Allongée en travers du lit d'Harvey, Astoria prenait toute la place sans se gêner le moins du monde. Parfaitement à son aise, la jeune femme lisait avec une attention toute particulière l'un des livres que Rajesh lui avait recommandé. Posé au sol, l'ouvrage n'était pas gros, mais tout du moins bien assez pour lui permettre de comprendre ce qu'il expliquait de là où elle était. Son visage à moitié enfoui dans un coussin contre lequel elle s'appuyait, seuls ses yeux parvenaient à dépasser du monticule qu'oreillers et couvertures formaient. Les bras dans le vide, elle tournait distraitement les pages une à une, à mesure qu'elle terminait les chapitres. Il n'y avait que ses cheveux qui parvenaient à troubler sa lecture, alors qu'ils tombaient eux aussi vers le sol, jusqu'à caresser les lattes de bois.

Elle lâcha un soupire, tandis que ses membres engourdis commençaient à se faire lourds. Et prenant la décision d'attraper son ouvrage, elle ne remarqua même pas les goûtes d'eau qui commençaient à teinter le sol. Poussant les coussins sans le moindre ménagement, elle roula sur son dos, qui se rappela bien vite à elle, et elle serra les dents pour retenir ce petit grognement menaçant de s'échapper. Astoria était parvenue à masquer cette partie-là de son histoire à Harvey pendant plusieurs semaines, il était hors de question de flancher maintenant. Heureusement, appuyée sur les coussins, sans bouger, la douleur se dissipa assez vite. La seule chose qui ne changea pas, ce fut ses cheveux qui touchaient encore le sol. Les bras tendus vers le plafond, elle poursuivit sa lecture jusqu'à ce que le vent ne mène quelques gouttes de pluie jusqu'à elle. Là, elle posa son livre sur le lit, juste à côté d'elle, puis elle pencha encore plus la tête en arrière, afin de voir de quoi il retournait.  

Fixant l'extérieur au travers de la fenêtre ouverte, elle fut surprise par les nuages sombres qui ornaient le ciel. « Zut ! », s'écria-t-elle. Ni une ni deux, elle se leva d'un bond, faisant au passage lourdement tomber son livre au sol, alors qu'elle sautait sur ses pieds dans un galipette improvisée - et pas franchement très réussie - avant de se précipiter vers la fenêtre. Là, posant ses deux mains contre le rebord, elle se figea littéralement lorsqu'elle vit le ciel plus menaçant encore que ce qu'elle avait pensé. Ses yeux s'écarquillèrent légèrement, sous la surprise mais surtout l'appréhension, puis elle se dépêcha de fermer la fenêtre. Quelques secondes lui furent nécessaires pour se détacher du paysage.

Astoria connaissait ce type de temps et le redoutait bien trop. Absorbée par sa lecture, la jeune femme n'avait pas réalisé à quel point le temps était à l'orage. Nul doute que, si la pluie n'avait pas effleuré sa joue, elle aurait eu bien du mal à voir que le ciel se couvrait à ce point. Par chance elle avait laissé la fenêtre ouverte, petit stratagème que la jeune fille avait mis en place depuis qu'elle restait un petit peu à Fort Hope. Lorsqu'elle avait réalisé la difficulté qu'Harvey avait à se défaire de ses pulls, sweats et autres vêtements à manches longues, elle avait cherché un moyen de combler le décalage qu'il y avait entre eux ; s'il ne se découvrait pas, ce serait à elle de se couvrir. Discrètement. Comme si de rien n'était. Elle l'avait toujours connu assez pudique et pudibond, mais elle avait oublié jusqu'à quel point il pouvait être complexé par la nudité. Prenant l'excuse que sa chambre sentait à chaque fois le renfermé lorsqu'elle venait, Astoria en profitait pour ouvrir la fenêtre et se couvrait à son tour, afin que tout semble plus harmonieux quand elle était avec lui. Aussi, lorsqu'Astoria lui fit la remarque, le jeune homme n'en parut pas étonné - apparemment, il n'ouvrait que bien peu souvent les fenêtres de sa chambre - au demeurant très en fouilli - et cela arrangeait bien la jeune femme.

Mais à présent qu'elle voyait les nuages menaçants recouvrir le ciel alors que la pluie s'abattait sur Fort Hope, elle s'inquiétait à un point inimaginable. Le coeur commençant à battre bien trop vite pour que cela soit naturel, elle fit un pas en arrière, tout en déglutissant avec difficulté. « Harvey... ? », l'appela-t-elle doucement, avec une lenteur sans doute exagérée afin de maîtriser sa voix. Une pointe d'inquiétude devait d'ailleurs être aisément perceptible. Instinctivement, elle le chercha du regard, en essayant de faire de son mieux pour cacher l'appréhension qu'il était sans doute possible d'y lire. « Est-ce que tu... tu crois que ça... ». Cherchant ses mots, elle reporta toute son attention vers l'extérieur, pendant peut-être une minute. Il était bien trop tard pour penser à rentrer avec son petit vélo. « Ça te dérangerait... que je reste là ? ». Il y avait bien sûr toujours la possibilité qu'il la raccompagne en voiture. Mais elle savait bien ce qui risquait de se produire d'une minute à l'autre. Autant dire qu'elle préférait être en sécurité dans une maison - surtout comme celle d'Harvey - plutôt qu'en plein milieu de Detroit à bord d'une voiture.

Un instant plus tard, elle pouvait voir un éclair fendre le ciel, accompagné du bruit sourd du tonnerre au loin. L'orage était encore bien trop éloigné pour que cela réussisse à lui faire véritablement peur, mais bientôt les choses seraient différentes. « Je ne rentre pas au labo ce soir », affirma-t-elle sans même attendre qu'il lui donne une véritable réponse. Le visage complètement fermé pour essayer de faire en sorte que son angoisse ne soit pas visible, Astoria retourna près du lit d'Harvey d'un pas mal assuré, rapide et un peu trop rigide sans doute. Elle ramassa son livre et s'installa au milieu du lit, sur les couvertures, tout en ouvrant son bouquin d'une manière totalement aléatoire. Qu'importe le chapitre sur lequel elle était tombée, elle n'en lisait pas un mot. Ses yeux restaient simplement fixés sur les pages, comme s'il leur était impossible de s'en détacher. Ses oreilles, quant à elles, ne cessaient de redouter un nouveau coup de tonnerre. Ce serait la toute première fois, depuis qu'elle avait retrouvé Harvey, qu'elle ne passerait pas la nuit au laboratoire.