Assise en tailleur sur le canapé du salon dont elle était la locataire, Juliet serrait entre ses mains une tasse de café noir bien chaud. Elle en était devenue totalement accro des siècles plus tôt, quand elle avait bossé dans un petit café près de son université à Burlington. Elle était tombée dedans, et à l’époque où leur monde avait encore un sens, elle ne comptait plus les tasses qu’elle buvait par jour. Mais avec l’arrivée des rôdeurs, la brune avait dû mettre sa passion pour la caféine de côté, et elle ne s’autorisait désormais une bonne tasse de café que quand les temps étaient durs. Et aujourd’hui semblait être l’un de ces moments. Malgré elle, Jules se sentait très morose ces derniers temps. Bien malgré elle, certaines pensées ne la quittaient pas, ne lui laissant que peu de répit. Cela faisait quelques jours que Kelly avait quitté Juliet, laissant par la même occasion Fort Hope derrière elle, et cela faisait autant de temps que la jeune femme n’avait plus quitté leur maison. Enfin…sa maison, à présent. Sa maison à elle seule. Son immense maison, bien trop grande pour elle. Et concernant cela, Juliet avait la solution idéale. Elle termina d’une traite ce qu’il restait de son café, puis attrapa sa veste, et quitta la maison sans même prendre la peine de verrouiller derrière elle.

Jules avait fini par rejoindre l’armurerie, où se trouvait Maddie, prenant son rôle très au sérieux. Juliet et elles avaient discuté, tout d’abord de choses et d’autres, de sujets légers que la jeune femme aimait aborder quand elle se sentait gênée, quand elle avait besoin de parler de quelque chose, mais que les mots s’emmêlaient dans son esprit, ou qu’elle craignait la réaction de son interlocuteur. Mais la rouquine avait vu juste dans son jeu, comme bien souvent, et elle ne s’était pas embarrassée de manière, comme elle seule savait si bien le faire, pour demander à Juliet de cracher le morceau. Et finalement, après quelques nouvelles secondes d’hésitation, elle finit par poser à Maddie la question qui tournait en boucle dans son esprit depuis quelques temps déjà. Maintenant que Kelly était partie, la maison que Juliet trouvait déjà si silencieuse l’était devenue encore plus, l’ambiance plus pesante que jamais, et Juliet détestait cela. Elle savait aussi que sa meilleure amie avait besoin de compagnie, son tempérament joyeux sans doute mit à mal par la vie en solitaire, et l’idée de proposer à la jeune femme de venir vivre avec elle avait naturellement émergé dans l’esprit de la brune. Maddie ne mit pas bien longtemps à accepter, au plus grand soulagement de Juliet, qui après une étreinte rapide, la laissa à sa besogne.

Une fois la porte de l’armurerie fermée, la jeune femme resserra sa veste autour de son cou, avant de s’avancer d’un pas rapide vers sa maison, où elle s’apprêtait à préparer l’arrivée de Maddie. Il n’y avait pas grand-chose à faire au fond, mais Jules était contente de pouvoir s’occuper, même si ce n’était que dix petites minutes. Elle devait sans doute être vraiment ravie de la nouvelle, et toute prise dans ses pensées, car elle mit un peu trop de temps à se rendre compte de Logan, qui marchait dans la grande avenue, presque en face d’elle. Et merde. Juliet se stoppa net, et avant même de réfléchir à ce qu’elle devait faire, ses pieds firent demi-tour, et la conduisirent dans la direction opposée à celle que prenait le barbu. Elle n’avait pas vraiment envie de tomber sur lui et de devoir faire la conversation, si bien qu’elle marcha d’un pas un peu plus rapide, pour mettre le plus de distance possible entre eux.

Jamais avant que le monde ne s'écroule Logan ne s'était si souvent senti écrasé par le poids de la culpabilité. Il avait sans doute bien des sujets sur lesquels rougir, mais il ne s'en encombrait pas tant que ça ne l'empêchait pas de dormir. Pourtant cette dernière année, il s'était retrouvé à regretter plus de choses qu'en toute une vie. Et en ce moment, ça l'agaçait encore plus que d'habitude, probablement parce qu'il n'avait pas la moindre idée de comment il réglerait l'histoire qui le préoccupait actuellement.

Pour éviter d'y penser et sans aucune guerre à préparer, il était sorti à l'aube et avait fait le tour de la ville, un peu au hasard, pour s'arrêter finalement au MGM Grand Detroit, où il avait passé le reste de la matinée à ratisser ce qu'il restait des chambres de l'hôtel. Ses maigres trouvailles n'apporteraient pas grand chose au bien-être de son groupe, ce qui le rendit encore plus grognon qu'il ne l'était déjà. Ça et le fait que, tout au long de ses fouilles, la conversation qu'il avait eu avec Maddie quelques jours plus tôt continuait de tourner en boucle dans son esprit. D'un côté, il aurait du se satisfaire de n'avoir rien de mieux à s'inquiéter que de son ex compagne. D'un autre, il avait espéré sincèrement en avoir terminé avec cette histoire et le malaise qu'il ressentait depuis que la rouquine l'avait détrompé signifiait clairement qu'il n'en était rien.

Malheureusement, au début de l'après-midi, Logan commençait à être à court d'excuse pour rester à traîner dans l'hôtel et un siège auto abandonné dans l'une des chambres lui rappela assez douloureusement qu'il était désormais l'heureux père d'un bébé de six mois qui ne pourrait se passer de lui des jours entiers sans une très bonne raison. Aussi, il se dépêcha de fourrer dans son sac à dos tout ce qu'il avait trouvé d'utile et de rentrer à Fort Hope, non sans traîner un peu des pieds. Il mit une bonne heure à rejoindre le camp, laissant la voiture qu'il avait emprunté à l'extérieur comme il en avait pris l'habitude, pour remonter la rue protégée par les remparts à pieds. Il faisait encore assez froid pour qu'il puisse espérer ne croiser personne, même s'il devait remonter toute la trop longue rue pour rejoindre sa maison tout au bord du lac et pendant les premiers mètres, il fut soulagé d'être réellement seul dehors.

Hélas, son soulagement fut de courte durée et il était encore trop loin de chez lui quand il aperçut une silhouette sortir de la maison servant d'armurerie pour remonter la rue en sens inverse. En d'autres occasions, ça ne l'aurait pas dérangé. Il suffisait de croiser la personne, de la saluer rapidement et de continuer son chemin. Mais même à cette distance, cette silhouette, il l'aurait reconnu entre mille. Juliet. Depuis quand n'avaient-ils pas parlé, tous les deux ? Quelques semaines plus tôt, Logan avait mis cette soudaine distance entre eux sur le compte de ses occupations. Entre préparer et mener à bien une attaque, s'occuper de sa fille et le départ de Kelly, les excuses ne manquaient pas pour justifier que les deux adultes, toujours collés l'un à l'autre depuis la mort d'Eulalie, se retrouvent tout à coup à ne plus se voir que par hasard et sans vraiment prendre le temps de se dire un mot. Mais depuis que Logan avait parlé avec Maddie, il commençait à voir les choses d'un autre œil et à se dire que peut-être, la rouquine avait craché le morceau. Après tout, elle lui avait bien balancé en pleine tronche que son ex l'aimait toujours, alors qu'il aurait parié que c'était le genre de détails que Juliet aurait préféré garder secret. Et voilà que sa culpabilité l'assommait de nouveau, alors que se réduisait la distance entre eux.

Il envisageait sérieusement de continuer à faire l'autruche, croiser la jeune femme sans dire un mot et tracer sa route jusque chez lui. Bref, la jouer lâche et repousser la conversation qu'ils finiraient par avoir pour un autre jour. Mais quand Juliet le remarqua enfin, elle tourna les talons précipitamment et se mit à marcher un peu plus vite dans l'autre sens, ce qui fit froncer les sourcils à Logan. Admettons qu'elle ait eu une véritable raison pour changer de destination si soudainement, il n'y avait absolument rien à voir de ce côté-là de la rue, si ce n'était le lac et la tombe de leur fille. Non, elle le fuyait, tout simplement. Cette réaction le piqua dans son orgueil. D'accord, il avait merdé en ne lui disant pas tout de suite qu'il avait épousé Joy, mais... elle exagérait un peu, là, non ?  En tout cas, elle l'avait suffisamment vexé pour qu'il se décide à assumer ses actes dès maintenant et il accéléra le pas à son tour, bien décidé à la rejoindre avant qu'elle n'aille se jeter dans le lac pour l'éviter.

« Juliet ! » appela-t-il en arrivant quelques mètres derrière elle. L'avantage d'avoir de grandes jambes, il faisait de plus grandes enjambées. Et à moins qu'elle ne se décide réellement à se jeter à l'eau, elle ne pourrait plus le fuir maintenant. « On peut parler, s'il te plaît ? » Il arriva enfin à sa hauteur, l'air renfrogné bien malgré lui. Même s'il était probablement le méchant de cette histoire, il trouvait ridicule qu'elle réagisse comme ça au lieu de lui en coller une bonne ou de lui cracher son venin au visage une fois pour toute. « Maddie t'a tout raconté, c'est ça ? » demanda-t-il de but en blanc. Tourner autour du pot avait peut-être été l'une de ses spécialités avec elle par le passé, mais là, il n'avait plus la patience pour ça.  

Marcher, vite. Accélérer pour mettre le plus de mètres possibles entre Logan et elle. Juliet marchait les épaules droites, raides répétant en boucle dans sa tête une petite litanie incessante « faites qu’il rentre chez lui, faites qu’il rentre chez lui ». C’était jouable, non ? Juliet n’aurait su dire depuis combien de temps Logan et elle n’avaient pas passé un peu de temps ensemble, eux qui avaient passé de longues journées côte à côte après le décès d’Eulalie. Maintenant, ils ne faisaient plus que se croiser, incapables d’échanger plus qu’un simple bonjour, avant que l’un d’entre eux ne finisse par retourner vaquer à ses occupations. Le barbu pourrait s’en tenir à cela, et rentrer gentiment chez lui sans chercher à discuter. Elle se raccrochait à cette idée, se disant qu’avec son rôle de leader il avait sans doute mieux à faire que de chercher à discuter avec quelqu’un qui le fuyait clairement, mais c’était visiblement sans compter sur Logan, qui ne tarda pas à prononcer le prénom de la jeune femme dans son dos. Mais Juliet était têtue, et cela ne la convainquit pas de ralentir le pas, et de s’arrêter pour faire face au mécanicien. Pire, elle était même certaine qu’elle avait encore un peu accéléré. Et avant même de se rendre compte qu’elle s’était piégée toute seule et qu’elle n’avait plus d’endroit où se réfugier pour échapper à Logan, Juliet se retrouva au bord du lac, contrainte de se retourner pour affronter son ex.

Logan ne tarda pas à lui faire face, lui demandant s’ils pouvaient parler un peu. A l’air renfrogné du brun, Juliet lui opposa un air fermé, presque froid. Non, elle n’avait pas envie de discuter. Ni aujourd’hui, ni demain, ni jamais, au fond. C’était stupide, de toutes façons Jules se doutait bien qu’il faudrait qu’ils se fassent face à un moment ou à un autre. Mais pas aujourd’hui, elle savait qu’elle n’avait pas encore assez digéré sa colère, ou sa rancœur. Elle n’était de toutes façons pas douée pour les discussions, et Logan n’était pas vraiment plus doué pour ça qu’elle. Et puis, ils suffisaient de voir leurs têtes respectives pour comprendre que rien ne bon n’allait sortir de cet échange qu’il semblait déterminé à avoir. « -Non, j’ai pas envie de… » Elle n’eut pas l’occasion de terminer sa phrase, qu’il reprenait déjà, allant droit au but pour une fois, ce qui ne manqua pas d’étonner la jeune femme. Depuis quand est-ce qu’il était devenu aussi direct ?

Juliet serra les dents, détournant les yeux pour fixer le lac pendant quelques secondes, avant de relever son regard dur vers Logan. La brune ne voulait pas mettre Maddie en porte à faux avec lui, et même si la rousse avait effectivement vendu la mèche, Jules n’allait pas l’avouer à Logan. Ce n’était sans doute pas de la faute de Maddie, il fallait dire qu’elle avait agi bizarrement, ce qui avait éveillé la curiosité de Juliet, qui l’avait harcelé de questions, se demandant ce qui rendait son amie si nerveuse. Et lorsqu’elle était nerveuse, la rouquine avait la fâcheuse habitude de parler, encore, et encore, et encore, quitte à dévoiler des détails qu’elle aurait sans doute du garder pour elle. De toutes façons, Maddie n’était pas celle à blâmer dans cette histoire, pas vrai ? Elle n’aurait eu aucun secret à garder si Logan n’avait pas décidé de faire des cachotteries à tout le monde. Non, s’il n’avait pas menti, plutôt. Et puis, il fallait dire que Maddie n’avait rien dit à Juliet qu’elle ne savait pas déjà. « -Elle a pas eu à le faire. Quoi, ta petite femme t’as pas dit qu’on avait discuté toutes les deux ? » répondit-elle d’un ton froid en lançant un regard noir à Logan au passage. Elle avait pensé que Joy lui aurait dit que Juliet était passée lui rendre une petite visite, qui s’était terminé d’une façon que la brune avait été loin d’imaginer.

Pendant une toute petite seconde, Logan eut envie de partir en courant. Il avait été stupide de croire que parler maintenant serait une bonne idée. Que croyait-il ? Maddie l'avait pourtant prévenu qu'il aurait du lui en parler lui-même, elle l'avait prévenu aussi qu'il lui avait probablement brisé le cœur une fois de plus avec cette histoire. Il aurait mieux fait de la laisser tranquille s'il tenait à elle autant qu'il le prétendait. Et à en croire l'air glacial que Juliet lui offrait, elle était du même avis que lui. Pourtant, contre toute logique, de la voir aussi distante et énervée le rendait fou de rage et il se trouvait absolument incapable d'en rester là. Il ne croyait même pas chercher à avoir le dernier mot, juste... que ça s'arrange, qu'elle arrête de le détester, qu'il cesse de se sentir coupable et que tout rentre dans l'ordre.

Tout ça semblait être un bon plan, un très bon plan, jusqu'à ce que Logan ose demander si Maddie avait lâché le morceau. La réponse lui fit l'effet d'une douche froide. Non sa « petite femme » n'avait jamais parlé d'une quelconque conversation avec Juliet. En fait, de tous les tabous dans leur couple, Juliet devait être le premier et le plus défendu de tous. Ils n'en parlaient jamais, ils n'en avaient plus parlé depuis... Depuis leur dernière dispute à ce sujet, quelques sept mois plus tôt, qui s'était transformée soudainement en demande en mariage improvisée. Voilà à quel point le sujet Juliet était sensible entre eux. Si Joy avait dit quoi que ce soit à Logan sur cette conversation, elle serait probablement enceinte à l'heure actuelle. Alors d'un côté, il était un peu content qu'elle n'ait rien dit et de l'autre, furieux qu'elle se soit permise d'annoncer elle-même cette nouvelle à Juliet, alors qu'ils s'étaient mis d'accord pour garder le secret.

« Je suis désolé, j'aurais du te le dire moi-même. » concéda Logan après un long silence coupable. Toute sa colère s'était tournée vers Joy après cette révélation et d'un coup, il comprenait bien mieux que son ex lui en veuille à ce point. Si la situation avait été inversée, il n'aurait sans doute pas réagi autrement. Ou si, bien plus violemment peut-être. Alors à part s'excuser, que pouvait-il faire ? Elle le méritait, même si ça ne changerait rien à la finalité, que ça ne rattraperait pas une demi-année de mensonge. Il restait cependant un point que le barbu aurait voulu éclaircir. Une chose qu'il ne comprenait pas bien dans la colère de la jeune femme. Qu'elle lui en veuille d'avoir menti ou d'avoir laissé Joy lui annoncer la nouvelle, passe encore. Mais cela justifiait-il qu'elle lui fasse la gueule à ce point ? Ça faisait des jours qu'elle l'évitait, ça ne pouvait pas venir seulement de ça. « Mais qu'est-ce que ça change, au fond ? Pourquoi est-ce que ça te met tellement en colère ? »

Il ne savait pas trop ce qu'il attendait comme réponse à cette question. Probablement qu'elle confirme les paroles de Maddie, sachant pourtant que même si la rouquine lui avait dit la vérité, il y avait vraiment peu de chance que Juliet le lui dise droit dans les yeux aujourd'hui. Elle ne l'avait pas fait au cours des dix dernières années alors qu'elle en avait eu l'occasion plus d'une fois. Pourquoi le ferait-elle maintenant, alors qu'il semblait être passé à autre chose pour de bon et que, pour la première fois depuis tout ce temps, il n'était réellement plus disponible ? Ils se connaissaient par cœur, ils s'étaient mentis pendant des années par fierté alors que la situation n'avait jamais été aussi bloquée, que le moindre aveu créerait plus de problèmes que de solutions... Elle ne dirait rien et il le savait, pourtant, il restait là à la regarder fixement, trépignant d'entendre ses doutes se confirmer.

Non, visiblement, Joy n’avait pas dit à Logan que Juliet était venue lui rendre une petite visite, totalement pacifiste. Elle était venue sans autre intention que de donner un dessin à la petite rouquine, en espérant lui faire plaisir, ou peut-être pour alléger un peu sa peine. Mais rien ne s’était passé comme prévu, et Juliet était ressortie de là le cœur brisé. Elle ne comprenait même pas comment la conversation avait pu prendre cette tournure, c’était encore une question qu’elle se posait. Elle aurait vraiment dû se contenter de glisser le morceau de papier sous la porte, et de partir sans se retourner. Car au fond, elle préférait encore être dans l’ignorance. Ce qu’on ignorait ne pouvait pas nuire. Le seul problème était que maintenant, elle savait. Et qu’elle ne digérait toujours pas la nouvelle. Elle n’avait pas quitté Logan du regard, le fixant d’un air froid qu’elle ne cherchait même pas à cacher. Et lorsqu’il lui présenta ses excuses, elle eut un rictus, qui n’arrangerait rien à leur situation. « -Nan, sans déconner ? Tu t’excuses. Merci, Logan, vraiment. Ça change tout. » lui répondit-elle d’un ton cynique sans joie, en le fusillant une nouvelle fois du regard. Elle n’en voulait pas de ses excuses, ça ne changerait rien, elle ne se sentirait pas mieux, et la douleur dans sa poitrine ne disparaîtrait pas, comme par magie.

La brune plissa des yeux à sa nouvelle question, avant de soupirer légèrement. Ce que ça changeait ? Tout. Rien. Elle n’était pas vraiment certaine d’avoir la réponse à cette question. Juliet avait eu beau retourner la nouvelle dans sa tête des tas, et des tas de fois, en pleine journée, au beau milieu de la nuit, elle n’arrivait pas à comprendre pourquoi ça la mettait dans cet état, pourquoi elle n’arrivait pas à taire la colère qui brûlait en elle. Elle rejetait en bloc les raisons évidentes de sa réaction, préférant éviter de se perdre dans les méandres de ses sentiments. Rien ne bon ne ressortirait d’un tel exercice. Il y avait une raison simple à sa façon de réagir, et elle s’était raccrochée à ça, refusant de chercher plus loin. Elle se sentait…trahie. Oui, c’était sans doute le mot. « -Ça me met en colère que tu m’aie menti. T’as eu des tas, des tas d’occasions de dire la vérité, et t’as préféré me regarder bien en face, et continuer à mentir. Je suis plus sûre d’avoir envie de te faire confiance maintenant. » finit-elle par lui répondre, après avoir essayé de faire le tri dans ses pensées, peut-être en vain. Elle détourna le regard, glissant ses yeux bleus sur le lac qui s’étendait face à eux, se demandant si finalement elle ne préférait pas tenter sa chance avec l’eau glacée, plutôt que de poursuivre cette conversation épineuse. Elle aurait sans doute même préféré tenter sa chance face à quelques rôdeurs désireux de lui croquer un bout, plutôt que d'être là.

Juliet serra la mâchoire, avant de se mordre l’intérieur de la joue pour éviter de dire tout ce qu’elle avait sur le cœur. Elle savait que ça ne ferait qu’envenimer un peu plus la situation, qui semblait déjà si délicate. Elle ne voyait pas comment les choses pourraient se résoudre, ça faisait longtemps qu’elle ne croyait plus à une solution miracle. Le fragile équilibre qu’ils avaient réussi à instaurer, chacun avec sa compagne respective, semblait sur le point de voler en éclats. Et à chaque fois que Juliet parvenait à se sortir cette histoire de la tête, il suffisait qu’elle aperçoive Logan ou Joy marcher dans le camp pour que tout lui revienne en pleine face. Sa colère, sa tristesse, sa déception. Les excuses du barbu auraient pu la calmer, mais il n’en était rien, et cet air désinvolte qu’il avait en lui demandant ce que la nouvelle de son mariage changeait, l’agaçait encore plus. « -Et puisque t’as l’air de penser que ça change rien, pourquoi t’as jamais rien dit, hein ? » reprit-elle bien vite, en le questionnant du regard pour savoir pourquoi il avait préféré mentir. Il avait bien dû se douter que ce genre de secret finirait bien par être dévoilé, un jour ou l’autre, et que plus le temps passait, pire ce serait.

Logan se doutait bien que la conversation allait être éprouvante, mais la colère de Juliet l'abattait plus qu'il ne l'aurait cru. Il lui avait tout de même présenté des excuses, est-ce que ça ne comptait pas un tout petit peu ? Dans le fond, il n'y avait pas vraiment de raisons qu'il le fasse. Ils n'étaient plus ensemble et rien au monde n'obligeait Logan à tenir son ex au courant de sa vie privée. S'il voulait se taper toutes les survivantes qu'il croisait ou épouser la première venue, qu'est-ce que ça pouvait lui faire, à elle ? Elle avait réussi, en seulement quelques mots, à le mettre en colère contre elle, contre Joy et contre lui-même. Peut-être même un peu contre Maddie, pour lui avoir balancé toutes ces choses sans penser une seule seconde que ses paroles pourraient avoir des répercutions désastreuses.

Quoi qu'il en soit, comme il s'y attendait, la jeune femme ne se décida pas à saisir cette occasion pour confirmer les dires de sa meilleure amie. En fait, l'explication qu'elle lui apporta eut seulement le mérite de l'énerver encore plus. Lui mentir, sérieusement ? « Je ne t'ai pas menti, Juliet ! Je ne te l'ai pas dit, c'est pas la même chose. » Merde, mais qu'est-ce que ça pouvait bien lui faire ? Il n'arrivait pas à comprendre, il refusait de comprendre peut-être, peu importe, ça ne faisait plus aucune différence. « J'avais l'intention de t'en parler, j'attendais seulement le bon moment, mais avec les Punishers et Eulalie, j'ai... »

Bon sang, elle l'agaçait sérieusement, là. Pourquoi fallait-il toujours que ça se passe comme ça entre eux ? C'était donc trop difficile, juste une seconde, juste une fois dans leur vie, de se dire les choses honnêtement et sans se cacher derrière une fierté mal placée ? En vérité, oui, ça l'était. Ça lui coûtait énormément, même maintenant, de s'imaginer le faire. Mais aujourd'hui plus que jamais, il supportait mieux l'idée d'être honnête avec elle que de la voir partir, alors, il se força à prendre une profonde inspiration et se lancer. « Je suis désolé d'avoir attendu aussi longtemps et encore plus que ça te fasse du mal, c'était pas ce que je voulais, mais je vois pas ce que je peux faire de plus que de m'excuser. Je comprends même pas pourquoi ça te met tellement en colère. T'étais avec Kelly, après tout. Je t'ai perdu deux fois pour elle, alors j'ai vraiment cru que c'était sérieux entre vous et que ce que je faisais de ma vie t'importait peu. »

Finalement, ce fut son tour de faire face au lac pour éviter le regard de la jeune femme. Visiblement, il avait fait erreur une fois de plus sur ce qui se passait entre Juliet et Kelly et, oui, quand il avait découvert que la militaire quittait le camp, pendant une trop longue minute, il s'était pris à regretter de s'être trompé à ce point. Mais il était déjà trop tard de toutes manières. Ils allaient devoir vivre avec cette nouvelle configuration, que ça leur plaise ou non. Il resta à fixer l'eau le temps de chasser la colère, ou du moins le plus qu'il pouvait et lâcha finalement : « Qu'est-ce que je dois faire pour que tu me pardonnes ? Si t'as besoin de me hurler dessus ou de m'ignorer encore six mois, vas-y, mais s'il te plaît juste pour cette fois, sois claire. »

Juliet crut halluciner en entendant Logan lui expliquer que non, il n’avait pas menti, il avait simplement choisi de ne rien lui dire. N’appelait-on pas ça un mensonge par omission ? Cette réponse la fit rager encore plus, tandis que la colère lui fit serrer les poings cachés dans les manches de son manteau. Elle aurait dû partir en courant en le voyant, là elle aurait peut-être eu un peu plus de chances de lui échapper. Il attendait le bon moment, sérieusement ? Il n’y aurait jamais eu de bon moment pour ça, et elle était certaine qu’il le savait très bien. « -Tu vois…je pense pas que tu mourrais tant d’envie que ça de m’en parler. Parce qu’après les Punishers, y’aurait eu les rôdeurs, et après les rôdeurs, encore autre chose. Il y aurait toujours eu autre chose, toujours une autre excuse pour te pousser à mentir…ah non, pardon, à ne pas me le dire. » Quelque part au fond d’elle-même, Juliet était persuadée que l’information serait restée secrète encore un long moment si elle n’avait pas fuité par erreur. Elle se demanda furtivement depuis combien de temps exactement Logan et Joy étaient mariés, mais une petite voix dans sa tête lui dit que cette information ne ferait sans doute que l’énerver encore un peu plus.

Elle croisa les bras sur sa poitrine, comme si inconsciemment ça pouvait la protéger de cette conversation qu’elle n’avait jamais voulu avoir. Jules savait bien que rien de positif ne ressortirait de cette discussion, elle ne comprenait pas pourquoi Logan ne l’avait pas compris lui aussi. Elle était perdue dans ses pensées quand il reprit la parole, et elle tourna son regard pleins d’éclairs vers lui pour écouter les conneries qu’il allait encore bien pouvoir lui débiter. Quoi, des excuses, encore ? Comment ça, aussi longtemps ? La voix dans la tête de la brune tenta une nouvelle percée, que Juliet essaya d’ignorer royalement, sans doute en vain. Et lorsqu’il répéta une nouvelle fois qu’il ne comprenait pas sa colère, elle leva les yeux au ciel sans se cacher. Quoi, sérieusement ? Ce qu’il pouvait être buté quand il s’y mettait ! Juliet ne put s’empêcher de tressaillir lorsqu’il prononça le prénom de son ex compagne, qui avait décidé de quitter le camp, il y avait moins d’un mois. Quel était le rapport avec la jeune femme et le mariage de Logan et Joy ? « -Tu t’es marié parce que j’étais avec Kelly ? C’est une drôle d’explication… » marmonna-t-elle, pas même certaine qu’il ai pu l’entendre. Elle sentit néanmoins une pointe de tristesse vriller son cœur aux paroles du mécano, qui pensait l’avoir perdue deux fois pour Kelly. Au fond, la seule personne qui s’était perdue dans toute cette histoire, c’était Juliet elle-même.

Elle garda le silence face à son ex, bien consciente qu’elle ne lui ferait jamais comprendre son point de vue. Ils allaient tous les deux rester campés sur leurs positions, ils allaient s’engueuler comme par permis, avant de repartir furieux l’un contre l’autre. N’était-ce pas comme ça que ça fonctionnait toujours entre eux ? La brune fixait le profil du barbu, tandis qu’à son tour il regardait le lac, comme s’il représentait leur porte de sortie à ce moment de malaise. Mais…elle ne rêvait pas, il était énervé ? Et en quel honneur ? Le petit cachottier, c’était lui, pas elle. Si leurs rôles étaient inversés, Juliet doutait vraiment qu’il aurait apprécié d’apprendre que la brune et Kelly s’étaient mariées, de la bouche de la militaire, plutôt que de la sienne. Jules fronça les sourcils lorsque Logan reprit la parole, lui demandant ce qu’il devait faire pour qu’elle le pardonne. Si seulement elle le savait elle-même, ça aurait sans doute été plus simple. Est-ce que l’ignorer pendant six mois serait suffisant ? Elle n’avait malheureusement pas la réponse à cette question. Sa dernière requête, elle, celle où il lui demandait d’être claire, avait du mal à quitter les pensées de Juliet. Elle ne se souvenait même pas de la dernière fois où elle l’avait été avec lui. Elle n’était même pas sûre d’avoir envie de l’être, ou même que Logan le méritait vraiment.

Juliet pinça les lèvres en secouant la tête, s’éloignant de quelques pas, comme si elle allait partir, avant de s’arrêter brusquement, sans toutefois faire face au mécanicien. « -Ca m’importe. » finit-elle par dire d’un ton qu’elle voulu détaché, sans doute en vain. Il fallut à la brune quelques secondes de plus pour se décider à se retourner pour affronter Logan une nouvelle fois, même si elle ne parvint pas à le regarder dans les yeux, tandis qu’elle reprenait : « -Ce que tu fais de ta vie, ça m’importe. reprit-elle d’un ton incertain, en haussant les épaules pour marquer ses propos. Elle regarda partout ailleurs plutôt que vers le jeune homme, tandis qu’elle poursuivait au bout de quelques secondes. « -Je voudrais que ce soit pas le cas. Je voudrais…en avoir strictement rien à foutre, mais…je peux pas. J’y arrive pas… » parvint-elle à articuler en fronçant les sourcils, se demandant si elle réussissait vraiment à être si claire que ça. Probablement que non, il fallait bien dire qu’ils n’avaient jamais vraiment su l’être l’un avec l’autre. Ils préféraient toujours se cacher derrière un mur bien épais, où leur fierté les conduisait toujours, sans doute un peu malgré eux. « -Je crois que c’est pour ça qu’elle est partie. Parce que j’arrivais pas à lui donner ce qu’elle voulait… » reprit-elle au bout d’un petit moment, ne pouvant plus s’empêcher de penser à Kelly maintenant que Logan avait prononcé son prénom. Juliet s’était complètement coupée d’elle après le décès d’Eulalie, elle l’avait fui, avait refusé son soutien, son amour aussi. Au fond, c’était elle qui avait poussé Kelly à prendre ses distances, à quitter Fort Hope, et Juliet par la même occasion.

Toute cette discussion n'était qu'une mauvaise idée, une de plus à ajouter au palmarès des mauvaises décisions que Logan n'avait de cesse de prendre depuis quelques temps. Tout se mélangeait dans son esprit et la colère n'arrangeait vraiment rien, assez pour qu'il en vienne à dire des choses vraiment stupides. Et encore, ça n'était que le début, il lui avait épargné tout un tas de débilités qui viendraient probablement s'ils ne s'arrêtaient pas bientôt. Il lui adressa un regard peut-être un peu trop mauvais à sa remarque sur Kelly, pourtant bien conscient qu'il était celui ayant ramené ce sujet sur le tapis sans aucune raison. C'était une drôle d'explication, oui, et il eut envie de lui répondre un peu trop promptement que ça n'était pas ça, mais il se ravisa finalement, laissant plutôt un silence boudeur accueillir cette réflexion. Avant de parler avec Juliet, il aurait probablement mieux fait de réfléchir de son côté et de mettre ses idées au clair. Finalement, heureusement que sa fierté faisait barrage pour l'empêcher de déballer toutes les inepties qui le traversaient.

Et maintenant, Logan n'avait qu'une envie : s'enfuir une fois de plus. Il tenta une dernière carte, pourtant. S'il y avait la moindre chance que la situation s'arrange entre eux, il était plus que prêt à faire les efforts nécessaires. Le ressentiment leur avait enfin laissé un peu de répit après dix années difficiles, il ne voulait pas y renoncer si vite. Mais à sa demande, Juliet ne fit que s'éloigner. Devait-il prendre ce geste comme l'explication claire qu'il lui avait demandé ? Ça ne lui convenait pas tout à fait, mais si c'était ce qu'elle voulait... Il se força donc à rester en place, continuer de regarder le lac avec obstination, une main triturant nerveusement un trou dans la poche de son manteau pour s'interdire de lui courir après. Il avait eu tort de mentir, ou du moins de garder son secret aussi longtemps, mais il n'allait pas passer le reste de sa vie à s'en excuser. Alors tant pis, elle n'avait qu'à s'en aller et continuer de lui faire la gueule jusqu'à ce que ça lui passe ou pour toujours si ça pouvait l'aider à se sentir mieux. Le barbu était à peu près certain que cette décision le révulserait dès qu'il aurait retrouvé son calme, mais pour le moment, il en était encore trop loin.

Mais alors qu'il fulminait dans son coin en essayant de se convaincre que c'était elle la méchante, la voix de Juliet le fit sursauter. Au départ, il ne bougea pas pour autant, l'écoutant simplement avouer que ça lui importait malgré tout. Il ne se retourna pour lui faire face qu'en entendant sa dernière remarque sur Kelly. Il regarda le sol un instant, mal à l'aise de la tournure que prenait cette conversation, sachant pourtant qu'elle n'aurait pas pu en prendre une autre. « J'aurais aimé qu'elle ne revienne jamais. » lâcha-t-il finalement, en se forçant à regarder Juliet. « Je peux pas m'empêcher de penser que tout aurait été différent si elle n'avait pas été là. » Même si Kelly n'était pas la seule à les avoir tenu à l'écart l'un de l'autre, elle avait quand même réussi à convaincre Logan de garder ses distances et de donner une vraie chance à son histoire avec Joy. Il avançait sur un terrain de plus en plus glissant, mais quitte à ce qu'ils ne se parlent plus jamais, autant faire ça bien. « Mais on ne peut pas revenir en arrière, ce serait trop horrible maintenant. »

Est-ce qu’elle avait été assez claire ? Non, probablement pas. Elle ne l’était jamais lorsqu’il s’agissait de s’ouvrir, et de dire ce qu’elle pensait réellement. Juliet avait du mal à regarder Logan en face, parce qu’elle comprenait que la conversation prenait une tournure qui ne serait évidente pour aucun d’entre eux. Ils avaient soigneusement évité de telles discussions depuis cette fois où ils avaient décidé d’un commun accord que cette fois-ci, ce qu’il pouvait bien y avoir entre eux était bel et bien fini. Est-ce qu’ils avaient été naïfs au point de croire qu’ils leur suffisait de vouloir très fort aller de l’avant, d’espérer de toutes leurs forces parvenir à taire les sentiments qu’ils éprouvaient pour que ça fonctionne ? Logan semblait s’en être mieux tiré qu’elle, lui qui était désormais marié, alors que Juliet venait de se faire gentiment larguer. Il fallut à la jeune femme une bonne dose de courage pour réussir à relever son regard vers celui de son ex, qui était en train de la regarder. Elle fronça légèrement les sourcils à ses paroles, trouvant dans ses mots un étrange écho à ces pensées qu’elle avait eu plus d’une fois. La brune ressentait toujours une pointe de culpabilité quand elle se disait que tout aurait été plus simple si Kelly n’était jamais revenue. Juliet avait apprécié les moments qu’elles avaient passées ensemble, mais elle n’avait jamais pu faire taire la petite voix dans sa tête qui lui murmurait que leur histoire ne connaîtrait jamais de véritable happy ending. Elle avait refusé son amour à Kelly, inconsciemment, dans une volonté désespérée de protéger son petit cœur fragile. Et tout ce qu’il en était résulté était qu’elle avait fait du mal à Kelly, qui était très attachée à elle, et ça avait été la dernière chose que Juliet aurait voulu faire. Alors oui, il aurait mieux valu pour elle qu’elle ne revienne pas. Si bien que Juliet hocha doucement la tête, tâchant de regarder le barbu dans les yeux à son tour : « -Oui, moi aussi, tu sais. Ça aurait évité à beaucoup de monde de souffrir…» Elle parlait de lui, de Kelly bien sûr, et sans doute un peu d’elle-même aussi. Mais la militaire était venue frapper à la porte de la caserne, et tout avait changé.

Une nouvelle fois, les paroles de Logan trouvèrent une certaine forme de résonnance en Juliet, sans doute parce qu’elle aussi avait déjà pensé, bien plus d’une fois, à ce qu’aurait pu être leur situation si Kelly était restée à l’hôpital, si leurs chemins ne s’étaient plus jamais croisés. Peut-être que Logan et elle seraient ensemble à l’heure actuelle, qu’ils auraient vécu ensemble dans l’une des maisons de Fort Hope, partageant une chambre parentale, Eulalie dormant dans la pièce d’à côté. Peut-être qu’ils l’auraient enfin eu, cette vie de famille à laquelle ils aspiraient tant, et qu’ils auraient été heureux, malgré les rôdeurs, l’insécurité, le danger omniprésent. Mais peut-être aussi que Logan aurait tout de même succombé à Joy, sans que Juliet n’y puisse quoi que ce soit. C’était sans doute ça le plus gros problème avec les « si », et elle revoyait sa mère lui dire qu’avec ce simple petit mot, on aurait pu refaire le monde. Elle se surprenait à penser qu’après cette nuit dans l’Aston, tout aurait pu être différent. Tout aurait dû l’être. Mais elle était partie, et ça avait réduit à néant tout ce qui aurait pu subsister de la relation qui la liait à Logan.

Juliet sentit son cœur se contracter violemment dans sa poitrine, comme si un coup sourd venait tout juste de lui être porté, tandis que Logan expliquait qu’ils ne pouvaient visiblement plus revenir en arrière. Juliet détourna le regard quelques secondes, comme pour cacher à Logan l’effet que ses mots avaient sur elle. Elle trouvait la fatalité perceptible dans la voix de Logan effrayante, et elle aurait voulu lui dire qu’ils avaient toujours le choix. « -Trop horrible ? Trop horrible pour qui ? C’est vrai que ça a l’air beaucoup mieux d’être malheureux jusqu’à la fin de sa vie… » Elle savait bien que quelques minutes plus tôt, elle aurait dû continuer sur sa lancée, et avancer tout droit sans se retourner jusqu’à arriver chez elle. Elle n’avait pas pu s’y résoudre, et désormais, elle n’était pas sûre d’avoir envie d’en entendre plus. C’était comme si elle pouvait déjà pressentir la fin de cette conversation, des conséquences que ça aurait. Mais elle ne pouvait plus faire marche arrière à présent, faire celle qui n’avait rien entendu, ou qui n’avait plus rien à dire. Finalement, elle se rapprocha de quelques pas, suffisamment pour se planter juste devant Logan. Là, elle glissa ses yeux bleus dans ceux, bien plus sombres de Logan, restant silencieuse quelques longues secondes. Elle ne se souvenait même plus de la dernière fois qu’ils avaient été aussi proches, et pourtant aussi éloignés en même temps, comme si un gouffre les séparait. « -Pourquoi tu t’es marié avec elle ? » demanda-t-elle d’une voix qu’elle aurait voulu beaucoup assurée que ça. Elle triturait les bords de sa manche de ses doigts glacés, et devait se forcer comme jamais pour ne pas détourner le regard. Dieu qu’elle détestait cette tension palpable qui la mettait profondément mal à l’aise. « -Dis-moi juste que…que tu l’aimes, et la conversation aura même pas à aller plus loin… » reprit-elle en déglutissant un peu péniblement, pas vraiment certaine de vouloir la réponse à cette question. Au fond, tout se résumait bien à ça, non ?

Trop horrible pour qui ? La réponse à cette question semblait évidente à Logan. La plupart des gens ne voyaient pas les choses comme lui et probablement maintenant plus que jamais. Et peut-être avaient-ils raison. Quelle importance de faire la bonne chose quand le monde tombait en ruines ? Toujours est-il que lui, ça lui importait. Et il comptait bien l'expliquer à Juliet, même si elle n'approuvait pas et qu'elle le détestait pour ça. À la place, il se retrouva paralysé par le pas en avant de la jeune femme et plus encore par sa nouvelle question. C'était sans doute la question la plus difficile qu'on lui ait jamais posé et il n'était pas certain d'avoir une réponse acceptable à offrir.

Il restait parfaitement immobile, presque sur la défensive,craignant sérieusement que Juliet se décide à avancer encore un peu plus, à faire un geste qu'il ne se croyait pas en mesure de lui refuser. Et elle n'en finissait plus de poser des questions auxquelles il n'aurait rien de convenable à répondre. S'il disait la vérité, il allait tout gâcher et s'il mentait... Ce serait tellement contradictoire avec ce qu'il venait de dire qu'elle ne le croirait probablement pas. Sa première réponse fut un soupir las, alors qu'il passait une main sur son visage, cherchant ses mots. Il n'était pas certain de trouver quoi dire exactement pour être à la fois honnête et ferme, mais il était sûr de sa décision. Il ne pouvait pas en prendre une autre. « Je ne l'aimerais sans doute jamais comme je t'ai aimé, mais ça me suffit. » Ça commençait assez mal, non ? Mais au moins, il lui disait exactement ce qu'elle voulait entendre, à ceci près qu'il refusait que la conversation n'aille pas plus loin. Il lui devait bien une explication digne de ce nom, ou au moins ce qui s'en rapprocherait le plus. Ça demandait juste beaucoup plus de courage qu'il croyait en avoir de continuer à parler et il avait un mal fou à la regarder en face. « L'idée de te perdre pour de bon me rend malade et je suis prêt à beaucoup de choses pour que ça marche entre nous, mais pas à détruire la vie de Joy. » Cette fois, il arrivait à la regarder, le faisait même avec une certaine crainte. La réaction que Juliet aurait à ces mots risquaient de changer beaucoup de choses dans leur vie, malheureusement.

Il leva une main, à peine, prêt à prendre celle de la jeune femme, mais se ravisa finalement. Ça n'était pas juste, il y avait bien assez de signaux contradictoires dans cette conversation. Il se devait d'être clair et de la laisser accuser le coup, tout autant que lui, d'ailleurs. « J'ai pas que des bonnes raisons de l'avoir épousée, mais je l'ai fait, c'est ma femme et qu'elle soit mon grand amour à la Shakespeare ou pas, je l'aime et je resterais à ses côtés. C'est le moins que je puisse faire après toutes les épreuves qu'elle a traversé par ma faute... Je pourrais jamais plus me regarder dans un miroir et encore moins profiter de mon bonheur avec toi si je décidais de la trahir comme ça. C'est ce que je suis, Juliet, j'y peux rien. » Il se décida finalement à faire un pas en arrière, mettre un peu plus de distance entre eux, plutôt pour montrer à la jeune femme qu'il ne tenterait pas de l'en empêcher si elle décidait de lui tourner le dos après tout ça. Ça ne lui convenait pas tout à fait, mais personne ne pouvait tout avoir, pas plus lui qu'un autre. Et même si c'était douloureux, il était certain de faire le bon choix, ou du moins celui qui l'aiderait à vivre avec lui-même pour le temps qu'il lui restait. « Je comprendrais que ce soit trop pour toi, mais j'espère que tu arriveras à me comprendre et à me pardonner, c'est tout ce que je peux espérer pour nous aujourd'hui. »

Il était là, juste devant elle, et si loin en même temps. Ce n’était pas vraiment nouveau, c’était même sans doute leur situation depuis un long moment déjà, sans que Juliet ne s’en soit rendue compte pour autant. Elle ne le quitta pas du regard, tandis qu’il semblait épuisé par cette conversation, qu’il avait lui-même initié. Juliet, elle, elle n’avait rien demandé, elle s’en sortait très bien jusque-là, à tout faire pour ne pas tomber nez à nez avec son ex, ce qu’elle avait plutôt bien réussi, jusqu’à ce qu’il ne la coince finalement, au bord du lac. Et aux premiers mots de Logan, Juliet ne cacha pas l’air incrédule qui crispait désormais les traits de son visage. C’était quoi ce charabia, encore ? Il lui demandait d’être claire avec lui, et elle avait envie de lui balancer qu’elle avait le droit à la même délicatesse. Mais elle resta totalement muette, tandis que le barbu enchaînait déjà, sans qu’elle ne tente rien pour l’en empêcher. Jules ouvrit la bouche, pour la refermer aussitôt. Etait-elle la seule à comprendre qu’il demandait l’impossible, et qu’il n’y aurait pas de fin heureuse à toute cette histoire ? Juliet détourna le regard, incapable d’en supporter davantage. « -Je t’ai jamais demandé de détruire la vie de Joy. Je t’ai juste demandé d’être honnête, pas de choisir, ou quoi que ce soit. » finit-elle par répondre, cachant mal la lassitude qui la prenait soudain. Elle pensait chacun des mots qu’elle avait eu dans la voiture de Maddie, lors de leur sortie au club house. Elle ne s’interposerait jamais entre Logan et son bonheur, pas après tout ce qu’ils avaient vécu. C’était peut-être ça aussi, tenir à quelqu’un.

En revanche, même si Juliet savait qu’elle ne serait jamais l’une de ces filles complètement hystériques, ou désespérées, pour récupérer leur ex à tout prix, elle ne pouvait s’empêcher de repenser à certaines paroles prononcées par Logan, et qui dataient de quelques minutes à peine. Il semait le doute dans son esprit, et tout s’embrouillait désormais, sans qu’elle ne parvienne à faire quoi que ce soit pour l’en empêcher. Maintenant qu’ils étaient lancés, elle pouvait sans doute aller au bout de ses pensées, ils n’étaient plus à sa près. « -Mais tu sais, puisque c’est sans doute l’une des dernières vraies conversations qu’on va avoir, je vais être honnête jusqu’au bout. Tu dis que tu l’aimes, et je l’entends bien, mais…tu dis aussi que…que tu regrettes que Kelly soit revenue parce que les choses seraient probablement différentes, que tu t’es pas marié que pour des bonnes raisons, et…que rester avec elle, c’est le moins que tu puisses faire après tout ce qu’elle a traversé pour toi ? Rester avec quelqu’un, c’est pas censé être un putain de devoir. T’as pas le droit de dire ce genres de trucs, parce que ça fout le bordel dans ma tête, et que c’est insupportable. » Elle avait haussé le ton, un peu malgré elle, tandis qu’elle le pointait de son index. Elle ne supportait pas à quel point il pouvait être si sûr de lui dans ses paroles, et en même temps si contradictoire. Juliet ne broncha pas lorsqu’elle le vit reculer d’un pas, parce que sa fierté mal placée l’empêchait de montrer ouvertement que ce geste lui faisait presque un peu trop mal pour qu’elle puisse l’avouer à voix haute.

Elle détestait sa réponse, elle détestait qu’il ne lui ai pas simplement répondu que oui, il aimait Joy, et que la conversation devait en rester là. « -Tu sais ce que t’aurais dû me répondre ? Que tu t’es marié avec elle parce que tu l’aimes à en crever, et que tu peux pas imaginer de vivre un seul jour sans elle. Parce que c’est la seule raison valable pour se marier. Mais si tes raisons te vont, on a qu’à dire qu’elles me vont aussi.» Et elle le pensait. Elle avait toujours été élevée avec cette idée que le mariage était une institution sacrée, à ne pas prendre à la légère. Et Juliet y croyait, dur comme fer, persuadée qu’elle aussi, elle aurait un jour droit à sa journée en belle robe blanche aux côtés de l’homme qu’elle aimait, à qui elle dirait que oui, elle le voulait. Mais le destin en avait décidé autrement. Elle avait besoin de se calmer, de hurler un bon coup, ou de descendre une bouteille d’alcool, elle n’en était pas encore vraiment certaine. A son tour, elle s’éloigna de quelques pas, parce que mettre de la distance entre eux, c’était le seul moyen qu’il leur restait désormais pour survivre à tout ça. Elle détourna le regard une nouvelle fois, clignant rapidement des yeux pour chasser les larmes qui menaçaient de s’y accumuler. Rage, colère, tristesse ? Sans doute un beau mélange de tout ça. Mais non, elle ne pleurerait pas, quand bien même cette conversation était douloureuse.

Lorsqu’elle fut plus ou moins certaine d’avoir le contrôle de ses émotions, elle planta une nouvelle fois son regard dans celui de Logan, la voix plus dure qu’elle ne l’aurait voulu. « -Te comprendre, et te pardonner ? Tu veux savoir ce qui moi, me rend malade ? C’est de te voir, tous les jours avec ta femme et ton bébé…parce que ça me rappelle absolument tout ce que j’ai perdu. Ma fille, ma copine…toi. Peut-être que c’est toi qui devrait essayer de me comprendre, tu crois pas ? » Sa voix tremblait, et elle détestait ça. Elle ne craquerait pas, elle se le refusait. Elle serrait les poings, la mâchoire, tout ce qui pouvait l’aider à garder le contrôle, encore un peu. Il ne lui faudrait pas longtemps, encore quelques tous petits instants, juste le temps de dire ce qui aillait sans doute les achever tous les deux. « -On a été stupides de croire qu’on arriverait à vivre comme des gens normaux après tout ce qui s’est passé. Moi j’y arrive plus, et j’ai même plus envie de faire semblant… » Il refusait de la perdre, et elle, elle refusait de continuer à être malheureuse. Fort Hope n’avait plus rien à lui offrir, si ce n’était tout un tas de souvenirs plus douloureux les uns que les autres, et aucun d’entre eux ne pouvait nier le fait que la meilleure des solutions à cette situation inextricable était sans doute le départ de la brune.

Il aurait du prendre la fuite dès qu'il en avait eu l'occasion. Qu'est-ce qu'il lui avait pris de dire tout ça ? Peut-être était-ce la vérité, mais la vérité n'avait aucune importance et maintenant. Logan ne savait plus comment se sortir du bourbier dans lequel il s'enfonçait. Il écoutait Juliet en tâchant de rester aussi calme que possible, mais ça n'avait jamais été aussi difficile. Pour une fois qu'il tentait d'être honnête, pourquoi fallait-il que ça se retourne contre lui ? Non seulement il n'était pas d'accord avec ce qu'elle disait, mais la manière dont elle lui parlait l'échauffait tellement qu'il avait un mal fou à se retenir de le lui rétorquer. Il savait pertinemment que la moindre parole n'allait réussir qu'à empirer la situation déjà plutôt critique. Il avait fichu le bazar et il devait l'assumer, sauf qu'on parlait de Juliet et que comme chaque fois qu'il la sentait s'échapper, il perdait les pédales et il ne restait plus qu'un mâle blessé dans son orgueil en lieu et place de la personne qu'il était habituellement.

Elle parvint quand même à le faire taire et à l'abattre pour de bon après qu'il l'ait supplié de le comprendre. Sa réponse était pourtant logique, mais elle brisa le cœur du barbu plus qu'il ne l'aurait imaginé. Il était un crétin, sérieusement, parce qu'il n'avait jamais vraiment vu les choses de cette manière. Plus maintenant en tout cas, plus depuis que Kelly était revenue et qu'ils vivaient leur vie chacun de leur côté. Ça avait été douloureux pour lui aussi, au début, de la voir avec quelqu'un d'autre, mais c'était vite passé. Il avait eu besoin que ça passe pour s'en sortir. Ce qu'il n'avait pas réalisé, c'est que les choses avaient réellement changer. Et même si la réalité lui semblait bien différente de l'intérieur, de l'extérieur il devait sans doute donner l'image de la petite famille parfaite et heureuse et c'était cruel. Il n'avait jamais cherché à être cruel, surtout pas avec elle. Maintenant, Logan regardait le sol comme un gosse prit en faute. Il ouvrit la bouche, prêt à s'excuser de nouveau, mais s'arrêta aussitôt. Ses excuses n'avaient rien changé jusque là et elle ne changeraient rien non plus maintenant. « Je ne crois pas qu'on ait été stupide. » lâcha-t-il quand même. Il ne pouvait pas se contenter d'excuses vides de sens, mais il pouvait toujours agir. « En tout cas, je ne regrette pas d'avoir essayé, mais je n'ai jamais cherché à te faire du mal, crois-moi, j’espérais vraiment qu'on y arriverait. » Il se força à relever les yeux vers elle. Cette fois, il allait prendre la fuite avant de faire une nouvelle erreur, c'était décidé.

Mais avant de partir, il ajouta quand même : « T'en fais pas, t'auras plus à me regarder mener ma vie, je ferais ce qu'il faut pour ça. T'auras même pas besoin de te souvenir que j'existe, je te le promets. » Ce serait difficile de l'ignorer et de l'éviter, mais il pouvait le faire. Après tout, il donnait les ordres ici, pas vrai ? Il pouvait parfaitement envoyer quelqu'un à sa place s'il avait besoin de la croiser, il connaissait ses horaires de travail, il pourrait l'éviter. Ça lui fendait le cœur de voir leur histoire se terminer comme ça, surtout après tout ce qui venait de se passer, mais c'était sans doute la seule chose à faire. La voir partir, il préférait ne même pas y penser. Le camp devait bien être assez grand pour deux, surtout s'ils lançaient réellement des travaux d'agrandissement comme ils le prévoyaient. Ce fut en tout cas avec cette résolution en tête qu'il s'éloigna finalement.

Voilà à quoi ils en étaient réduits de nouveau, à s’engueuler comme ils avaient si bien su le faire par le passé. Jules avait le cœur qui battait vite dans sa poitrine, si vite que ça en était désagréable, et elle luttait de toutes ses forces pour garder le contrôle de sa colère, de sa tristesse aussi. Elle ne pleurait pas. Juliet était une sacrée têtue, et si elle avait décidé qu’elle ne pleurerait pas, aucune larme ne coulerait sur son visage. Du moins, aucune à cet instant, devant Logan. Elle serrait ses poings tellement fort qu’elle ne doutait pas une seule seconde que l’empreinte de ses ongles s’était imprimée dans la paume de sa main, mais c’était le seul moyen qu’elle avait de parvenir à contrôler les émotions qui l’assaillaient sans cesse. Jules ne quittait désormais plus Logan des yeux, le fixant d’un air accusateur qu’elle n’arrivait pas à cacher. C’était de sa faute s’ils en étaient là, à se déchirer au bord d’un lac gelé. C’est lui qui avait décidé de garder des petits secrets à la con, lui aussi qui l’avait coincé pour avoir cette discussion qui ne mènerait à rien. Il avait pourtant dû la voir faire brusquement demi-tour, et le fuir quelques instants plus tôt, non ? Il la connaissait, et il avait malgré tout tenu à ce qu’ils se parlent, alors que tout indiquait que ce n’était pas le moment adéquat.

Juliet serra les dents, retenant le rictus qui lui montait aux lèvres tandis qu’elle entendait Logan lui rétorquer qu’il ne pensait pas qu’ils avaient été stupides. Ils avaient été bien plus que ça, idiots, et naïfs, mais bien sûr, ils ne parviendraient pas à s’entendre sur ce sujet-là non plus. Il n’existait aucun monde où leur cohabitation forcée aurait pu fonctionner, et maintenant qu’Eulalie n’était plus là, l’ancien couple n’avait même plus besoin de faire semblant. Elle détourna le regard tandis qu’il reprenait déjà la parole, affirmant qu’il n’avait jamais voulu lui faire de mal. Mais il était trop tard à présent, le mal était déjà fait, et il n’y avait rien à faire pour pouvoir rattraper cela. Ce n’était même pas de sa faute en plus, il ne faisait que mener sa vie, se construisant la petite famille dont il avait toujours rêvé, la vie qu’il avait toujours mérité. Et c’était d’autant plus difficile d’en être la spectatrice quand Juliet pensait que tout ce qui restait de sa famille à elle reposait à quelques mètres d’eux, sous une bonne couche de terre glacée.

Face aux nouvelles paroles de Logan, Juliet ouvrit la bouche, sans même cacher l’air incrédule qui se peignait sur les traits de son visage. Elle n’aurait plus à le regarder mener sa vie ? Il pensait que ce serait aussi simple ? Ils vivaient à quelques pas l’un de l’autre, dans le même camp, et elle ne comprenait même pas comment l’idée qu’il puisse envisager de passer le reste de leurs vies à s’éviter pouvait lui passer par la tête. Avait-il seulement idée de toute l’énergie que cela allait leur demander, de la tension qui accompagnerait chacun de leur pas quand ils sortiraient de chez eux, priant pour ne pas tomber sur l’autre ? Et même si ce petit stratagème fonctionnait durant un temps, il était totalement impossible qu’ils réussissent vraiment à ne plus jamais se revoir. Il se trompait, ce n’était pas la bonne solution, elle doutait même qu’il existe une bonne solution. Et puis de toutes façons, elle ne voulait pas qu’il se prive de vivre sa vie pour elle, ce n’était pas ce qu’elle voulait à cet instant précis, et elle savait qu’elle n’aurait jamais une telle pensée. Elle avait bien envie de lui dire qu’il allait trahir sa promesse, et que même avec toute la volonté du monde, elle n’arriverait pas à oublier une personne qui avait partagé sa vie pendant quinze ans. Mais elle n’eut même pas le temps de prononcer le moindre mot qu’il la laissa plantée là, ne lui offrant pour seule vue que son dos qui s’éloignait d’elle. Juliet se détourna de cette vision douloureuse pour fixer une nouvelle fois le lac face à elle, se mordant l’intérieur de la joue un peu plus fort quand les larmes menacèrent de la submerger. Elle inspira longuement l’air glacé autour d’elle plusieurs fois à la suite, se répétant inlassablement qu’elle devait se calmer. Elle avait juste besoin de temps…de temps pour accepter tout ce qu’ils venaient de se dire, accepter que Logan ne ferait plus partie de sa vie, et peut-être, enfin, prendre les décisions qui s’imposaient pour faire passer son bonheur à elle en premier.