Le vent vole dans mes cheveux et l’odeur de sapin me monte aux narines. Je prends une grande respiration d’air pur. Les bruits de la nature se font entendre, alors que j’étire la corde de mon arc, prête à tirer. Le cerf à la tête penché et il dévore les pommes que j’ai déposés là, pour l’appâter. Je sais que je ne dois pas faire de bruit, sinon il m’entendra et en une seconde il aura détalé. Je sens la corde qui atteint son étirement maximal et je n’hésite pas un instant, je vise ma cible et la flèche file à toute allure. Alors qu’elle atteint le cerf, celui-ci se transforme soudainement en rôdeur. Un rôdeur avec le visage de Cédrick.
Je me réveille en sursaut. Un foutu cauchemar…encore! Je me redresse péniblement, le sol est dur et j’ai mal au dos. Difficile de trouver un sommeil réparateur quand le danger est partout autour de nous. Je me lève et je ramasse mes affaires. Encore une journée à lutter pour ma survis. Si on m’avait dit où la vie me mènerait, je n’en aurais pas cru un traitre mot!
Je suis née dans la communauté amérindienne : Walpole Island First Nation, en Ontario. Mon père, un métis vivant sur la réserve, possédait sa propre entreprise de canoë. Entièrement fait à la main, il vendait et louait ces embarcations. Ma mère, une amérindienne, travaillait la peau et la fourrure des animaux qu’elle chassait. J’ai également un frère de 4 ans, mon cadet, avec qui je me suis toujours bien entendue.
Enfants, mon frère et moi ont passaient beaucoup de temps dans la foret. L’un de nos oncles, avec qui ont étaient très proche, nous a donc enseigné la survie, notamment comment allumer un feu, se préparer un abri pour l’hiver, connaitre les plantes comestibles et s’orienter. C’était une véritable passion pour moi! Il m’arrivait de me renseigner par moi-même en louant des livres sur le sujet à la bibliothèque. C’est naturellement que je me suis par la suite intéressée à la chasse, la pêche et la trappe. Mes oncles et ma mère nous amenaient régulièrement pratiquer ces activités, mon frère et moi. Je me suis particulièrement intéressée à la chasse à l'arc et rapidement je me suis découvert un talent en la matière. Je ne manque presque jamais une cible! Mon petit frère ne donnait pas sa place non plus, mais j’étais bien meilleure que lui.
Ayant à cœur mes racines je me suis, par la suite, intéressée à l’histoire amérindienne ainsi qu’à notre culture, et c’est avec fierté que j’ai appris à la propager par de l’artisanat. Ma mère m’appris à fabriquer des bijoux et des accessoires amérindiens, pour qu’ont puissent les vendre. C’est progressivement qu’elle m’apprit à travailler la peau et la fourrure des animaux.
À 19 ans, j’avouai mon amour à un ami d’enfance : Cédrick. C’était un jeune amérindien avec qui je m’entendais particulièrement bien. Il lui arrivait souvent de venir chasser avec ma famille. C’est avec grande joie qu’il m’apprit que mes sentiments étaient réciproques. On a commencé à se fréquenter et la relation est devenue plus sérieuse quand Cédrick s’est installé dans la maison familiale. Mes parents l’aimaient beaucoup et même mon sale caractère ne le décourageait pas! C’était vraiment l’homme de ma vie.
Il arrivait que mon frère et moi ont donnent un coup de main à notre père, mais c’est auprès de notre mère et de mes oncles que j’appris mon véritable métier. Chasseurs, pêcheurs et trappeurs, ils faisaient l’arrangement des fourrures qu’ils récoltaient ou qu’on leurs apportaient. La région était propice à la chasse et la plupart des habitants savaient que c'était nous les meilleurs pour mettre en valeur leurs trophées. Peaux, bois d’orignaux, tête de cerf : rien n’était à notre épreuve. Ce n’est pas ce qui nous permettait de vivre, mais ça aidait grandement, surtout depuis que l’entreprise de notre père battait de l’aile. Je savais qu’il redoutait la faillite. Il en parlait régulièrement et vivait visiblement beaucoup d’anxiété à ce propos. Il espérait faire remonter la pente à son entreprise et avait déjà commencé à faire des plans. Malheureusement, il n’eut jamais l’occasion de les mettre à l’essaient.
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Les premiers évènements vinrent affoler, avec un peu de retard, la communauté que nous appelions affectueusement Bkejwanong (là où l’eau se divise). Au début, la plupart d’entre nous ne crûrent pas à ce que racontaient les médias. C’est quand la communauté fût touché, que nous n’eurent d’autre choix que de voir la réalité en face. Je ne pouvais m’empêcher de penser que les foutus américains devaient être responsable de cette drôle de maladie. Ils avaient quelques fois arnaqués ma mère et j’avais dû m’en mêler pour qu’ils fassent preuves d’un peu de respect. De plus, il arrivait régulièrement que je reçoive des avances totalement déplacés de leur part. J’avais fini par adopter une attitude intimidante pour qu’ils me laissent tranquille, allant même jusqu’à me montrer particulièrement brusque envers l’un d’entre eux. Heureusement qu’il n’avait pas déposé une plainte. Bref, je ne les porte pas particulièrement dans mon cœur. Les Canadiens se montraient parfois méprisant, eux aussi, mais j’ai eu beaucoup moins de démêlés avec eux.
Notre communauté fût rapidement envahie par les rôdeurs et nous n’eurent pas d’autre choix que de partir de chez nous. Cédrick, dont les parents étaient décédés, nous accompagna. Ont pris le chemin en direction des État-Unis, mais les routes étaient si bondés, qu’ont fut obligés d’abandonner notre véhicule et poursuivre à pieds, n’emportant que quelques bagages. Ensemble ont longea le lac St-Clair, déterminés à trouver un endroit tranquille. Ont tomba sur une petite maison abandonnée, entouré d’une barricade et en bordure du lac. C’était l’endroit parfait pour s’installer en toute discrétion.
Ont nettoya l’endroit et ont y passa de long mois. Notre mère avait emporté quelques fourrures et ont en profita pour fabriquer des manteaux chaud, lorsque l’hiver se montra le bout du nez. Ont parvint à se nourrir en trappant, en pêchant et en faisant quelques excursions pour trouver de la nourriture et de l’eau potable. Ont auraient presque pu retrouver le bonheur.
Malheureusement, un jour, alors que Cédrick et mon père pêchait sur le lac, un rôdeur est sorti de l’eau et s’est attaqué à mon amoureux. Ils parvinrent à tuer la créature, mais Cédrick fût mordu au bras. N’ayant aucune idée des conséquences de cette blessure, on l’a soigné comme on pouvait, pensant avoir affaire à une simple infection. J’ai été le témoin impuissant de la transformation de mon conjoint : la fièvre, les douleurs articulaires, le délire, la paralysie, puis finalement le coma et...la mort. J’étais restée à son chevet tout le long, sans même me reposer, ni manger. Quand la créature qu’il était devenu se réveilla brusquement, j’étais toujours à son chevet, ma main dans la sienne. C’est mon père, qui me poussa à temps, m’évitant de justesse une morsure. Malheureusement, c’est à lui que la créature s’en pris et, sous le choc, je ne puis rien faire, alors que le cadavre de mon conjoint dévorait celui de mon père. Pas étonnant que j’en fasse encore des cauchemars.
Cet évènement changea tout. Je me renfermai sur moi-même et notre mère, ne pouvant supporter la perte de son mari, mis fin à ses jours. Avec mon frère, on quitta la maison pour nous diriger ensemble vers la banlieue de Détroit. Malheureusement, ont fut séparés sur la route, suite à une attaque de pilleurs. Tout ce déroula si rapidement, que je n’eus pas le temps de voir la direction qu’il avait pris. Dépouillés de presque toute la nourriture qu’ont avaient et après avoir cherché mon frère pendant des heures, je me résignai à me rendre seule en ville. Ma détermination à vivre, n’en était pas pour le moins affecté. Peu importe toutes les horreurs que j’avais vues, je refusais tout simplement d’abandonner…et puis si ça se trouvait, mon frère allait prendre la même direction que moi.
Je restai des mois à survivre en banlieue de Détroit, me cachant d’une maison à une autre, espérant revoir mon frère, que je ne revu pourtant jamais. Ma détermination à vivre était encore plus grande que mon chagrin, et j’allais continuer de me battre jusqu’à la fin, peu importe ce qui arriverai. Parce qu’au fond, j’ai toujours su que j’étais une battante.