L’illusion du bonheur. (1966-1998)

Nicolae est né en Allemagne, d’une famille modeste mais travailleuse. Il est le premier d’une fratrie de 3 enfants. Il a vite appris qu’à force de volonté et de persévérance, tout est possible. Plutôt renfermé et taciturne durant sa vie en Allemagne, il avait peu d’amis. Il était lassant pour lui d’essayer de communiquer avec des êtres lents et inaptes à saisir le moindre concept sans avoir besoin de moult explications. Néanmoins, il appréciait la compagnie de personnes de savoir, reconnues dans leurs matières et prompt à l’aider à avancer. Après des études brillantes et un internat remarqué, il est devenu un neurochirurgien réputé. Il a épousé avant la fin de ses études une magnifique journaliste qui lui donna deux enfants. Elle arrêté ses fonctions pour se consacré à l’éducation de leur enfant, une fille Britany et un garçon Joey. Ils étaient la fierté de Nicolae qui compensait le manque de temps à leur consacré par un confort matériel inégalé. En parallèle, avec sa mémoire impressionnante et sa curiosité débordante, il s’est intéressé à divers sujets pour lequel il a fait de nombreuses conférences et articles, tels que, l’hypnose et l’étude des neurotoxines animales et végétales.

Il a profité de ses succès et de la reconnaissance de ses pairs pour vivre « le rêve américain » et déménagé en Floride, à Miami, en janvier 1994, avec toute sa famille. Assez médiatisé par la presse spécialisée, il proclamait avoir une vie de rêve : une belle épouse aimante, deux enfants prometteurs, une villa de rêve avec plus de chambres et de pièces qu’un petit château, une collection de voitures impressionnante et une carrière sans un seul faux pas. Il réussit même à lever des fonds pour ouvrir sa propre clinique où des patients du monde entiers faisaient la queue pour espérer être soignés par le Dr Kentmann. Il avait tout et était un roi à sa façon. Son avenir et celui des siens lui semblaient tout tracés en filigrane d’or fin.

Au-delà du jeune grand praticien respecté, il était aussi l’image même du modèle de réussite à l’Américaine. Il se pensait heureux, il se croyait invincible, il se sentait vivant et respecté. Il ne savait pas encore qu’il n’était rien.


Délivre-moi du mensonge. (Août 1999)

Été 99, parmi tous les dossiers qui atterrissaient sur les bureaux de ses nombreuses assistantes, il y avait celui d’un jeune enfant, Harry Beetmann, dont la frêle vie était déjà en train de s’effilocher à cause d'une tumeur jugée inopérable par la plupart des chirurgiens du pays. Nicolae était très sollicité, il avait bien parcouru la note de son assistante sur ce dossier, comme des dizaines d’autres, et, s’il aurait effectivement pu opérer l’enfant, il préféra se consacrer à d’autres patients. Son choix ne se basait pas sur des critères monétaires ou humains, mais juste sur le fait qu’il ne pouvait opérer tout le monde et que le dossier du jeune Beetmann lui paraissait inintéressant et sans challenge : « déjà vu, déjà fait et poussiéreux ». Dans sa clinique, il se sentait tel Dieu choisissant les élus de son royaume. Et malheureusement pour le petit Beetmann, il ne faisait pas parti des chanceux désignés par la main de Kentmann. Il décéda, d’ailleurs, dans les bras impuissants de ses parents quelques semaines plus tard. Son père, Francis Beetmann, ivre de chagrin, fut pris d’un coup de folie. Dans sa rage vengeresse, il pénétra dans la somptueuse villa du docteur, alors que celui-ci était de garde, et tua à l’arme blanche les trois résidents endormis, à savoir l’épouse du docteur et ses deux enfants. Le meurtrier resta sur les lieux, tétanisé par l’horreur de son acte. Il était toujours dans la résidence quand le neurochirurgien rentra chez lui au petit matin.

La suite du récit diverge, Monsieur Beetmann, après son hospitalisation, assure avoir tenté de discuter avec le docteur pour le supplier de lui pardonner avant que Nicolae ne lui tombe dessus pour le frapper jusqu’à lui briser presque tous les os. L’avocat de Nicolae affirme que Monsieur Beetmann a essayé d’agresser son client qui s’est juste défendu de façon proportionnelle au regard de la situation. Les films de la caméra de surveillance de la résidence Kentmann, à partir de l’arrivée du docteur, n’ayant jamais été retrouvés, on ne peut que se baser sur la décision de justice, statuant sur la légitime défense et accablant Monsieur Beetmann. Au regard de la tragédie, personne n’aurait pensé à vérifier que l’épouse du juge avait été sauvée par le docteur Kentmann quelques années plus tôt. Toujours est-il que le docteur avait, lui aussi, été blessé dans l’affrontement et que l’état de ses mains ne lui permettait plus de continuer sa carrière de praticiens.

Les prémices de la réalité s’imposèrent à lui lorsqu’il vit les corps de sa famille être évacués avec ses projets et l’avenir qu’il s’imaginait avec eux. Il n’était rien, ce qu’il possédait ne lui apportait rien, son travail n’avait fait que de l’éloigner de ceux qui avaient eu de l’importance et sa vanité l’avait aveuglé.


Avant de savoir voler il faut apprendre à ramper. (1999-2000)

La chute fut rude. Son envie de vengeance le consumait, l’alcool, la drogue et ses blessures l’empêchaient de travailler, il ne trouvait aucun réconfort où qu’il puisse en chercher. Très vite il perdit amis, fortune et estime de lui, s’enfonçant dans une rancune amère, teintée de regrets douloureux. Il essaya de se suicider mais ne réussit qu’à plus s’estropier les mains et termina dans un asile.

Il y passa presque une année et trouva une ébauche de salut, non dans les thérapies, mais dans les livres mis à sa disposition sur des formes de philosophies hindouistes et bouddhistes. Il comprit que son réel problème était sa soif de comprendre l’incompréhensible et son refus d’accepter l’inexplicable. Il effleura, alors, la surface d’un océan qui lui promettait une délivrance au-delà du drame qui avait marqué sa vie. Il ne le savait pas encore, mais il faisait les premiers pas vers son élévation.


Plus important que de connaître sa destination, il faut trouver son chemin. (2000-2010)

Il passa plusieurs années à s’investir dans une quête spirituelle que ses rares proches, encore concernés par son sort, jugèrent « fantasque ». Il partit, avec trois fois rien, pieds nus, à la rencontre de son destin. Il échangea avec les Druides des hautes forêts d’Ardennes, avec les Shamans des brûlantes contrées d’Afrique, avec les Moines des hauts temples tibétains, les mystérieux Sages japonais et les surprenant prêtes indonésiens. Il accepta leur mode de vie, partagea leurs rituels, et se plia à leurs règles pour mieux comprendre leurs préceptes. Arts martiaux, jeûnes, retraites, gestes simples répétés jusqu’à la perfection… son corps changea en même temps que son esprit s’éleva. Il comprit que son véritable combat n’était pas de trouver des réponses à ses questions, mais plutôt d’apprendre à accepter ce qui ne peut être changé. Il appliqua les préceptes du rétablissement du corps par la force de l’Esprit et le renforcement de l’énergie vitale afin de guérir tant son corps que son esprit. Il s’imprégna de leur philosophie, s’appuya sur leur spiritualité pour porter un regard diffèrent sur le monde et atteindre un niveau de compréhension de lui, des autres, de l’univers qui fit taire les vents qui hurlait dans son esprit et l’empêchaient d’atteindre la sérénité.


La quête de soi-même même à la quête de l’autre. (2011-2014)

Le concept du Ki/Chi/Prana/Esprit prit rapidement tout son sens. Nicolae comprit la force de l’esprit sur le corps. Il saisit, aussi, à quel point il avait été dans le faux, à quel point le matériel était un leste pour l’âme, que les conflits et les sentiments négatifs ne faisaient que perturber l’Esprit. La vraie paix, la réponse à toutes les questions, il l’avait trouvée en un mot : Équilibre. Il n’y avait ni bien, ni mal, juste un fragile équilibre que tout être se devait de respecter et protéger. Malheureusement, la plupart des êtres humains préféraient imposer leurs besoins, même superficiels, sur leur environnement, plutôt que de s’adapter. De ce fait ils avaient affaibli leur Esprit. Ce désordre était d’autant plus exacerbé en muselant le principe de meute avec la mise en avant d’une individualité creuse et de l’opportunisme égoïste. La compétition, le consumérisme exacerbé avaient fait oublier le fondement même de l’âme de l’humanité : la recherche de l’autre dans l'espoir de se trouver soi-même. Voilà où les paroxysmes des esprits perturbés s’enlisaient dans un cercle vicieux de générations en générations, biaisant nous seulement l’évolution de l’espèce humaine mais jouant sur les rapports de force et sur l’équilibre lui-même.

Nicolae était devenu Sensei, cependant, il aspirait toujours à être le Yīshēng, celui qui soigne plus que celui qui qui est le garant du savoir. Car malgré tous ses apprentissages, il avait gardé une faiblesse, celle de vouloir sauver l’humanité d’elle-même, même contre son gré.


L’univers s’équilibrera toujours de lui-même (2014)

Lorsque les tous premiers signes de la maladie débutèrent, Nicolae était au Canada. Son idéologie lui avait valu une invitation à un départ du monastère Japonais ou ils enseignaient pourtant le code du Bushido à des novices en quête de savoir. Fidèle à lui-même et à son instinct, il se laissait volontiers guider par ses songes et ses intuitions. C’est ainsi qu’il avait rejoint un rassemblement druidique prêt de la réserve de Verendrye. Le débat fut donc des plus intéressants et, étrangement, si presque tous avaient perçu les prémices du grand bouleversement à venir, personne ne sembla paniquer ou être surpris par la situation. La mort fait partie de la vie, elle la magnifie et lui donne un sens. Aucun des sages réunis n’auraient eu idée de la craindre. Ils y voyaient, tous, un rééquilibrage des énergies, ou de la nature, selon les croyances. Assister à la déchéance de l’humanité dont l’esprit avait été corrompu était un simple fait, ce n’était ni bon, ni mauvais. Tous avaient appris le précepte druidique de la neutralité pure. Il y avait une certaine ironie de voir ceux qui avaient vécu isolés les uns des autres, étrangement réunis dans cette parodie de mort qui n’était que le véritable visage de leur vie. L’équilibre avait été rompu depuis trop longtemps, et la balance oscillait violemment. Il y eu néanmoins débat sur le rôle des gardiens de l’Equilibre et ils s’accordèrent à dire qu’il était nécessaire de laisser faire les choses et de n’être que de simples témoins du retour à l’équilibre, même si cela signifiait la fin de l’espèce humaine telle qu’on la connaissait. Cette idée était intolérable pour le docteur dont les vocations, qu’elles soient louables, ou non, lui imposait de prendre un rôle actif dans les bouleversements de cet univers et d’endosser un rôle de guide et non de simple spectateur.


Avant d’être un gardien, sois un sauveur (2015-2016)

Les pas de Nicolae lui firent rejoindre un petit groupe de survivants réfugiés non loin de Montréal. Il essaya de leur expliquer que leurs peurs, leurs besoins de survivre à tout prix, même au détriment de la vie des autres, de se laisser gagner par la haine affaiblissaient leur Esprit et les condamnaient à pire que la mort. Ils ne réalisaient pas qu’ils étaient déjà des marcheurs morts avant même d’être contaminés. Il essaya de leur montrer la voie, de leur expliquer le chemin, mais la méfiance les empoisonnait et les mots n’avaient plus de sens pour ces Esprits fragiles et incertains. Alors, Nicolae, devant eux, alla au-devant d’un zombie et, devant les survivants médusés, il se laissa mordre au cou. C’est sans peur, sans haine, sans amour, sans fierté qu'il avait laissé le mort porter la mâchoire sur lui. Il dû lutter contre la colère quand les survivants, égarés dans leurs fausses croyances, achevèrent le mort, le privant à jamais de toute chance de retour. Ils gardèrent Nicolae en quarantaine, le pleurant déjà comme un gentil fou, attachant mais condamné. Mais, les jours passant, leur esprit dû bien s’ouvrir à la possibilité qu’il puisse exister une autre alternative à leur existence. Patiemment, durant des mois, Nicolae les guida, leur expliqua, les éleva. Tous les jours de nouveaux survivants venaient grossir cet étrange petit groupe pour écouter les préceptes de Nicolae. Les rumeurs qu’un homme avait le pouvoir d’immuniser les gens aux morsures se propageaient plus vite que la chaleur de l’été. Certains l’appelaient le corbeau au regard de son étrange tatouage représentant l’animal sur son torse, d’autre le druide du fait de son besoin de rester « connecté » à la nature, voire même « le père » à cause de ses habitudes de moine. Mais, le plus souvent, on l’appelait « le Docteur » car c’était lui qui avait la possibilité de les guérir. Mais tout à un prix. Et ce prix, ce n’était pas à Nicolae qu’il fallait le payer. Il n’y avait pas moyen d’y déroger, pas moyen de négocier ou de reporter. La note était élevée et le chemin difficile pour accéder à l’élévation. Certain furent trop faibles et renoncèrent, d’autres relevèrent le défi de s’initier. Seuls les plus forts et les plus déterminés réussirent à rééquilibrer leur Esprit. Sa façon de vouloir garder les zombies « vivants » au motif que l’Esprit pouvait être restauré même après la contamination pouvait choquer. Seuls les morts jugés « inaptes » à accueillir un retour de l’Esprit pouvaient retourner à la terre. Mais les miracles accomplis suffisaient pour que les survivants acceptent cet étrange rituel.

Nicolae était tiraillé, son rôle de porteur de savoir et de médecins était-il compatible avec cette vie sédentaire ou ne devait-il pas reprendre la route pour porter la sagesse au-delà du petit royaume qui s’était bâti autour de lui ?

Il trouva sa réponse lorsque, un froid matin de Yule, en ce premier jour d’hiver, ses disciples lui rapportaient d’inquiétantes rumeurs : des groupes violents persuader de leur bon droit, extrapolaient de venir attaquer leur communauté pour enlever ceux qu’ils appelaient « les immunes » afin de les disséquer pour découvrir le secret de cette résistance. Ces fous n’avaient rien compris et continuaient dans les travers de ceux qui avaient provoqué ce rééquilibrage. La réponse n’était pas dans la chaire mais bien dans la force de l’Esprit.

Afin d’éviter des violences inutiles et de mettre en péril les siens, Nicolae convoqua les fidèles qui avaient trouvé leur chemin et leur demanda, en leur âme et conscience de faire un choix, celui de rester aux risques de condamner ceux encore sur le chemin du savoir, ou celui de partir porter la connaissance a d’autres âmes afin d’éloigner la menace. C’est ainsi que tous prirent la route dans des directions différentes la nuit même. Lors de son départ, pieds nus, avec son seul bâton et un maigre baluchon, Nicolae vit un corbeau se poser sur son épaule, il prit cela pour un signe. C’est donc, plusieurs semaines plus tard, que Nicolae arriva, à Detroit, aussi humblement qu’un simple pèlerin.