Travailler avec Deena avait permi à la chasseuse de primes de s’occuper un moment et, surtout, de mettre à profit la colère qui ne la quittait plus depuis cette petite mission qu’elle avait rempli contre son gré aux côtés de l’Arène. Depuis des semaines, mettre en place un plan d’attaque, réunir assez d’alliés et trouver tout ce dont les deux femmes auraient besoin pour mener à bien leurs projets était tout ce qui occupait Annalise. Elle craignait légèrement le jour où tout serait terminé, non pas par peur que leur plan échoue, mais plutôt par crainte de se retrouver de nouveau à errer sans aucun but vraiment atteignable. Cette pensée la traversait de plus en plus souvent à mesure que la date de l’attaque approchait et malheureusement, l’application qu’Anna avait mis à tout organiser faisait qu’elle manquait de bonnes raisons de se concentrer sur autre chose. À quelques semaines du grand jour, il n’y avait plus qu’un seul sujet que la chasseuse de primes n’avait jamais eu le cran d’aborder avec Deena : le sort qui attendait les habitants civils de Fort Hope, alors que leur seul crime était d’avoir un leader ayant accepté d’héberger les soldats. Ça n’était pas un sujet beaucoup plus joyeux sur lequel se concentrer. Leur plan préparé avec soin n’incluait aucunement une plage horaire dédiée à l’évacuation de qui que ce soit. C’était un détail auquel Anna s’efforçait de ne pas trop penser, mais tout à coup, il semblait bien plus abordable que la question de l’avenir. Elle avait donc décidé de prendre son courage à deux mains et d’aller en discuter avec Deena.

Mais après une bonne vingtaine de minutes à fouiller le lycée de fond en comble, elle dut bien admettre que sa partenaire de crimes n’était pas là. Et en l’absence d’une quelconque forme de technologie pour la contacter, Anna dut se creuser les méninges toute seule pour trouver une solution. Par manque cruel de bonne foi et secrète envie de se noyer dans l’alcool, elle vint rapidement à la conclusion que la jeune femme devait être encore une fois à l’Arène, où Anna elle-même n’avait pas remis les pieds depuis cette foutue mission ratée. Aussi n’était-elle pas très enjouée quand elle se décida à aller jeter un oeil pour retrouver sa complice. On la laissa entrer sans trop de mal, mais une fois à l’intérieur du bâtiment, elle n’était pas sûre de savoir où aller.

Ce fut ainsi qu’elle se retrouva à la Taverne, à commander un verre de leur gnôle du moment. Jusque là, aucun soucis. Sauf quand on lui demanda de payer et qu’elle exigea qu’on mette sa consommation sur la note de Robin. L’homme derrière le bar n’en avait absolument aucune intention, sous prétexte qu’elle n’était ni Robin, ni même sa femme ou n’importe qui que Robin connaisse. N’importe quoi ! Stressée, agacée, Anna fit ce qu’elle savait faire de mieux et attrapa l’homme par le col de sa chemise. En quelques secondes à peine, elle se trouva au centre d’un petit cercle d’armes toutes pointées dans sa direction. Un sourire désabusé s’imprima sur ses lèvres et, tout doucement, elle laissa sa victime retomber sur le sol. “Allez trouver Robin !” cria-t-elle aux gardes. “Il vous dira que je peux boire à l’oeil sur son ardoise ! Allez, bougez-vous !”

Malgré sa demande qui se révèle être un ordre sans l’ombre d’un doute, pas un seul homme n’avait l’air prêt à bouger pour obéir, arrachant un regard proche de l’incrédulité qu’Annalise glissa sur l’assemblée. De toute évidence, l’Arène n’était pas un endroit pour elle. Ça lui avait bien rendu service quand Sidney et elle crevaient de faim et qu’on les autorisait à participer à quelques Hunger Games pour résoudre ce problème, mais depuis que le jeune homme avait disparu, Anna et l’Arène ne s’entendaient plus tellement. À croire que Sidney était tout ce qui faisait le charme de cet endroit, ce qui - sans vouloir offenser son ami - se révélait une véritable insulte pour ce lieu.

La patience d’Anna s’épuisait à la vitesse de la lumière. Heureusement pour les crétins prêts à en découdre avec elle, le Destin se chargea d’exaucer ses prières et Robin entra dans la Taverne avec tout le charisme et la classe d’un Deus Ex Machina dans une pièce à très petit budget. Pour le principe, la chasseuse de primes lança un regard meurtrier à chacun des hommes ayant refusé de lui obéir sagement tandis que le champion leur demandait de faire exactement ce qu’elle désirait. Elle n’essaya pas non plus de masquer son air suffisant quand elle rejoignit le jeune homme à la table de son choix. “J’vois que vous n’avez toujours pas bossé sur l’hospitalité, par ici.” lui fit-elle remarquer, plutôt que de répondre aux questions parfaitement justifiées qu’il lui posa. “J’te préviens que si la minette en fauteuil roulant débarque pour m’enrôler dans l’une de vos missions suicides, j’me casse. Alcool gratuit ou pas.”

Un autre regard noir fit office de remerciement au type en tablier qui leur apporta les verres si dûment mérités. “Bref,” reprit Anna quand l’homme fut suffisamment éloigné pour qu’elle ne craigne pas qu’on entende ce qu’elle avait à dire. “Tu te souviens de la nana à l’arc qui est venue nous sauver la mise, la dernière fois ?” Elle ne connaissait pas très bien Deena, mais elle en savait assez sur la jeune femme pour savoir qu’il valait mieux ne pas prendre le risque de trop en dire. Dieu seul savait ce qu’elle pouvait avoir raconté ici pour qu’on la laisse aller à sa guise et Anna ne comptait certainement pas prendre le risque qu’on suspende ses privilèges pour une seule petite information d’apparence inoffensive. “Disons que c’est une bonne amie. J’ai besoin de lui parler, mais elle répond pas au téléphone, tu vois. Je sais qu’il lui arrive de traîner ici, donc j’suis venue voir si elle était pas dans le coin. Tu ne l’aurais pas vu, par hasard ?” Avec son éternel air revêche, elle n’était pas sûre d’être très convaincante sur la partie “amicale” de sa relation avec Deena, mais ça valait toujours le coup d’essayer. Elle n’avait pas l’impression que Robin soit un mec très malin, de toute façon. Il relevait clairement le niveau intellectuel général de l’Arène, mais elle n’avait pas vraiment le sentiment qu’il soit un génie non plus.

Sans qu’elle ne comprenne trop ce qui clochait chez lui, Anna observa son adorable faux-frère avaler sa bière par les naseaux et essayer tant bien que mal de survivre en recrachant à l’aide d’une toux de tuberculeux, n’allant pas plus loin qu’un haussement de sourcil perplexe. Ce qui l’intéressait réellement vint quand monsieur retrouva la capacité de parler et respirer en même temps. Deborah ? Comme elle l’imaginait, le pass VIP de Deena était donc basé sur un certain nombre de mensonges, à commencer par son identité. Et ils ne s’arrêtaient pas là. Même si, honnêtement, Anna n’aurait pas su dire ce qui était vrai ou non dans toutes ces histoires, ni même si elle connaissait quelque chose qui soit réel au sujet de sa super grande amie Deena. Ça lui était franchement égal, aussi se contenta-t-elle d’opiner du chef avec l’air de la nana qui savait totalement de quoi on lui parlait, enregistrant au passage les informations qui l’aideraient à ne pas bousiller la couverture de sa partenaire de crime.

“Sans offense, je préfère qu’on gère les retrouvailles en tête à tête.” lâcha-t-elle quand Robin eut l’extrême gentillesse de lui proposer son assistance dans sa quête de Deena. “On doit parler de trucs de filles, de toute façon, j’suis sûre que t’as pas envie d’être mêlé à ça.” Elle lui offrit un magnifique sourire hypocrite et se replongea dans son mutisme, occupée à réfléchir à ce qu’elle comptait faire maintenant… Retrouver Deena et mettre les choses au clair concernant leur plan n’était pas vraiment urgent après tout, elles n’avaient pas besoin d’en parler dans l’instant. Et puis, elle avait sans doute d’autres infos intéressantes à tirer de Robin, qui visiblement, appréciait tout particulièrement partager les ragots du coin avec le premier venu.

Elle releva les yeux vers lui quand il prouva sa dernière pensée en posant la question la plus inutile qu’elle ait jamais entendu. “Pourquoi elle mentirait là-dessus ?” demanda-t-elle pour toute réponse, car franchement, elle n’avait aucune foutue idée de si Deena avait été mariée ou non une fois dans sa vie. Elle connaissait le bébé, mais pas le père, clairement. “Quitte à s’inventer une vie, autant que ce soit une histoire de fortune et de villa sur la plage plutôt qu’un mari visiblement idiot et un gosse… Ca ne veut pas dire qu’elle n’est pas capable d’être démerde et mariée à un crétin en même temps.” Elle haussa les épaules et avala une longue gorgée de son verre encore plein, avant d’appuyer ses coudes sur la table et de se pencher vers son informateur. “On s’intéressera à Deborah plus tard,” souffla-t-elle, avec son air de conspiratrice, “c’est une amie super, mais les ragots c’est pas trop son truc alors, mon cher frère, c’est à toi qu’incombe la tâche de me mettre à jour sur tout ce qu’on raconte à Détroit ! T’en connais quelques uns sur Fort Hope ? Je t’offre une autre bière sur ton ardoise ?”