Je tousse un rire sans joie à la répartie de Drew avant de hausser une épaule. « Je suis une petite chose fragile, tout ça. » Pour un peu, je me sentirais presque soulagé. Que ça ait pété un peu. De pouvoir avoir un peu laissé s’ouvrir une soupape avant que je craque pour de bon. Sauf que je sens que ça a pas du tout eu le même impact chez les autres. Je vais pas dire que je vais gambader joyeusement après tout ça, loin de là même. Mais d’un côté, qu’ils sachent que ça va pas, c’est con, mais j’ai l’impression d’arrêter enfin de me casser la gueule constamment. Même si j’ai aucune idée de ce que ça va bien pouvoir donner. Je me frotte la nuque et je hoche la tête à la répartie de Drew. « Tu crois vraiment qu’on peut arriver à être en paix avec certains trucs ? » On dirait un gamin qui attend la réponse miracle pour le coup. Et c’est probablement un peu le cas. Surtout que dans ma tête, malgré tout ce qui a pu se passer, Drew a toujours les réponses, d’une façon ou d’une autre. Et si ça peut m’aider à me sentir moins fatigué de tout ça, j’avoue que là, de suite, je prends toutes les options. Je laisse filer un silence alors qu’il semble s’adresser plus directement à Sid’ et, quand il finit par me répondre, je grimace, haussant une épaule. « Je suis pas sûr que ça puisse être pire en fait… »

Et je suis sur le point de continuer quand la réplique de Sid’ me fige un peu. Je relève la tête, fronçant les sourcils dans sa direction et je souffle, un peu incrédule. « Toi ? Exactement le même qu’il y a 15 ans ? Mon cul ouais. T’as changé, on a tous changé, essaie pas de faire croire le contraire. » Je pige pas pourquoi il dit ça. Il peut pas être resté le même, surtout après tout ce qu’on a vécu. Et surtout, ça voudrait dire que je l’ai jamais connu vu que, plus il parle, moins j’ai l’impression de reconnaitre mon meilleur ami. « J’ai jamais parlé de mentir aux filles. Juste d’éviter de leur dire que je suis un crétin qui se casse la gueule d’un arbre et qui vomit tripes et boyaux quand on lui rappelle de mauvais souvenirs qu’il arrive pas à assumer. » Je me suis fait plus sec parce que j’aime pas, mais alors pas du tout sa façon de parler. « Je confirme que ta sœur est pas conne. On a déjà parlé de certains trucs et si t’arrêtais de te regarder le nombril, tu saurais qu’elle aussi a peut-être besoin de se libérer du passé et de chanter comme cette foutue Reine des Neiges. » Je me frotte le visage avant de me relever en titubant un peu, jetant un regard peu amène à Sid’. « Laisse-toi donc bouffer par ton armure au lieu d’essayer de régler les choses va, je viendrais pas tenter quoi que ce soit, j’ai pigé le message perso. » Et j’ajoute, après un regard en direction de Drew. « Par contre, vu que tu veux qu’on évite de se mentir… t’es pas du tout le même qu’il y a 15 ans. Mon meilleur ami aurait jamais parlé comme ça. Et m’aurait pas donné l’impression d’être encore plus merdique ou plus faible que je le suis déjà. » Parce que c’est ça le truc. Autant les paroles de Drew ont eu un peu l’effet d’un baume, même s’il est tout aussi hésitant que moi, autant là, j’ai l’impression que Sid jette du sel sur une plaie ouverte en me défiant de dire que j’ai mal. Et j’attrape mon sac à dos, la mine fermée, avant de souffler un « … je sais pas vous, mais moi je rentre. J’ai eu ma dose. »

C'était étrange. Parce qu'en regardant Sid ou Luke, le premier terme qui venait à l'esprit pour les qualifier n'était pas fragile. Ils étaient quand même bien bâtis malgré les aléas de la vie de rescapés d'apocalypse zombie. Mais chacun cachait des blessures. Luke moins bien que Sid. A moins qu'il n'ai davantage de force que le Lancaster pour y faire face... Oui, cela devait être ça. Luke avait l'honnêteté envers lui-même de reconnaître ses failles et se vulnérabilité, d'en avoir conscience et de composer avec. Sidney, en revanche, faisait un rejet violent et un déni incroyable, pensant sans doute que c'était cela qui l'aiderait à tenir et avancer. Ce dont je n'étais absolument pas convaincu. Pourtant, la question que me posa Luke prouvait qu'il était encore tourmenté et rêvait de repos à ce niveau. Je haussai une épaule, cependant, ne détenant malheureusement pas la réponse absolue, ni même la façon d'y parvenir. « Je pense que oui. Avec du temps et du travail sur soi-même. » Savoir reconnaître que nous étions humains et faillibles. Que nous ne pouvions pas tout contrôler. Qu'il pouvait nous arriver d'être stupides, inconscients, de manquer de discernement. C'était facile à dire, plus difficile à faire, alors que la culpabilité et les remords s'accrochaient viscéralement. « Moi non plus. » Je commentai les paroles de Luke sobrement.

Et ce fut là que Sidney intervint. Je ne dis rien, me contentant de l'observer alors qu'il se défendait par l'attaque, tout simplement. Comme il le faisait toujours et continuerait de le faire. Il n'était pas prêt à écouter les conseils, ni à changer quoique ce soit, se complaisant dans son attitude actuelle. Soit. Nous ne pouvions pas le force,r au risque de le braquer. Luke n'était pas aussi serein que moi cependant. L'attitude de Sidney l'exaspérait clairement. Sidney, lui était partisan du tout ou rien. Ou on continuait comme ça à ne rien se dire et à tout garder chacun pour soi, ou on se disait tout. Et on avouait tout aux filles. Ce qui n'était pas envisageable pour le moment. Il nous faudrait déjà être stables nous-même pour pouvoir endosser les changements que cela amènerait inévitablement.

La tension était à son comble entre Luke et Sidney. J'avais toujours été un peu à part du trio de frangins. Ils avaient le même âge et étaient devenus les meilleurs amis du monde quand j'étais demeuré le grand frère. Et là, je ne pouvais que les voir se déchirer... Pour des conneries. Parce qu'ils n'avaient pas la même vision du monde, parce que l'un avait besoin du soutien de l'autre, quand l'autre préférait faire cavalier seul et se retranchait dans ses défenses. Cela ne pouvait pas fonctionner ainsi. Mais Sid avait raison sur un truc : les filles n'étaient pas idiotes. Et elles verraient bien que quelque chose s'était passé aujourd'hui. Parce que Luke ne pourrait pas faire semblant de rien avec Sidney. Que Sidney serait encore plus en mode pitbull que d'ordinaire. Et parce que j'avais l'impression que notre groupe pouvait se désagréger à tout instant. Je fixai Sidney un instant, avec calme. « Que tu refuses de te pencher sur le passé, très bien Sidney, mais évite d'être désobligeant envers ceux qui en ressentent le besoin. Mène ta vie comme tu veux, mais la survie, ce n'est pas qu'une question de nourrir les corps et éviter la mort physique. C'est aussi conserver ce qui fait de nous des humains et nous différencie des morts qui se relèvent. » Conserver son intégrité physique, mais également psychique. A quoi bon survivre en se coupant des autres, en devenant une machine sans âme pour ne rien ressentir et n'avoir aucune faiblesse ? Le raisonnement de Sidney m'échappait, mais soit. Luke, lui en avait assez. Je lui emboîtai le pas. « Je crois que nous avons tous eu la nôtre. » Trop de vérités, trop de sentiments et de secrets mis à nu. Le retour se ferait dans un silence morne. Plus rien ne serait pareil.

Il avait raison sur un point, je regards que je venais de lui lancer, jamais il n’aurait existé avant. Jamais je n’aurais ressenti de la haine en le regardant. L’avouer reviendrait à lui dire qu’il avait raison, que j’avais changé. Pourtant non, enfin pas vraiment, j’avais toujours eu cette colère en moi, toujours eu ce sentiment négatif à travers moi, du moins depuis mon père. J’avais toujours été en colère. Mais là, l’entendre dire qu’il parlait avec Kenny, qu’elle avait besoin de se libérer… J’avais serré la mâchoire. Drew en ajouta une couche, me demandant de ne pas être désobligeant envers ceux qui en ressentait le besoin. Quand à conserver une intégrité mentale, je pense que c’était légèrement mort de mon côté. Gardant le silence, je me contentais de garder le silence, glissant mes mains dans mes poches alors que je commençais à marcher. J’avais rien à dire, rien à ajouter si je devais rester calme et mesuré. Je ne saurais pas respecter leurs décisions si je devais répondre quoi que ce soit. Alors autant ne rien dire de plus. Il était évident que leurs sentiments à mon égard ne seraient pas amélioré si jamais je répondais. Et puis ca changerait quoi ? De toute évidence ils voulaient parler qu’on soit les meilleurs amis du monde. On était dans une famille, et on devait traverser l’horreur, si on devait être franc, on devait l’être avec les filles. Sinon comment on pouvait les regarder en face, ce dire nous on jouait cartes sur table entre nous mais pas avec elles ? Ca servait à rien de créer une bulle, on la ferait exploser trop facilement, et après on serait comme des cons, incapable d’avancer. Non, soit on disait rien et on continuait comme ça, soit on disait tout.

Je ne me retournais pas et les rares obstacle bougeant que l’on put croiser furent tout simplement évité. J’avais marché jusqu’à la maison, jusqu’à retrouver mes affaires en évitant tout le monde et en remettant un t-shirt non arraché. Ce qu’il s’était passé ne regarderait personne, vu qu’il était évident qu’annoncer qu’on avait pu traverser le désert était un drame. C’était con, j’étais plus à même de répondre aux questions de tout le monde que de Drew et Luke. Plus à même de me sentir légitime dans tout ça. Ca ne nous avancerait pas de regarder en arrière, si on oublié qu’on était pas seul. Cette journée m’avait épuisé, et encore le terme était sans doute loin de la réalité. Les mecs devaient-être dans le même état, je ne me faisais aucune illusion, c’était évident. Plus rien ne serait réellement comme avant, plus rien n’aurait de sens, de logique. J’avais peut-être perdu des alliés à agir ainsi, mais je restais persuadé que c’était le meilleur moyen d’avancer, de ne plus reculer dès que la situation m’échappait. Construire une armure comme il disait, ou simplement accepter que l’humanité était un luxe dont je pouvais me passer.