Il avait beau essayer, Logan n'avait aucune idée de comment prendre cette situation. Ces deux gamins face à lui qui venaient simplement avec leurs affaires pour s'installer à la caserne... Qu'est-ce qu'il pouvait répondre à ça ? Ce n'était que des gosses, suffisamment vieux pour être en âge de se débrouiller tous seuls dans ce monde pourri, mais des gamins quand même. Et en même temps, la menace de l'hôpital, des militaires... Ils avaient quand même déjà récupéré Juliet, Eulalie et enfin Kelly, l'un de leurs soldats. L'armée connaissait clairement leur existence et pour le moment, ils ne s'étaient pas montrés menaçant, mais Logan préférait rester prudent que de voir débarquer des hommes dans des chars, armés jusqu'aux dents pour prendre le contrôle sur ce qu'il s'était évertué à construire depuis des mois.

Il essayait de jauger ces deux adolescents, ne les lâchant pas des yeux, se montrant aussi froid et sûr de lui que possible et même s'il ne se laissait clairement pas impressionné par deux gamins, il était tout de même surpris de voir l'assurance de celui qu'il connaissait déjà. Il ne doutait pas de lui, même en se retrouvant face à un homme comme Logan, qui était plutôt du genre impressionnant du haut de son mètre quatre-vingt quinze. Les muscles, la barbe, les cheveux trop longs et le fait qu'il dépassait généralement tout le monde d'au moins une tête, l'homme s'était habitué à ce qu'on baisse les yeux devant lui et qu'on le craigne avant toute chose. Mais ce gamin tenait bon. L'autre en revanche, restait toujours en retrait, il ne disait rien.

Le premier garçon répondit aux deux questions de Logan, lui apprenant leur âge qui était exactement ce à quoi l'homme s'attendait. Ce qu'il n'avait pas vu venir par contre, ce fut la réponse à sa seconde question. Effectivement, il n'avait rien d'un tueur. Il y avait été forcé parfois, malheureusement, mais s'il pouvait l'éviter, il le faisait. Et laisser deux ado à leur sort, ce n'était pas très sympathique de sa part, fallait bien l'avouer.

« Qu'est-ce que vous avez sur vous ? » demanda-t-il pour toute réponse. Il n'avait aucune intention de se justifier auprès de deux inconnus, ils venaient sur son territoire, on jouait selon ses règles. Et puis ne pas laisser mourir deux gosses, ok, mais avoir deux bouches de plus à nourrir, ça n'allait pas être négligeable pour le groupe. « De la nourriture ? De l'eau ? »

Il restait un autre point à mettre au clair avant d'aller plus loin. Deux en fait et le leader comptait bien s'y atteler maintenant. « Écoutez, j'vous laisserais pas dehors cette nuit si vous refusez de retourner à l'hôpital, mais vous devez être bien sûrs de vous avant d'entrer. On ne vit pas en démocratie ici, c'est pas une communauté hippie où tout le monde fait ce qu'il veut et j'suis pas sûr que vous verrez le changement avec l'armée. Il y a des règles, vous devrez me rendre des comptes et participer. Mais si vous faites attention et que vous obéissez, tout se passera bien pour vous. »

La situation était pour le moins inhabituelle et Logan ne savait vraiment pas comment agir face à ces deux garçons. Il ne pouvait décemment pas les laisser dehors ou les renvoyer aux mains de l'armée, pas si l'un d'entre eux avait réellement blessé ce gamin volontairement. Mais laisser entrer deux autres personnes dans le groupe ? Nourrir encore deux personnes ? Ils avaient déjà du mal à se nourrir eux-même... Il leur demanda quand même ce qu'ils avaient sur eux, espérant sincèrement qu'ils seraient venus avec suffisamment de nourriture pour remplir un peu leurs réserves. Malheureusement, ça n'était pas le cas. Rien du tout, même pas une fichue bouteille d'eau ? Ce serait compliqué de faire avaler la pilule à certains habitants de la caserne... Mais le gosse avait raison sur un point : Logan n'était pas un meurtrier, même pas au mauvais type. Il essayait pourtant, mais il se sentait vraiment incapable de leur tourner le dos sans rien dire de plus et de les laisser à leur sort. Il y avait déjà bien assez de merde dans le monde comme ça, il refusait d'en rajouter une couche en étant lui-même un enfoiré sans aucune raison. Il n'y avait qu'à envoyer une équipe chercher quelques trucs à manger demain et prendre sur lui de convaincre Roman de se montrer sympa...

Ce serait un point compliqué aussi. L'adolescent qui n'avait presque pas parlé jusque là, celui qui s'occupait visiblement de porter les courses, précisa quand même qu'il était parfaitement capable de prendre soin d'un jardin. Bon, c'était peut-être déjà ça. Même s'ils ne manquaient pas vraiment de jardinier ici, ça libérerait du temps pour d'autres pour des sorties, peut-être. Il fallait seulement que ces deux gosses soient sûrs d'eux avant de tenter l'expérience. Parce que s'ils n'avaient pas supporté de vivre sous le joug de l'armée, pas sûr qu'ils arrivent à se faire au règne de Logan et Roman. Ils n'étaient peut-être pas si méchants que ça, ils n'en restaient pas moins des hommes prêts à tout pour survivre et pour faire survivre leur groupe. Y compris prendre des décisions difficiles et donner des ordres pas toujours de manière très polie. Et ils attendaient l'un comme l'autre une obéissance pleine et aveugle, en toutes circonstances. Jamais sans raison, du moins de leur point de vue.

Alors, l'homme prit le temps de leur préciser ce fait. Qu'ils soient bien au courant et qu'ils puissent prendre leur décision en connaissance de cause. Ce ne serait pas une partie de plaisir à chaque fois et il faudrait du temps pour que le reste du groupe arrive à les accueillir et les accepter totalement. Du temps et qu'ils fassent leurs preuves. Ne pas commettre d'erreur, ne pas mettre les autres en danger. Ils lui assurèrent que ça irait, que rien ne pouvait être pire que le régime des militaires. Pour sûr, Logan n'irait pas tirer sur l'un des siens à moins d'avoir une excellente raison et à l'heure actuelle, la seule raison qu'il voyait à cela aurait été une morsure. En venir aux mains n'était pas à exclure, mais une blessure par balle, non merci. De toute façon, ça prenait trop de ressources s'il fallait en plus la soigner ensuite.

« D'accord. Entrez. On va finir de discuter à l'intérieur avant de se faire repérer. » lâcha-t-il en jetant un regard autour d'eux. Pour le moment, la rue était relativement calme, ils prenaient le soin de nettoyer les alentours de la caserne régulièrement pour éviter les mauvaises surprises, mais on ne pouvait jamais vraiment savoir pour combien de temps. Aussi, le leader ouvrit la marche, tournant le dos aux deux garçons pour retourner vers la caserne, ouvrir la porte et pénétrer dans le bâtiment. Il les laissa entrer et referma derrière eux, puis les précéda jusqu'à la salle de réunion qui se trouvait au fond du bâtiment, traversant le couloir sans se retourner.

La pièce était large et occupée par une immense table entourée de plusieurs chaises. Autrefois, il devait y avoir tout un tas de choses sur les meubles poussés contre les murs, mais désormais, les survivants ayant pris le contrôle des lieux ne disposaient plus de grand chose et seules quelques cartes et quelques feuilles de papiers recouvertes de différentes listes occupaient le centre de la grande table. Des plans de la ville, des listes des endroits qu'ils avaient pris le temps de visiter, quelques informations glanées sur l'hôpital et les survivants réfugiés là-bas, le détail de leurs stocks et de ce qu'il faudrait aller chercher, un planning complet des tours de garde. Ils parvenaient à s'organiser de mieux en mieux et c'était une très bonne nouvelle pour eux.

Logan ramassa toutes les feuilles et en fit un tas bien net avant de les ranger dans un placard, loin du regard des curieux. Il n'avait aucunement l'intention de dévoiler tout ce qu'ils savaient et tout ce qu'ils avaient à deux nouveaux venus, pas aussi facilement en tout cas. Puis, il tira une chaise et s'y installa, déposant son couteau et son revolver sur la table devant lui, avant d'inviter les deux adolescents à prendre place d'un signe de la main.

« Déposez vos armes sur la table. » exigea-t-il d'une voix neutre. Il voulait surtout s'assurer de ce qu'ils possédaient réellement. « Toutes vos armes, sans exception. Vous pourrez les reprendre après. » Seulement le temps de voir de quoi ils étaient capables, ce qu'il faudrait faire pour eux. Parce que s'ils ne savaient même pas se défendre, ça allait demander encore plus de travail. À leur âge, malheureusement, ils allaient être obligés d'apprendre à se débrouiller seuls. Logan s'arrangerait pour les y aider s'il le fallait, mais il voulait avoir le maximum d'informations à leur sujet avant de commencer à planifier la suite. « Vous avez déjà tué des rôdeurs ? » demanda-t-il en les regardant faire, les bras croisés sur la poitrine.

Avec attention, Logan observa les quelques armes que les deux jeunes garçons venaient de déposer sur la table. Rien de très effrayant en soi, juste le strict minimum de ce à quoi l'on pouvait s'attendre en cette période troublée. Lui-même en possédait à lui tout seul, autant que les deux garçons réunis. Et partagé entre l'effarement et la lassitude, il posa la première question qui l'intéressait : à savoir si ces deux-là seraient capables de se débrouiller seuls face aux rôdeurs, plus précisément s'ils l'avaient déjà fait par le passé. La réponse ne le surpris absolument pas, celui qui parlait pour deux savait prendre les choses en mains, le discret restait à peine visible. Un enfant, comme il aurait du l'être.

L'homme avisa une nouvelle fois les deux visages devant lui, gardant le silence le temps de les détailler et d'essayer de percer un peu plus qui ils étaient. Certaines questions trouvaient des réponses sans qu'il n'ait besoin de les formuler, ce qui l'inquiétait réellement dans le fait d'accueillir les deux enfants, c'était surtout celui qui l'ouvrait le plus souvent. Il avait ce petit quelque chose de dérangeant. Sa façon de regarder Logan comme s'ils étaient à égalité, comme si rien de ce qu'il ferait ou dirait ne pouvait l'impressionner. Comme s'il n'hésiterait pas à reprendre son arme sur la table pour lui tirer une balle entre les deux yeux au moindre faux pas. C'était tout à son honneur, au moins survivait-il dans ces conditions plus que discutable, mais la caserne disposait de deux leaders plutôt du genre ours mal léchés et ils devaient pouvoir compter sur la loyauté et l'obéissance de ses membres. Malheureusement avec celui-là, ça ne semblait pas gagner et Logan n'aimait pas tellement l'idée d'avoir auprès de lui quelqu'un à qui il ne pourrait pas faire entièrement confiance.

Finalement, après quelques minutes d'observation silencieuses, Logan se remit debout et fit quelques pas de son côté de la pièce, allant jusqu'à une fenêtre pour regarder dehors un instant. Puis, il se retourna pour leur faire face. « Vous allez devoir rencontrer l'un de nos médecins, pour une petite visite de routine. » Il s'approcha un peu et se planta devant les deux garçons, prenant appui sur la table pour se pencher sur eux. « Et je le répète. Ce n'est pas le club med ici. Il y a une enfant, des gens qu'il faut protéger. Tous vos actes auront des conséquences. » Pendant quelques secondes, Logan soutint le regard du garçon. D'une manière ou d'une autre, il était déjà convaincu que celui-là lui causerait des problèmes. Que son insolence aurait des répercussions désastreuses sur Roman, ou qu'il finirait par les trahir d'une manière ou d'une autre. Il s'éloigna finalement de quelques pas, reprenant : « Vous dormirez dans la salle à manger face à ma chambre pendant quelques jours et on vous trouvera du travail demain, venez. »

Aussitôt dit, l'homme retourna près de la porte qu'il ouvrit pour mener les deux garçons jusqu'à la pièce mentionnée. C'était autrefois la salle à manger des pompiers, une pièce relativement vaste, encombrée d'une large table et de plusieurs chaises qui avaient été repoussées contre un mur. Les survivants y avaient descendu le canapé de la salle de repos pour pouvoir la transformer en infirmerie. L'endroit semblait un peu lugubre, mais c'était une pièce relativement sécurisée pour installer un nouvel arrivant le temps qu'il fasse ses preuves. La porte donnait directement en face de celle de la chambre de Logan, il pouvait entendre au moins problème et veiller sur les nouveaux venus jusqu'à ce qu'ils aient fait leurs preuves.

« Je vous laisse vous installer, je reviendrais avec un médecin. » L'homme alla pour quitter la pièce, mais revint rapidement sur ses pas, pour ajouter : « Oh, inutile de préciser que vous restez ici jusqu'à ce que je revienne. On vous fera faire la visite après votre examen. » Enfin, il les laissa seul et se lança à la recherche de l'un des trois médecins qui constituaient leur groupe.