Je me souviens. Du confort, et du luxe. J'avais tout ce dont on pouvait espérer. On en arrivait à m'en vouloir car je faisais partie de ces personnes pour qui la vie avait pris pour goût de récompenser sans lever le petit doigt. Je me souviens. De l'envie et de la jalousie dans les regards, et d'une jeune fille gâtée dès lors qu'elle a été mesure d'ouvrir ses yeux sombres sur le monde. Je me souviens. D'un temps ancien, d'un monde bien trop loin, d'une autre vie. Vouloir la retrouver est égoïste. Pourtant, je pense qu'aujourd'hui, tout le monde peut se permettre de rêver d'une situation bien moins pauvre. Et puis, Dieu sait à quel point je la détestais, cette fille. Cette blonde qui se permettait absolument tout, simplement parce-que papa et maman avaient les moyens. Je me souviens. De cette imbécile que j'ai pu être, persuadée que l'argent était un pouvoir indispensable et, qui plus est, le plus important. A cette époque, ce fameux pouvoir était tout ce qui comptait. J'ai été en mesure de tout faire. Les meilleures écoles qui soient. Les voyages que je voulais faire, ceux aux destinations de rêve. Tellement aveuglée, pourrie, que j'en venais même à faire des caprices pour un non. Je me souviens. D'elle, comme si c'était hier. Mais aussi comme si je ne l'avais jamais été. Cela remonte à bien trop loin maintenant. Les souvenirs restent bien ancrés dans ma mémoire. Mais les temps ont changé. Je ne suis plus la même. Personne n'est plus pareil. Et c'est peut-être pour le mieux. De toute manière, qui peut-on être d'autre que l'ombre de soi-même après que tout se soit effondré ?

Elle n'est pas sûre de pouvoir encore entendre. Ni même de voir. Elle reprend petit à petit conscience, autour d'un monde qui semble brûler, autour d'un chaos désordonné. Autour de cadavres en putréfaction qui ont l'air de se relever. Que s'est-il passé, bordel ?! Elle veut se relever, mais n'y arrive pas. Une vive douleur au crâne lui tire une vilaine grimace. Elle y porte une main, que ses yeux rencontrent une nouvelle fois. Elle doit saigner. Ça doit être probablement grave. Elle n'en sait rien. Elle réessaye, plusieurs fois, de faire en sorte que ses jambes ne la porte à nouveau. C'est au bout d'une énième tentative qu'elle réussit. Elle porte malgré tout une paume au mur afin de garder l'équilibre. Ses souvenirs ne lui reviennent pas encore, mais son regard se permet de balayer la pièce du regard pour l'aider. Des corps, inertes, sont étendus de pars et d'autre. Elle ne sait pas s'il y aura un autre survivant qu'elle dans cette tragédie. Est-ce qu'elle est triste ? Elle ne saurait dire. Elle a encore du mal à tout assimiler. Sa tête lui fait encore un mal de chien. Ça lui lance. Ça lui lance tellement qu'elle manque de tomber à genoux. Ou pire, de s'évanouir. Mais elle tient bon. Les Cooper tiennent bon. Leur détermination était probablement la seule qualité qu'ils avaient possédé. Non, Winona ne flanche pas, et ce même si le mur reste son meilleur allié sur l'instant. Elle continue de le longer et, d'un geste lent, attrape la poignée à l'autre bout et tire. La porte s'ouvre, et elle ne put retenir un cri perçant. Cette face monstrueuse qui ne se trouvait qu'à quelques centimètres seulement de son visage soulève le dégoût et la peur de manière incontrôlée. Peut-être que si elle avait fait plus attention, elle aurait pu entendre les tambourinements contre la porte. Mais, quelle idée. Curieuse comme elle était, elle serait malgré tout allée jeter un œil. Ç’aurait pu être la fin. Si elle n'avait pas été une victime du bombardement, alors qu'elle aurait été une victime de ces monstres. Mais de nouveau, le destin en décida autrement. Un couteau vint s'écraser profondément contre la tempe de la chose aussi soudainement qu'elle ait pu l'apercevoir, et elle s'écroula sur le sol. Le regard horrifié de Winona eut du mal à se décrocher du corps, mais vint malgré tout rencontrer celui de son sauveur. C'est un soupire de soulagement qui s'échappa de ses lèvres lorsque le visage familier de Mike lui apparut, et des larmes qui vinrent perler ses joues alors que ses nerfs la lâchaient. Besoin d'être rassurée sur ce qu'il se passait, elle s'était inconsciemment jetée dans ses bras pendant quelques secondes. « Il faut partir d'ici. » Winona sécha tant bien que mal ses yeux rougis par une tristesse immense qui l'envahissait petit à petit et une fatigue évidente. « Pour aller où ? » Sa voix se faisait faible et tremblante. « Loin. Très loin d'ici. » Les yeux de Mike se posèrent sur le cadavre à leurs côtés. « Loin d'eux. » Il lui tendit une main qu'elle empoigna après quelques secondes d'hésitation, après s'être retournée une dernière fois pour balayer la pièce à laquelle elle tournait le dos. Son bureau, un symbole de ce qu'avait été sa vie. La dernière chose qui composait Winona, cette femme qu'elle allait décider à laisser derrière elle. Qu'elle avait décidé de laisser derrière elle dès lors que ses doigts croisèrent ceux de Mike.

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