La première chose que l'on remarque lorsqu'on rencontre Aaron, c'est qu'il est très vif : débordant d'énergie, il est toujours à devoir faire quelque chose, ce qui tend parfois à l'hyperactivité et peut très vite agacer. De ce fait, il est aussi très impatient et ne supporte pas de devoir attendre avant de passer à l'action, ce qui le pousse parfois à prendre des risques inconsidérés et fait de lui un véritable casse-cou. Mais sous ces airs de tête brûlée sans cervelle, Aaron est aussi quelqu'un de très malin mais surtout extrêmement débrouillard : il sait parfaitement observer ce qui l'entoure et faire chauffer ses méninges pour se sortir de situation où il s'est lui-même fourré la plupart du temps... C'est aussi un grand sensible insoupçonné : il est très attentif envers les gens qui l'entourent et fait toujours preuve d'une grande empathie à leur égard, en plus d'une forte loyauté ; il fera tout pour protéger ceux qu'il aime et ne les trahira jamais. Cependant, il peut se montrer terriblement rancunier, voire revanchard si l'on trahit sa confiance qu'il ne donne d'ailleurs qu'une fois. C'est un jeune homme très persévérant qui n'abandonne jamais et peut aussi se montrer extrêmement têtu. Il est aussi très fier et assez susceptible envers les railleries concernant ses échecs, qu'elles soient dérisoires ou non. Enfin, Aaron a aussi un côté très immature dans le sens où c'est un grand gamin qui ne sait pas toujours où s'arrêter mais aussi parce qu'il est trop possessif et un brin jaloux : ce qui est à lui est à lui, et mieux vaut ne pas s'en approcher.

Je vais mourir. Ma tête tourne et je n'arrive presque plus à distinguer ce qui m'entoure à travers le sang qui s'écoule de mon arcade sourcilière. La fin est proche pour moi, il faut être naïf pour ne pas le croire. Je n'aurais jamais imaginé tenir si peu de temps que ça tout seul. Je me voyais déjà rétabli et sillonnant les restes fumant de Détroit, dégommant du rôdeur sans que rien ne puisse m'arrêter. Une semaine tout seul et je suis déjà sur le point de me faire bouffer... Si seulement j'avais su ça, jamais je n'aurais souhaité sortir des murs protecteurs. Si seulement je pouvais revenir en arrière, avant que tout s'effondre à Centre Line... Ou mieux, avant que les morts décident de revenir nous hanter... Je sens que je suis en train de perdre connaissance... Je suis en train de sombrer, et je ne très certainement plus jamais me relever... Ou du moins pas vivant...

"Aaron ! Aaron, lève toi ! Dépêche toi !" Duncan. Toujours aussi brusque, comme à son habitude. Chaque fois qu'il me réveille, j'ai l'impression de regarder dans un miroir. Un miroir qui crie et qui secoue dans tous les sens, mais un miroir quand même. Je ne m'y ferais jamais, même après 27 ans, et pourtant je ne serais rien sans mon jumeau. Il sort en trombe de ma chambre, claquant la porte au passage pour bien me faire comprendre qu'on est en retard et que c'est principalement ma faute. J'enfile une paire de jeans et un T-shirt qui n'a pas l'air trop sale, et je sors à mon tour. En bas des escaliers, toute ma famille est réunie : mes parents, mon frère évidemment, sa femme Kristen et leur fils Timmy et même Buzz, notre chien. Je me souviens de ce jour-là ! C'est le jour où on a accompagné Duncan et sa famille à l'aéroport de Détroit, le jour où ils sont partis s'installer à Cologne. C'est la seule fois de ma vie où mon frère et moi avons pleuré en nous séparant, à l'aéroport... C'était aussi la première fois où nous allions être séparés pendant un long moment et sur une aussi longue distance... Je me rappelle avoir passé le trajet de retour à la maison muré dans un profond silence que mes parents ont jugé bon de ne pas interrompre, et à caresser le chien en guise de réconfort...

Je crois entendre un grognement grave et sourd, et percevoir une faible lumière ; je fais une vaine tentative pour ouvrir les yeux, mais je replonge dans l'inconscience, sans en être réellement sorti.

Je suis dans le box d'un des cheveux au zoo. Une belle jument rouan, fraîchement arrivée, et qui a besoin d'être débourrée. J'esquisse un petit sourire en coin : le débourrage n'a jamais été une étape facile pour un cheval, et surtout pour un dans ce genre, nerveux et énergique. Mais c'est un défi, et tout le monde sait très bien que j'adore les défis. Je me souviens aussi parfaitement de ce jour là... C'était environ un mois avant que tout s'effondre. Un mois avant que le monde se change en terrain de chasse pour le pire prédateur que l'homme ait jamais connu : le rôdeur. Je m'en souviens très bien parce que ce jour là, j'ai relevé un défi que j'aurais mieux fait de ne pas accepter étant donné la suite des événements : après seulement quelques minutes à monter la jument, elle s'est emballée et m'a tout simplement projeter au sol. J'ai l'habitude de ce genre de chute, et puis les accidents sont courants pour les soigneurs de zoo, seulement, tomber sur le tibia, ça ne fait jamais du bien, et cette fois-ci, j'ai une droit à une bonne fracture. Cinq mois dans le plâtre sans pouvoir sortir. Avec ce qui attendait l'humanité à peine quelques semaines après, je n'aurais pas pu aller bien loin de toute façon...

Encore ce grognement... Je retente d'ouvrir les yeux, et cette fois, j'arrive à percevoir pendant quelques secondes que je suis allongé dans un escalier. Il me semble distinguer quelque chose d'autre, une volée de marche plus bas, mais je sombre à nouveau avant d'en voir plus...

Maintenant, c'est Centre Line dont je me souviens. Cet endroit où je suis resté enfermé près de six long mois après le début de l'épidémie. J'ai eu beaucoup de chance de vivre à deux pâtés de maison de cette école, parce que lorsque l'épidémie a commencé, j'avais toujours une jambe dans le plâtre et je n'étais pas près de m'en débarrasser... Seul dans ma maison, je n'aurais pas donné cher de ma peau, mais Centre Line offrait une protection ultime : un endroit assez grand pour accueillir une bonne communauté, un parc grillagé pour faire pousser de la nourriture en plus des stocks de la cantine, la planque parfaite. Alors quand on a tous enfin compris que nous n'étions pas près de retrouver notre quotidien, nous nous sommes tous rassemblés comme d'un commun accord dans cet endroit. Oh bien sur, ma participation à la communauté a été très limitée : des six mois d'épidémies, j'en ai passé cinq dans le plâtre, et les deux dernières semaines en rééducation, si on peut appeler ça comme ça... Si je devais résumer simplement, ma vie était sensiblement normale considérant ce qui se passait à l'extérieur, et j'ai passé plus de temps assis à lire des bouquins et à me morfondre de mon inutilité qu'à autre chose. Je bouillonnais de pouvoir enfin me rendre utile, aller à l'extérieur, tuer des rôdeurs et explorer les alentours quand tout s'est effondré. En une nuit, notre communauté est partie en fumée à cause d'une brèche dans une des grilles causée par une horde de rôdeurs plutôt massive. Je me souviens aussi de ce jour là : la panique qui s'est diffusée comme une traînée de poudre, les gens se faisant dévorés juste sous mes yeux, ces gens que je connaissais bien et qui partageaient ma vie depuis le début de la fin. Et je me souviens surtout de ce sentiment horrible d'impuissance. De ne rien pouvoir faire malgré le fait que je pouvais à nouveau bouger normalement. Moi qui voulait être confronté à l'épidémie en face à face, je me retrouvais totalement démuni et aussi effrayé qu'on puisse l'être...

Une nouvelle fois ce grognement, plus fort désormais. J'ouvre les yeux, lentement mais sûrement, en sentant la brume se dissiper de mon esprit. D'une manière ou d'une autre, je ne suis toujours pas mort, et je reprends même connaissance pour de bon. Après plusieurs secondes de concentration, je me rends compte que je suis étalé sur le palier d'un escalier, la tête pendant dans le vide d'une marche. Mes yeux se fixent inconsciemment sur la source du grognement : un autre corps, étalé plus bas dans les marches et dont les membres sont agencés d'une manière qui est tout sauf naturelle. Peu à peu, ça me revient : la maison que j'ai tenté d'explorer désespérément pour de la nourriture, le rôdeur enfermé à l'étage, la lutte pour ma survie et notre chute dans les escaliers. Je me relève et sens ma tête tourner et en passant la main sur mon visage, je me rends compte qu'une partie est couverte du sang coagulé qui s'échappe encore un peu de mon arcade. Une douleur à la jambe gauche m'indique que la chute n'a manifestement pas fait de bien à mon ancienne blessure au tibia, mais pour autant que je puisse dire, je n'ai rien de cassé. M'appuyant contre le mur, j'examine à une distance de sécurité le rôdeur qui claque furieusement des dents en bas de l'escalier : je soupçonne qu'il a eu beaucoup moins de chance que moi dans sa chute, et qu'il s'est cassé plusieurs membres et notamment le cou, parce que sa tête est la seule chose qui a l'air de bouger. Je pousse un long soupir qu'on pourrait qualifié de tragique ; même quand je survis à ma première attaque en face à face, c'est uniquement parce que mon adversaire est incapable de se déplacer jusqu'à moi pour me bouffer... Prudemment, je descends les marches qui nous séparent, me saisi de mon couteau de fortune – un vieux couteau suisse rouillé trouvé il y a à peine deux jours – vise un des yeux de ce qui était autrefois une femme dans la trentaine à en juger par ses traits en décomposition, et enfonce mon arme jusqu'à la garde. Je m'assois là où je me trouve et dois réprimer une envie de vomir. Premier rôdeur tué, et j'ai déjà l'impression d'être devenu un sauvage sans état d'âme. Je sais pourtant que désormais, c'est eux ou moi, et que ces choses n'ont d'humaine que l'apparence, mais je ne peux pas m'empêcher de me sentir terriblement mal.

Je reste un moment comme ça, sans bouger, à fixer le plafond. Depuis que Centre Line a été réduit à néant, je n'ai croisé aucun être humain. Il semblerait que les potentiels survivants – s'il y a eu quelqu'un d'autre que moi – se soient dispersés dans des directions opposées. J'ai passé ses deux dernières semaines à chercher de l'aide, à éviter les rôdeurs comme la peste, à chercher de la nourriture que j'ai eu plus que du mal à trouver et une arme autre qu'une pique de jardin que  j'avais ramassé à la va vite... Plus les jours passent, et plus je me dis que je suis potentiellement le dernier homme sur Terre. Le dernier survivant et qu'il est idiot de continuer la lutte. Je soupire une nouvelle fois, secoue la tête et me relève. Je finis d'explorer l'étage et découvre une boîte d'aspirine dans une table de chevet renversée, maigre récompense pour ma mésaventure. Au rez-de-chaussée, je retrouve mon sac et son maigre contenu éparpillé sur le sol : une bouteille d'eau à moitié vide, trois boîtes de conserves de flageolets, un pot de framboises en sirop et deux vêtements à l'aspect douteux. Voilà ce avec quoi je me dois de survivre. Parce que je sais que je ne pourrais jamais abandonner. Même si je suis forcé de manger ces satanées framboises et que je dois être boursouflé. Coûte que coûte je m'en sortirai et j'arriverai à survivre. Parce que je ne baisse jamais les bras, et qu'un jour je serai le survivant que j'ai toujours voulu être, et que je prendrai ma revanche sur la horde de Centre Line et reconstruirai une communauté digne de ce nom que je tiendrai éloignée du danger en me battant cette fois-ci. Voilà mon but. Voilà pourquoi je passe la porte de cette maison abandonnée, me lançant une nouvelle fois dans un monde hostile qui ne veut que ma peau. Je sais que quelque part, quelqu'un a besoin de moi, et je suis décidé à trouver cette personne.