Dire que j’ai été surprise de voir ce mec bizarre en costume venir me livrer une nouvelle flèche, avec un message accroché dessus, serait un euphémisme. Une fois la surprise passée face à cet énergumène que j’ai du mal à imaginer face à un rôdeur, parce que cela impliquerait qu’il risquerait de tâcher ses vêtements, ou de mettre du sang sur ses mains, j’ai attrapé la flèche tendue, et ignoré les remarques sur mon teint parfait boosté aux hormones. Je secoue la tête, et me sermonne mentalement de me montrer aussi injuste face à cet homme que je ne connais même pas, et avec qui je n’ai jamais fait plus qu’échanger un simple mot, par-ci, par-là. D’ailleurs, j’aurai peut-être pu me montrer plus aimable avec ce jeune homme, plutôt que de le fixer avec des gros yeux en me demandant d’où il pouvait bien sortir. Je lâche un vague merci, suffisamment fort pour espérer qu’il l’entende, alors qu’il s’est déjà éloigné pas mal, et si réellement il a entendu mes piètres remerciements, il n’en montre rien, et ne se retourne pas. Tant pis…je ferai un effort la prochaine fois !

Je rejoins l’ombre d’un arbre pour dérouler le morceau de papier autour de la flèche, ce qui me permet de n’avoir aucun doute sur l’expéditeur de ce message. Je lis les quelques lignes écrites par Declan, et ne peux pas m’empêcher de froncer légèrement les sourcils. Un rendez-vous, dans une boutique pas bien loin du camp. J’ai du mal à refréner le stress qui monte soudain en moi, à calmer les angoisses sourdes qui ne me quittent plus que rarement depuis ces derniers-mois. A croire que mes peurs grandissent en même temps que le petit-être caché sous mon nombril. A chaque coup de pied, je ne peux m’empêcher de craindre pour à peu près…tout. La naissance, bien sûr, qui occupe une majeure partie de mes inquiétudes, la survie du bébé, les soins dont il pourrait avoir besoin, la nourriture, le quotidien qui s’apprête à être le nôtre. Est-il arrivé quelque chose à Isha, et son meilleur ami est le messager d’une triste nouvelle ? Je souffle un bon coup, et prends le parti d’évacuer toute cette tension superflue. Après tout, ce n’est pas parce que Declan vient me voir depuis l’arène qu’un drame s’y est forcément joué. Non ?

Je passe par la maison d’Aaron, ma maison provisoire, pour m’habiller en vu d’une sortie de Fort Hope, et je ne peux m’empêcher de prendre ma machette avec moi, même si je doute d’avoir le moindre ennui. Declan n’est pas très loin, j’ai suffisamment confiance en lui pour savoir qu’il ne m’arrivera rien en sa présence, et les militaires ont bien nettoyé les alentours du camp, pour qu’on y soit débarrassé de tout rôdeur. Je passe donc par les portes des barricades, notant soigneusement sur le carnet l’adresse du magasin dans lequel je me rends, et l’heure approximative de mon retour, puis, Bandit sur mes traces, je quitte l’espace protégé pour avancer vers la boutique où le meilleur ami de mon cher et tendre m’a donné rendez-vous.

Le trajet se fait sans encombre, comme je l’avais prédit, et j’en suis bien contente. Je repère le magasin de loin, et ne peut m’empêcher de froncer légèrement les sourcils en l’absence de Declan. Merde…j’espère que je ne suis pas tombée dans un piège à la con. Pourtant, je sens mes épaules s’abaisser quand j’entends la voix de ce benêt en vert, et je ne retiens pas le sourire léger qui monte d’un coup. Est-ce que c’est parce que je suis rassurée de savoir que c’est réellement l’archer qui m’a envoyé ce message, et qu’il ne s’agit pas d’un traquenard, ou bien est-ce que je suis réellement ravie de le voir ? Je préfère laisser planer le mystère… « -Tu devrais vraiment travailler tes menaces pour la prochaine rencontre que tu feras ! » Il ne me faut que quelques pas de plus pour que mon regard tombe sur la silhouette du jeune homme, et qu’un sourire plus franc se pose sur mon visage. « -J’ai l’impression que ça fait une éternité ! »

Même si j’avais voulu cacher à quel point ça me fait plaisir de voir Declan, et un petit bout de cette vie que j’ai laissé derrière moi en quittant l’arène, mon sourire me rattrape, et je ne tente rien pour le cacher. Bien au contraire. Même la petite pique qu’il me lance concernant mon ventre ne suffit pas à le faire tressauter, et je me contente de lever les yeux au ciel, une main se perdant sur mes rondeurs. Je n’ai pas le cœur à répliquer, pas le temps non plus, que l’archer est là, juste devant moi, et me prends dans ses bras. Si le geste me surprend, je n’en laisse rien paraître, et resserre mes bras autour de son torse au bout de quelques secondes, le serrant à mon tour contre moi. Je le trouve bien sentimental tout à coup, mais décide de mettre cela sur le compte de ces retrouvailles pour le moins inattendues. Même ce baiser sur la joue que je n’ai pas vu venir me semble étrange, mais j’y réponds par un sourire, comme si ce genre de marque d’affection était courante entre Declan et moi. Ce n’est pas le cas, du moins pas pour l’instant.

Je n’ai pas besoin de lui demander ce qu’il se passe pour que le survivant m’explique que cette rencontre ne s’explique pas par le fait qu’il soit arrivé quelque chose à Isha, et je ne retiens pas le soupir soulagé qui monte à mes lèvres. Pourtant, même si le meilleur ami de Declan semble aller aussi bien que possible, il m’est impossible de passer à côté de l’air inquiet qu’il arbore, à cet instant précis. Je ne fais donc rien pour l’interrompre, et même si les nouvelles concernant mon gladiateur sont meilleures que celles auxquelles je m’attendais, les mots employés par l’archer ne manquent pas de m’inquiéter. Les soucis de Malorie ? De quoi parle-t-il ? Et que veut-il me confier, et dont il ne peut manifestement parler avec personne à l’arène ? Alors qu’il semble détourner le regard pudiquement, je continue de l’observer attentivement, d’essayer de lire dans son langage corporel, dans les traits de son visage, ce qu’il semble avoir du mal à formuler. Je n’ai jamais vu Declan aussi perturbé, et pourtant, son meilleur ami et lui en tiennent une bonne couche.

Je reste quelques secondes de plus à l’écouter, avant qu’un léger silence s’installe entre nous. Je n’ai jamais réussi à consoler ou rassurer qui que ce soit en dehors d’Isha et Aaron, et j’ai peur de dire à Declan qu’il n’est peut-être pas venu voir la bonne personne pour se sentir mieux. Mais ses propos résonnent à mes oreilles, et je l’entends une nouvelle fois me dire que je suis son amie, et je ne peux donc pas lui tourner le dos. Pas quand il semble avoir besoin de moi. « -Tu ne me déranges jamais. Viens, asseyons-nous… » Je l’attrape doucement par le bras, et je nous entraîne au milieu de gravats, vers l’un des canapés. D’un geste rapide, je retourne les coussins couverts de poussière, pour laisser apparaître ceux en meilleur état, et invite d’un signe de tête le gladiateur à s’installer à son tour. J’attends qu’il s’assoit à mes côtés, et une fois fait, lui adresse un sourire confiant : « -Alors, si tu reprenais depuis le début ? Que se passe-t-il ? »

Je hoche doucement la tête, comme pour encourager Declan à se confier sur ce qui semble le ronger, et après quelques secondes supplémentaires d’hésitation, il finit par reprendre la parole pour m’expliquer ce qu’il se passe. Le sourire que j’étais sur le point d’esquisser face à l’annonce qu’il a retrouvé sa fille meurt sur mes lèvres, tandis que ma bouche s’entrouvre légèrement face à l’horreur de la situation. Je n’arrive pas à imaginer ce qu’il a pu ressentir quand il a dû abattre ce qu’il restait de la gamine qui est passée quelques temps par l’arène. Je pose une main sur la sienne, et presse doucement ses doigts entre les miens : « -Je suis tellement désolée pour toi, Declan… » Je sens une de ces bouffées d’angoisse qui fait surface de temps en temps arriver au triple galop, et je dois vraiment prendre sur moi pour les chasser, et rester présente pour Declan. J’imagine que pour un parent, il n’y a pas pire douleur que celle de perdre un enfant, et bon sang, je prie pour que cela ne m’arrive jamais.

En revanche, ce que j’ai un peu plus de mal à suivre, c’est cette histoire d’inconnue, arrivée à l’arène, et qui prétend être la femme de Declan, ce dont il a l’air de se méfier. Mais…est-ce que je suis partie depuis si longtemps que ça ? J’écoute ce qu’il me dit, mes sourcils se fronçant au fur et à mesure du récit, parce que comme lui, je trouve que la coïncidence est presque trop belle. Comme la prétendue épouse aurait pu savoir que Declan vivait désormais à l’arène, en tant que gladiateur ? Et les nouvelles concernant Miss Malou ne manquent pas de me crever encore un peu plus le cœur. « -Oh non… » Ce n’est qu’un murmure, l’expression quasi inaudible que m’inspire cette nouvelle pleine d’horreur. Malorie privée de ses jambes…je serre les dents, et ne prends bien sûr pas la peine d’en parler à voix haute, mais c’est une nouvelle vraiment affreuse. Si survivre pour un être humain, capable de se mouvoir sur deux jambes, n’est déjà pas une partie de plaisir, je n’ose même pas imaginer quel calvaire ça peut devenir pour un survivant devant se déplacer en fauteuil roulant. Je ne peux pas endiguer les scènes qui s’imposent à mon esprit, d’une Malou bloquée dans son fauteuil face à une horde, et des conséquences terribles de cette rencontre.

Ce n’est pourtant pas la fin du récit de Declan, et je reste immobile à ses côtés, alors que je vois à son expression, qui se décompose encore un peu plus, et semble sur le point de perdre le contrôle de ses émotions. Je ne peux rien faire de plus qu’écouter son récit, comprenant au fur et à mesure de ses paroles qu’il a dû avoir un espèce de flashback, un souvenir de son passé qui ne manque manifestement pas de le traumatiser. Je passe un bras autour de ses épaules, et l’attire contre moi quand les larmes finissent par dévaler ses joues. « -Calme toi Declan. Calme-toi, tout va bien. Tu n’es pas un monstre… » Je le serre encore davantage contre moi, ses épaules se secouant au rythme de ses sanglots. A cet instant précis, j’aimerai être Aaron, ou à défaut, qu’il soit là, parce que lui saurait quoi dire, ou même quoi faire. Moi je me sens tellement…inutile, que ça en est affligeant. Je me racle doucement la gorge, et laisse à Declan le temps dont il a besoin pour évacuer ce surplus d’émotions qui semble peser lourd sur ses épaules.

Ce n’est que lorsque le flot de larmes semble tari, au moins temporairement, que je parviens à reprendre la parole. « -Et tu n’as pas tué Aube. Je peux pas te laisser dire ça, parce que c’est faux… » Je le force à relever la tête, pour plonger mes yeux dans son regard clair, et lui offrir un sourire apaisant. « Qui tu es maintenant, et qui tu étais avant de perdre la mémoire, sont deux personnes différentes. Peu importe qui était l’ancien Declan, tu ne peux rien faire concernant les actions qu’il a pu faire, la seule chose qui compte, c’est qui tu es désormais, et ce que tu fais tous les jours. Et ce Declan là n’est pas un connard. » Je voudrais dire plus, ou différemment, pouvoir réussir à alléger son esprit et son cœur par des paroles qui feraient mouche, et pourtant, je sens bien que ce ne sera pas si facile que ça. « -Je suis désolée…j’ai jamais été très douée pour réconforter les gens… » Je lui adresse un piètre sourire qui se transforme vite en grimace.

Les épaules de Declan s’agitent, au rythme de ses sanglots, et pendant quelques instants, qui me paraissent durer une éternité, il n’y a autour de nous que le silence, entrecoupé des pleurs du grand archer. Dire que je ne sais pas le consoler est un euphémisme, mais il ne semble pas s’en offusquer, et j’avoue que cela me rassure un peu. Avec Isha, et les discussions qu’on a eu à ce sujet, j’ai fini par comprendre que ne pas savoir qui on était pouvait être autant préoccupant, mais pas moins, que de ne plus savoir ce qu’on a pu faire, les actes qui ont pu être commis. Et d’après les paroles que vient de prononcer Declan, c’est bien là tout le problème. Isha lui-même ne m’a-t-il pas dit qu’il pensait être un monstre ? Je fronce doucement les sourcils, et mes doigts se raffermissent autour de l’épaule du survivant. Comment trouver les mots justes, alors que, tout comme lui, j’ignore qui Declan a pu être par le passé, ce qu’il a pu faire, les torts qu’il avait à l’époque.

Je desserre peu à peu mon étreinte quand les sanglots se calment, et Declan finit par quitter mes bras, alors que mon visage est tourné vers lui, une expression compatissante sur les traits. J’ai l’impression d’être déjà passée par ce genre de moments de doutes une paire de fois, et je me rends compte que je n’en suis pas plus confiante sur mes paroles pour autant. En revanche, je dois dire que je suis plutôt d’accord avec cette phrase étonnement lucide au regard du moment d’émotions qu’il vient de traverser, et je hoche doucement de la tête pour lui faire comprendre que mon point de vue rejoint le sien. Mon expression reste neutre quand il m’explique qu’il voudrait réparer ses torts, tout en expliquant qu’il n’est pas certain d’avoir envie d’y faire face. Cruel dilemme, s’il en est un. Je ne peux pas m’empêcher de repenser à cette soirée où mes quelques révélations ont provoqué un retour inattendu des souvenirs d’Isha, plus dévastateurs que tout ce que j’aurai pu penser, et toute la douleur qui s’est imprimée sur ses traits à cet instant-là. Au simple souvenir de cette soirée, j’ai quelques difficultés à déglutir, et je prends quelques secondes de plus pour éloigner mes pensées parasitaires. « -Declan…tu n’es pas forcé de réparer ce que tu as pu faire par le passé. Je veux dire… » Je me tais brusquement, éprouvant plus de difficultés que supposé pour arranger ce qui se bouscule dans ma tête, pour trouver un moyen de formuler ce que je voudrais lui dire. « -Le monde a changé, tu n’as pas besoin de moi pour t’en rendre compte. Et…tu pourrais passer ce qu’il reste de ta vie a essayé de comprendre ce que tu as mal fait, rien n’indique que tu pourras réparer tes torts pour autant… » Que ferait-il s’il s’apercevait qu’il avait peut-être blessé quelqu’un, et que la personne était désormais morte ? Un tort du passé qu’il ne pourrait plus jamais réparer, et qui risquait de le hanter pour les années à venir.

Je soupire doucement, et fixe la petite bague ornée d’un soleil qui encercle mon doigt, vestige de la liberté qu’Isha a retrouvé pour moi. Même si son amnésie a été un gros coup dur, et l’est sans doute toujours un peu, elle m’a apprise à comprendre quelques petites choses : « -Parfois, il vaut mieux laisser le passé où il est, pour se contenter du moment présent, et de l’avenir. Se refaire de beaux souvenirs, prendre de bonnes décisions, faire les choses justes…Et…si tu penses que tu as pu être une mauvaise personne par le passé, je ne sais pas…ajuste ta ligne de conduite en fonction de ça. Promets-toi de toujours faire le bien maintenant, et tiens toi y. Un peu comme un super-héros ! » Je lui adresse un sourire amusé, tentant, peut-être en vain, de détendre l’atmosphère.

La tête de Declan finit par se poser sur mon épaule, et je pose la mienne par-dessus, fixant les éclats de la vitrine jonchant le sol, à quelques pas de nous. Quand il me parle de Joshua, cette bonne vieille bouffée d’angoisse ne tarde pas à refaire surface, et pourtant, je réussis à me détendre malgré tout. Et quand vient la nouvelle, celle que je pensais ne jamais entendre, je me redresse brutalement, manquant de nous cogner la tête sans délicatesse. « -Tu…quoi ? T’as dit quoi, là ? » Est-ce que je suis tellement désespérée, tellement en attente de la mort de Joshua pour retrouver l’arène, que mon esprit me joue des tours aussi vilains ? Parce que…enfin…je ne crois pas avoir rêvé, il vient bien de dire que Joshua est…mort ? Non, ça me semble inconcevable. Et ma réaction me semble aussi terriblement déplacée au regard de la souffrance que je lis dans le regard de Declan. Et pourtant, j’ai besoin de cette information, celle qui serait la clé pour aller, enfin, de l’avant. J’inspire donc, et c’est d’une voix dont les tremblements sont maîtrisés que je demande, avec plus de calme : « -Joshua est mort ? »

J’ai beau fouiller ma mémoire à la recherche de souvenirs de moments que j’ai pu passer à l’arène en compagnie de Declan, je n’ai pas l’impression de l’avoir déjà vu aussi désemparé. Et je doute qu’il ai pu garder ses états d’âme pour lui, et ne les exprimer qu’en présence d’Isha. Je me trompe peut-être, mais je les imagine plus enchaîner les bêtises plutôt que les conversations sérieuses, ou philosophiques. Et j’imagine que je ne dois pas être une adepte non plus de ce genre de discussion, puisqu’il suffit de voir avec quelles difficultés je patauge pour essayer de lui remonter le moral, ou tout du moins, lui éviter de broyer trop du noir. Et pourtant, quand ses premiers mots sont que j’ai raison, je ne peux m’empêcher de hausser les sourcils, me demandant ce qui peut le pousser à dire ça. Je reste à l’écouter d’un air suspicieux, comme si je doutais qu’il ai réellement compris le sens du discours que j’ai pu prononcer tout à l’heure, alors que sa tête finit par se poser sur mon épaule. Oh, finalement il a l’air de penser que mes paroles étaient plutôt censées, et qu’il pourrait y avoir du bon à prendre quand je lui suggérai de laisser le passé où il était, et de devenir un nouvel homme. « -Tu peux toujours essayer…si la situation dans laquelle tu es actuellement ne te plait pas, tenter de changer ça pourrait être une bonne chose. De toutes façons, le monde n’est plus comme avant, on a plus besoin de l’être nous non plus ! » Et le fait que moi, personnellement, j’ai pu changer, dans ma façon d’être, dans mes relations avec les autres, dans mon rapport avec l’amour n’est sans doute pas innocent dans ma façon de voir les choses. « -Et puis, tu peux compter sur notre soutien, à Isha et moi. Quelles que soient tes décisions, ou tes hésitations. »

Je lui souris doucement pour essayer de le rassurer, même si je doute qu’il puisse me voir dans cette position, et de toutes façons, la discussion glisse rapidement vers un autre sujet, tout aussi préoccupant, Joshua. Je me rends compte qu’à la simple évocation de ce prénom, mon cœur s’est brusquement emballé dans ma poitrine, et que le bout de mes doigts devient glacé. Je crains un peu les paroles de Declan, et me rends compte bien trop tard de l’espoir fou qu’il vient de déclencher en moi, en seulement quelques mots. « -Alors, il serait…mort ? » Je crois que j’ai du mal à l’envisager. Comme si la vipère était dotée de neuf vies, et incapable de crever, une bonne fois pour toutes. Je reste à fixer droit devant moi de longues secondes, avant de m’agiter brusquement, galvanisée par ce qui semble être une excellente nouvelle, malgré le côté glauque de la chose. « -Tu sais ce que ça veut dire, s’il est vraiment mort ? Je vais pouvoir rentrer à l’arène ! Enfin…ça ne m’enchante pas des masses, mais je vais surtout pouvoir retrouver Isha, et ça, c’est merveilleux ! » Et un large sourire prend soudainement toute la place sur mon visage, tant la perspective de retrouver l’homme que j’aime, et dont j’ai été privée ces derniers mois m’enchante. Même les nouvelles paroles de Declan, qui tente de tempérer mes ardeurs, tombent dans l’oreille d’une sourde, tandis que je le fixe en continuant de sourire d’un air quasi ébahi.

Je me redresse légèrement quand l’archer finit par se lever, alors qu’il sort je ne sais quoi de sa poche, ce qui ne manque pas d’attiser ma curiosité. Je le regarde d’un air intéressé, alors que sa voix brise de nouveau le silence du magasin. Quand il dit qu’il avait prévu un petit truc, je le fixe une nouvelle fois d’un air où peut se lire mon incompréhension, qui est de plus en plus perceptible au fur et à mesure de ses paroles. Je vois bien qu’il n’est pas des plus à l’aise, et pour le coup, je ne peux rien faire pour dissiper la gêne qu’il semble ressentir. Je vois son regard se poser sur mes nouvelles courbes, une attitude que je croise de plus en plus souvent ces derniers temps, allant du coup d’œil attendri, à celui carrément désapprobateur, sans pour autant que cela m’importe réellement. Il a raison, je crains pour ma vie, et celle du petit être qui grandit en moi, et c’est d’ailleurs la raison qui m’a poussée à quitter l’arène. Mais qu’est-ce que cela a à voir avec le fait qu’il ai un truc à me donner ? Sans l’interrompre, puisque c’est son souhait, je continue de fixer Declan sans cacher ma stupeur, et aussi mon incompréhension, et j’avoue que quand je le vois poser un genou face à moi, je sens un espèce de malaise me tordre les entrailles. Il ne compte tout de même pas me demander ma main, ou un truc comme ça, quand même ? Enfin…il sait bien que je suis avec Isha, non ? Je le fixe avec de gros yeux, avant de comprendre peu à peu le sens de sa démarche. Pour le moins étonnante, je dois bien l’admettre.

Un serment. Declan est en train de me présenter son serment, de me prêter allégeance, de dire, avec ses mots bien à lui, qu’il fera tout ce qui est en son pouvoir, quitte à le payer de sa vie, pour que le bébé et moi soyons toujours en sécurité, et saufs. Et j’avoue que pour le coup, je ne sais pas trop comment réagir. Je l’observe se redresser, et me tendre ce petit objet qu’il avait sorti de sa poche un peu plus tôt, et qui s’avère être un collier, avec une pointe de flèche, un peu son symbole si on y pense d’un peu plus près. Je me lève à mon tour, attrape le bijou, et le fixe pendant de longues secondes, avant de le passer autour de mon cou, et de serrer le pendentif entre mes doigts. « -Je préférerai quand même que tu restes en vie, chevalier Declan ! » Et je dépose un baiser sur sa joue, tandis que je lui murmure un merci à l’oreille. « -Tu as raison, on était pas vraiment proches à l’arène, mais j’espère sincèrement qu’on aura l’occasion de réparer cette erreur. Au-delà de ton amitié avec Isha, je veux dire. » Et je lui adresse un nouveau sourire sincère, avant de lui donner une tape amicale dans le bras. « -Et puis, je devrais plus tarder à rentrer maintenant, et tu pourras venir me parler dès que tu en as envie ! »

Sa remarque a le don de m’arracher un sourire, tandis que je joue quelques secondes avec le pendentif taillé en forme de pointe de flèche. Je me demande quel genre de lecture il peut avoir, qui lui indiquerait précisément comment faire un serment tout en paraissant crédible, et je serai ravie d’en discuter avec lui dès lors que je rentrerai à l’arène, pour y retrouver mes petites habitudes. Au moins, on est d’accord sur le fait que ce ne sont que des mots, et qu’il ne compte pas littéralement passer l’arme à gauche dans peu de temps. Je lève légèrement le sourcil quand il m’explique que l’arène ne semble pas être à la hauteur de ses espérances, ce qui ne manque pas de titiller ma curiosité. Que s’y passe-t-il donc en ce moment pour qu’il fasse cette remarque ? En tout cas, il marque un point, s’il est interdit de visite à Fort Hope, et s’il compte bien honorer cet étrange serment qu’il vient de faire, il n’y a effectivement pas d’autres choix, il faut que je me dépêche de rentrer. Ce qui au fond, ne devrait pas être si mal. « -Il se passe quoi, à l’arène, pour que ce soit si nul que ça ? » Je sais bien que la curiosité est un vilain défaut, mais après avoir passé de longues, longues semaines loin de cet endroit, je veux savoir ce qui m’attend quand j’y retournerai dans quelques temps. Histoire de me préparer psychologiquement, et tout ça.

Par mimétisme, mon regard suit celui de Declan, tandis qu’il observe l’extérieur, sans que je parvienne réellement à remarquer ce qui a attiré son attention. Je fronce donc les sourcils, au moment même où il commence à me demander, de façon plus ou moins détournée, mon opinion sur l’arrivée des militaires en ville. Son allusion aux grands méchants, de l’Histoire, ou simplement de divertissements, et aux uniformes qu’ils portaient me fait sourire, même si je comprends bien tout le sérieux de la situation, ou même de la question. Je hausse une épaule, avant de soupirer doucement. Si on peut réellement leur faire confiance ? C’est une sacrée bonne question. « -Franchement, j’en sais rien. Il parait qu’ils ont nettoyé plusieurs quartiers de Détroit de la présence de tout rôdeur, et qu’ils ont donné des ressources à Fort Hope, des trucs médicaux et autres. » Est-ce suffisant pour dire que ce sont les gentils, et que grâce à eux et à leur présence on est sauvés ? Probablement pas. Mais en attendant, ils font plutôt profil bas, du moins c’est l’impression que j’en avais depuis la maison d’Aaron, que je n’ai pas souvent quitté ces derniers temps. « -Enfin…j’ai rien entendu de particulier sur eux à Fort Hope. Certains habitants se méfient quand même, et ne croient pas trop à leur retour sorti de nulle part. Mais…je crois qu’on a pas grand-chose à leur reprocher pour l’instant. J’imagine que l’avenir nous dira si on peut leur faire confiance, ou pas… » Je hausse une nouvelle fois les épaules, et mon regard quitte celui de Declan pour observer une nouvelle fois les abords de la boutique, qui sont étonnamment calmes. Est-ce parce que nous sommes encore très près de Fort Hope, ou bien ont-ils réellement fait baisser le nombre de rôdeurs à Détroit ? « -Les militaires, ils sont aussi à l’arène ? »