Je sais que je n’aurais pas dû sortir. J’ai un mal de chien à la cote. Et je viens de mettre trois plombes pour monter un pauvre étage d’escalier, et accessoirement finir un moisi qui s’était vautré. Mais voilà, j’ai besoin de me vider la tête. D’oublier la louve qui rêve de me voir mort pour de bon, d’oublier tic et tac qui n’arrêtent pas de faire les beau pour attirer son attention, d’oublier Lobos qui se barre avec mes outils et me rend fou, d’oublier Bruce et sa cousine…

Je sais ce qui m’aiderait à rester tranquillement c’est d’avoir le dernier tome de la Killogy de Deadpool et aussi de nouveaux Capitain America.

J’enjambe un moisi franchement tué. Immédiatement je saisie mon arc avant de faire une grimace de douleur. Putain je vais quand même savoir bander mon arme non ?

Putain de bordel de sa mère la pute, si j’avais pas déjà buté le type qui m’a défoncé la cote, ouvert le crâne et le bras, je jure que je le finirais façon Fossoyeur là tellement que ça me fait chier.

Je respire un grand coup et tient bon en marchant avec l’arc bandé. D’habitude j’adore cet endroit c’est un peu ma deuxième caverne d’Alli baba pour ma collection de comics. Et je vis mal qu’une autre personne que moi ait pu entrer dans ce sanctuaire. Je pensais qu’il n’y avait que moi d’assez con pour préférer chercher des BD plutôt que de la bouffe.

J’avance doucement quand j’entends une voix de femme qui chante… ?

Sans déconner ?

Il y a des pauses dans la chanson et ça sent la clope.
Je m’avance un peu mieux pour voir… non ce ‘est pas possible, j’ai eu un pire coup à la caboche que je ne le pensais. Mais impossible de me planter. Cette nana est sur plein de poster pour annoncer une séance de dédicaces.

« Bernadette Mackenzie ? La nana qui a fait Sir Shaper ??? »

Je reste un peu benêt, l’arc armé vers le sol debout devant elle. Je ne sais pas trop comment réagir devant un super auteur de comics juste assise là où je me fous d’habitude pour bouquiner. En plus elle lit Conan. Ca ne peut être qu'un délire de mec qui a un trauma crânien non?

En même temps c’est vrai que quitte à halluciner un auteur de comics, en choisir un avec des nichons et un beau minois, c’est pas plus mal. Mais bon j’aurais bien aimé quand même croiser Fabian Nicieza, parce que j’ai plein de questions à lui poser à celui-là.

J’ai du mal à ne pas me marrer en la voyant sursauter et se vautrer. Je pouffe un poil quand même devant se spectacle ce qui me fait terriblement mal. Si c’est une hallucination, j’aurais préféré un truc plus sexy.

« Euuuh, oui c'est moi. Tu connais mon travail !?
-A priori tu devais venir ici, je pense, avant que les morts se décident à venir nous faire chier, donc difficile de passer à côté. Je ne vais pas te mentir, si t’as des soucis d’ego, vas dans la remise: y a des cartons de toi grandeur nature… enfin…»

Je la regarde un peu mieux.

« Je dirais un poil plus grand que nature. »

Quand elle me tend la main j’hésite, pas seulement à cause de ma cote, mais parce qu’elle pourrait bien cacher un couteau dans sa manche et en profiter pour me planter. Je ne sais pas encore ce qu’elle a comme pet au casque mais je la trouve anormalement détendue si elle n’est pas une hallucination résultant de mon trauma crânien.

Et puis merde, je soupire, débande mon arc pour le laisser passer que sur une main et attrape de l’autre son bras tendu pour la relever.

Alors, avoir une cote cassé ou vrillée, ou en vrac, parce que sans radio, c’est pas simple à savoir, ça se traduit par UNE PUTAIN DE DOULEUR !!! Pas seulement quand je respire ou quand je bouge, mais aussi quand j’essaye de faire un mouvement qui implique de soulever une auteur de BD qui, avouons-le, doit faire un peu plus que 10 kg (ca va la ? je risque pas de vexer personne, genre j’ai pas dit plus de 60 kg ?).

Bref, malgré toute ma bonne volonté, non seulement elle reste au sol après un maigre décollage mais en plus je fini avec un genou à terre à me dire que je risque de tourner de l’œil tellement j’ai mal.

Je lève la main dans un signe qu’il faut me laisser un petit instant avant de pouvoir parler. Sinon je risque de faire comme quand je me cogne le gros orteil quelque part, c’est sur la première personne qui passe que je gueule comme un putois.

Dès que je peux parler j’ajoute avec une pointe d’humour :

« Désolé, des restes d'une mauvaise rencontre… en même temps, c’est bien par terre pour discuter. C’est tellement surfait les sièges. Et puis, t’es pas un peu la bourre pour ta séance de dédicace ? »

Je souri à son humour. Je l’imaginais pas vraiment comme ça la nana du carton de la remise. Quand je la vois sortir son couteau et le poser par terre ça me rappelle un passage de sa BD. Ok, le signe d’une trêve pour Sir Sharper, avec un clin d’œil je fais sortir un de mes couteaux, sans préciser que, contrairement à son héros, j’en ai encore un dans la manche et un dans la botte pour le poser au sol devant moi.

« Écoute, si tu me promets de ne pas me trucider, je promets de ne pas t'agresser.
-Si tu me promets de ne pas abuser de moi, je te promets de ne pas de zigouiller ? »

Je n’ai pas pu me retenir avec un clin d’œil. Mon humour pourri me tuera. Mais tant pis on ne se refait pas.

« Sans rire, t’as rien à craindre, je ne vais pas gâcher mes seules chances d’avoir un jour la suite des aventures de Sir Sharper, surtout qu’avec ce qui se passe, je pense que tu as matière pour un « Sir Sharper au pays des zombis ». Au fait je m’appelle Is.. Robin.. Juste Robin.»

Je ne l’a connais pas mais je me sens a l’aise avec elle. Peut être a force d’avoir vu sa tête sur les cartons j’en suis venu a un peu la considérer comme une personne « familière ».

Et puis, elle n’a pas l’air d’une prof du kung fu ou d’une Texane mordue de la gâchette. C’était quoi sa bio déjà ? Fac d’art ou un truc comme ça. Bref, pas vraiment le profil type de la personne sur laquelle ont aurait pu parier pour survivre. Quoiqu’en lisant ses livres, on sent bien qu’elle est tout sauf con. Son héro a tout le temps des idées de fous pour se sortir des pires pièges. Même perdu dans le temps.

Elle accepte de rester au sol. Je l’en remercierais presque pour mon égo déjà mis a mal par cette situation un peu irréelle.

« Tu sais, je n'y connais pas grand-chose en médecine mais je peux essayer de regarder si je peux faire quelque chose pour t'aider. Qu'est-ce qu'il t’arrive ?
- J’ai oublié qu’il n’y a que dans les films qu’on peut se livrer à un corps à corps avec un putain de tueur et s’en sortir qu’avec classe et seulement quelques bleus. Mais t’inquiètes, j’ai déjà eu le droit au soin d’une infirmière qui a décidé de ne pas m’achever. Par contre si elle sait que je suis sorti me trouver de la lecture au lieu d’attendre sagement d'aller mieux, elle risque de m’achever… »

Je souris comme si c’était une blague, sauf que je n’en suis pas sûr. Skye me lance des regards noirs en permanence. Même si ça m’avait fait plaisir qu’elle me soigne, j’avais aussi été un peu étonné qu’elle ne me laisse pas crever tellement sa haine pour moi est palpable. Peut-être que Bruce l’a menacée ? Ou elle tient vraiment à ce que je lui répare son van… Difficile de comprendre cette étrange louve.

« Il est onze heures du matin hein ? Donc j'ai approximativement... huit mois et deux semaines de retard. Mais si tu veux, je peux te dédicacer une de mes BD en honneur de cette séance de dédicace qui n'a jamais eu lieu. Un peu d'eau ? »

J’explose de rire cette fois et m’arrête vite à cause de la douleur. Et non ce n’est pas parce qu’elle me propose de l’eau.

« Excuses moi, mais, n’est-ce pas un peu tôt pour y aller à l’eau ? »

Je sors de mon sac la bouteille de bourbon qui me sert d’anesthésiant depuis quelques jours et la fait rouler vers la jeune femme. Je me garde bien de me rapprocher de crainte de lui faire peur. Des rencontres, on en fait à Detroit, mais des aussi célèbres, c’est pas tous les jours.

« Si tu veux un peu de bourbon sert toi. Quant à la dédicace, si ça ne t’embête pas que je prenne un exemplaire que je ne vais pas acheter, c’est avec plaisir. Sans parler que j’ai un de tes plus grands fans au garage avec moi et qu’il ne me croira jamais quand je lui dirais que je t’ai croisée et pas qu’en carton ! »

Je ris à sa blague, je sais qu'il est tendu, être blessé vous met dans une situation inconfortable. Le fait qu'il ait déposé son couteau me prouve qu'il est honnête, ça me détend.
Je m'esclaffe lorsqu'il parle de Sir Sharper au pays des zombies.
- Ah ah en effet, j'ai même assez pour une saga, je devrais recenser l'histoire des personnes que je rencontre, ça pourrait donner une sorte d'autobiographie de l'apocalypse ! [...] Mais désolé je m'égard. C'est peut-être un peu trop récent pour le moment. Tu sais, j'ai déjà commencé à raconter la mienne.
Je souris en repensant à mon enregistrement audio, très fière de mon idée.
- Enchantée Robin. Je connais ce sentiment, je me suis prise de sacrées raclées cette année.
Lorsqu'il parle de son infirmière, ça me fait un peu penser à cette dimension patriarcale de la société sur laquelle faisait sa thèse une de mes collocs à l'université. Mais ce sujet n'est plus d'actualité pour moi, il n'y a que des survivants.
- Pour être franche, tant mieux parce qu'à part mettre un pansement ou brûler la plaie avec de la poudre à canon comme dans Rambo, je ne sais rien faire.
Je laisse échapper un "Ah ah" lorsqu'il accepte une de mes BD et la sort ainsi qu'un stylo. J'ouvre la première page et y écrit "Pour Robin, puisse l'apocalypse t'être supportable. Ce fut un plaisir de te rencontrer. - En souvenir de la convention de Cornerstone Village. - Bernadette Mackenzie" L'avantage quand on n'a plus qu'un seul fan, c'est qu'on peut s'inspirer plus pour les dédicaces.
Je dépose la BD assez près de lui pour qu'il puisse l'attraper et ramasse la bouteille de bourbon qu'il fait rouler vers moi.

J'ouvre la bouteille de bourbon et m'en sers un bouchon avant de le boire cul-sec. La boisson me brûle la gorge et j'aspire très fort de l'air pour tenter de calmer le feu qui croît maintenant dans mon estomac.
- Quand tu verras ton ami "au garage", ne lui parle pas de mon air de chameau assoiffé, je n'ai pas bu d'alcool depuis le début de tout ça. Et déjà avant, je ne me souviens pas d'avoir bu du bourbon.
J'attrape ma bouteille qui est toujours par terre et en rempli le bouchon de bourbon avant de refermer et de lui rendre sa bouteille. Pour qu'il puisse se servir.
- À la tienne, Robin.
Je lève mon verre comme pour trinquer à distance et le vide à nouveau.
Je reprends la parole d'une voix étouffée.
- On dit souvent que le second passe plus facilement, eh bien c'est faut !
Je bois une gorgée d'eau en la tenant comme responsable de ce que j’appellerai l'étape coupe-feu. L'alcool me monte un peu à la tête à cause de mon état de sous-nutrition mais je tiens le coup.
- Si cette question est trop personnelle ne te sens pas obligé de me répondre mais... est-ce que je peux savoir ce que tu entends quand tu parles du "garage" ?
Je souris, me doutant bien que s'il fait partie d'une communauté, il ne m'invitera pas mais ce serait intéressant de savoir s'il est au courant de la possibilité de groupes de survivants existants dans Seattle.

La voir grimacer en buvant le second bouchon me fait douloureusement marrer.

Je ne trouve pas de mots pour qualifier ce moment. Surnaturel a perdu beaucoup de son sens depuis que les morts se relèvent pour manger les vivants et que la civilisation telle qu’elle était s’est effondrée. Mais pourtant, il y a quelque chose de juste irréelle qui se passe. Exit la merde qui m’attend dehors, la pressions, la douleur, la dure réalité de ce que sont devenues nos vies.

Là j’ai juste l’impression d’être à une convention de bd, que dans pas longtemps un organisateur en cravate avec son badge va débouler en disant que le temps imparti avec Bernadette est fini et que je dois laisser ma place à un autre fan. Sauf qu’il n’y a pas d’organisateur, que s’il y a un autre fan dans le coin, j’ai peur qu’il ne soit quelque peu en état de putréfaction, et que quand je partirais d’ici, ça ne sera pas pour rentrer chez Logan et retrouver ma petite vie confortable.

Mais pour le moment je n’ai pas envie d’y penser. Je caresse doucement l’écriture de Bernadette. Elle n’a pas idée du beau cadeau qu’elle vient de me faire, mais j’aurais aimé que cela soit mon vrai nom dessus, pas celui de mon masque. Maintenant, je commence à me dire que Robin va devenir mon vrai nom, à par les Carter, qui sait encore qu’un Isha a existé ?

Son humour me plait bien et je comprends pourquoi Sir Sharper est une aussi bonne saga. Il y a pas mal de cette personnalité extravagante dans ce qu’elle écrit.

Je me sens détendu comme je ne pense pas l’avoir été depuis que Logan s’est barré, quelques mois avant que l’apocalypse nous tombe sur le coin du nez. Putain que ca fait du bien d’être juste là a me marrer sans m’attendre à crever dans les 5 minutes qui viennent.

« Merci ça me touche, tu sais que c’est ma première dédicace ? Par contre je pense que je vais te retirer la bouteille, pas sûr que je sache te porter en lieu sûr si t’es raide bourrée dans mon état. Et promis je dirais rien a Harvey sur…. Ce petit secret, comme je te dirais pas qu’il ne tient pas l’alcool. »

Je lui fais un petit clin d’œil. Harvey me tuera quand je lui dirais que j’ai trinqué avec l’auteur de Sir Shaper.

J’hésite un peu sur comment lui répondre à sa question. De toute façon je lui ai parler de la belle infirmière qui me hait et j'ai bien laissé entendre que je n'étais pas seul. Je ne me sens pas vraiment en danger avec elle. J'ai même du mal à l'imaginer "se faire tabasser" et survivre vu son gabarit.

« Avant je suis resté tout seul pendant 1 an, 2 mois et 11 jours. Et puis, un jour, je me suis plus ou moins fait ramasser par ce que je pensais être des sales types. Finalement, j’ai découvert qu’il y avait des gens qui s’organisaient dans ce bordel pour survivre ensemble. Avant je travaillais dans un garage, donc c’est un peu naturellement que je gère la mécanique maintenant… »

Repenser a ma vie d’avant me fait frémir. Cette côte cassée aurait signer mon arrêt de mort si j’étais encore seul et affamé, survivant à peine dans mon coin. Aujourd’hui des gens m’aident, me respectent d'une certainement façon, je peux manger même quand je ne suis pas en état de sortir trouver des trucs et j’ai même la possibilité de sauver des gens. Ça serait parfait si je n’étais avec tous ce qui avait survécu des pires prisons du coin et si mon protecteur n’avait pas un sacré pet au casque avec sa batte de baseball.

« Je ne sais pas si tu es toute seule ou si tu as des gens pour veiller sur toi et compter sur toi quand ça part en couilles… mais… si tu as besoin, je peux te trouver de la place chez nous ? »

En présentant bien les choses à Bruce, je suis certain qu’il serait flatté d’avoir un auteur capable d’immortaliser son œuvre et sa vie.

Je me sens presque pâlir quand elle parle de viole. Je n’ai pas arrêté de me poser des questions depuis que ça m’est tombé sur le coin du nez. Pourquoi, avec ce qui se passe autour de nous des gens se laissent aller à leurs pires pulsions. Ne devraient pas plutôt essayer de se battre pour survivre voire arranger les choses ?

Des animaux, voilà ce que nous sommes devenus le jour où ce qui représentait notre laisse a disparu, ça a été la foire d’empoigne. Le pire n’est pas forcément les morts qui déambulent mais bien les chiens fous qui ont survécus à n’importe quel prix et s’épanouissent sur la souffrance des autres.

Quant à ceux qui essayent de mettre un semblant d’ordre dans tout ça, soit ils sont sur la liste des proies à venir quand il n’y aura plus de gibiers plus faciles, soit ils ont dû perdre leurs âmes et se couvrir les mains de sang pour imposer un cadre.

Je la regarde faire son pauvre sourire. Quatre fois bordel… mais elle avait réussi à s’en sortir non ? C’est le principal. En même temps, si ça avait foiré pourrait-elle seulement en parler comme ça a un inconnu qui devait lui foutre la trouille en prime. Moi je n’arrive même pas à dire le mot « violer » à haute voix.

Je serre un peu les dents et manque de lâcher un grognement. Je ne suis pas étonné qu’elle n’ait pas confiance, en fait je suis surtout étonné qu’elle ne soit pas partie en courant ou que je ne me sois pas pris un couteau dans la tronche avant d’avoir dit bonjour.

« Je peux comprendre que tu n’aies pas envie de me suivre et… je suis désolé pour ton amie. On est dans un monde de fous. Si je peux faire quelques choses… »

Je me sens miteux, je n’ai même pas pris de ration de bouffe, a part lui laisser de l’alcool. Je ne peux pas lui donner quoique ce soit. J’hésite un peu avant de me lancer.

« Écoutes Bernadette, si un jour tu changes d’avis, il y a un panneau d’affichage ou je passe au moins une fois par semaine, laisses un mot dessus pour Robin en faisant gaffe quand même, je ne suis pas le seul à le lire, et je me démerde pour te retrouver ok ? Et ca sera pas pour te foutre dans une galère, t’as ma parole. »

Je lui file l’adresse du fameux panneau qui m’a servi pour garder le contact avec Logan.

« Un dernier truc, si tu rencontres des mecs du genre, bikers pas cool, manteau de cuir, batte de baseball, les Punishers du Fossoyeur, et que tu ne sais pas te barrer, dis leur que tu es sous la protection de Robin, le fils de Bruce. Je ne te garantie pas que ça marchera, mais au moins, ça te fera gagner du temps. »

Je suis étonnée qu’elle ait rencontré Bruce et qu’elle soit… enfin qu’elle ait encore sa tête ou ne soit pas des nôtres. Merde pourvue que son amie n’ait pas été tuée par un des mecs du groupe. Je n’ose pas lui demander. Je sais pertinemment que ce ne sont pas des saints, mais vu qu’au camp ils se tiennent, j’oublie parfois qu’ils sont un peu l’enfer de Detroit si on met les morts de côté.

J’essaye de lui sourire. C’est compliqué d’expliquer Bruce, et encore plus d’expliquer Bruce et Gertrude. Néanmoins qu’elle soit là à m’en parler calmement me prouve une chose : elle est encore plus futée que je ne le pensais. Car on ne prend pas Bruce de force.

« Tu sais on a tous un pet au casque après autant de temps à vivre avec des morts qui veulent nous bouffer et des vivants qui déraillent, je vais t’avouer qu’après un an seul, j’ai commencé à parler à ma moto et je lui ai même donné un petit nom… »

Je dis ça sur le ton de plaisanterie, mais pourtant c’est tellement vrai. Gisèle a été mon ancre pour ne pas dériver dans la folie de la solitude. Je crois que je n’ai jamais parlé autant à quelqu’un qu’elle.

« Je vais pas te contredire, Bruce en tient une sacré couche, quand il m’est tombé dessus, j’étais sûr que j’allais finir avec sa batte dans la tronche. Et puis, coup de bol, il m’a jugé utile, il m’a ramassé et ma collé à son garage. Ça a mis du temps, mais j’ai fini par comprendre l’homme derrière la façade. Il doit commander les pires raclures de prison qui soient encore en vie dans le coin, alors crois moi, s’il ne passe pas pour un dangereux psychopathe, il se fera bouffer et on aura des chiens fous sans laisse de lâché en ville. Mais quand il est loin d’eux, il n’est pas pareil. Je n’essaye pas de prendre sa défense, je sais qu’il est dangereux et je suis positivement surpris de te voir m’en parler si tranquillement, ça prouve que votre rencontre s’est pas trop mal passé ou que tu es vraiment doué pour survivre seule. Maintenant si tu veux faire ton apprentie psy, sache que son meilleur pote a sacrifié sa fille, perso, j’étais déjà presque seul quand la merde est arrivée, donc je ne peux qu’imaginer ce que c’est qu’un deuil, Loga... heu...mon père s’est barré sans moi, mais lui et ma sœur sont en vie. Donc je ne sais pas si moi aussi je ne serais pas partie en vrille si ma petite sœur avait été tuée devant moi par une personne en qui j’avais confiance. »

J’essaye de me redresser en prenant mon temps mais je ne peux m’empêcher de sourire en imaginant la terrible Skye en infirmière aimante. Bernadette a l’imagination débordante. Moi je pense plutôt que la louve me déteste et va finir par vraiment essayer de me tuer.

« Bruce m’a vraiment adopté. Je ne partage pas ses valeurs, mais il m’a déjà prouvé qu’il était loyal quand il s’agissait de sauver ses proches. Maintenant, on verra avec le temps. Je pense que toi et moi on sait bien qu’à ce stade de l'humanité, il n’y a pas de survivants par hasard, donc ne t’inquiète pas pour moi, coté prudence et méfiance, je pense assurer. »

Je lui fais un clin d’œil et prenant un faux air de vrai dur.

« Bernadette, il… il me voit comme son fils, alors crois moi, le fait de me connaitre peut vraiment te sauver la vie. De toute façon si t’es dans la merde avec lui, tu n’auras rien à perdre, non ?»

De toute façon je ne peux pas faire grand-chose de plus pour elle sans qu’elle n’accepte de me suivre. C’est compliqué, je trouve, de parler à quelqu’un en se disant qu’il y a peu de chance que l’on se recroise vivant. Je n’ose pas lui parler du gérant de cette boutique, qui a été presque un ami pour moi pendant mes mois de solitude, qui rode aujourd’hui dans Detroit avec son masque de Capitain America et l’épée de Conan dans le dos avec les autres moisis.

« Sinon, est-ce que tu peux me donner des infos sur le coin ? Je viens d'arriver à Detroit et c'est un peu la galère pour me repérer en ce moment. Tu sais si je peux trouver un office du tourisme dans le coin ? Sinon tout conseil me sera utile, du genre un bois avec une rivière pas trop loin ? D'autres groupes ? Des endroits que je devrais éviter ? »

Je la regarde et hésite à peine avant de fouiller dans mon sac pour sortir une carte qui a bien vécue. Elle m’a servie pour chercher Eulalie pendant presque un an. Je la déroule sur le comptoir poussiéreux où se trouvait la caisse j’imagine. Je prends un crayon et souris en voyant que j’ai déjà fait pas mal d’annotation.

« Regarde, nous sommes ici… là, il y a des gens, ils vivent sur l’eau, ils sont … hétéroclite, là… mieux vaut éviter si tu ne veux pas faire de mauvaises rencontres… »

Quand il s’agit de parler de cette ville et de ses alentours que j’ai arpentés avec minutie pendant plus d’un an pour dénicher une petite fille de 10 ans, pas la peine de dire que je suis à l’aise. Je lui montre où sont les gens de de l’Us Coast Gard, je lui montre vers où nous stagnons en ce moment avec Bruce même si on va certainement déménager bientôt. Je lui explique rapidement le noyau dur de moisis qui bouge peu, les rues impraticables, et toutes mes petites astuces, notamment mes « ponts » pour passer d’un toit à l’autre et mes bons plans…

Je suis logique, comme quand je parle de pièces d’un moteur. Je ne suis pas né à Detroit, j’ai découvert cette ville déjà infestée de moisis, mais je me rends compte à quel point c’est devenu chez moi.

« Là, surtout évite, avec les barricades, les gens sont restés coincés et c’est un vrai piège à con…. Par contre si tu vas dans cette zone tu as encore pas mal de pavillons pas encore pillés… faux juste savoir forcer les portes sans bruits et se méfier des mauvaises surprises »

J’hésite en passant sur la caserne, là où Logan, Eulalie et Juliet avaient trouvé refuge avant que Bruce ne les chassent.

« Là il y avait un camp… mais … maintenant il n’y a plus personne… »

Une fois que j’ai pris le temps de tout bien expliqué, je regarde une dernière fois cette carte qui a été ma compagne depuis si longtemps. C’est idiot d’être aussi matérialiste, surtout que je la connais par cœur. Je la replie avec soin et la tend à Bernadette.

« Gardes là, t'en as plus besoin que moi. Ça va aller ? tu vas t’en sortir ? »

Je suis réellement inquiet pour cette femme et ça ne me plait pas qu’elle reparte toute seule dans la merde. En même temps, je ne peux pas la forcer à venir avec moi.

« J'ai une dernière question. Est-ce que tu connais quelqu'un de pas agressif qui pourrait m'apprendre à me battre avec une arme blanche ? »

Je la regarde avec un air amusé.

« Ca dépend, tu veux des cours express ? J’ai envie de te dire que je suis candidat, mais avec ma cote ca va être compliqué pour les travaux pratiques. Je peux t’expliquer les bases si tu veux, mais c’est pas en quelques heures que je vais savoir t’apprendre a vraiment pouvoir te défendre avec un couteau… après j'ai des cartons grandeurs natures a ton effigie si tu veux t'entrainer.»

J’hésite avant d’enchainer.

« Écoutes… je sais pas si je peux te parler de ça et si ca peut te servir, mais… mon père… celui d’avant cette merde… ou plutôt mon tuteur, mon vrai géniteur, Bruce est un enfant de chœur à côté. Bref, celui qui s’occupait de moi avant, il est a Detroit. Il s’appelle Logan, Logan Carter. C’est… c’est un mec bien tu vois, du genre à vouloir sauver tout le monde. Je ne sais malheureusement pas où il est exactement. Mais franchement, si tu as besoin d’un formateur et d’une personne, saine on va dire, pour t’aider, c’est peut-être le seul dans cette ville de fou qui peut t’aider. Si un jour tu le croises n’hésites pas a lui demander de l'aide. »

« Oula, non Bruce n’est pas un enfant de cœur a côté de Logan, loin de là ! Logan a encore … de l’humanité, et une vision de la civilisation que n’a plus le Fossoyeur depuis longtemps. Après je n’ai pas envie d’être vivant le jour où ces deux la s’affronteront. Bref, t’es prête pour ta leçon ? »

J’essaye de lui expliquer au mieux. Mais…. Je ne suis pas sûr d’être un bon professeur. En fait le souci avec le combat c’est que, pour moi, c’est pas une science, c’est un ressenti, un instinct, celui de vouloir faire mal, de vouloir se défendre. Et soyons honnête, à part dans les films, les nanas taillées comme Bernadette sont rarement faites pour gérer un corps à corps avec un vivant.

Parce que le vrai secret entre finir en purée de viande ou être le gars qui fait la purée, c’est surtout une question d’endurance. Savoir encaisser les coups sans perdre la tête, savoir être sonné sans perdre le fil, savoir continuer à taper même quand le cerveau à un raté.

Voilà ce que j’ai appris avec des années de roustes de mon vieux, de mes frères, des autres délinquants…. Mais elle était plus taillée comme une poupée sous emballage qui découvrait, comme beaucoup de brave gens, qu’il fallait trouver ses griffes.

Elle ne ferait jamais le poids face à des types comme moi qui avaient déjà trempés dedans avant que tout ne s’effondre.

Au bout d’un moment j’arrête mon discours conscient que ça ne sert pas à grand-chose en l’état.

« Écoutes Bernadette, je sais pas trop comment te dire ça… je suis le plus petit de mes frangins, de taille je parle, et j’ai mis un certain temps à comprendre que je ne pouvais pas me battre comme eux si je voulais gagner, qu’il fallait que je trouve mon truc à moi parce que pour atteindre leur tête, ça m’exposait trop tu vois… et j’ai fini par trouver mais ce que je veux te dire c’est que, sauf mon respect, t’es pas franchement Xena… »

J’essaye de prendre des gants parce que même si elle est sympa, ça n’en reste pas moins une fille. Et le peu que je sais sur les filles, c’est qu’elles se vexent hyper vite.

« Alors si t’es là, c’est que t’as déjà un truc à toi tu vois, faut pas que tu t’embarques dans un combat avec une arme que tu vas forcément moins maitriser que là plus part des types malintentionnés qui rodent dans le coin. »

Je lui souris en montrant sa tête du doigt.

« Ton truc à toi est ici, comme ton héro. Alors si t’es dans la merde, n’attaque jamais de front. T’es maligne, plus que la plupart des gens qui survivent en jouant des muscles. Caches le couteau dans ta manche, embobine le type, crois moi y’a rien de plus con qu’un mec dont le cerveau n’est pas irrigué et qui a le pantalon sur les chevilles… »

Ça m’horrifie de dire ça. Mais de tous les trucs que je viens de lui dire, j’ai peur que cela soit le seul qui pourrait être vraiment utile.

« Si t’es acculée, ne te débats pas, laisse-le penser que t’es sans défense, et quand il se vautrera sur toi, tu sors la lame de ta manche et c’est ici que tu lui enfonces. »

Je lui montre mon rein. Assez bien pour qu’elle repère la zone, même à vue de nez, et qu’elle puisse la retrouver dans un moment de panique.

« C’est mortel, douloureux et ça devrait de te laisser le temps de te dégager avant qu’il ne devienne un moisi… je maintiens que ta meilleure défense est d’être aussi rusée que tes personnages… »

Je n’en reviens pas d’avoir cette conversation sinistre avec elle.

Je mets un certain temps à comprendre qu’elle se fout gentiment de moi et à me marrer comme je peux avec ma cote.

Par contre mon hilarité s’arrête quand elle évoque le fait qu’elle ait tué un type déjà. Dans un sens c’est peu, vu le merdier…. Dans un autre… le premier est toujours l’amorce sur cet espèce de toboggan ou les choses s’enchainent sans que l’on sache vraiment contrôler la trajectoire et avec une descente presque inévitable.

Je repense aux cadavres que j’ai derrière moi et je n’ai plus envie de sourire du tout. Je ne sais pas pourquoi ça l’étonne qu’un type essaye juste de la tuer pour tuer. J’hésite à la prévenir que j’ai vu des gens vivant en manger d’autres…

« En tous cas, merci pour tout Robin. Ta carte a vraiment l'air très utile et j'avais bien besoin de boire un coup.
-Sans problème Bernadette, et il faut bien te choyer un peu pour que tu te lance dans l’écriture d’un nouveau tome. J’espère que grâce à mon aide j’aurais le droit d’être mentionné dans les remerciement. »

Je ne peux pas m’empêcher de faire un peu d’humour, ce n’est pas le moment, mais je veux que l’on se quitte au moins dans une ambiance sereine. Pour une fois que je suis à une séance de dédicaces, qui plus est VIP, même si elle est post apocalyptique, je tiens à ce qu’elle reste un bon souvenir pour le fan de BD que je suis.

Je lui souris quand elle me tend la main. Ça aurait été n’importe qui d’autre je n’aurais pas accepté de crainte d’un piège. Mais je me sens vraiment en confiance avec elle. C’est pas simple, je me retiens de faire le gamin de 5 ans qui douille, mais elle a quand même le droit à une belle grimace et j’ai presque un haut le cœur de douleur quand j’arrive à me redresser avec son aide.
Elle me laisse quelques précieuses minutes pour que ça arrête de tourner devant mes yeux avant d’enchainer :

« Quand j'aurai trouvé un coin où m'installer, je te laisserai une note sur ton tableau. Tu me reconnaîtras.
-Je serais invité à la crémaillère ? je suis pas sûr de pouvoir te ramener des fleurs si tu n’attends pas le printemps, les fleuristes en ville ne sont pas bien approvisionnés en ce moment… par contre soit prudente quand tu mettras ton adresse, souviens toi bien qu’il n’y a pas que moi qui sache lire en ville…. Mais sinon compte sur moi, je viendrais, et si tu as une merde, n’hésites pas non plus même si… en ce moment… je suis pas vraiment d’une grande utilité je compte bien me remettre vite. »

Je la regarde ranger ses affaires et aller vers la porte.

« Je suis en voiture, je te dépose quelque part ?
- Économise ton essence, même si je suis curieux de savoir avec toi tu roules parce que j’adore tripoter des moteurs, je préfère me gérer pour le retour histoire d’éviter que tu fasses de mauvaises rencontres à cause de moi… Prends soins de toi Bernadette et n’oublie pas que tu me dois une deuxième séance de dédicaces, et une crémaillère alors t’avise pas de crever avant. »

Je lui fais un signe de main, que j’espère enjoué, alors qu’au fond de moi je sais qu’en ce moment, quand on croise quelqu’un, on ne pourra jamais être sûr de le revoir vivant.

HRP: