FOR THIS LAST SONG,
I WANT A KISS.

- Nohr… te mets pas dans la merde. Tu sais ce que ça f’rait à Maman…

Il hocha la tête. La même rengaine que d’habitude. Il termina sa clope. Maja poussait un soupir énervé. Elle n’obtiendra rien de plus de lui. Elle savait parfaitement. Il n’était pas prêt à arrêter ses petites affaires. Pas tant que c’était qui payait de quoi manger et acheter les foutus médicaments de leur mère. Tant que cette dernière était dans son coma médicamenteux, tout était tolérable sous le toit. Il ne voulait plus entendre les cris.

Il se repencha sur la machine entre ses mains. Peu importait qui était le client, il faisait le boulot, c’est tout. Ne pas se poser de questions, voilà la clé de la zenitude ! Sa lampe s’éteignit brusquement. Et merde, facture d’électricité encore oubliée.

- Maja ! Tu peux brancher le générateur ?!

Aucune réponse. Il cria un « MAJA » sans pourtant avoir beaucoup d’espoir. Pas le courage d’appeler Silja, ses sœurs avaientv le même foutu caractère. Putain de famille. Il avait vraiment décroché le gros lot. Il aurait préféré un frère. Quatre sœur, c’était vraiment trop.



- Arrête de bouger Natasja, j’vais vraiment te coiffer n’importe comment !

Soupire de la demoiselle. Cinq ans et elle avait déjà la même attitude que les plus grandes ! Pourquoi le seul mec de la maison devait jouer les nounous ?! Il faisait tout. Cuisine. Ménage. Vaisselle. Lessive. Devoirs avec Natasja. Infirmière pour sa mère. Il était « bonne à marier ». Le dessin animé qui tournait en fond sonore changea brutalement pour un journal télévisé.

- Nohr, si tu utilises encore l’excuse de Nat’ pour regarder des dessins animés, tu finiras encore plus con que ce que t’es déjà ! Allez à plus, je reviens dans deux jours les mioches !

Il envoya un regard noir à Tanja mais l’aînée de la fratrie avait déjà disparue. Pire qu’un coup de vent. S’il voulait être con, c’était son problème. «… des nouvelles inquiétantes d’Afghanistan où l’étrange épidémie… ». Yeurk. Les mauvaises nouvelles, ce n’était pas son truc. Il attrapa du bout des doigts la télécommande sans pour autant lâcher le début de tresse qu’il avait déjà faite à sa sœur. Les cartoons, c’était beaucoup mieux. Jusqu’à la prochaine coupure de courant en tout cas.


Il se retrouvait face à deux paires d’yeux humides. Non. Ce n’était pas une bonne idée. Ils avaient établi une règle simple. D’ailleurs c’était la seule règle respectée par la maisonnée… Enfin, IL avait établi cette règle simple. Pas d’animaux chez les Bodilsen. Il ne se sentait pas de gérer ça en plus du reste. Et il ne pouvait pas compter sur sa mère ou ses sœurs pour gérer un être vivant…

- Te plaaaaîîîîîîît, No’ ! Te plaaaaîîîîîîît !

Natasja tenait tout contre elle une boule de poils. Un furet.

- Il s’appelle Lodne !

Voilà comment Lodne rejoignit la famille Bodilsen.



Ironiquement, il s’était toujours demandé : « Si la fin du monde arrivait, est-ce que je le réaliserai ? ». La réponse fut non. Dans cette apocalypse, sur le moment, il ne s’était rien dit de tel. Il ne s’était rien dit du tout. Contrairement à beaucoup, ils ne tentèrent pas de fuir la ville. « Pour aller où ? ». Il n’avait pas les moyens de se déplacer. Pas d’argent, pas de véhicule. Et leur mère… Tout était trop compliqué. Ils avaient opté par défaut la solution de se terrer dans leur appartement. La nuit… il y avait les cris. Et puis ces cris ont commencé à hanter également les jours.

Il ne s’était pas demandé si la fin du monde était là. Par contre, il s’était bel et bien demandé s’il n’avait pas la même foutue maladie que sa mère… la schizophrénie. C’était toujours plus réaliste que se dire qu’il y avait des gens qui revenaient d’entre les morts pour tenter de les bouffer. En y pensant, bientôt ils n’auraient plus assez de médicaments pour retenir leur mère dans le monde de la raison…

L’appartement était silencieux. Ils étaient tous rassemblés au salon. « On joue au camping », avaient-ils dit à Natasja. Sauf que le camping, ce n’était plus si drôle sur la durée. La petite était lovée entre leur mère et une pile de couvertures, Lodne sur elle. Il éteignit la bougie et les rejoignit. Il était temps de dormir un petit peu. Dans quelques heures, lorsque le soleil brillerait, il tenterait de sortir pour trouver de quoi survivre un peu plus longtemps.


- TAN ! NO ! ELLE RESPIRE PLUS ! MAMAN RESPIRE PLUS !

Jamais il ne courut aussi vite. Silja s’époumonait à les appeler. Tanja était derrière lui. Elle boîtait péniblement depuis une blessure à la jambe. Plus vite. Plus vite ! Son souffle était coupé. Il trébuchait. Leur camp de fortune se trouvait en haut d’une colline. Il ne pouvait voir que leurs barricades improvisées. Ses jambes donnaient tout ce qu’elles pouvaient. Ce n’était pas assez vite. Il entendait les pleurs de Natasja, noyés dans les cris. Le temps semblait s’éterniser, les distances s’étirer…

Il arriva enfin. Trop tard. Elle avait les lèvres bleues. Le teint blanc. Trop tard. Cette sentence qui résonnait en lui.

Ni ses sœurs ni lui ne comprirent vraiment ce qui s’était passé. Sûrement étouffée par un aliment… Néanmoins Nohr sait qu’il n’a pas été là alors qu’elle avait besoin de lui.



Orphelins. Le mot était étrange. Le mot ne voulait pas franchir leurs lèvres mais c’était bel et bien le mot. Peut-être un détail dans ce monde chaotique. Surtout que leur mère n’était plus vraiment là depuis des années, perdue hors de la réalité. Mais malgré tout, elle avait toujours ses bras aimants dans lesquels ils pouvaient se réfugier pour pleurer… Elle laissait un trou derrière elle. Il ne s’imaginait pas qu’elle lui manquerait autant. Elle n’aurait pas pu survivre beaucoup plus longtemps. Il le savait mais cela ne faisait pas moins mal.

Ils rejoignirent un petit groupe de voyageurs qu’ils avaient croisé. C’était mieux que de rester seuls entre eux. Il ne se sentait plus nus face aux rôdeurs.

Un nouveau départ. De nouvelles rencontres. Savoir faire confiance et tenter d’avancer. Ils ne pouvaient pas se permettre de faire de mauvais choix, pas avec Natasja sous leur responsabilité. Elle était si petite, si innocente… Cela leur permettait aussi de retrouver le sommeil. Se sentir moins seuls. Souffler.



S’attacher à de nouvelles personnes. Compter les uns sur les autres. Ne plus être le seul qui supporte sa petite famille, ses sœurs. C’est peut-être con mais sa mère lui avait toujours répété qu’il était l’Homme, qu’il devait prendre ses responsabilités… Il n’a jamais été vraiment d’accord avec cette façon de penser mais cela lui avait laissé certaines séquelles. Il était le protecteur… Mais doucement, Tanja commençait à reprendre sa place d’aînée et lui celle du petit frère.

Tisser des liens… à travers l’horreur de cette nouvelle réalité. Le quotidien rythmé par les rôdeurs et cette obsession de la survie. Mais il y avait des bulles de normalité dans tout cela. Des moments où il pouvait rire comme un abruti ou se rapprocher peu à peu d’une certaine Lyana. Il en avait d’autres aussi, mais… mais tous ces noms, cela fait trop de mal de s’en souvenir désormais.

Car un jour, tout dérapa. Tout dérape toujours.

Leur petit groupe, anéantit. Le sang. La tête couronnée qui tombe. Plus de chef. Plus d’unité… plus rien.

Et cette peur qui revient brusquement.

A nouveau, Nohr et ses sœurs se retrouvaient seuls. Ils avaient fui pour sauver leur peau. Tanja était persuadée que s’ils ne le faisaient pas, c’était eux les prochains à tomber. Elle s’était mise en tête qu’elle devait protéger tous les Bodilsen. Honnêtement, Nohr était bien heureux de n’avoir plus que le rôle de second. Il n’aimait pas diriger, prendre les décisions. Mais seuls… ils se sentaient si vulnérables. Ils n’avaient plus l’habitude de cela. Un an qu’ils n’avaient plus été livrés à eux-mêmes. Il fallait réapprendre à se débrouiller en ne comptant que sûr eux.




- Ça doit être ici, ça doit être ici putain !

Pas la peine de dire à Tanja que ça ne servait à rien de s’énerver. Il avait déjà essayé. 34 fois la dernière demi-heure. Et à sa dernière remarque d’esprit, il s’était reçu un coup derrière la tête. Avec une poêle. Arme fétiche de sa très chère sœur. Voilà quatre heures qu’ils étaient partis à la recherche d’une petite supérette. D’après le plan qu’ils avaient, elle ne devait pas être loin… Sauf que le plan datait de plusieurs années avant le début de la fin. Il n’avait pas osé le préciser plus de 4 fois cette heure-ci. Les coups de poêle, ce n’était pas sa tasse de thé. Ils avaient laissé Natasja, Silja et Maja à l’abri. Les deux plus grandes devaient se relayer pour garder la petite et monter le guet. C’était tout du moins ce qu’elles avaient promis avant qu’ils les quittent…

Ils se redressèrent, se tendirent. Il y avait un vieil homme qui avançait vers eux… au milieu de cette rue vide. Depuis qu’ils ne faisaient plus partie d’un groupe, ils se montraient méfiants face aux autres. Question de survie. Lui… était plus ouvert aux inconnus. Etre dans un groupe lui manquait. Cruellement. Tanja, elle, préférait qu’ils restent entre eux. Deux façons de voire les choses. Chacun leur raison… Mais Nohr se pliait à l’avis de sa sœur sans effort.

Sauf cette fois-ci.

Il avait convaincu Tanja de faire confiance au vieil homme… d’accepter que ce dernier leur montre la supérette… Ils avaient besoin de bouffer.




Elle gisait. Là. Devant lui. Trop longtemps qu’elle ne bougeait plus. Et tout ce qu’il pouvait faire c’était pleurer. C’était de sa faute. Tanja était morte. Le vieil homme était complètement cinglé. Il disait des choses comme quoi il allait trouver le remède, qu’il allait sauver tout le monde ! Mais il avait besoin d’aide pour cela… Lorsqu’il s’était approché de Nohr… Tanja s’était violement opposée… Elle avait réussi à se détacher… Elle avait voulu le défendre…

Une aiguille se plantait dans sa peau alors qu’il pensait à ses trois sœurs qu’ils les attendaient. Il allait crever entre les mains d’un fou. « Il avait besoin de lui, de son aide… Tout génie scientifique avait ses petits rats ! Il était le sien… ». Il ferma les yeux. Il n’était pas courageux. Il n’était pas Tanja. Il voulait que tout ça finisse.



La liberté avait un goût amer. Il ne savait pas combien de temps il avait passé entre les mains de ce cinglé. Juste… qu’un jour le vieux ne rentra pas dans le bunker dans lequel il était gardé prisonnier. Il lui a fallu quatre jours après ça pour trouver un moyen de s’en libérer… Dehors, il rechercha l’endroit où ils avaient laissé ses sœurs… Plus personne. Combien de jours, de semaines avaient-elles attendues dans l’angoisse ? Il y avait juste un mot, inscrit sur les murs à la craie : « Désolées… On se retrouva. »

Il se mit alors à aérer. Sans but. Sans vraiment croire à leur promesse. Il était vide. Trois mois à jouer les fantômes sur les routes. Il fuyait les gens. Se faisait le plus invisible possible. Il ne se sentait pas prêt à retrouver des quelconques ruines de civilisation. Il attendit plus de trois mois pour cela. Ce fut alors qu’il atterrit au Labo. Car il se jura une chose. La prochaine fois qu’il sera un cobaye, ce sera de son plein grès… Et en attendant, autant réapprendre à revivre, non ? Ses sœurs le hantent. Il faut qu’il les retrouve. S’il faut pour cela se servir des ressources qu’il a à portée de main, il le fera.