Parfois, quand la douceur de la nuit et le réconfort des songes n’arrivent pas à se substituer à la douleur, Noah repense à sa vie d’avant. Il se remémore comme il était heureux et épanoui. Il se rappelle la douceur de sa mère, son rire cristallin, les effluves de cacao qui imprégnaient la cuisine au petit matin, le goût du jus d’orange pressé… et puis ce patchwork de couleurs et de douceurs laissent place à la noirceur. L’avertisseur sonore qui déchire le silence, le fracas des tôles qui s’entrechoquent, les vitres qui se brisent, lui lacérant la peau tels des milliers de lames de rasoirs, le choc de la voiture qui se retourne puis le silence.
“Maman ? Maman ! Maman…”
Sa mère était morte sur le coup, sentence inéluctable et définitive. Lui avait eu plus de chance, n’avait subi que des blessures minimes. Il n’était resté à l’hôpital que quelques jours. Personne n’avait voulu de lui. Ni un père qu’il n’avait jamais connu, ni cette famille qu’il côtoyait pourtant si souvent, ni même son oncle Philipp avec qui il partait à la pêche. En un instant, il était passé d’un être chéri à un fantôme aux yeux de tout le monde.
Il avait été transféré à un orphelinat de detroit. Endroit inconnu, codes inconnus, où les oubliés de tous, les orphelins, vivaient à l’écart.
Noah fut plongé au milieu d’une arène : les loups régnaient en maître, les moutons essayaient de suivre le troupeau pendant que les plus faibles subissaient en silence dans l’ignorance la plus totale totale d’un personnel qui préférait mettre ça sur le compte de chamailleries de jeunesse.
Lui aurait pu se démarquer, faire fi de sa gentillesse et rejoindre les plus forts, mais il n’était qu’un être chétif, plus petit que la moyenne et mince comme un clou. Lui n’avait jamais connu la haine d’avoir été rejeté, les coups d’un père alcoolique… mais uniquement la douceur d’une mère aimante.
Deux jours suffirent pour s’attirer les foudres d’un groupe d’enfant. Bouilles innocentes mais déjà perverties par un manque latent d’encadrement et d’affection. Et le cauchemar commença pour Noah, déjà si cabossé par la mort de sa mère… les insultes succédèrent aux moqueries, puis vinrent après quelques mois les coups, les pleurs et les larmes. Et le sang, la colère puis la haine.
XXX
28/01/1997
La neige recouvrait la ville et la buée rendait opaque les carreaux de l’orphelinat. Noah se dressait face à Billy, cette ordure qui rendait de sa vie un enfer depuis tant de temps. La bande qui le suivait comme un chien se tenait à l’écart, près à intervenir en cas de velléité de rébellion de la pauvre victime.
Billy n’avait pas encore commencé à lui porter des coups. Il savourait pour l’instant la domination qu’il assurait sur lui. C’était toujours comme ça, rituel implacable. Puis il allait commencer à l’insulter, à s’énerver, comme si il rendait légitime les coups qu’il lui portait chaque jours. Comme s’il s’agissait juste d’une simple rixe entre deux belligérants consentants. Noah ne savait rien des motivations qu’éprouvait son bourreau, ni même pourquoi il s’en prenait à lui et pas à un autre gars. Probablement qu’il n’en avait aucune d’ailleurs. Mais la seule chose qu’il savait, c’était qu’il prenait du plaisir à le frapper, à le voir souffrir. Il le lisait dans ses yeux et dans ce rictus malsain qui défigurait à cet instant son visage.
“Alors, je t’ai manqué Noah ? Je sais que je t’ai manqué.” Il n’en entendit pas plus, Noah saisit le canif qu’il avait glissé dans sa poche quelques heures plus tôt. Puis sans crier gare, le poignarda, hurlant de rage, vomissant une haine jusqu’alors contenu, répandant son courroux sur cet être tant détesté. Les autres de la bande le regardèrent béas, figés sur place, ne pouvant affronter ce volcan qui venait de s’éveiller. Et pendant quelques instants, alors que tenant encore l’arme ruisselant de sang, Noah se mit à sourire, une douce chaleur s’emparant de son corps.
XXX
La sentence fut rapide. Le juge pour enfant condamna Noah à purger une peine de prison de cinq ans au “
Wayne County Juvenile Detention Facility” pour coup et blessure, tenant compte de la circonstance particulière de l’agression et du harcèlement quotidien subit par le jeune enfant pendant tout ce temps. L’affaire fit les gros titres de la presse. Quant à Billy, celui-ci se remit rapidement de ses blessures et continua de plus belle ses agissements.
Mars 1997 :
Noah n’était là que depuis quatre jours et en ce laps de temps, il avait vu plus de violence, plus de haine, qu’en un an d’orphelinat. Ici c’était bel et bien le chaos sans possibilité d’y échapper, sans exutoire si ce n’est la violence elle-même. Ici, seule la loi du Talion régnait et le peu d’humanité que possédait certains jeunes avait définitivement disparu. Dès le premier jour, il avait vu un gosse se faire passer à tabac puis humilier devant une foule hilare. Dès le premier jour, il avait senti plusieurs regards se poser sur lui, mélange de haine, de défis pour certains et de peur pour d’autres. Personne ne savait qui était le bourreau et la victime avant de se confronter à la personne. Les chefs n’étaient pas forcément les plus grands, musclés, mais parfois des personnes frêles comme lui. Cependant chez la plupart on pouvait lire une lueur évidente de démence et de violence dans les yeux.
Mais, Noah n’avait pas l’âme d’un guerrier. Il n’était pas assez mauvais pour se hisser au dessus de cette pyramide et n’était pas assez transparent pour échapper aux bourreaux. Dès le départ, il avait su qu’il était au pied du mur, un simple animal de prairie attendant l’assaut du loup. Alors, il s’était résolu à courber l’échine, essayant de raser les murs pour retarder le plus longtemps l’inéluctable.
Mais l’inéluctable arriva rapidement. Et en un instant, alors qu’il était dans le dortoir avec les autres prisonniers, l’atmosphère devint lourde et se chargea de violence.
“Hey le nouveau, sale tapette, qu’est ce que tu fais ? Pourquoi tu me regarde comme ça enculé ?” Noah se raidit sur place, une coulée de sueur se forma sur sa nuque et serpenta le long de son échine. Son coeur s’emballa en un instant. Le glas venait de sonner, résonnait encore, pendant que, au quatre coins de la pièce, les autres détenues regardaient avec insistance le combat qui s’annonçait. Les plus faibles bien content de l'accalmie qui s’offrait à eux, inconsciemment heureux de ne plus être la cible pour un laps de temps salvateur; les plus forts avec une lueur démente dans les yeux, réclamant le sang, se nourrissant de la peur.
Celui qui l’avait invectivé était une montagne de muscle malgré son apparente jeunesse. Le crâne rasé et un regard féroce, toisant méchamment sa nouvelle cible, savourant déjà ce doux parfum de peur qui émanait de Noah. L’archétype de la brute.
“Pourquoi tu ne réponds pas, t’as peur ?” Quelques mots, incisifs, chargés de violence. Des mots plus que inutiles tant le visage de Noah était déjà emprunt de terreur. La brute le toisa pendant quelques secondes, savourant son contrôle déjà total sur sa cible, puis, il le poussa violemment. Noah ferma les yeux, la correction était désormais inévitable. Son dos heurta violemment le lit en fer.
“Le touche pas Brendon. Le touche surtout pas. Sinon c’est moi qui vais devoir m’en mêler” Noah entendit ces mots dans un état presque second alors que intérieurement il était déjà parti très loin, essayant de reconstituer l’armure qu’il s’était créé quand il se faisait rosser à l’orphelinat. Il ouvrit les yeux. Un enfant inconnu s’était interposé entre lui et son agresseur. Un gamin bien moins imposant que la brute, mais dont la posture -les épaules droites, les mains tendus vers Brendon- trahissait un excès de confiance.
“
Ne t’en mèle pas Cameron sinon… répondit la brute. -
Sinon quoi ? Tu sais très bien qui c’est le chef ici, donc ferme ta putain de gueule et trace ta route.”
Noah n’en revint pas. La brute lui lança un regard noir et contre toute attente tourna les talons. La foule qui s’était formée autour d’eux se dispersa en un instant.
“
Merci, bredouilla Noah. -
Ne me remercie pas. Je ne serai pas toujours là pour te sauver le cul. -
Pourquoi tu m’as aidé ? -
Je ne l’ai pas fait pour toi, c’est juste stratégique. Je dois affirmer ma position de chef, du moins dans ce bloc et cet puta de Brendon commence à vouloir s’affirmer. Je dois le faire redescendre sur terre. Lui ne peut rien me faire, j’ai trop de liens ici. -
Je comprends, mais merci.... -
Arrête de te comporter comme une victime putain. Tu crois que c’est terminé ? Tu crois que Brendon va en rester là ? Il va te retomber dessus un jour, surtout avec l’humiliation que je viens de lui faire subir. Et là je serai pas là et il te massacrera parce que tu n’es qu’une merde qui rase les murs. -
Je sais… répondit Noah en baissant les yeux. -
Mais ressaisis toi putain, s’emporta Cameron, tout le monde sait pourquoi t’as débarqué ici, ce que t’as fait. T’as poignardé un mec pour en arriver là. Tu crois quoi, tu crois que t’es blanc comme neige, que t’as rien à foutre ici ? T’es pareil que nous tous, donc arrête de te comporter comme la dernière des fiottes. Il faut que tu le tabasse, que tu te venge et tu gagneras le respect de la prison. Ici y’a que deux types de personne, les dominants et les dominés. Et les dés ne sont pas jetés quand tu arrives, c’est sur place que tout se règle. -
Mais je sais pas me battre… -
Prends le par surprise frappe le de toutes tes forces et envoies le à l’infirmerie. Personne ne te balancera. Et tu gagneras le respect.”
Sur ces mots, Cameron tourna les talons, laissant le petit Noah dans sa torpeur. La journée se déroula sans autre accident et le soir même, alors que son bourreau était seul, il se vengea. Lui explosant la figure avec ses poings, lui faisant cracher le sang, frappant, frappant sans s’arrêter, libérant toute la pression, toute la hargne qu’il avait accumulé au cours de cette dernière année.
Toute cette frustration, toute cette tristesse, se déversa sur la brute, tempête inarrêtable, torrent emportant tout sur son passage. Et pendant que Noah regardait le visage ensanglanté de Brendon, il comprit. Il comprit qu’il n’était plus la victime, mais le bourreau.
Juin 2004 :
“
Hey Man, comment tu vas ?”
Noah était attablé à la terrasse d’un bar, contemplant pensivement la rue bondée de monde qui longeait l’établissement où il s’était arrêté. Les mots l’arrachèrent de sa torpeur et il regarda celui qui venait de pénétrer son champ de vision, un large sourire se dessina sur son visage. Il saisit la main tendu vers lui et l’empoigna virilement.
“
Putain mec, tu peux pas savoir à quel point je suis content de te voir ! dit Noah avec conviction, ça va faire combien de temps qu’on s’est pas vu bro ? Deux ans ? Trois ans ?-
Trois ans et quelques mois. Quand t’es un taule le temps passe lentement. Enfin, tu ne le sais que trop bien, répondit son interlocuteur en souriant lui aussi. “ Cameron, son ancien pote de cellule, celui qui l’avait tant aidé au cours de ces cinq ans d’incarcération se dressait devant lui. Inchangé. Il était toujours le grand black qu’il avait connu, peut-être avec un peu plus de muscle que la dernière fois qu’il l’avait vu et une barbe de trois jours ornait désormais son visage autrefois aussi lisse que la peau d’un nouveau né.
“
Je suis désolé mec. Je suis vraiment désolé de pas être venu te voir en taule quand t’as été transféré chez les adultes. Mais tu vois, quand j’ai quitté le centre de détention pour jeune, j’ai voulu échapper à cette vie, à cet enfer. Et... je suis pas revenu en arrière. Mais je... -
Putain malgré la taule et les muscles que t’as pris, t’es toujours la petite fiotte que j’ai sauvé dans le dortoir y’a plus de 8 ans ! railla Cameron. -
Allez ta gueule, sourit Noah. -
T’inquiète man. Je comprends que t’avais pas que ça à foutre de venir me voir. Pour toi la taule c’est du passé. Personne n’a envie d’y remettre un pied quand on vient de finir sa peine. -
T’es sorti y’a combien de temps ? -
Quatre mois. Et plus jamais j’y remettrai les pieds. -
C’était comment ? -
L’horreur. Rien à voir avec la prison pour jeune. Là les mecs sont vraiment tarés, bien plus que tout ce que nous on a été. J’ai partagé ma cellule avec un gars qui avait buté toute sa famille à main nu quand il avait un coup dans le nez. Mais le mec est pas resté longtemps, il s’est taillé les veines. Puis après, des trafiquants de drogue, des violeurs… tous les rebus de la société quoi. Ceux comme moi en y réfléchissant.”
Cameron lui avait pris 8 ans de prison. Noah n’avait jamais su ce qu’avait fait, son compagnon ne s’était jamais épanché sur les actes qui l’avait amené ici. Il avait entendu des rumeurs parlant d’un meurtre, celui de son père. Mais Noah n’en avait jamais eu la certitude et n’avait jamais cherché à en parler avec lui. Il y a des choses qui ne se demandent pas, surtout en taule. Toujours étant qu’à l’âge fatidique de dix huit ans, lui avait été transféré dans une des nombreuses prisons de Detroit, ce que Noah avait échappé de justesse, ayant purgé sa peine avant.
“
Mais j’ai pris des contacts… utiles. finit Cameron sur un ton mystérieux. -
Comment tu m’as retrouvé d’ailleurs ? -
Tu crois quoi ? Je connais du monde à Detroit, ça n’a pas été difficile. -
J’imagine que tu m’as pas appelé et proposé de se voir ici pour parler du bon vieux temps si ? -
Non effectivement. Je suis en relation avec des gens importants en ce moment, des personnes très influentes, des gens bourrés de tune. Je commence à me faire une petite réputation dans la rue. -
Tu parles de quoi là ? -
De la drogue man, de la drogue. -
Désolé mec, je suis pas intéressé. C’est terminé pour moi, toute cette merde. Je ne veux plus retourner dans l’illégalité. J’ai déjà assez gâché ma vie comme ça man. J’ai envie d’en profiter… -
Tu crois que je connais pas la vérité man ? Tu crois que je sais pas que tu peines à joindre les deux bouts ? Que tu crèches dans une piolle minable loin de tout. Que tu trimes comme un chien, homme de ménage le jour, videur dans une boite merdique la nuit ? Tu crois que je sais pas tout ça ? écoute mec, je te propose juste un petit boulot. Y’a une transaction ce soir, j’ai besoin d’un gars pour l’assurer avec moi, quelques grammes de coke dans un pavillon chic de Detroit. C’est de la main à la main. Un petit bourge de merde qui veut se taper une petite ligne. Mais j’ai pas envie de l’assurer seul. Faut toujours quelqu’un pour couvrir tes arrières, même dans ces cas là. -Pourquoi moi ?
-T’as toujours été mon seul pote malgré que la vie nous ai séparé. Et y’a qu’en toi que j’ai confiance. Et puis, j’ai envie de t’en faire profiter. J’ai accumulé tellement d’argent depuis que je suis sorti, tu ne peux pas savoir à quel point. -
Je sais pas mec… je sais pas… -
Tu vaux mieux que ça mon frère, tu vaux mieux que ça. écoute, je dois régler quelques trucs, faut que je me casse. T’as mon numéro, appelles moi si t’es intéressé. Je te laisse jusqu’à la fin de journée pour te décider. Mais n’oublie pas mon frère, c’est une chance que je t’offre. Une chance.”
Et effectivement, ce fut une véritable chance. Le soir même, alors qu’un chat miollait caché derrière une poubelle, Noah comptait ses billets sur le cul d’une pute qu’il avait ramassé quelques minutes plus tôt. Un sourire béat illuminait son visage et une impression de puissance naissait en lui.
5 Avril 2009 :
Noah attendait patiemment tapis dans l’ombre des gros buildings qui le surplombait. La cigarette qu’il tenait dans sa main se consumait lentement, les filés de fumée se perdant dans l’obscurité. La froideur de cette nuit de printemps enveloppait son corps et cette morsure glaciale essayait tant bien que mal de se frayer un chemin à travers l’épaisse couche de vêtement qu’il avait vêtu. Pour autant, il avait chaud. Tellement chaud que des gouttes de sueurs perlaient le long de sa nuque. Il ressentait toujours cette même sensation avant un deal, même après aussi longtemps. De nombreuses choses s’étaient passées en quatre ans, succession d’échanges plus fructueux les uns que les autres, drogues, armes, principalement. Médicaments et objets de contrebandes parfois. La seule chose qu’il ne vendait pas c’était la chaire. Il laissait le proxénétisme à d’autres.
Parfois, il repensait non sans un sourire, à son premier deal avec son pote de toujours, Cameron. Quand celui-ci, à la terrasse d’un bar miteux, lui avait proposé de le rejoindre pour un échange de coke. Il se rappelait avoir pesé vainement le pour et le contre pendant quelques heures, et ce même si au fond de lui, il avait su dès le début qu’il allait accepter. Et puis, il se revoyait, transi de peur, le soir même, la main sur l’imposante crosse d’un Beretta 9mm, guettant au loin si une quelconque personne n’allait arriver pendant que Cameron, lui, discutait avec l’acheteur. La transaction n’avait duré que quelques minutes, pourtant il en était ressorti grisé. Moins d’une semaine plus tard, il rempilait, toujours avec C.
Ah du temps s’était passé depuis. Et en ce moment même, il attendait patiemment avec deux autres que les acheteurs arrivent. Une transaction de kalachnikov, trois plus quelques barrettes de munition. Depuis qu’ils avaient conclu un pacte avec les russes, ils en écoulaient pleins. Ces merdes se vendaient comme des petits pains. Mais le plus important était les quatre kilogrammes de cocaïne solidement armaturés dans une mallette. Ce soir, si tout se passait bien, il pourrait repartir avec plus de 250 000$.
Mais tout se passerait bien. Il ne connaissait que trop bien les acheteurs. Une mafia locale avec qui il avait plusieurs fois conclus des ventes. Des acheteurs sûrs, qui payaient biens. C’est pour cela que Cameron n’était pas venu avec lui pour la transaction mais avait invectivé deux hommes de confiance. D’ailleurs, Cameron ne venait plus trop en ce moment, surtout depuis qu’il avait trouvé une femme. Parfois, il se demandait même si celui-ci n’allait pas finir par se ranger, mais Noah ne le connaissait que trop bien, comme pour lui l’appât du gain était sans équivoque.
Des bruits de pas le sortirent de sa torpeur. Les acheteurs venaient d’arriver. Trois. Deux armés et un autre, le chef, classe à l’italienne, vêtu d’un costard étincelant, tenant dans ses mains gantées une malette probablement remplie de billets.
“
Hey comment allez-vous Monsieur Wills, dit Noah les bras tendus vers l’acheteur. -
Très bien et toi, lui répondit le chef en lui échangeant une solide poignée de main, vous avez tout ce que je vous ai demandé ? -
Bien évidemment.”
Soudain, des sirènes déchirèrent le silence, troublant le calme de la nuit.
“Police, ne bougez pas, vous êtes cernés, rendez les armes ou nous serons obligés de vous abattre !”La réaction ne se fit pas attendre. Crépitement d’un fusil d’assaut, verres brisés. Noah sentit un bout de métal en fusion lui traverser l’abdomen de part et d’autre puis une ombre menaçante s’empara de lui. Il tomba dans un trou noir avant même d’avoir touché le sol, alors qu’une seule question résonnait dans sa tête.
“Mais qui a bien pu me doubler ?”
7 avril 2009
Le flic le toisait d’un regard méchant, un colosse de presque deux mètres, avec des bras bardés de tatouage. Clairement pas le profil type de l’agent. Deux de ses collègues se tenaient de part et d’autre de la pièce, le regard tout aussi féroce mais le physique imposant en moins. Noah quant à lui, était adossé à la chaise. Sa blessure à l’abdomen le faisait atrocement souffrir mais on l’avait jugé apte à sortir de l’hôpital. De toute manière la société bien pensante se foutait royale de savoir comment pouvait aller un trafiquant. D’ailleurs, ça faisait depuis si longtemps que personne ne se préoccupait de lui. Depuis que sa défunte mère était morte, plus de dix ans auparavant.
Parfois, il repensait à elle, avec le temps la douleur s’était estompée, ne restait plus qu’un profond sentiment de solitude et dans ces moments de solitude, il se demandait ce qu’elle penserait de ce qu’il était devenu. De ce môme frêle et innocent qui a huit ans pissait encore au lit, à cet être bardé de muscles, vil et abject, qu’il était désormais. De cet homme sans foie ni loi qui n’avait pas hésité à inonder les rues de Detroit de drogue, à menacer et à tabasser, à planter un gosse comme lui et à envoyer à l’hôpital un autre. Noah n’avait encore jamais commis un crime de sang. Il n’avait jamais eu à expédier quelqu’un dans l’outre tombe, mais s’était toujours senti près à le faire sans hésiter si la situation l’exigeait. D’ailleurs, n’était-ce pas pour ça qu’il s’était mis à s’entraîner au tir ces quatre dernières années. S'astreignent chaque semaines à cribler de balles des cibles en tout genre. D’un mec incapable de tenir une arme sans en subir le recul, il était devenu quelqu’un capable de coller une balle entre les deux yeux de la personne de son choix. Mais il n’avait pas eu à le faire. La plupart du temps, distribuer deux trois claques suffisaient à faire changer d’avis l’opposant le plus véhément. C’était ça de ne pas appartenir à une mafia. Il n’avait jamais eu à participer à des vendetta sanglantes pour défendre l’honneur du clan, ou à laver le linge en famille.
“Tu vas me dire tout ce que tu sais sur le mec à qui t’allais vendre tes merdes et surtout tu vas nous dire où on peut le trouver.” Noah ne put s’empêcher d’esquisser un sourire narquois. L’homme au costard, le chef de la mafia locale, avait réussi à s’enfuir en passant par un escalier de secours qui menait au toit, pendant que ses hommes de mains eux, s’étaient faits trucider par les flics. Visiblement, les forces de l’ordre n’avaient pas étudié suffisamment la topographie du lieu avant de mener leur flag, ignorant totalement cette issue, ce qui leur avait coûté de perdre dans la nature la raison de leur venu.
“Allez-vous faire foutre tous autant que vous êtes. Je ne connais rien sur lui et même si je savais des choses j’aurai pas que ça à foutre de les dires à des fouilles merdes comme vous. Bande de ramassis de... “ Le colosse lui décocha une droite.
“
Fils de pute… hurla Noah, un mince filet de sang s’échappant de sa lèvre explosée.-
On a rien à branler de toi espèce de connard. Nous ce qu’on veut, c’est le gars à qui t’allais vendre. Toi t’es juste une sous merde qui commerce dans son coin. T’es aussi insignifiant qu’un coup d’épée dans l’eau. -
Je vous ai dit que je ne savais rien sur lui, arrêtez de me casser les couilles bordel et allez vous faire foutre. -
Très bien, tu le prends comme ça. De toute façon je te crois. Ton pote, Cameron, nous a dit la même chose quand on a conclu un marché avec lui quelques jours auparavant. Quoi ? Tu n’étais pas au courant ? Tu crois que c’est qui qui nous a rencardé sur la transaction. Tu crois qu’on a monté notre flag comment ? Ce petit enculé s’est fait choper avec deux kilos de résine, il a pas hésité à te vendre pour sauver ses fesses. Forcément quand il nous a annoncé qu’une transaction était prévue avec le baron de la mafia montante on a monté un coup. Tu vas prendre cher mon pote, avec tes antécédents t’en as au moins pour quinze ans. Allez on se reverra dans quinze ans mon pote, on verra si t’auras toujours ce sourire narquois quand t’auras passé les trois quarts de ta sombre vie de déchet à l’ombre.”
Le sang se mit à bouillonner dans les veines de Noah et dans un accès de fureur, il hurla, tentant d’attaquer le flic malgré les menottes. Il ne récolta en retour qu’un coup de taser, le choc électrique le projeta en arrière et il s’affaissa, complètement vaincu. Ses dernières pensées vinrent à Cameron.
“C’est donc toi, fils de pute, qui m’a vendu.”
IT’S APOCALYPSE TIME MOTHERFUCKER
Tout avait commencé par des d’étranges événements sporadiques. Sombre accès de folies où des types mi cannibales mi timbrés se jetaient sur d’autres personnes pour s’emparer goulûment d’un morceau des victimes. Les images avaient fait le tour des médias, terrifiant n’importe quel citoyen lambda. Noah quant à lui s’en était foutu sur le coup. Tout lui passait au dessus depuis qu’il avait été de nouveau écroué.
XXX
Cinq ans déjà. Cinq ans à vivre dans la même cellule, à faire les mêmes tours de terrain stupides pendant la pause, à soulever la même fonte pour essayer désespérément de sortir de l'oisiveté. Cinq ans à bouffer la même merde infâme tous les jours. Cinq ans à se battre pour survivre car si tout l’avait quitté, la fortune, l’amour, l’amitié; la violence elle était bien présente et dictait inlassablement son quotidien. Il avait pris quatre ans de plus en saignant un détenu avec un surin. Le mec ne s’en était pas sorti. Noah se rappelait quand il l’avait poignardé encore et encore, sentant les brides de vie s’échapper du corps meurtri de son adversaire. C’était la première personne qu’il avait tué, et il n’avait rien senti, ni compassion, ni remord, ni même un sentiment de jouissance, rien. Que du vide. Quant à la haine, elle l’avait quitté, comme tout le reste. Et même quand il repensait à Cameron, il ne ressentait plus rien, la flamme de la colère s’était désormais éteinte. Impossible à raviver.
Dans les premiers temps de sa nouvelle incarcération, Noah en avait voulu à la terre entière. Se maudissant lui-même d’avoir suivi une nouvelle fois l’appel du crime, haissant Cameron pour le coup de pute qu’il lui avait fait et même en voulu à sa mère qui l’avait abandonné si jeune. Et puis, il s’était résigné. D’où il était il ne pouvait rien faire, il n’avait plus aucun contrôle sur sa vie, il ne lui restait plus que la résignation. Une lente agonie… Et ce même si secrètement, il avait encore le projet de se venger, de saigner lentement son ancien camarade jusqu’à qu’il ne reste de lui, que le profond souvenir d’une ordure. Mais Cameron, devait probablement se dorer au soleil, mener la belle vie loin d’ici, peut-être avait-t-il même des gosses. Ou alors, s’était-t-il fait égorger dans une ruelle sombre, après un deal qui aurait mal tourné.
XXX
Puis tout s’était accéléré. Un autre de ces fous avait visiblement développé la capacité de résister aux balles, en encaissant trois dans le torse sans broncher. Puis le même type avait fini par jeter son dévolu sur un flic. Et les cas isolés s’étaient multipliés jusqu’à faire parti du quotidien. Même pour celui de la prison, qui lui aussi avait été changé.
Les premières émeutes avaient commencé quand les prisonniers apprirent, en même temps que le reste de la population, la fermeture totale des frontières pour endiguer ce qui semblait être une épidémie particulièrement virulente. Il ne fallait pas être diplômé de Harvard pour comprendre que si l’état était arrivé à ces extrêmes c’était que la situation était particulièrement désespérée. La rébellion fut rapidement endiguée, ne faisant que très peu de blessés. Et puis peu à peu, certains surveillants désertèrent leur poste, et au bout de deux / trois semaines les rats quittèrent le navire, seuls les irréductibles restèrent. Les conditions de vie se dégradèrent de plus en plus. Le manque de personnels obligeant, les sorties se firent de plus en plus rares et les prisonniers furent parqués comme des bêtes, ne pouvant même plus accéder au réfectoire pour les repas. Et le climat général se détériora. Les violences éclatèrent dans les cellules et même les prisonniers les plus calmes commencèrent à s’agiter.
Noah quant à lui observait la situation avec pragmatisme, si eux étaient cantonnés à être parqué comme du bétail, ils étaient au moins à l’abri de ce qui se tramait dehors. Ils n’avaient pour l’instant pas eu à déplorer des cas étranges à l’intérieur même de la prison, seulement de plus en plus souvent des hurlements sinistres et des coups de feu à l’extérieur. Pour lui, si un dernier bastion de l’humanité telle qu’une prison venait à sauter, la situation serait définitivement désespérée. D’ailleurs, c’était peut-être pour ça que certains surveillants persistaient à faire leur métier. Probablement que eux mêmes considéraient la prison comme un véritable endroit sûr.
XXX
Au alentour du 09/09/2014 :
Mais le dernier bastion de l’humanité sauta. Tout se passa très vite, en un laps de temps.
Noah à ce moment là était couché sur le lit aussi raide que de la pierre, fermant les yeux, tentant de faire abstraction du bruit autour de lui. De ces détenus qui secouaient nuit et jour, inlassablement, les barreaux de leur cellule, signe de leur mécontentement, de leur férocité et de leur peur grandissante. Un hurlement se fit entendre, un cri guttural, quasi animal, assez fort pour se hisser au dessus de la pollution sonore ambiante. Puis un autre, encore plus intense. La plupart des prisonniers arrêtèrent leur remu-ménage, presque instantanément. Comme si, tous avaient compris. Et le silence revint, un silence assourdissant. Une détonation se fit entendre, très proche, à quelques mètres de là où était Noah, suivi par un autre hurlement, moins fort, plus humain. Un beuglement de souffrance. Et tout s’accéléra.
L’alarme retentit, puis un autre cri et plusieurs balles fusèrent, véritable concerto, symphonie apocalyptique. Et les détenus se mirent à hurler de les laisser sortir, arguant que ce n’était pas juste de les laisser ici. Vomissant et insultant : les gardiens, le peuple américain, le gouvernement… Et comme pour répondre à leur exaltation, toutes les cellules s’ouvrirent en même temps. Se fut un véritable raz de marée humain. Un chaos semblable à nul autre.
Noah qui était encore dans sa cellule, vit la passerelle de son étage se remplir en un
instant. Les cellules vomissant les détenus enfermés depuis si longtemps. Ode à la liberté et à la dévastation.
Certains essayaient de se frayer un chemin à travers la marrée humaine, goûtant aux joies d’une liberté inattendu, d’autres préféraient régler leur compte, s'écharpant violemment aux yeux de tous.
Noah finit par sortir de sa cellule et se fit importer par la foule vociférante. Il parvint finalement à rejoindre l’escalier qui menait au rez de chaussée, il le dévala, esquivant les autres taulards. Et c’est là qu’il tomba nez à nez avec la première abomination de la nature, avec cette créature que les enfers avaient probablement dégurgité dans la marée humaine. Et celle-ci avait pris la forme d’un surveillant de prison. Revêtant une tenue anti-émeute, tenant encore son bouclier à la main, mais dont le casque pendait nonchalamment. Le cou de l’homme à moitié arraché, ne tenait plus que par quelques filaments de peau.
Du sang suintait encore de cette blessure, mortelle pour tout homme, mais dont le monstre semblait s’en être accommodé sans grande difficulté. Noah manqua de vomir ses tripes. Il se figea quelques secondes devant ce spectacle terrifiant, tendis-que la créature continuait sa lente progression vers lui. Puis il le poussa violemment, celui-ci dévala les escaliers, se fracassant le crâne contre le palier. Noah continua sa route. Explosant tout ce qui se trouvait sur son passage.
Au alentour du 20.09.2014
Cela faisait depuis des jours que Noah était bloqué dans des bouchons monstres, fruit de la volonté de millions de personnes de quitter les états unis en même temps. Il ne savait même pas où il se situait exactement, présageait avoir traversé la plus grosse partie de Detroit et semblait être donc proche de la frontière Canadienne. Tout s’était accéléré quand il avait quitté non sans mal la prison. Il avait volé une voiture, dépouillé de son dû le cadavre encore fumant d’un civil et suivi le troupeau, direction le grand nord. Destination qui semblait être l’eldorado tant attendu. Beaucoup pensait que le froid allait ralentir les infectés, lui n’avait aucun avis, il se contentait juste de suivre, vidé de toute substance. En quelques jours, il avait vu tant d’horreur, bien plus que tout ce qu’il avait pu vivre avec son passé mouvementé.
Noah contempla le tableau de bord, 03.02, indiquait t-il. Il ne savait plus depuis combien de temps il n’avait pas dormi. Et ne ressentait pas la fatigue, malgré la monotonie de sa situation actuelle, avançant pas par pas vers une destination inconnue. L’adrénaline qu’il avait accumulé ces derniers temps semblait bien jouer son rôle.
Une détonation inopiné se fit soudain entendre, brisant le relatif silence qui s’était installé. Noah, ouvrit la fenêtre et passa sa tête à travers, essayant de déceler la provenance du bruit. Une autre se fit entendre. Il sortit de la voiture, imité par plusieurs autres pecnaux. Les déflagrations semblaient venir de devant, peut-être à une vingtaine de mètres. Un mouvement de foule éclata et plusieurs personnes hurlèrent en même temps. Il se hissa sur le marchepied, tentant de voir au loin. Il parvint à distinguer un troupeau de ce qui semblait être des infectés venir vers eux, avançant petit à petit, emportant dans leur marche funèbre les malchanceux qui n’avaient pas eu le temps de fuir avec eux.
“Bordel de merde, jura Noah.”
Il ne savait pas quoi faire. Abandonner la voiture et s’enfuir en courant, ce qui signifiait être plus vulnérable. Ou tenter de faire des manœuvres pour s’extirper de ce merdier. Son choix fut vite rendu quand il vit un mec s’encastrer violemment contre un mur après avoir tenté de forcer le passage.
Il se mit alors à courir, se frayant un chemin à travers la foule, puis rapidement il comprit qu’il était encerclé quand il s’aperçut que certains tentaient vainement de rebrousser chemin. Il parvint à distinguer in extremis une petite ruelle et commença à s’y engouffrer quand il aperçu du coin de l’oeil une jeune femme tentant de protéger -ce qui semblait être son gosse- de deux infectés qui l’avaient pris pour cible.
“Bordel qu’est ce que je fais putain. Je l’aide ou je me casse.” Pendant qu’il réfléchissait, un des monstre, d’un seul coup de dent, arracha le bras de la gamine. Noah se précipita vers les infectés et explosa le crâne d’un des plus menaçants avec la première chose qu’il lui venait.
“Venez avec moi bordel, c’est terminé pour votre gamine. Allez bougez votre cul bordel, hurla Noah en saisissant la femme par la main.” Ils s’engouffrérent dans la ruelle et se mirent à courir jusqu’à en perdre haleine, ne s’arrêtant plus. Noah repensa à ce vieux film d’Hitchcock qu’il avait vu quand il était petit. Eux l’avaient littéralement “la mort aux trousses”.
??.11.14 :
Noah contemplait depuis la grande baie vitrée le feu liquide qui s’abattait sur la ville de Detroit. Il s’était installé avec la jeune femme, Melinda, dans un imposant immeuble au Nord de la ville. C’était elle qui l’avait mené jusqu’ici, connaissant cet endroit et espérant y trouver de la famille. Mais la quête avait été vaine. Personne n’était présent.
“
C’est effrayant, dit Melinda d’une voix chevrotante. -
ça y est ils l’ont fait, murmura Noah, ils ont envoyé le Napalm. Ils ont abandonné. -
Tout est terminé, sanglota t-elle. -
Oui tout est terminé, répondit t-il.” Et pendant qu’il tenait la main glaciale de Melinda, Noah se mit à pleurer. ça faisait depuis si longtemps qu’il ne s’était pas abandonné.
02.08.15 :
Noah contemplait le cadavre de la jeune femme. Elle était adossée contre le mur, les genoux repliés. Sa tête penchait sur le côté, d’une telle façon qu’on aurait presque pu croire qu’elle s’était endormie. Sans le trou béant qui défigurait désormais son si beau visage. Ses doigts s’étaient raidis sur l’arme encore fumante, tandis-qu’une lettre écrite à l’encre rouge gisait non loin d’elle.
“Cher Noah,
Je suis si désolé de t’avoir abandonné ainsi. Mais je n’en peux plus, je n’en peux plus de cette vie sans aucun sens, de ce vide autour de moi, de ces scènes d’horreurs que je vois chaque jours. Je n’ai jamais supporté la mort de ma fille, malgré tout ce que tu as fait pour moi. Je ne l’ai jamais oublié et je ne l’abandonnerai jamais tu comprends. Elle me manque. Elle me manque terriblement tu ne peux pas savoir à quel point. Et j’aimerai tellement la rejoindre. Peut-être qu’après la mort il y un au-delà ou peut-être pas, je n’en sais rien… mais ce qui est sûr c’est que je n’arrive plus à l’affronter. J’espère qu’un jour tout s’améliorera et qu’un avenir radieux s’offrira à toi. Merci pour tout, merci pour tout ce que tu as fait pour moi.” Des larmes coulèrent au fur et à mesure que Noah lu la lettre. S’il ne connaissait pas avant la jeune femme, il avait fini par l’apprécier et ce malgré l’apocalypse. Une sorte de routine s’était installée à ses côtés. Ils avaient vécu ces derniers mois en autarcie, ne sortant que pour aller chercher de la nourriture et se dégourdir les jambes quelques minutes. Noah avait cru à cette relation, il s’était même rapproché d’elle et avait fini par dépasser le simple cadre de l’amitié. Pour la première fois depuis si longtemps, Noah s’était senti entouré, aimé. Mais tout ça n’était qu’un mirage, il se retrouvait désormais seul. Aussi seul qu’il l’avait toujours été.
09/09/2015 :
Noah vida d’une traite la flasque de Jack Daniel’s et contempla amèrement la bouillie infâme qui faisait office de gâteau au chocolat. Il avait trouvé l’emballage de “fondant prêt à cuir” en cherchant des boites de conserve. La ration était probablement déjà périmée depuis longtemps mais il avait cru bon de la ramener. Et épris de sarcasme, il avait juché dessus une bougie avec le chiffre un. Un an. Un an que pour lui tout avait réellement commencé. Un an qu’il s’était enfui de la prison pour y découvrir dehors, un monde encore pire. Pire que la prison, pire que l’enfer, pire que tout.
“Allez, fils de pute, bon anniversaire, dit-il en soufflant la bougie.” 15/02/2016 :
Noah pleurait, les genoux repliés contre son torse, la tête posée entre ses mains. Cela faisait des mois que la solitude le tiraillait. Des jours qu’ils vidaient les bouteilles d’alcools qu’il arrivait encore à trouver. Des jours qu’il pleurait sans relâche, lui, cet homme dur et sanguinaire qu’il avait été. Il était retombé en enfance, redevenu le gosse fragile qui rasait les murs et qui se faisait tabasser sans jamais trouver la force de se défendre.
Parfois, alors que les effets de l’éthanol étaient à leur paroxysme, sa mère revenait le hanter, prenant la forme d’une ombre noire, monstrueuse. Le raillant de sa vie de merde, se moquant de son état de faiblesse. Ces moments étaient les pires de tous.
Il se mit à chialer de plus belle.
Et quand la frontière entre la réalité et le rêve se fit de plus en plus flou, Noah absorbé par les molécules d’alcool, se vit saisir le pistolet -qui avait servi à Melinda- et le porta à sa tempe. Il enleva le cran de sûreté et pressa la détente.
CLIC. La balle resta bloqué dans la culasse.
CLIC CLIC. Rien de plus ne se passa.
Noah tomba à la renverse, vaincu par le scotch.
“Et si, une force surhumaine voulait que je vive, pensa t-il hilare tant sa réflexion lui parut absurde.” Noah ferma les yeux et s’endormit.
26/02/2016 :
Cela faisait depuis presque deux jours que Noah errait sans but, passant par des petites rues, la peur au ventre, priant pour ne pas tomber sur des infectés. Avec pour seules affaires qu’un mince sac de provision qui s’amoindrissait de jour en jour et une batte de baseball qu’il avait récupéré, laissant le pistolet bien trop bruyant.
Après avoir tenté de se suicider, il avait comprit que quitte à vivre, autant ne plus rester cloîtrer dans son immeuble. Il lui fallait affronter la réalité. Alors, il était parti, quittant ce qui lui servait d’abri depuis plus d’un an, en quête de rien et de tout à la fois. Et puis tant pis, si malgré la longue route, rien ne s’offrait à lui, il mourrait alors, de fatigue ou dévoré par ces monstres.
Ce n’est que par hasard qu’il tomba sur Fort Hope. Peut-être le dernier bastion de l’humanité.
Et Noah trouva refuge là bas, s’adaptant à cette nouvelle vie en communauté. Peut-être qu’il avait enfin trouvé une famille, lui qui n’en avait jamais eu une.