Il y avait des jours comme celui-ci où Sienna se questionnait à savoir comment elle pouvait bien avoir fait pour survivre jusque là. La solitude n'était pas pour elle, elle n'avait pas ce qu'il fallait pour rester en vie et se battre. Elle se disait surtout qu'elle avait été chanceuse, que c'était une accumulation de circonstances favorables qui lui avaient permises de se rendre jusqu'ici. Que si son coeur battait encore, c'était certainement dû à son ingéniosité, mais elle n'était pas à toute épreuve et la jeune femme en avait assez d'ainsi en tester les limites.

Le souffle court, elle courrait le plus rapidement que son corps le pouvait sous une pluie battante qui la gelait jusqu'aux os. Une maison apparait enfin et sans attendre elle fonce en sa direction. Ce n'est certainement pas ce qu'il y a de plus sécuritaire à faire, mais c'est la seule solution possible, car rester dehors à cette température est une promesse de complications de santés dont elle a bien l'intention de se passer. À bout de souffle et complétement trempée, elle remarquait que la porte avait été défoncée ce qui n'avait rien de particulièrement inquiétant tellement ils étaient tous des pilleurs dans cette apocalypse. Entrant dans la maison, elle passait ses mains déjà dégoulinante contre son visage, un geste superflu pour lequel il n'y eu aucune amélioration. La main sur son arme, elle choisit alors de s'avancer prudemment et de chercher une salle de bain où elle pourrait se réchauffer et de sécher un peu. C'est en passant près de la porte du salon qu'elle réalise que quelqu'un vit ici en voyant le feu que son nez frigorifié n'est pas parvenu à déceler.

Consciente qu'elle a besoin de profiter de la chaleur des flemmes et confiante qu'elle pourra parvenir à convaincre le survivant y ayant trouvé refuge de l'aider ne serait-ce que quelques heures, elle avançait prudemment, remarquant le corps allongé contre le canapé. Bien que dans cet angle elle ne puisse pas le voir, sa coupe de cheveux lui laissa présager qu'il s'agissait d'un homme et immédiatement, elle saisit l'occasion pour jouer les demoiselles en détresse.

« Bonjour. Désolé de vous déranger, je ne savais pas que c'était habité. » Continuant de s'approcher, elle gardait sa voix douce et mielleuse. « Est-ce que je pourrais profiter de la chaleur des...»

Mais sa demande se tue aussi rapidement, surprise par le spectacle que dame nature lui offrait. Détournant la tête pour ne pas que son regard glisse sur la nudité de l'homme, Sienna tentait de retrouver son assurance.

Pour une raison obscure, s'éloigner à ce point de Détroit avait ressemblé à une excellente idée ce matin et Will s'y était employé une bonne partie des premières heures de la journée. Maintenant que le ciel avait fini de s'assombrir et pleurait des larmes glacées sur sa peau, sans qu'aucun abri ne se dessine à l'horizon, il voyait les choses avec beaucoup moins d'optimisme. L'été dans le Michigan... une plaisanterie de mauvais goût qui sonnait plus comme un oxymore que comme une réalité tangible quand on essuyait un orage aussi violent en plein mois d'Août. Ça n'avait rien de ces orages provoqués par la chaleur, qu'on acclame quand ils arrivent et dont on profite avec bonheur avant de retrouver la canicule, c'était de ces pluies qui vous glacent les os et secouées par le vent qui nous font oublier que le soleil s'est levé au matin. Et le pire résidait sans doute en ces foutues routes de campagnes se transformant peu à peu en violent torrents de boue semblant vouloir s'étendre jusqu'à l'infini.

Le pas rapide, Will continuait pourtant son chemin, couvrant son pantalon de la crasse qui alourdissait ses pas un peu plus à chaque fois, une main posée à l'horizontale contre son front pour empêcher l'eau d'entrer dans ses yeux tandis qu'il fixait l'horizon à la recherche d'un endroit où se cacher le temps que l'orage passe. Il ne savait même pas combien de temps il avait passé sous ce déluge, sa course se transformant peu à peu en démarche de pachyderme, lorsqu'il tomba enfin sur la Terre Promise : une maisonnette dont le style douteux transparaissait même de l'extérieur, seule bâtisse à s'élever au milieu du désert campagnard.  La porte déjà ouverte et pas avec soin lui donnait quelques scrupules à entrer, signe probant qu'il ne serait pas le premier à passer par ici, mais le manque d'offres immobilières dans le coin et un éclair venant percer le ciel dans un vacarme affolant lui firent passer l'envie de se faire la fine bouche.

Il entendit les voix dès l'instant où son pied se posa sur le parquet de l'entrée, mais le murmure lancinant de la pluie dans son dos l'empêchait encore de distinguer réellement le sujet de la conversation. Il l'empêchait aussi de faire demi-tour aussitôt pour retourner se tremper dehors et risquer de choper la crève. Mourir d'une pneumonie après avoir survécu deux ans contre des monstres de toute sorte, ce serait une ironie dont il préférait se préserver pour l'instant. À la place,le jeune homme tira son arbalète qui reposait sagement dans son dos et la pointa devant lui alors qu'il s'enfonçait plus sérieusement dans la maison, se laissant peu à peu gagner par la chaleur qui se dégageait de l'endroit. Il retrouva les propriétaires du jour dans le salon et, par chance ou par malheur, sa grande taille lui permit d'avoir tout de suite une vue imprenable sur le manque de pudeur de l'un d'entre eux. Loin de s'en offusquer, Will conserva son air impassible alors qu'il pointait son arbalète sur le mollusque si généreusement offert et qu'un sourire condescendant s'affichait sur ses lèvres. « Désolé de vous déranger les amoureux, mais va falloir remettre la partie de jambes en l'air à plus tard, j'ai besoin d'un endroit où crécher. » L'autre occupant, occupante à vrai dire, lui semblait tout aussi trempée que lui, affirmant ainsi qu'ils devaient tous s'être réfugiés ici pour les mêmes raisons. Ne restait qu'à savoir s'ils sauraient se montrer tous bien élevés et accepteraient de cohabiter le temps que l'orage passe ou s'il faudrait jouer des coudes pour avoir droit à une petite place sur le canapé.

Elle se répétait sans arrêt d'être prudente afin de s'assurer que son regard n'atteignait pas une zone qu'elle ne ressentait aucune nécessité de découvrir. Entre le compliment et l'absence complète de réaction pour cacher sa virilité, Sienna ne pouvait dire ce qui la rendait le plus inconfortable. Des pas derrière elle attirèrent son attention alors qu'un léger « Oh » quittait ses lèvres. Une exclamation de surprise en pensant avoir compris qu'elle venait d’interrompre un moment de pures luxures. Se retournant pour s'assurer que la personne n'était pas nue, il y avait bel et bien quelque chose de fièrement dressée, mais c'était loin d'être ce à quoi elle s'attendait. Ne sachant pas trop comment réagir et n'ayant pas eu le temps de se préparer à une situation, elle se contenta de laisser les deux hommes échanger, ne cherchant à contredire ni un ni l'autre. Ils avaient apparemment tous besoin de la même chose et tant qu'ils ne représentaient pas de menace en eux-mêmes, elle était plus en sécurité ici en leur compagnie qu'à l'extérieur avec les puants et l'orage,

« Merci pour votre générosité. »

Déclarait-elle sincèrement alors qu'ils les invitaient à rester au chaud non pas sans une pointe de méfiance devant cette générosité trop facile. Cette situation l’arrangeait et elle était bien décidée à ne pas faire subir d'interrogatoire à l'hôte pour s'assurer de ne pas le vexer et se retrouver à nouveau sous la pluie froide battante. Laissant l'hôte faire des parallèle douteux dont elle ne pouvait lui tenir rigueur pour en avoir silencieusement fait un parallèle devant la facilité de la situation, elle avait simplement tendu les bras pour attraper la couverture qu'on lui lançait, retirant sa veste qui avait absorbé le plus gros de l'orage avant de s'y enrouler. Elle s'était d'ailleurs avancée afin de poser cette dernière près de la cheminée lorsqu'elle réalisa que cette fois elle ne pourrait pas éviter les présentations.

« Sienna. »

Son kunai toujours fixé à sa cheville, elle avait bien l'intention de ne pas le laisser quitter son corps. Le type avec l'arbalète avait beau être le plus armé en ce moment, c'était ce fameux Dean un peu trop accueillant et surtout beaucoup trop nu qui l'inquiétait le plus. Se détournant du feu, mais restant à proximité pour continuer de profiter de sa chaleur, Sienna reporta son attention sur les deux hommes.

« Tu es seul ici Dean ou nous devons nous attendre à d'autres visiteurs ? »

Quoi que rien de les empêchait d'en avoir d'autres, la preuve étant hors de tout doute son arrivé et celle de l'homme à l'arbalète à quelques minutes d’intervalles, mais elle voulait quand même savoir à quel point il était installé ici.

Oh, bon sang... Will venait-il de tomber dans une dimension parallèle où le bon sens et la pudeur avaient été supprimés ? La pluie diluvienne qui s'écoulait à l'extérieur commençait à devenir véritablement tentante à côté de ce type complètement à l'ouest qui n'avait toujours pas fait le moindre geste pour se rhabiller. La patience de l'ingénieur ne résisterait pas à un spectacle aussi horripilant. Il leva les yeux au ciel, resserrant légèrement l'arbalète sans la pointer ailleurs que sur l'appendice offert. « Si tu ne veux pas que je la fasse éclater, alors range-moi ça. » La jeune femme semblait un peu plus décidée à faire preuve de politesse que Will, qui coula son regard sur elle sans se retenir de rouler des yeux encore une fois. Ils allaient vraiment se la jouer conversation tranquille au coin du feu ? Tant que ce type n'aurait pas trouvé de quoi se couvrir, l'ingénieur n'avait aucune intention d'entrer dans leur jeu. Cependant, il baissa tout de même son arme et contourna le canapé pour s'approcher à son tour de la cheminée, profitant un instant de la chaleur bienvenue qui s'abattait sur lui. Il n'avait pas senti cela depuis tellement longtemps que ça aurait pu le convaincre de se montrer de meilleure humeur.

Presque, du moins. Car tandis que mademoiselle Sienna s'évertuait à faire la conversation avec le nudiste, Will lui, restait parfaitement silencieux avec sa mine bougonne et était bien décidé à ne pas décrocher un mot pour tout le temps qu'il aurait à passer ici. Si ça leur plaisait de faire semblant d'avoir envie de discuter et d'instaurer une bonne ambiance, grand bien leur fasse, mais il n'était pas là pour se faire de nouveaux amis, juste pour se protéger de la pluie. Il les laissa donc en paix, leur tournant simplement le dos pour regarder les flammes danser dans l'âtre, écoutant d'une oreille les bavardages qu'ils entretenaient en priant pour qu'on lui fiche la paix pour le reste de l'orage. Aucune chance, n'est-ce pas ? Personne ne respectait jamais son droit à être un animal sans aucune sociabilité et vu la tronche du nudiste, Will était déjà persuadé qu'on finirait par s'intéresser de nouveau à son cas.