crier hallelujah pour le coup.

« On rentre… » Demanda-t-elle, plus comme une exigence que comme une demande à proprement parlé. Aaron n’avait pas le choix, elle voulait vraiment se mettre à l’abri maintenant. Pour arrêter les folies, et l’acharnement de son petit cœur.