Même si je ne suis pas du genre à aimer travailler en équipe, dans le monde actuel mieux vaut ne pas se la jouer trop perso. D'autant plus lorsque l'on fait partie d'un groupe de survivants aussi bien organisé que Fort Hope. J'ai été sauvée par Logan, et ce à deux reprises déjà. Une première fois alors que j'errais seule dans les rues, sans but ni même l'envie de vivre. La seconde fois cela avait été lorsqu'il m'avait emmenée en expédition avec lui et que j'y avais perdu quelques phalanges. Aujourd'hui j'ai fini par m'habituer à ce manque, mais je ne cache pas que j'ai encore un peu de mal à voir ce dénivelé inattendu quand je regarde ma main. Et puis il n'est pas rare non plus que j'aie encore l'impression de sentir le bout de mon doigt. Le syndrome du membre fantôme comme on dit, et bien cela existe vraiment. Croyez moi.

Cependant, j'ai beau ne pas vouloir créer de liens avec les autres survivants, ce n'est pas pour autant que je refuse d'apporter mon aide au camp. Je ne suis pas ce genre de personne. Loin de là même. C'est cet endroit qui m'a accueillie et soignée quand j'en avais besoin. Il est hors de question que je ne fasse rien pour essayer de les aider en retour. De nous aider. Car depuis le temps que je suis ici maintenant, je pense pouvoir dire que je fais partie intégrante de Fort Hope. Et c'est tant mieux. Il y a réellement des gens bien qui tentent tant bien que mal de survivre entre ces murs. Et malheureusement tous ne sont pas forcément faits pour sortir effectuer des missions de ravitaillement. D'ailleurs, j'étais relativement surprise de voir avec qui j'étais aujourd'hui. Disons que je ne suis pas franchement convaincue par ses capacités de lutte contre les infectés. Mais bon. On ne juge pas un livre à sa couverture, c'était ce que mon père me disait tout le temps quand je critiquais ses copains. Quoi? J'ai tout de même quelques aspects féminins dans ma personnalité, et le côté commère en fait partie. Non mais oh.

Alors que nous étions en train de terminer les derniers préparatifs, l'ancien présentateur télé et moi-même discutions de notre destination. C'était certainement bizarre comme endroit, mais cela avait une certaine logique. Les maisons de retraite avaient pour obligation d'avoir des stocks de médicaments et de vivres avec des dates de péremption lointaines en cas de coup dur. Une quarantaine imposée par une grippe ou quelque maladie du genre, une canicule qui imposerait de devoir lancer un plan de réhydratation des personnes âgées, et j'en passe. J'avais appris ça quand j'avais travaillé une fois là-bas comme femme de ménage en étant ado. Du coup, j'avais l'impression qu'on pourrait faire autre chose que repartir bredouilles de notre expédition. Avec un peu de chance, on trouverait même des clopes. Quoi, ça peut fumer un vieux non? Enfin bref.

Un soupir s'échappa d'entre mes lèvres lorsque la voix d'Isha parvint à mes oreilles. Il s'était contenté de raccourcir mon prénom parce qu'il était apparemment incapable de retenir quelque chose d'aussi simple qu'Amalia. Ce n'est pas comme s'il avait le prénom le plus simple de son côté non plus. Court, certes, mais loin d'être commun! Enfin bref. Vu d'où il venait, il était certainement sorti une énième fois en douce, comme la fois où nous nous étions rencontrés après son petit massacre improvisé. Et vu que Logan n'était pas loin, mieux valait qu'il parvienne à se tirer rapidement. Je levais les yeux au ciel avant de regarder la scène qui se déroulait devant moi. Je me penchais pour ramasser mon sac à dos qui était par terre, vérifiant une dernière fois mon Beretta avant de le ranger et glissant ma main sur la lame que j'avais acquise au prix de mon doigt. « Isha, voici Michael. Michael, voici Isha. Bon, maintenant que les présentations sont faites, j'sais pas pour vous mais perso j'ai pas envie de rester là et de partir quand il fera nuit. » Mon habituelle sympathie était toujours présente. Et oui, pourquoi changer une équipe qui gagne? Mais en même temps, en faisant ça, j'avais fait comprendre au brun qu'il pourrait nous suivre dans notre aventure. C'était un petit peu ça entre nous. Une solidarité entre "rebelles" qui aimaient se barrer du camp en douce pour régler leurs affaires personnelles à l'abri du regard des autres. Je fis un rapide signe de tête aux deux hommes avant de monter côté passager de la camionnette. Je n'avais pas envie de rouler, tout simplement. Avant de grimper j'avais lancé les clés, que j'avais récupérées auparavant, au blond (ou blanc?) pour lui faire comprendre qu'il devrait prendre le volant.

HRP:

Ce qui est étrange avec moi, c'est qu'on pourrait se dire que c'est la survie depuis que le monde a été envahi par les infectés qui m'a rendue aussi austère et amère. Mais non. En soit, j'ai toujours été plus ou moins comme ça. Perdre du temps avec des politesses mal placées et inutiles n'a jamais été mon fort.

C'est peut-être pour ça que j'ai coupé court aux présentations d'Isha et Michael. Parti comme c'était, je sentais déjà les phrases à rallonge et le concours de bites pour savoir qui allait prendre le volant. C'est plus fort que moi, j'ai toujours eu ce comportement un peu directif. "Un leader dans l'âme" comme disait mon père.

Une fois dans la camionnette, je n'ai pas pipé mot de tout le trajet. Le blond savait exactement où nous devions aller. J'avais repéré avec d'autres une maison de retraite indiquée sur une carte et apparemment personne n'avait encore décidé d'y aller. Autant voir si des gens s'étaient installés ici ou si nous allions devoir nous battre contre des fossiles revenus à la vie.

Une fois le véhicule garé sur l'ancien parking de l'établissement d'accueil pour vieux, je sortais sans attendre, ayant préféré rester près de la porte tout du long. Comme à mon habitude, un rapide coup d'oeil à l'état de mon couteau ainsi qu'une vérification de mon arme furent nécessaires pour que je puisse aller vers mon objectif. Notre objectif, pardon.

Le bruit métallique de mon arme se fit entendre une nouvelle fois puis je la remettais dans son holster avant de sortir mon couteau de son étui. Mes doigts passèrent dans les trous prévus à cet effet et je soufflais un bon coup.

« Si quelqu'un a peur de c'qu'on peut trouver là dedans, vaut mieux attendre au van... J'ai pas envie de m'traîner un poids mort. On entre, on trouve des trucs intéressants, et on ressort. Et surtout, on se sépare pas sans se l'être dit avant. » Dis-je sans la moindre once de plaisanterie dans la voix.

Je sais bien qu'Isha ne risque pas d'avoir peur de ce qu'il pourrait trouver à l'intérieur du bâtiment. Mais je ne connais pas suffisamment l'ancien présentateur télé pour connaître ses réctions d'avance. Et j'avoue que je n'ai absolument pas envie de devoir gérer une crise de panique en plein milieu d'un combat avec des vieux infectés qui veulent me bouffer le foie.

« Aller, c'est parti. » Sans réellement attendre de savoir si mes deux comparses étaient derrière moi ou non, je prenais la direction de l'entrée de la bâtisse pour... et bien entrer, tout simplement. C'était calme. Très calme. Trop calme. La dernière fois que les choses semblaient aller si bien au départ, j'ai perdu un doigt dans l'équation. Et je ne ferai pas l'erreur une seconde fois.