Un jour, j’allais connaitre chaque tuile de ce plancher par coeur, non mais sérieusement, je passais ma vie à arpenter chacun des corridors encore et encore. Mes cours ne me suffisaient plus. Ils ne comblaient pas assez de mon temps pour que je ne m’ennuis pas et sérieusement, c’était l’apocalypse, la fin du monde, à quoi est-ce que les cours pouvaient bien me servir ? Je n’aurais jamais à calculer mentalement le pourboire à offrir à une serveuse, les serveuses n’existaient plus. En fait, tout ce qui était utile maintenant, c’était de sortir et d’aller à la rencontre du monde, de chasser, trouver de quoi se nourrir. À la limite, même apprendre à faire pousser une plante aurait pu être plus utile que des mathématiques.

Sauf que je n’étais pas assez vieille pour être vu comme une adulte et pas tout à fait assez petite pour ne pas réaliser que j’étais trop petite pour faire face au monde. Du coup, tout était compliquée et désagréable. Au moins, je pouvais compter sur Abel et j’espérais pouvoir dire qu’il pouvait compter sur moi, mais je ne lui prouvais pas vraiment avec mes bêtises. Alors, je tentais d’arrêter d’en faire. C’était aussi simple que cela, juste vadrouiller à l’interne et lui prouver qu’il pouvait compter sur moi. Sauf que je m’ennuyais, alors je m’étais perdu dans mes pensées et puis, je m’étais complètement perdue. Ce qui n’était pas réellement étonnant fallait bien l’avouer. Mon chemin fut rapidement tracé par une voix, une chanson. Je ne la connaissais pas, mais j’avais toujours aimé écouter de la musique. La musique, ça m’avait toujours empêché d’entendre mon père hurler sur ma mère et ça me faisait presqu’oublier le monde qui avait existé avant la fin du monde.

Mes yeux se posèrent finalement sur la voix qui allait avec la chanson, qui allait même avec la guitare. Une vraie de vraie guitare ! Je n’avais pas réellement planifié les choses, mais je m’étais finalement rapprochée d’elle dans un silence qui m’était propre. Je ne pouvais pas m’en empêcher, mais j’avais réalisé que je n’aurais peut-être pas dû à quelques pas de son lit. Ce n’était pas parce qu’elle ne pouvait pas se sauver que je n’étais pas de trop. Ma première idée fut de regarder mes pieds, gênés de mes bêtises, mais à la place, j’avais plutôt sortie mon petit tableau blanc et mon feutre pour y écrire simplement : « Salut » et le lui montrer. Voilà premier contact d’établie. Maintenant… maintenant quoi ?

Du bout de ma manche, j’’effaçais déjà ma salutation pour rajouter rapidement : « C’était jolie » et lui montrer tout aussi rapidement. Je n’avais même pas tenté de parler. Les mots s’étouffaient dans ma gorge juste à y penser. J’étais nulle pour parler, vraiment. Même avec Abel je n’y arrivais pas réellement, un jour peut-être. C’est ce qu’il disait au moins. Alors, j’allais tenter de le croire. Il m’avait déjà réparé une fois.

J’avais froncé les sourcils, relevant mon regard de mon petit tableau quand elle m’avait appelé Clara. J’avais fait non de la tête, tout simplement. J’allais l’écrire sur mon petit tableau quand elle trouva le bon. Je lui offris un oui de la tête et un sourire. C’était bien suffisant pour qu’elle comprenne qu’elle l’avait eu cette fois. Elle disait perdre la boule à s’enfermer à l’infirmerie, mais j’avais des doutes sur la question. Être elle, je dirais simplement que j’ai reçu un coup sur la tête, c’était toujours plus plausible qu’une infirmerie suceuse de mémoire… J’avais fini par lui serrer la main sagement puisqu’elle me la tendait. J’étais polie et assez bien élevée quand je le voulais. J’avais étiré un plus grand sourire à l’entente de son nom. C’était joli Iris. Elle était un peu plus vieille que moi, alors je n’avais jamais réellement prit le temps de lui parler. Déjà que parler avec les adultes c’étaient compliqués, mais alors là…

C’est à peu près à ce moment-là qu’elle proposa de me jouer un morceau et ça, ça me plaisait ! Alors, j’avais hoché la tête avec plaisir pour lui faire signe que oui, j’en avais envie. Elle acceptait de faire ce que je voulais, mais faudrait qu’elle la connaisse. Oh Dieu. Comment j’allais savoir ce qu’elle connaissait ? Je m’étais mis à chercher une chanson, possible de jouer à la guitare, que je connaissais. Juste ça, c’était difficile. J’avais réfléchi tout en me plaçant un peu plus confortablement assise dans son lit à elle. J’avais le sourire, écrivant finalement sur mon tableau : « N’importe quoi, j’ai juste envie d’entendre »

Oui, j’avais juste envie d’entendre de la musique, de me laisser aller et me détendre à l’idée que le monde tournait encore un peu dans le bon sens. J’allais arrêter de craindre la fin du monde et j’allais profiter du moment présent. Personne ne m’en voudrait de le faire. On me le répétait souvent, j’avais le droit d’être une petite fille, j’en étais même une. C’était pour ça qu’on ne me demandait jamais de sortir. Parce que je n’étais pas encore tout à fait prête pour ce monde. Je me sentais prête, je ne savais juste pas pourquoi on devait tout faire pour survivre. On ne pouvait pas sauver le monde. En fait, il n’y avait que Raj’ qui pourrait, mais même pour lui ça semblait difficile…

J’avais envie qu’elle me joue n’importe quoi, j’avais juste envie de la voir jouer, de l’entendre surtout. Ça faisait tellement longtemps que je n’avais pas profité de la musique. Elle c’était mise à gratouiller les cordes de la guitare et moi j’avais souris. Elle avait ensuite commencé à chanter et ça n’étonnera personne quand je dirai que je n’ai pas fait un son durant toute sa prestation, la laissant jouer et s’exprimer, tout simplement. Une fois qu’elle eut fini, je la regardais toujours, heureuse d’avoir eu droit à une chanson. Je n’étais même pas certaine de connaitre les paroles par cœur de chanson en tout genre.

Donc, ça, c’était les Guns and roses, Sweet Child O Mine. C’était bien à savoir. De là à dire si je connaissais ou pas, c’était une longue histoire. Souvent, maman et papa écoutait de la musique, mais je l’écoutais d’une oreille distraite. Je n’allais pas l’avouer à voix haute, mais j’étais une petite tout ce qu’il y avait de plus normal et j’avais un penchant pour les chansons populaires à la radio, les boys bands ou les chanteurs mignons. Bon, je n’étais pas un fan fini comme la plupart des jeunes adolescentes, mais j’étais ce genre de fille. J’avais donc haussé les épaules, tout simplement. Ça ne me disait rien, mais je pouvais surement connaitre ou pas. J’avais fait non de la tête à son autre question. Non, je ne pensais pas connaitre Bob Dylan. C’était qui ça en fait ? Bon d’accord, surement un chanteur, mais je ne savais pas plus que ça à son sujet.

Elle c’était finalement remit à chanter et ça m’avait de nouveau donné le sourire. C’était vite fait avec elle d’être de bonne humeur. Je me laissais emporter par ses mots, ses notes. J’arrivais très bien à m’imaginer tranquille à la maison, avec Bebel et maman. Je tentais d’éviter d’imaginer mon père et tout allait pour le mieux. J’arrivais à imaginer le monde sans les morts, sans la violence et sans les coups, mais au fond, je savais que les êtres humains étaient des êtres mauvais. Je ne pouvais pas en douter, j’avais eu tellement d’exemple à donner. J’avais pris la peine d’écrire sur mon petit tableau un simple : « Tu chantes bien » et lui sourire. Comment faire la conversation, version moi. Ça n’avait rien de simple, il fallait bien l’avouer. J’avais effacé du côté de la paume pour rajouter, avec le plus beau sourire du monde : « Encore ? » et ce, avec toute la gentillesse du monde. J’avais peut-être douze ans, mais en général, je savais comment obtenir ce que je voulais des gens. Avec des brillants dans les yeux et tout.

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