Le froid avait rougi le nez et les joues de Juliet, mais cela ne semblait pas suffisant pour la pousser à retourner s’abriter, au chaud dans son salon. Décidée à tuer le temps, qui s’écoulait bien trop lentement à son goût, la brune avait rejoint le jardin du camp, dont le sol était gelé et couvert de neige. Tandis que son regard balayait le sol qui accueillerait leurs plantations quand le temps se montrerait plus clément, la jeune femme souffla sur ses doigts, avant de frotter ses mains l’une contre l’autre, non sans grimacer. Elle avait hâte que les beaux jours reviennent, et qu’elle puisse s’atteler dans le jardin, à entretenir les pousses qu’ils finiraient par manger. Au moins, elle aurait l’impression de se rendre un peu plus utile qu’à l’heure actuelle. Elle s’accroupit pour ramasser une poignée de neige, et ne tarda pas à être rejointe par Nanna, la petite chèvre de Lïnko. A la simple pensée de son propriétaire, Juliet sentit une certaine colère monter en elle. « -Vas-t-en ! » lança-t-elle à l’intention de l’animal, bien consciente qu’elle n’obtiendrait aucune réponse, avant de la pousser gentiment du plat de la main, comme pour l’inciter à changer de direction. Mais la bête semblait têtue, et elle ne tarda pas à revenir à la charge, donnant au passage un petit coup de tête dans la jambe de Juliet, qui se releva vivement :« -Sérieusement ? Aussi pénible que ton propriétaire apparemment ! » râla-t-elle, avant de lâcher la neige qui glaçait ses doigts, pour attraper précautionneusement la biquette entre ses bras.

Plantée devant la maison de Lïnko, Juliet avait finalement relâché Nanna, et avait commencé à taper du poing sur la porte d’entrée, sans vraiment faire dans la délicatesse. Ne pas tomber sur celui qui était devenu un ami pendant tout ce temps aurait du être impossible, pas dans une communauté aussi petite que la leur, et Juliet avait fini par aboutir à la conclusion que Lïnko la fuyait, et refusait de la voir. La raison de cette attitude, Juliet était quasiment certaine de la connaître, et pourtant, elle aurait préféré l’entendre de vive voix. Elle avait malgré tout copié le comportement du nordiste, et force était de constater qu’ils avaient très bien réussi leurs coups, puisque les deux jeunes gens ne s’étaient pas adressés la parole depuis que le survivant avait quitté l’infirmerie de fortune du camp. Sur ses pieds, contrairement à Eulalie. Juliet répéta son manège, en tapant encore plus fort, ses doigts rendus douloureux par le froid. Elle entendit quelques bruits à l’intérieur, la preuve que Lïnko était bien là, et la porte ne tarda pas à s’ouvrir sur le visage de ce dernier…qui ne s’attendait visiblement pas à sa visite. Il parut mal à l’aise, ce qu’elle pouvait totalement comprendre, et pourtant, cela ne détendit pas le visage crispé de la brune. Pendant quelques brèves secondes, aucun d’entre eux ne prit la parole, tandis qu’ils se contentaient de se regarder, Lïnko surprit de trouver Juliet là, tandis qu’elle-même se demandait ce qu’elle allait bien pouvoir lui raconter à présent. Nanna profita de ce silence gêné pour entrer dans la maison, arrachant Juliet à la contemplation du visage figé de Ice. Merde, et maintenant ? Elle s’apprêtait à faire demi-tour, à rentrer simplement chez elle, mais Lïnko finit par prendre la parole, lui proposant d’entrer. Elle porta son regard à l’intérieur, avant de croiser les bras sur sa poitrine. « -Non, je suis bien dehors. » répondit-elle plus froidement qu’elle ne l’aurait voulu, laissant la fierté parler pour elle. Bien sûr qu’elle n’était pas bien dehors, elle était en train de se les geler d’ailleurs, chacune de ses respirations était ponctuée d’un petit nuage blanchâtre.

Lïnko, lui, préféra s’installer sur son lit, attrapant Nanna pour un espèce de câlin improvisé. Il était gêné par sa présence, cela sautait aux yeux, et cela blessa davantage la jeune femme. Il n’avait jamais semblé si réticent à sa présence par le passé, et ne l’avait jamais traité comme une étrangère…pas comme ces dernières semaines. Juliet l’observa de longues secondes supplémentaires, avant de briser le silence, d’un ton bien trop sec à son goût. « -Alors…tu ne vas pas me demander comment je vais depuis tout ce temps, ou ce qu’il y a de neuf dans ma vie ? » demanda-t-elle, repensant à toutes ces conversations d’avant, qui commençaient plus ou moins comme ça. Et puis, mieux valait commencer par cela plutôt que de lui dire sans détour le fond de sa pensée, ou tout ce qu’elle pensait du comportement de l’islandais. Elle avait eu besoin de lui, d’un ami à qui parler, mais au lieu de ça, elle avait dû faire face au silence et à l’absence de Lïnko. A vrai dire, si Nanna n’était pas venue l’embêter un peu plus tôt, Juliet ignorait même si elle aurait un jour trouvé le courage de venir toquer à la porte du blond, pour lui demander des comptes. Mais la biquette en avait décidé autrement, et à mieux y penser, Juliet pensa qu’après tout, il allait bien falloir qu’ils finissent par avoir cette conversation tant redoutée.

Les bras toujours croisés sur la poitrine, Juliet affichait une mine renfrognée au possible, fermée. Pourtant, Lïnko devait la connaître un minimum, il aurait dû se douter que tout cela n’était au fond qu’une façade. Juliet détestait être en froid avec les personnes qui lui étaient chères, elle détestait d’ailleurs les conflits de manière générale, et se sentait toujours profondément mal à l’aise dans ces cas-là. Et à cet instant, malgré l’air dur qu’elle arborait face à son ami, Jules était assez mal à l’aise. La brune ne quitta pas des yeux Ice lorsqu’il daigna enfin lui répondre, annonçant qu’il semblait savoir comment elle se sentait. Elle haussa un sourcil lorsque l’islandais dit qu’il la voyait, et Juliet s’apprêtait à lui répondre que non, justement, ils ne se voyaient plus, et que c’était bien ça le problème. Mais il fut plus rapide qu’elle, et reprit vite la parole, expliquant à la jeune femme qu’il savait qu’elle souffrait. Juliet serra la mâchoire par pur réflexe défensif, soutenant pendant quelques secondes le regard de Lïnko, avant de finir par détourner les yeux, un peu malgré elle. Souffrir ? Oui, elle souffrait, il n’y avait pas de doute à ce sujet. Elle avait l’impression qu’on s’évertuait à essayer d’arracher son cœur de sa poitrine, elle avait mal chaque minute, chaque seconde qui passait, et il n’y avait qu’elle ne puisse faire pour alléger cette peine.

Lïnko reprit finalement la parole, arrachant Juliet à ses pensées, qui riva une nouvelle fois son regard azur sur le visage du jeune homme. Il annonça alors qu’il n’était pas doué pour ce genre de conversation, et elle hocha doucement de la tête. Elle non plus, elle n’était pas douée pour parler à cœur ouvert, elle avait toujours eu du mal quand il s’agissait de parler de ce qu’elle ressentait, et ça lui avait joué tellement, tellement de mauvais tours dans le passé. Tout serait tellement plus simple si elle parvenait simplement à s’ouvrir, sans dresser toujours des barrières parfois infranchissables autour d’elle. A cet instant précis, les deux jeunes gens semblaient aussi mal à l’aise l’un que l’autre, et Jules réalisa à quel point c’était stupide qu’ils se retrouvent dans cette situation de non-dits qui allait vraiment finir par venir à bout de ce qu’il restait de leur amitié. La brunette se mordilla la lèvre inférieure, et ce fut là que Lïnko finit par lui présenter ses excuses…des excuses qui firent froncer les sourcils de la jeune femme. Tout d’abord incapable de réagir, parce que tout s’emmêler brusquement dans sa tête, Juliet finit par pousser un petit soupir, avant de décroiser les bras de sa poitrine, et de finir, enfin, par entrer à l’intérieur de la maison. Malgré tout, elle garda une distance assez conséquente entre Lïnko et elle, incapable de faire disparaître complètement ses défenses. Elle prit appui contre la table de la pièce, les mains crispées sur les rebords de celle-ci. C’était bien beau d’être venue jusqu’ici, mais ils ne parviendraient pas à arranger quoi que ce soit si elle n’arrivait pas à mettre sa rancœur de côté. « -Tu sais que j’avais besoin de toi ? » commença-t-elle d’un ton accusateur, avant de s’arrêter presque aussitôt en secouant doucement la tête. Non, ce n’était pas par ça qu’elle voulait commencer, d’ailleurs, elle n’avait même aucune idée que c’étaient ces mots-là qui allaient sortir de sa bouche sans prévenir.

Juliet pinça les lèvres en détournant le regard pendant quelques brèves secondes : « -Excuse-moi, c’est pas ce que je voulais dire… » dit-elle en se passant une main dans les cheveux. La situation était déjà bien assez tendue sans qu’elle n’en rajoute une couche avec son sale caractère. Elle était têtue, Jules ne le niait pas, mais lorsqu’il le fallait, elle savait mettre de côté ses mauvaises habitudes. Et en l’occurrence, la situation l’exigeait.  « -Ecoute…c’est stupide tout ça… » dit-elle, en englobant la pièce du regard. Dire qu’elle non plus n’était pas du tout à l’aise avec les situations comme celles-ci était un euphémisme, il suffisait de voir à quel point elle pataugeait à l’heure actuelle. « -J’ai pas eu l’occasion de te dire que…je suis vraiment contente que tu t’en sois sorti Lïnko… » reprit-elle au bout de quelques instants, en pensant chacun des mots qu’elle venait de prononcer. Elle ne voulait pas qu’il soit désolé d’avoir survécu, elle ne l’était pas, et elle refusait qu’il le pense. Il avait eu plus de chance qu’Eulalie et avait fini par quitter l’infirmerie en vie, mais ce n’était pas pour autant qu’elle allait le haïr pour cela. La vie était trop courte, et désormais bien trop moche, pour tourner délibérément le dos à ses amis, et leur en vouloir pour quelque chose sur lequel ils n’avaient eu aucun contrôle.

   

Only death can bring forgiveness. Life isn't that sweet.
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A dire vrai, cela faisait un bon moment que l'ex-détenu n'avait pas été confronté à ce genre de situation. Ce qui était une bonne chose, vraiment. En cet instant, il donnerait beaucoup pour obtenir le secret magique permettant de se sortir des impasses du genre. Probablement dans une suite de pensée identique à la sienne, Juliet fini par passer le pas de la porte. Comme il en avait l'habitude, il évalua la nouvelle venue dans sa globalité d'un long regard. La brune était vraiment mince. Très mince. Il ne se souvenait pas de l'avoir déjà remarqué à ce point... Prenait-elle convenablement soin d'elle ? Mieux ne valait pas poser la question, il était bien trop tôt pour cela, et la réponse aurait été presque évidente. La mine toujours fermée, elle s'appuya sur la table, et lui lança une froide question, à laquelle, elle n'attendais visiblement pas de réponse. A cet instant, elle semblait plus perdue qu'en colère, à se mordre les lèvres, et secouer brièvement la tête en alignant des mots sans vraiment leur donner sens.

Toutefois, Lïnko avait clairement compris la missive pilote de ses propos. Juliet lui en voulait de l'avoir laissée. Elle s'était senti délaissée, et les choses avaient continuées. Ce qui était, comme la survivante venait de le souligner, stupide. Cherchant certainement ses mots, comme l'islandais l'avait fait quelques secondes auparavant, elle détailla rapidement la pièce avant de poursuivre. Sa déclaration sincère l'atteignit en plein coeur. Il eut la brève impression d'être empli d'un vent agréablement froid. Juliet, la femme, la mère, qui avait perdu son innocente petite fille, se disait contente qu'il s'en soit sorti. Pendant un court laps de temps, c'est la rage qui cristallisa insidieusement dans les veines du barbu. La rage de l'impuissance. Mais finalement, face au regard lumineux de celle qui était son amie, ce sentiment s'atténua, et permis l'établissement nouveau d'un passage silencieux. Bien évidement, Ice souhaitait exprimer sa reconnaissance, mais il ne savait pas comment tourner sa phrase.

Tant pis, il resta sur sa première formulation, et se laissa légèrement gagner par un truc proche de l'émotion, si on s'en fiait à sa voie, moins assurée que d'ordinaire. « Mais je le suis pas, moi. » Lïnko la fixa d'une étrange façon. Avec un air de défi, légèrement déformé par ce qui ressemblait à de la tristesse. « J'aimerais tellement qu'Eulalie soit là, à ma place. C'est comme ça que tout aurait dû se passer. C'était l'ordre des choses. » Le souffle plus court, le barbare laissa Nanna s'éloigner, et se leva pour rejoindre Juliet aux abords de la table. Sa respiration devenant irrégulière, il fixait toujours la femme. « J'aurais dû crever, et pas elle. C'est ça place ici. Pas la mienne, BORDEL DE MERDE !! » se laissant emporter, il frappa un grand coup sur la table en hurlant les derniers mots. Se ressaisissant tout de même assez vite, il s'assura que la brunette n'aie pas trop une tête de choquée, soutint un instant l'éclat de ses yeux en amande.

Comme pour s'excuser d'avoir haussé le ton -ce qui avait, au passage, fait fuir la biquette naine dans un coin de la pièce-, le nordien passa nerveusement une main dans sa barbe avant de la poser sur la table, non loin des doigts fins de la jeune femme. « ... Désolé. Ça me fait péter les plombs, d'être inutile et impuissant face à tout ça. » Aaah... Le légendaire sentiment d'être trop incompétent, trop faible, trop insignifiant pour pouvoir changer le cours d'un évènement. Le pire de tous, selon le barbu. Se mordillant lui aussi les lèvres, il fronça les sourcils en reprenant : « J'ai pas pu, Juliet. J'ai pas pu être à tes côtés. J'ai été faible et... Je regrette sincèrement. » Pas besoin de s'étendre plus pour l'instant. C'était déjà beaucoup pour quelqu'un d'aussi renfermé et têtu. Mais, pour sa défense, il avait une belle concurrente en face, aussi !


   

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Il faisait bien meilleur à l’intérieur de la maison, et ce ne fut qu’à cet instant que Juliet se rendit compte d’à quel point elle avait pu avoir froid à l’extérieur, où sa fierté mal placée l’avait poussé à rester bien trop longtemps. Toujours adossée contre la table, elle avait fini par ouvrir son manteau, non sans quitter Lïnko des yeux. Ils étaient à présent comme deux étrangers, incapables d’avoir une conversation civilisée, et ça serrait le cœur de la jeune femme dans sa poitrine. Il avait fallu qu’ils soient aussi têtus l’un que l’autre, et que parler de leurs sentiments ne soient pas l’une de leurs activités favorites. Malgré tout, Juliet avait tenté de se plier à l’exercice, tâchant d’expliquer à l’islandais ce qu’elle pensait vraiment. Elle tenait à lui, et le voir sur pieds, visiblement en bonne santé, lui réchauffait le cœur. Pourtant, ces paroles ne semblèrent pas bien accueillies, puisque Ice lui répondait désormais que lui ne semblait visiblement pas content d’avoir survécu. Pas d’avoir survécu, pensa-t-elle aussitôt, mais plutôt d’être de ce monde, alors qu’Eulalie n’y était plus. Ce qu’il ne tarda d’ailleurs pas à confirmer lui-même, sans quitter Juliet du regard. Elle voyait bien à son regard qu’il était triste, confus, coupable même. La brune le laissa approcher, sans tenter de rétablir la distance de sécurité entre eux qu’elle s’était imposée en entrant dans la pièce, et Lïnko ne tarda pas à la rejoindre. Elle fixa ses prunelles glaciales encore quelques brèves secondes, avant que les nouvelles paroles du barbu ne lui fassent détourner les yeux. Jules serra les dents face à l’accès de colère dont il fut atteint, mais tâcha malgré tout de rester aussi stoïque que possible. Qui était-elle pour lui faire remarquer sa colère, elle qui avait saccagé la chambre de l’une des maisons du camp, quelques jours à peine après le décès d’Eulalie. La rage avait guidé chacun de ses mouvements ce soir-là, mais le plus triste était sans doute qu’après avoir fracassé contre le mur tout ce qui lui passait sous la main, le vide qui s’était ouvert dans la poitrine de Juliet n’avait pas été comblé pour autant. La colère était mauvaise conseillère, elle le savait bien, et pourtant, elle n’avait pas su résister à son appel.

Jules resta donc immobile contre la table, tandis que Lïnko tournait finalement son regard azur vers elle. Craignait-il qu’elle prenne la fuite après l’avoir vu perdre toute contenance ? Sans doute. Et pourtant, elle restait là, n’esquissant aucun geste vers la porte. Dans ses moments les plus sombres, Juliet aussi s’était dit que c’était lui qui aurait dû y passer. Lui, elle, n’importe qui d’autre, mais pas Eulalie. Elle était trop petite, si innocente, et n’aura jamais profité pleinement de tout ce que la vie avait à lui offrir. C’était une terrible injustice, et malheureusement une injustice irréparable. Il n’y avait plus rien que Juliet puisse faire, si ce n’était peut-être faire en sorte que jamais personne n’oublie sa magnifique petite fille. « -On peut rien faire, Lïnko… » souffla-t-elle doucement, d’un ton où semblait percer une certaine pointe d’acceptance, pourtant feinte. Elle avait compris malgré elle qu’en vouloir à la Terre entière, prier tous les dieux existants au monde, ne pas dormir, manger, se murer dans la solitude, rien ne ramènerait jamais Eulalie. Pas même la rage de l’islandais. « -Tu peux pas te torturer avec ça, d’accord ? La vie t’as offert une deuxième chance, ne laisse pas la colère et la culpabilité gâcher ça… » reprit-elle, avant de glisser doucement ses doigts sur ceux de Lïnko, comme pour donner un peu plus de poids à ses paroles. Lui avait la chance de vivre, il ne pouvait pas laisser cette rage qui semblait brûler en lui, cette impuissance dont il parlait, devenir maître de son existence.

En d’autres circonstances, Juliet se serait sans doute amusée de leurs ressemblances à cet instant, de ces tics de nervosité ou de gêne qu’ils exprimaient tous les deux, du malaise qui semblait les posséder, de leur flagrante incapacité à communiquer. Mais pas aujourd’hui, la situation lui semblait trop tendue, presque désespérée. Il avait raison, il n’avait pas été là, pas quand elle avait sans doute eu besoin de lui plus que jamais. Elle avait eu besoin d’un ami, d’une épaule sur laquelle se reposer, de quelqu’un avec qui partager sa peine, et Lïnko n’avait pas été là. Pourtant, elle le croyait lorsqu’il affirmait qu’il regrettait son attitude, il semblait vraiment se sentir mal pour son comportement, et Juliet ne voulait plus retourner le couteau dans la plaie. Si bien qu’aux paroles du barbu, elle acquiesça doucement de la tête : « -Hé bah…tu pourrais être là…maintenant… » dit-elle finalement, en plongeant une nouvelle fois ses yeux bleus dans ceux plus clairs de Lïnko. Ils avaient déjà passé tant de temps sans s’adresser le moindre mot, et laissés des non-dits gâcher leur amitié. Il fallait désormais qu’ils laissent cette période sombre derrière eux, pour se donner une autre chance de pouvoir être les amis qu’ils étaient devenus avec le temps.

 

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Tous les deux à se fuir de regard pendant un temps, à se mirer d'un air étrange durant un autre. Ouais, la situation était bien étrange, mais surtout, inconfortable. Autrefois proches et amis, les survivants vidaient aujourd'hui leur coeur, ayant l'impression d'être face à une personne étrangère. Du moins, c'est comme ça que Lïnko le ressentait. Pourtant, il se sentait soulagé, quelque part, d'être avec Juliet. Peut-être parce que cela faisait longtemps, bien trop longtemps. Malgré ses propos un peu rude, la brune ne sembla pas s'offusquer. Elle lui parla de deuxième chance, aussi, il s'immobilisa un instant. Bien sûr, la jeune femme avait raison. Seulement, c'était difficile de voir les choses de cette manière. Les dieux l'avaient poussé pour qu'il continue son chemin. Il devait donc y avoir une raison, et il lui fallait accepter cela. Facile à dire.

Quand Juliet posa doucement sa main sur la sienne, une vague de chaleur réchauffa l'intérieur de sa cage thoracique. Comment pouvait-elle faire preuve d'autant de sérénité, et d'écoute, alors qu'il l'avait lâchement laissée de côté...? La vision de l'islandais se brouilla légèrement, aussi, il s'appliqua à fixer les doigts fins de son amie, qui semblaient d'ailleurs encore plus fins qu'à l'ordinaire. Ses derniers mots lui permirent de reprendre un peu contenance. Reniflant l'air de rien, il acquiesça lui aussi d'un hochement de tête déterminé. Sans trop savoir ce qui le prenait, il passa prestement sa main libre sur la nuque de la survivante, et l'attira contre lui. Peinant à trouver une respiration normale, il se concentra sur la sensation du contact des longs cheveux bruns pris entre ses doigts. « Je serais là, maintenant. Par Odïn, je te le promet. » murmura-t-il.

Relâchant doucement son étreinte, il attendit que Juliet s'écarte pour la considérer d'un oeil troublé par les larmes. « Comment tu gères tout ça, aujourd'hui ? » l'avisant rapidement de haut en bas pour appuyer ses dires, il ajouta « Tu manges correctement ? » Car oui, il s'inquiétait pour elle. Quoi de plus normal ! Non seulement ils partageaient le même groupe depuis un laps de temps à peu de choses près similaire, mais il appréciait beaucoup Juliet. Il savait qu'ils étaient semblables sur divers points. Et puis, même. Il l'appréciait, point. Le nordien imaginait les phases qu'elle avait traversé. Imaginait, seulement. Car il avait choisi de rester à l'écart de tout ça. Et, de plus, il supposait que personne ne pouvait réellement comprendre ce qu'elle pouvait ressentir, à défaut d'avoir vécu la même chose, bien sûr. Ce qui n'était pas son cas. Perdre un enfant était chose montrée comme la pire expérience qui soit, ce qui était vraisemblablement exact.

 

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La vie était désormais trop courte, et s’il arrivait un jour quelque chose à Lïnko, sans que Juliet et lui ne se soient parlés de nouveau, elle s’en serait voulu pour le reste de ses jours. Elle avait besoin de son ami pour égayer un peu sa vie de survivante, et elle espérait qu’il en était de même de son côté. Du moins, que ça l’était à l’époque où ils parvenaient encore à s’adresser la parole. Ce ne fut qu’en entrant dans la maison de Lïnko, en voyant son air penaud et désolé, que Juliet s’était rendu compte d’à quel point sa présence pouvait lui manquer. Heureusement que la petite biquette étaitvenue embêter Jules, car il n’était pas certain que sans elle les deux têtes de mules qu’étaient l’islandais et la brune auraient fini par se reparler. Nanna était intervenue, certes, mais il semblait aussi qu’ils aient fait tous les deux un gros travail pour exprimer le fond de leurs pensées, et ce qui les avaient tenus séparés jusqu’à ce jour. Le travail était néanmoins payant, puisqu’ils semblaient désormais capables de communiquer un peu plus, sans que personne ne crie ou n’adresse de reproche à l’autre.  

Si elle fut surprise lorsque Lïnko l’attira soudainement à lui, Juliet n’en laissa rien paraître, et elle glissa ses bras autour de la taille de l’islandais, se serrant un peu plus contre lui. Les tensions qu’elle ressentait, cette gêne qui avait entravé chacun de ses gestes depuis qu’elle était entrée, tout s’envola subitement, alors qu’elle fermait les yeux et se laissait un peu aller contre Lïnko. Finalement, et bien trop tôt au goût de la jeune femme, son ami relâcha son étreinte, et Juliet recula de quelques pas, restant toujours face à lui. Sa question ne manqua pas de la crisper un peu, et la brune se mordilla la lèvre, se demandant si elle parviendrait vraiment à y répondre, sans fondre en larmes. Mais Lïnko reprit bien vite la parole, tandis que son regard bleu la détaillait, des pieds à la tête, d’un air légèrement désapprobateur. Manger ? C’était devenu secondaire, tout comme dormir. Non pas que Juliet refusait de s’alimenter, ou de se reposer un peu, mais elle n’y arrivait tout simplement pas. Tout lui paraissait fade, sans goût, et la moindre bouchée lui donnait presque automatiquement la nausée. Lïnko avait raison de s’imaginer qu’elle avait perdu du poids, mais Juliet ne voulait pas l’inquiéter, et elle haussa les épaules, d’un geste qu’elle voulait désinvolte : « -Oh, euh…j’ai commencé un petit régime, pour être au top avant l’été… » lui répondit-elle, dans une piètre tentative de détendre l’atmosphère, pourtant sans parvenir à esquisser le moindre sourire.

Ce n’était sans doute pas la réponse appropriée, mais elle doutait qu’il y en ai vraiment une. A vrai dire, elle ne savait même plus de quand datait le dernier vrai repas qu’elle avait pris, mais ça lui importait peu. Lïnko ne l’avait toujours pas lâché du regard, et la brune pressentait qu’elle ne s’en tirerait peut-être pas si facilement. Elle ne tarda donc pas à reprendre la parole :« -Lïnko, ne t’inquiètes pas pour moi…je vais…bien. » finit-elle par dire, en terminant sa phrase après quelques secondes d’hésitation. Bien n’était sans doute pas le mot le plus adéquat, et il y en avait tellement d’autres qui se bousculaient dans sa tête, plus justes. Triste, vide, blessée, détruite, anéantie. Au fond, Juliet était tout, sauf bien. Mais le dire à voix haute ne changerait rien à la douleur qui avait pris possession d’elle depuis ce jour-là, et qui vrillait chacune de ses cellules, à chaque instant. Elle serra les poings, et les dents de concert, en sentant son cœur se contracter violemment. Et, malgré les bonnes résolutions de Juliet, elle sentit peu à peu ses yeux s’embrumer, et sa vue se troubler. Elle avait beau se répéter d’être forte, et de tenir bon, les larmes dans ses yeux enflèrent, jusqu’à ce qu’elles finissent par rouler sur ses joues, et s’écraser sur le sol de la maison de Lïnko. « -Elle me manque tellement… » finit-elle par souffler, incapable de relever son visage pour affronter le regard du blond. Avant ce jour, Juliet ignorait qu’on pouvait autant ressentir l’absence de quelqu’un. A côté de ça, son départ de Burlington, les deux mois passés loin d’Eulalie, la mort de ses parents, tout semblait dérisoire. Rien n’aurait pu préparer Juliet au choc que représentait le décès de sa petite fille, et au gouffre dans lequel son départ la plongerait. La brune s’essuya les yeux du revers de la main, mais de nouvelles larmes perlèrent au coin de ses yeux, et dévalèrent les joues de Juliet, dans le sillon de celles qu’elle venait tout juste de sécher. « -Je devrais y aller… » murmura-t-elle au bout de quelques secondes, des trémolos dans la voix, sentant venir la crise de larmes. Ça lui arrivait encore, de temps en temps, quand elle n’arrivait plus à contenir le flot d’émotions qui ne la quittait plus ces derniers temps. Elle craquait, et se mettait brusquement à pleurer, sans pouvoir rien faire pour s’arrêter. Les larmes coulaient, encore et encore, ses épaules étaient secouées de tremblements, et un vilain mal de tête finissait généralement par pointer le bout de son nez, épuisant encore un peu plus Juliet. Et elle ne voulait pas que Lïnko la voit dans cet état, si brisée.

 

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En la prenant dans ses bras, Ice était arrivé à un point de non-retour. Il s'était excusé auprès de Juliet avec toute la sincérité qu'il pouvait faire passer, malgré la réserve froide qui le caractérisait habituellement. Par ce geste démonstratif, bien que survenu un peu sans trop le vouloir, il accentuait cette volonté de rapprochement, ce besoin d'être pardonné aux yeux de la jeune femme. Bien qu'il eut peur de sa réaction, elle ne sembla pourtant pas réellement s'en offusquer, puisqu'elle lui rendit son étreinte. Certes, cela pouvait aussi signifier qu'elle ne souhaitait pas le froisser et casser cet effort de réconciliation, mais l'islandais préféra penser qu'elle aussi, était sincère, en agissant de la sorte. Fouissant doucement ses doigts dans la chevelure douce de son amie, il alla jusqu'à penser qu'elle pouvait éprouver un peu de réconfort... Du moins l'espérait-il. Après tout, ils avaient passé les derniers mois sans s'adresser le moindre geste familier, ni même la moindre parole amicale. Un tel rapprochement devait probablement remuer les mêmes émotions chez Juliet. Quelque chose qui avoisinait le soulagement, la satisfaction de pouvoir relâcher une certaine forme de pression détestable qui s'était accumulée ces derniers temps.

Ses inquiétudes se confirmèrent toutefois. A ses questions, la brune commença par afficher une mine trop neutre à son goût, et se mordit les lèvres. Bien sûr que non, elle ne prenait pas la peine de se nourrir correctement. Bien que ses idées et son regard soient redevenus plus clairs, le barbare ne se laissa pas berner par la réplique désinvolte qu'elle tenta. Inutile de surenchérir par rapport à ça. Juliet n'était pas une de ces gamines qui arrêtaient de s'alimenter pour des raisons futiles. Elle allait mal, et c'était légitime. L'idée même de manger ne devait que très rarement la traverser, quand bien même son entourage la sollicitait pour cela. Hésitante, elle affirma fébrilement qu'elle allait bien. Ne sachant trop comment s'y prendre, Lïnko soupira doucement en haussant un sourcil. Il était peu être rustre et renfermé, mais pas aveugle et dupe. Cessant de la fixer, il détailla un instant les mains blanches de son interlocutrice, qui semblaient presque squelettiques. La nourriture se faisait certes rare, de nos jours. Mais si Juliet ne s'en appropriait pas un minimum, elle allait vite s'affaiblir davantage, pour finalement tomber malade, et il n'en était pas question.

Le Nordien réalisa alors que ces poings s'étaient soudainement serrés. Relevant la tête, il découvrit un regard tristement vague, qui s'était embué de larmes, visiblement malgré les efforts de leur propriétaire pour les contenir. Tentant vainement de les chasser, la jeune femme dû se rendre compte qu'elle n'y parviendrait pas quand elle fit part de sa volonté de s'en retourner. Ignorant les efforts qu'elle fournissait sûrement pour ne pas s'écrouler, Ice se pencha à sa hauteur, afin de capter son regard. Soulevant légèrement sa tête en saisissant doucement son visage ovale dans l'une de ses mains, il l'interpella gentiment, mais d'un ton déterminé « Hé, maintenant que t'es là, tu vas pas déjà t'en aller ? » suite à quoi, son regard passant d'un iris humide à l'autre, il ajouta « C'est bien normal qu'elle te manques, Jul'. Elle te manquera toujours. Simplement, dis-toi qu'elle n'est pas entièrement partie, elle restera avec toi, au moins un peu, et ce jusqu'à ton dernier souffle. »

Appuyant ses propos d'un silence, il quitta sa mâchoire inférieure pour poser sa main sur son épaule. « Elle voudrait que tu vives, Juliet. Que tu continues d'avancer, et que tu ailles aussi bien qu'avant, même si bien sûr, c'est compliqué pour l'instant. » Saisissant un morceau de tissu propre qu'il destinait à agrémenter le dodo de sa biquette naine, il l'appuya contre la clavicule de son amie avant de s'éloigner vers une casserole qui crépitait paisiblement sur un coin de feu aménagé. La posant sur la table, il tira un banc pour que les deux puissent s'asseoir, et rempli deux petits bols du liquide fumant à l'odeur de bouillon de viande parfumé. En poussant un vers son invitée, il s'assit du même temps après avoir reprit la parole : « Assieds-toi, ça va te réchauffer. »

 

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Elle avait beau avoir tout fait pour ne pas craquer, malgré tous ses efforts, les larmes sur les joues de Juliet continuaient de couler, sans qu’elle ne puisse rien faire pour les retenir. Elle les essuya une nouvelle fois, s’excusant déjà de devoir rentrer chez elle pour éviter à Lïnko d’assister à la scène qui allait suivre, qui ne ferait probablement que le mettre mal à l’aise, et Juliet ne voulait imposer son malheur à personne. Mais la brune n’avait pas fait le moindre pas vers la sortie que le jeune homme se penchait pour être à sa hauteur, et plongeait ses beaux yeux clairs dans les siens. Jules aurait voulu se soustraire à ce regard, mais il lui tenait délicatement le menton entre ses doigts, et elle ne voulait pas s’échapper de ce contact, au risque de blesser son ami. Elle se mordilla la lèvre inférieure aux paroles de l’islandais, sans doute un peu trop fort, tandis qu’il ne semblait pas vraiment d’accord pour la voir partir si vite. Elle écouta avec attention sa petite tirade, qui eut le don de raviver les larmes de la jeune femme, qui préféra fermer les yeux pour empêcher vainement ses larmes de couler. Bien sûr qu’il avait raison, elle le savait bien. Eulalie serait toujours partout où se trouvait Juliet, et elle vivrait à jamais dans son cœur. Mais elle aurait donné n’importe quoi pour la serrer contre elle, caresser ses cheveux longs, ou embrasser son petit front. Et tout ça, elle n’y aurait plus jamais droit. La vie était bien cruelle.

Juliet resta silencieuse un long moment, refusant d’exprimer à voix haute ce qu’elle pensait réellement. Vivre ? Elle n’y voyait plus un grand intérêt maintenant qu’elle avait perdu toutes les personnes qu’elle avait aimé. En ce moment, chaque jour n’était plus que souffrance, et ça aurait été mensonge si elle affirmait qu’elle n’avait pas pensé, plus d’une fois, que tout serait beaucoup plus simple s’il n’y avait pas de lendemain pour elle, et que c’était sans doute le meilleur moyen de faire taire la douleur. Et pourtant, elle n’avait jamais pu se résoudre à cette extrémité, sans doute parce ses pensées faisaient écho aux paroles de Lïnko. Juliet devait vivre, elle n’avait pas le droit de renoncer, et elle devait s’accrocher, même si ce n’était pas que pour des bonnes raisons. Aller bien un jour ? Elle n’était pas sûre de savoir comment s’y prendre pour y parvenir, elle avait sans doute perdu le mode d’emploi du bonheur depuis quelques temps déjà. Mais elle ne voulait pas alarmer Lïnko avec ces pensées noires, si bien que Juliet décida de ne pas aborder ce sujet épineux. Malgré tout, désireuse de vouloir rassurer son ami quant à son état, elle parvint à marmonner de sa voix enrouée par les pleurs « -Je sais que tu as raison…il paraît que ça ira mieux avec le temps… » dit-elle, en reprenant cette phrase stupide qu’on lui avait répété des tas de fois, et à laquelle elle ne croyait pas du tout. Elle tenta un petit sourire à travers ses larmes, mais fut certaine de n’avoir réussi à produire rien d’autre qu’une grimace larmoyante. Elle aurait bien le temps de s’effondrer une fois la porte de sa chambre fermée, chez elle.

D’un geste plus fébrile qu’elle ne l’aurait voulu, elle attrapa le morceau de tissu tendu par Lïnko, lui murmurant un remerciement, sans qu’elle ne soit tout à fait sûre qu’il ait pu l’entendre. Et tandis qu’il lui tournait le dos, Juliet en profita pour essuyer son visage, ses yeux larmoyants, son nez rougi. Ce n’était pas vraiment ainsi qu’elle avait imaginé leurs retrouvailles. Le jeune homme ne tarda pas à revenir à ses côtés, avant de tirer un banc qui se trouvait juste-là sous la table, puis il leur servit un bol à chacun, tandis que Juliet fronçait doucement le nez face à l’odeur qui se dégageait de la casserole. Elle regarda Lïnko pendant quelques longues avant de hocher doucement la tête, puis elle retira sa veste, la balança sur le lit du jeune homme, et s’installa sur le banc à ses côtés. Jules attrapa le bol préparé à son attention, et le serra entre ses mains pendant quelques temps, puisant dans la chaleur du récipient pour se réchauffer, et se détendre un peu. Pendant un long moment, elle ne chercha pas à rompre le silence qui s’était installé entre eux, parce qu’il avait un petit quelque chose d’apaisant, tandis qu’elle fixait les flammes du feu qui brûlait à quelques pas de là, lui trouvant quelque chose de presque hypnotique.

La brune était certaine que son ami ne la lâcherait pas tant qu’il ne la voyait pas manger, au moins un peu, si bien qu’elle se força à avaler une gorgée, histoire de ne pas l’inquiéter outre mesure. Elle sentit le liquide chaud descendre dans sa tranchée, et tâcha de se remémorer de quand datait son dernier vrai repas, sans parvenir à trouver la réponse à cette question pour autant. «- Hum…tu fais de la soupe, tu reçois les gens comme personne, et puis t’as une mini chèvre ! T’es bon à marier… » glissa-t-elle d’une voix innocente, comme pour faire diversion tandis qu’elle reposait le bol de soupe devant elle. Elle ne voulait plus parler d’elle, ni d’Eulalie, de sa douleur, de leur monde qui partait en vrilles. Juliet voulait simplement profiter du fait qu’elle avait retrouvé son ami, ce qui était la meilleure chose qui lui soit arrivé depuis une éternité, et que la situation entre eux n’avait pas besoin d’être tendue. Jules quitta du regard le liquide fumant dans son bol pour le poser sur Lïnko, assis juste à côté d’elle. Pendant quelques secondes, elle ne dit rien, se contentant de le fixer en silence. « -Tu m’as vraiment manqué, tu sais… » chuchota-t-elle finalement, espérant tout de même ne pas rendre le moment inconfortable.

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Juliet & Lïnko
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A l'aise. Une situation qui était inconnue du viking, à cet instant précis. Ça faisait d'ailleurs bien longtemps qu'il n'avait rien ressenti de cet acabit. Il savait cependant qu'il pouvait pleinement se reprocher cela. S'il n'avait pas tourné le dos à Juliet, bien qu'il eut des raisons de le faire, il aurait été là bien plus tôt à ses côtés, et, à défaut de pouvoir arranger la condition de son amie, la culpabilité aurait eut le mérite d'être absente de son coeur froid. Faisons le point. Fatalement, la mince survivante s'était relativement effondrée, au souvenir de sa défunte petite fille. Et après quelques futiles formules faisant partie du lexique cliché des tentatives de réconfort, l'islandais l'avait maladroitement invitée à partager son repas. Était-il complètement passé à côté du comportement à adopter ? Possible. Pourtant, la jeune femme ne s'en était pas formalisée. Elle avait même dû faire un effort, en lui répondant par une formule tout aussi clichée, qui était prononcée avec tellement peu de ferveur qu'elle trahissait ouvertement le peu de conviction avec laquelle Juliet l'avait prononcée. En cela, Lïnko ne pouvait absolument pas lui en vouloir. Le pouvoir apaisant du temps qui passe n'était qu'une demie connerie. Certes, il calmait les maux, mais son action n'était pas effective avant un moment qui paraissait très long, justement. Alors, pour la perte d'un enfant... Par Odïn. La vie était cruelle.

Son invitation fût tout de même acceptée. Son invitée retira sa veste, huma le contenu du bol qui lui avait été servi, et laissa demeurer un silence que le barbare ne souhaita pas briser. D'une, il savait depuis un temps que Juliet ne faisait pas parti de cette catégorie de personne qui trouve les blancs pesants. Et de deux, elle avait l'air de s'être un peu détendue. Comme si de rien était, Ice laissa baisser la température de sa soupe, avant de l'ingérer silencieusement. Une petite satisfaction le traversa quand il vit sa convive goûter à son repas, mais elle retomba bien vite quand la jeune femme brisa a priori innocemment le silence. Il allait pas se laisser berner par sa petite remarque, quand bien même il avait manqué de s'étouffer avec sa dernière gorgée de soupe en l'entendant. Juliet ne contait visiblement pas finir son bol, ce qui confirmait le mal être intense dans lequel elle devait se trouver. Peut-être même qu'elle s'était forcée à boire, uniquement pour pas le froisser. Le nordien senti le regard de son interlocutrice se poser sur lui, et quand elle poursuivit, il se gratta nerveusement la barbe.

Il s'attendait pas vraiment à ça. D'un côté, elle avait délaissé l'épineux sujet de son deuil en attente, ce qui n'était probablement pas plus mal, étant donné les faibles compétences de Lïnko pour y faire face. De l'autre, ses propos faisaient remonter en lui le détestable sentiment de culpabilité. Ce dernier n'était d'ailleurs probablement pas prêt de s'éclipser. Fuyant inconsciemment les yeux en amandes de Juliet, il admirait bêtement le fond de son bol de soupe. C'était le moment de dire quelque chose, mais quoi ? Malheureusement pour le viking, le fond du bol ne lui souffla aucune piste, aussi, il se lança dans une réponse sans forcément réfléchir à ce qu'il disait.
« Toi aussi, tu m'as manqué. J'ai loupé énormément de choses... Et même si maintenant, j'espère, et je sais qu'on rattrapera le temps perdu, je vais m'en vouloir pour un temps. Peut-être même qu'Odïn me refusa l'accès à sa table, maintenant. » C'était bien possible, vu comment il avait été lâche. Dans le pire des cas, son destin serait scellé. Du moment que Juliet acceptait de le laisser revenir dans son cercle de proches, c'était l'essentiel.

Reniflant un coup, il s'essuya la bouche d'un revers de manche, avant de poursuivre après avoir laissé lui aussi un bon silence. « Tu te souviens, la première fois, quand tu t'es bêtement trompée de chambre pour arriver dans la mienne ? Tu m'avais même raconté que t'avais réussi à t'empaler seule sur un ciseau. Faut le faire, quand même. » Réalisant l'inutilité de ce souvenir, il jeta un coup d'oeil à la jeune femme. Pourquoi il lançait une pointe de nostalgie, tout à coup ? Peut être pour dire qu'en effet, elle était importante pour lui, sûrement plus que l'inverse, d'ailleurs, et pour souligner à quel point elle lui avait manqué. Ouais, c'était peut être ça que son inconscient avait voulu faire passer. Prit d'un petit rire soudain, il ajouta même « En fait, j'avais la trouille que Logan nous tombe dessus, et qu'il me botte le cul hors du groupe, ahah... Je venais à peine d'arriver, ça aurais fait mauvaise impression, faut dire. Tu lui as déjà raconté ? Je suis sûr que ça le ferait marrer. » Comme illuminé d'un trait de génie, il s'intéressa à un sujet tout autre. Avisant plus sérieusement son amie, il termina : « A ce propos, ça va avec Kelly ? Elle à l'air gentille avec toi, c'est très bien. »

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Juliet attrapa tous ses cheveux d’une main, pour les déplacer d’un seul côté de sa nuque. Elle sentait les tensions de ces derniers jours, sans doute même de ces derniers instants, nouer ses épaules, et tirer sur sa nuque. Elle n’espérait même pas que la nuit puisse lui apporter le moindre réconfort, pas alors qu’essayer de trouver le sommeil était une pénible épreuve, et que chaque nuit apportait son lot de cauchemars. Sans pouvoir s’en empêcher, elle fronça doucement les sourcils quand, face à cet aveu qu’il lui manquait, Lïnko avait subitement détourné le regard, comme s’il se sentait mal à l’aise. Pour le coup, elle ne savait plus vraiment comment réagir, elle qui n’avait pas voulu que la situation redevienne tendue entre eux. D’un geste raide, Juliet se gratta l’arrière de la tête, avant de relever subitement ses yeux bleus lorsque son ami reprit la parole. Un petit soupir de soulagement s’échappa des lèvres entrouvertes de la jeune femme, qui fut bien contente que sa maladresse n’ait pas définitivement coupé la langue de l’islandais. En revanche, elle n’aimait pas trop l’entendre dire qu’il s’en voudrait pour quelques temps, sans doute parce qu’elle avait peur que sa culpabilité ne l’éloigne encore un peu d’elle. « -Moi je t’en veux pas…alors tu dois pas t’en vouloir non plus… » lâcha-t-elle doucement, en le fixant de ses yeux rougis, même si elle savait bien que tout ne se résoudrait pas par ces quelques mots magiques.

Juliet s’installa en tailleur sur le banc, complètement tournée vers Lïnko, tandis qu’il reprenait la parole, pour évoquer cette nuit où ils s’étaient vraiment rapprochés. Elle s’en souvenait comme si c’était hier, et même si elle s’était sentie stupide comme pas possible en se glissant dans le lit de l’islandais cette nuit-là, elle ne pouvait nier que ça avait été l’une des bourdes qu’elle avait préféré faire. Elle esquissa un petit sourire nostalgique, avant de hocher la tête : « -Bien sûr que je m’en souviens. De toutes les conneries que j’ai pu faire dans ma vie, c’est sans doute une de mes préférées. » lui répondit-elle en repensant à cette nuit, des siècles plus tôt. Sur le moment, elle s’était sentie confuse comme jamais, et avait eu peur que Lïnko ne se méprenne sur ses intentions. Mais heureusement, ils avaient fini par rire de la situation, qui leur avait permis de devenir amis. Jules ne cacha pas son air étonné quand il reprit la parole, ne s’imaginant pas un seul instant que son interlocuteur avait pu être impressionné par Logan. « -Sérieusement ? Ça aurait pu être drôle comme moment ! » enchaina-t-elle rapidement, en s’imaginant Lïnko se faire tout petit face à la montagne Logan, qui déchaînait ses foudres sur lui. C’était presque amusant à imaginer. Mais leur leader n’avait jamais rien su de cette nuit-là, et ce n’était certainement plus maintenant qu’elle allait aborder le sujet avec lui. De toutes façons, Logan n’avait pas à savoir tout ce qu’il se passait dans la vie de son ex. Ils n’étaient plus ensemble, ne le seraient plus jamais, et elle avait bien le droit de garder ce qui lui arrivait pour elle. Elle n’était même pas certaine qu’il s’en serait pris à Lïnko, il n’aurait plutôt pas eu intérêt, et s’il les avait pris la main dans le sac, Juliet l’aurait plutôt imaginé bouder pendant quelques jours. « -Tes fesses sont sauves, je lui ai jamais rien dit. On a qu’à dire que c’est notre petit secret. » Elle aurait voulu ponctuer ses paroles d’un large sourire amusé, pour lui montrait qu’elle essayait de le taquiner, mais le cœur n’y était pas vraiment.

Et il fallait bien avouer que le sujet que Lïnko abordait désormais ne risquait pas de lui redonner le sourire. Il avait raison, Kelly était très gentille, c’était sans doute une des meilleures personnes que Juliet n’ait jamais rencontré. Mais les choses entre elles n’étaient plus ce qu’elles étaient, et la brune ne pouvait nier que son couple était en train de s’étioler, lentement mais sûrement. « -Je… » Elle ne savait même pas comment formuler ses pensées, tellement c’était le bordel dans sa tête ces derniers temps. Au fond, Juliet avait l’impression que Kelly et elle n’étaient plus que de simples colocataires partageant une maison. Elle détourna le regard pour fixer ses doigts, cherchant encore un peu ses mots. « -C’est un peu compliqué en ce moment. Elle essaye d’être là, de se montrer présente, et moi…moi je passe mon temps à la fuir. » Elle fronçait les sourcils en même temps qu’elle parlait, comme si elle analysait réellement la situation en même temps qu’elle l’évoquait. Jules savait bien que leurs problèmes de couple ne venaient pas de Kelly, bien au contraire, elle était sûre des sentiments de la jeune femme à son égard, et elle se rendait bien compte que c’était elle qui était en train de tuer leur relation à petit feu. « -J’essaye tu sais…de…pas la repousser, d’accepter son aide, ses paroles, mais…j’y arrive jamais, c’est plus fort que moi. On dort même plus ensemble. Je sais pas si…je sais pas si on arrivera à surmonter ça Lïnko… » Son regard était redevenu triste, malgré elle, alors qu’elle évoquait à voix haute ce qui ressemblait pourtant à une évidence. Elle ne pouvait pas blâmer Kelly, le problème venait d’elle, qui s’enfermait toujours dans une bulle quand elle allait mal. Extérioriser, elle n’avait jamais appris à le faire, et aujourd’hui plus que jamais elle se rendait compte à quel point cela pouvait lui porter préjudice.

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Après une pause repas plutôt silencieuse, il avait pu évoquer sa culpabilité, suite à quoi la jeune femme avait annoncé ne pas lui en vouloir à ce sujet. Il comprit que ce n'était plus le moment de remettre ça sur le tapis, ça n'arrangerait rien à la situation, et de toute façon, c'était quelque chose qu'il allait devoir régler avec lui même. Juliet avait la gentillesse de ne pas s'offusquer là-dessus, et maintenant qu'ils s'étaient retrouvés, inutile de formuler de nouveau ses regrets. Heureusement pour lui, l'instant nostalgie fût bien accueilli par la brune. C'est vrai que l'islandais ne savait plus trop pourquoi il avait évoqué leur première rencontre, mais sur l'instant, ça lui était venu comme ça. De toute façon, c'était un bon souvenir, puisque celui de leur rencontre, alors sur le coup, il ne s'était pas trop posé de question, et c'était un peu lâché à révéler davantage de détails. A l'évocation de sa légère crainte de se faire surprendre par Logan, la survivante avait semblé surprise, et amusée, également. Une bonne chose. La distraire quelques instants de son lourd fardeau de mère endeuillée, c'était presque une priorité, actuellement. Moins que de retrouver la Juliet qu'il connaissait, mais de toute évidence, les deux paramètres étaient liés.

Toutefois, à sa dernière réplique, son interlocutrice sembla se refermer. Quittant son regard, elle affichait une posture davantage en retrait... Hésitante, elle accepta tout de même de se livrer à ce nouveau sujet, qui paraissait également douloureux pour la jeune femme. En premier lieu, Ice se maudit fortement, puis il s'appliqua à recevoir les dires de son amie. Après tout, il était là pour la soutenir, et, à défaut d'être à l'aise dans ce genre d'échanges, il pouvait au moins l'écouter. Affectée par ce qu'elle lui livrait, Juliet se montrait blessée par son propre comportement. Malgré l'évidente attention que Kelly lui démontrait, la brunette adoptait une posture de repli, fuyante à toute tentative d'aide de la part de la survivante aux cheveux colorés. Se sentant toujours étrangement agacé et attristé lorsque Juliet affichait un regard plus terne qu'à l'usuel, le nordien lui fit de nouveau face et saisit ses mains pour les garder dans les siennes.

« Hey... Dis pas ça. » commença-t-il, bien qu'il n'avait toujours aucune idée de la bonne posture à adopter. « Je suis sûr qu'elle comprend pourquoi tu agis de la sorte, après tout, elle te connaît, Jul'.» Faisant glisser ses pouces sur les doigts fins de son amie, il poursuivit, du même temps qu'il replaçait sans trop savoir pourquoi une mèche rebelle derrière l'oreille de la brune, « Tu n'as pas à te forcer, simplement, là aussi, il te faut attendre, et penser d'abord à toi. » C'est sûr que si Juliet s'inquiètait de Kelly en plus de ce qu'elle traversait en ce moment, -ce qui était très certainement le cas-, ça compliquait davantage la situation. Bien sûr, même sans être quelqu'un de sentimental, Lïnko comprenait qu'étant attachée à cette femme, Jul' soit blessée de ne plus être la même dans leur relation... Sans lâcher les mains de la survivante, le nordien inspira et étira ses épaules avant d'ajouter « Enfin, tu sais que je suis certainement pas le meilleur conseiller conjugal, mais si tu as besoin de parler ou de changer d'air, je suis là, maintenant. »

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Pour une raison qui lui échappait totalement, Juliet se surprenait à réussir à parler de sa relation qui coulait à pic avec une facilité presque déconcertante. Il fallait bien dire qu’en ce moment, tout passait en seconde position, voire même très loin derrière tout ce qui emplissait toutes ses pensées, à chaque heure du jour et de la nuit : le vide qu’Eulalie avait laissé dans chaque cellule de son corps. D’ailleurs, elle n’avait abordé ce sujet épineux avec personne, cette façon dont son couple était en train de mourir lentement sous ses yeux sans qu’elle ne fasse rien pour l’en empêcher. Même Kelly et elle n’avaient pas jugé bon d’essayer de discuter, pour peut-être, arranger les choses. Enfin non, ce n’était pas tout à fait exact. Kelly avait bien essayé, mais Juliet, elle, n’avait jamais pu se résoudre à rester gentiment assise à une table pour parler. Parler, ça n’avait jamais vraiment été son point fort de toutes façons.

La brune ne broncha pas lorsque Lïnko s’empara de ses mains, bien qu’elle dût bien admettre que son geste la surprenait un peu. Elle resta bêtement à regarder ses petites mains dans celles si chaudes de l’islandais, avant de finalement relever les yeux vers son visage, quand il reprit la parole. Juliet l’écouta, ne pouvant s’empêcher de hausser une épaule lorsqu’il lui annonça que Kelly la connaissait, et qu’elle devait sans doute comprendre les réactions de sa compagne. Au fond, Jules elle-même n’était pas certaine de comprendre pourquoi elle réagissait de cette façon-là. Elle avait l’impression de détruire tout ce qu’elle touchait. Elle était en train de faire du mal à Kelly, et bien que Juliet s’en veuille pour cela, elle ne parvenait pas pour autant à accepter la présence de la jeune rouquine. La brune fixa Lïnko dans les yeux quelques secondes, avant de pencher doucement la tête quand il replaça l’une de ses mèches de cheveux. Est-ce qu’il s’était toujours montré aussi délicat envers elle, ou bien était-ce un contre-coup de ces retrouvailles permises par Nanna ? Elle n’eut pas l’occasion de se pencher davantage sur le sujet qu’il reprenait la parole, tandis que Jules détournait le regard pour fixer le feu quelques instants.

Penser à elle ? Elle avait l’impression de ne faire que ça, et d’être la personne la plus égoïste du monde en ce moment. Malgré tout, elle tâcha d’esquisser un petit sourire à la dernière remarque de son ami, en essayant de paraître plus détachée : « -Tu sais, tu devrais éviter de dire ça, sinon tu risques de me voir débarquer chez toi tous les jours… » Autant dire qu’elle fuyait autant de fois qu’elle le pouvait la maison qu’elle partageait avec Kelly, et qu’elle ne rechignait pas, loin de là même, à passer quelques heures en compagnie de Lïnko. Ils n’auraient même pas à se lancer dans de longues conversations, ils pouvaient tout aussi bien partager la même pièce en silence, Juliet en serait plus que ravie. Elle profita du fait que ses mains étaient toujours en bonne place entre celles de Lïnko pour serrer doucement la main du jeune homme entre ses doigts. « -Merci…de m’avoir écouté vider mon sac… » Elle lui adressa un nouveau sourire, ou du moins essaya, tâchant de lui montrer à quel point elle était réellement reconnaissante d’avoir pu se confier un peu, sans qu’il ne la juge.

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Maintenant que l'épineux sujet de la joyeuse petite Eulalie avait quitté la conversation, le duo en avait abordé un qui s'avérait tout autant source de souffrance pour Juliet. Si le barbu en croyait ses dires, la situation était loin d'être au beau fixe. Il ne doutait en rien de l'attitude protectrice de Kelly, seulement, comme son amie partageait quelques traits de son caractère, comme le peu d'amour pour le dialogue, ça ne simplifiait pas les choses. Mais ce n'était pas de sa faute, et Lïnko le savait bien. Elle traversait une phase réellement compliquée, et n'était pas en mesure de résoudre des situations conflictuelles supplémentaires, voilà tout. Et s'il n'était pas sûr d'avoir choisi les bons mots pour lui montrer qu'il l'avait entendue, l'islandais l'était en revanche quand il lui avait dit de penser d'abord à elle. A ce moment, Juliet avait préféré détourner le regard pour admirer les flammes, aussi, Ice n'avait pas souhaité poursuivre là-dessus.

Par contre, elle accueillit sa proposition avec un léger sourire. Satisfait d'avoir au moins réussi à faire ça, l'homme inclina la tête avant de confirmer son invitation.  « Tu seras toujours la bienvenue Juliet, t'as même pas à hésiter. » Bon, ça faisait peut-être un peu étrange venant de lui mais... Oh bah tant pis. Baissant les yeux sur leurs mains au contact des doigts de la brune, il les releva juste à temps pour la voir sourire, plus sincèrement cette fois-ci. Le barbare resta un instant à la fixer, avant de lui rendre son sourire. « C'est moi qui te remercie. Grâce à toi, j'ai retrouvé une des rares personnes que j'apprécie. » Et pourtant, il redoutait que, malgré leur évidente réconciliation, cette dernière reste fragile. Ou, que d'une manière ou d'une autre, Juliet reste sur ses gardes à son égard. Ce qu'il aurait d'ailleurs compris, dans un sens. Après tout, elle ne lui devait rien, et avait d'autres personnes sur qui elle pouvait probablement compter.

Mais, maintenant qu'il l'avait retrouvée, Lïnko ne comptait pas s'éloigner d'elle à nouveau. Avant l'épisode tragique de la disparition d'Eulalie, il n'était même pas vraiment disponible, toujours à vadrouiller dehors, en quête de gibier, et d'apaisement, en dégommant à peu près tout ce qu'il croisait. Et au final, même s'ils étaient en bons termes, Juliet et lui ne passaient que très peu de temps à être réellement ensembles, comme des amis le feraient certainement. L'islandais ne s'en rendait compte que maintenant. Regardant pensivement les poignets nacrés de la jeune femme, il se promit de faire des efforts pour l'accompagner davantage, désormais. Elle avait peut être besoin de lui pour avancer plus vite, ou plus facilement. Et puis, il n'avait plus autant besoin de faire sortir sa rage lors de chasses sanglantes en extérieur. Durant sa réflexion, le barbu avait laissé un bon silence. Finalement, il capta de nouveau le regard plaisant de Juliet, pour annoncer « D'ici deux trois jours, j'aurais probablement réussi à prendre des poissons. Tu pourrais venir goûter à une brochette, paraît que ça rend intelligent.  » Sous la touche d'humour se cachait bien évidement une invitation à revenir vers lui. Laisser la jeune femme se faire rattraper par des idées noires, ça semblait pas être une bonne idée.

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Juliet ne mentait pas, et ça faisait vraiment du bien de pouvoir parler à quelqu’un. Oh bien sûr, il y avait Maddie, qui avait toujours tout su de sa vie. Mais Maddie ne se contentait en général pas d’écouter, et ses conseils, pourtant précieux, suivaient toujours les paroles de Juliet. Là, à cet instant, elle avait simplement l’impression qu’elle pouvait s’exprimer sans que tout ce qu’elle dise, ou fasse, ne soit passé au crible. Et c’était agréable. La compagnie de Lïnko l’était d’ailleurs tout autant. La brune acquiesça aux paroles de l’islandais, appréciant cette proposition qu’il lui faisait de venir le voir aussi souvent qu’elle en avait besoin.

A ses nouvelles paroles, Juliet tenta un petit sourire qui se transforma finalement en grimace, tandis qu’elle cherchait du regard la petite biquette dans la cabane : « -En fait…c’est Nanna qu’il faut remercier. Si elle était pas venu m’embêter, je sais pas si j’aurai eu le courage de venir jusqu’ici… » Elle avait fait cet aveu sans difficulté, parce qu’elle semblait convaincue que la situation entre eux s’était améliorée, et que la relation qu’ils avaient nouée survivrait finalement à ce vide qu’ils avaient connu. Juliet détourna finalement le regard de l’animal, pour fixer une nouvelle fois Lïnko, qui semblait étrangement pris dans ses pensées. Elle suivit le regard qu’il posait sur ses mains, tandis qu’à son tour, elle les fixait pendant quelques instants, jusqu’à ce qu’il finisse par redresser la tête, entraînant un mouvement similaire de la part de Jules. Elle plissa les yeux à ses paroles, tandis qu’un petit sourire naissait au coin de ses lèvres : « -Ah oui ? T’aurais peut-être dû en manger un peu plus dans ton enfance alors ! » C’était la première fois qu’elle se laissait aller à une petite plaisanterie, depuis ce qui devait ressembler à une éternité. Et elle ne pouvait nier que ça faisait un bien fou. La brune poussa doucement Lïnko, comme pour le taquiner un peu plus, avant d’étouffer un long bâillement. Ses yeux la piquaient, conséquence de ses pleurs et de toute la fatigue accumulée, et elle se les frotta quelques instants avant de soupirer. « -Je devrais rentrer…Maddie va finir par s’inquiéter et mettre tout le camp en alerte… » Ce n’était même pas comme si Juliet essayait de faire de l’humour, elle le pensait réellement, et la rouquine ne tarderait pas à s’imaginer mille et un scénarios si Juliet ne rentrait pas vite chez elle.

A contre-cœur, elle ne le niait pas, Juliet se leva du banc, avant de s’étirer quelques secondes : « -Merci, pour la soupe, et…tout le reste aussi. » La jeune femme réenfila sa veste, tandis qu’il se levait à son tour, et l’accompagnait jusqu’à la porte. L’air froid de ce mois de janvier ne tarda pas à rosir les joues de Juliet, tandis qu’elle se tournait une nouvelle fois vers Lïnko, lui adressant un dernier regard. Sans trop savoir ce qui lui prenait, et avant même de comprendre ses intentions, Jules s’était dressée sur la pointe des pieds pour déposer un baiser sur la joue du jeune homme, avant de se reculer un peu précipitamment. Elle adressa malgré elle une petite grimace gênée à son ami, avant de faire quelques pas pour s’éloigner de la porte d’entrée. Mais Juliet ne s’était pas bien éloignée qu’elle s’arrêta brusquement, avant de se tourner une nouvelle fois : « -On se revoit dans deux jours alors ? » Au fond, ce n’était pas vraiment une question, plutôt la confirmation qu’elle serait bien là, prête à partager son repas, et peut-être même à faire l’effort d’avaler réellement quelque chose cette fois-ci. Puis après un dernier signe de la main, la brune s’éloigna rapidement, en resserrant son manteau autour de son cou. Il ne lui fallut pas bien longtemps pour rejoindre la maison qui avait été prêté à Maddie, pas très loin de celle de Juliet, et après avoir toqué brièvement, elle entra se mettre au chaud, se sentant déjà plus légère qu’en début de journée, comme si une partie du poids qui crispait ses épaules s’était envolé.

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A la mention de la biquette fuyarde, Lïnko esquissa un sourire en détournant la tête pour poser lui aussi les yeux sur Nanna. L'air de rien, il lui en devait une belle. Si cette dernière n'était pas tombée sur Juliet, il est vrai que cette discussion n'aurait probablement pas eu lieu... Et sa réconciliation avec son amie non plus, de ce fait. Revenant aux yeux en amande de la jeune femme après un moment de réflexion intérieure, le barbare lui fit une proposition, qui sonnait en réalité comme une une invitation à revenir vers lui. Amusée, la brune se laissa aller à une petite pique, qui fit froncer les yeux de l'islandais, comme s'il ne voyait absolument pas pourquoi il avait besoin d'intelligence supplémentaire. Simulant d'être déséquilibré par le coup de Juliet, il se pencha sur le côté avant de retrouver une posture normale.

C'était amusant de la voir réagir comme ça. Comme si leur période de "froid" n'avait jamais existé. Et, plus important encore, ça avait le mérite d'éclaircir son doux visage, marqué par la tristesse qui la hantait comme un mauvais esprit. Lïnko la regarda se frotter les yeux, pendant qu'elle annonçait son départ prochain. Il acquiesça machinalement, persuadé que l'ouragan qu'était la rouquine était bel et bien capable de passer le camp au peigne fin pour retrouver sa meilleure amie. Se redressant donc, Juliet se prépara à partir, le remerciant au passage pour le bol de soupe qu'elle n'avait pourtant quasiment pas touché. Naturellement, l'islandais la raccompagna jusqu'à la sortie, profitant au passage de l'air vif et rafraîchissant qui régnait au dehors. Ça n'était pas sans lui rappeler son petit village, en Alaska, et c'était toujours agréable.

Sans trop comprendre ce qui se passait, il reçu un baiser d'au revoir sur la joue. Mais le temps qu'il capte le regard clair de la jeune femme, elle commençait déjà à s'éloigner. Admirant bêtement le sol en frottant sa barbe à l'endroit ou les lèvres de Juliet s'étaient posées, le nordien relava vivement la tête aux paroles de la brune, stoppant son geste. Acquiesçant avec un sourire, Ice lui retourna son signe de la main. Il resta planté sur le pas de la porte, attendant que la silhouette fine de son amie disparaisse de son champ de vision. Ceci fait, il regagna l'intérieur de sa maison, et dérangea Nanna qui roupillait le plus paisiblement du monde, pour se poster en tailleur devant le feu qui crépitait toujours. Farfouillant le pelage bicolore de la biquette, Lïnko se perdait dans ses pensées en contemplant la danse des flammes orangées. Deux, trois jours. Avait-elle dit. Au souvenir de ses paroles, le barbare adressa un sourire aux flammes.

BLACK PUMPKIN