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La première chose que Will fit en ouvrant les yeux ce matin-là fut de les refermer immédiatement. Il adorait ouvrir les yeux et voir Elias allongé près de lui, supportait tant bien que mal de les ouvrir sur un lit vide. Mais les ouvrir sur le museau d’un chat pratiquement défiguré à cause de son pelage venu d’un autre monde… C’était exactement le genre de truc qui lui donnait envie de retourner dormir pour au moins douze heures. Malheureusement, Clary n’était pas du même avis que son maître et ses petits miaulements autoritaires ne tardèrent pas à s’élever, réclamant à grands cris l’attention que cette petite chose croyait mériter. “Je te déteste, enfant de Satan.” lâcha l’homme en se forçant quand même à se lever. Il gratifia l’animal d’une brève caresse sur le haut du crâne et alla ouvrir les rideaux, laissant entrer un peu plus de lumière dans la chambre. La matinée ne semblait pas encore particulièrement avancée, ce qui n’était pas forcément une bonne nouvelle aux yeux de Will qui n’aurait rien à faire avant l’après-midi.

Il en était déjà à sa deuxième tasse de thé, tranquillement installé dans le canapé du salon avec un livre, quand on frappa à la porte. Il n’était pas d’une humeur spécialement massacrante aujourd’hui, mais pour la forme, il se para d’un masque agacé et posa son livre et sa tasse sur la table basse pour aller ouvrir, Clary encore et toujours sur ses talons. “Ah, tu vois, je t’avais dit que la SPA viendrait te chercher.” Il évita de justesse un accident à cause de cet insupportable chat bien décidé à le tuer en marchant entre ses pieds et son regard noir n’avait plus rien de feint quand il arriva à la porte. “Si c’est Joy, je la paierai pour qu’elle te fasse cuire avec des carottes.” souffla-t-il en s’emparant de la poignée de la porte. Malheureusement, il n’eut même pas besoin d’ouvrir pour entendre la personne de l’autre côté qui l’appelait déjà et un soupir désespéré lui échappa, juste avant que la colère ne devienne complètement réelle. Il baissa une dernière fois les yeux vers Clary, sa voix était beaucoup moins agressive lorsqu’il lui parla. “Pitié, si tu m’aimes un tout petit peu, n’hésite pas à lui lacérer le visage avec tes griffes. Pour rappel, ce vilain monsieur veut me voler ton papa, alors n'oublie pas qui te nourrit ici.” Et il ouvrit la porte, son air hautain bien en place pour accueillir comme il se devait l’homme planté derrière.

“Ezra. Que me vaut le plaisir de cette visite ?” demanda-t-il pour toute salutation. Il aurait dû se sentir légèrement coupable ou au moins un peu plus sympathique et il le savait. Après leur dernière rencontre, la manière dont Will s’était comporté avec le tatoueur - bien qu’il ne l’ait fait qu’à la demande expresse de son petit-ami - la moindre des choses aurait été un peu plus de politesse. Mais il n’y arrivait pas, c’était plus fort que lui. Exercice ou non, ce mec avait osé entrer chez lui pour draguer son mec et Will ne parvenait tout simplement pas à faire taire sa jalousie, qu’elle soit complètement injustifiée ou non. “Je t’inviterais bien à entrer, mais Elias n’est pas là alors j’imagine que ça ne t’intéresse pas tant que ça.” reprit-il avec un sourire pour le moins effrayant.

Il ne l’aurait jamais cru, mais Will fut effectivement profondément déçu d’apprendre que le tatoueur n’était pas là pour voir Elias. Ils ne vivaient ici que tous les deux, alors forcément, si ça n’était pas pour Elias, c’était donc pour lui. Et il n’avait vraiment, vraiment, aucune envie de savoir pourquoi Ezra tenait tellement à le voir. Ils s’étaient dit tout ce qu’ils avaient à se dire, non ? Will avait fait passer son message assez fermement et le reste de l’entrevue avait rapidement tourné au cauchemar. Mieux valait qu’ils se tiennent loin l’un de l’autre jusqu’à la fin de leur vie, par exemple. Malheureusement, Ezra semblait avoir une autre idée derrière la tête et le jeune homme ne parvint à retenir un soupir. Il lutta encore un peu, pourtant, refusant d’ouvrir la porte ou de laisser entrer le tatoueur pour le moment, envisageant même sérieusement de tout simplement refuser de lui parler. “Je ne sais pas, j’ai beaucoup de travail avec l’installation des panneaux solaires…” commença-t-il, prenant sérieusement sur lui pour trouver une raison valable de refuser, plutôt que d’être parfaitement honnête et parfaitement blessant en avouant directement qu’il n’avait tout simplement aucune envie de se retrouver seul avec Ezra.

Il n’eut pas le temps d’aller plus loin dans son mensonge que l’attention du tatoueur fut soudainement entièrement portée vers la boule de poil qui se frottait contre les chevilles de Will. Ce dernier lança un regard meurtrier à Clary, mais cette traîtresse ne fit même pas l’effort de sembler dégoûtée quand Ezra s’agenouilla devant elle pour la caresser et, en moins d’une seconde, le bruit de moteur qui émanait violemment de cette toute petite chose indiqua qu’elle prenait plaisir à se faire toucher par Ezra. Will se fit la promesse de lui faire payer cher cette trahison lorsqu’ils seraient de nouveau seuls et posa plutôt son regard exaspéré sur le jeune homme agenouillé devant lui. Toute cette bonne humeur et ce positivisme dans une seule personne lui donnait la nausée. “Elle s’appelle Clary, mais on préfère l’appeler Enfant de Satan, ça lui va bien mieux.” grogna Will quand le jeune homme eut terminé de discuter avec son chat, cette petite peste de collabo. Il envisageait très sérieusement de la tondre entièrement, petit geste symbolique et retourna rapidement à son plan de l’ignorer pour reporter son attention sur Ezra.

Il resta un instant à le jauger avec attention, pesant le pour et le contre de sa réponse. Elias le tuerait s’il faisait encore pleurer ce mec, c’était sûr et certain. Mais il n’avait rien demandé à personne, lui, il restait sagement à la maison et s’était montré aussi insupportable que possible pour lui faire passer l’envie d’entrer. Pas sa faute si Ezra n’avait aucun instinct de survie, après tout. “Très bien, tu peux entrer.” abdiqua-t-il finalement en s’éloignant de la porte pour laisser passer le jeune homme. Il la referma derrière lui et précéda le tatoueur au salon, où il se réinstalla sur le canapé, récupéra sa tasse de thé et ne fit aucun geste pour inviter Ezra à se mettre à l’aise ou lui offrir quelque chose à boire. “Alors.” reprit-il après avoir avalé deux gorgées du breuvage. “Que puis-je faire pour toi ? ”

Très lentement, Will se redressa et posa la tasse qu’il tenait dans ses mains sur la table basse avant de relever les yeux vers Ezra. Il s’était attendu à ce que cette conversation soit étrange, peut-être même assez déplacée, mais pas à ce que le tatoueur vienne vers lui pour s’excuser. Pour le coup, l’ingénieur se retrouva sans voix, même si son air impassible ne bougea pas d’un millimètre et, pendant un instant relativement long, il jaugea le jeune homme devant lui de son regard perçant, refusant tout bonnement de prendre le morceau de carton qu’il lui tendait. Il finit par tendre la main pour récupérer le morceau de carton, mais ne posa pas le moindre regard dessus, toujours trop occupé à observer Ezra. Mais pourquoi ? Non, vraiment, pourquoi ?

“Est-ce que tu te souviens de la conversation qu’on a eu ce jour-là ?” demanda-t-il finalement. Le morceau de carton était toujours dans sa main lorsqu’il se décida à prononcer ces quelques mots et il se permit de s’appuyer de nouveau contre le dossier du canapé, posant un bras dessus et croisant les genoux alors qu’il observait toujours le jeune homme de son air très sérieux. Il n’attendait aucune réponse à cette question purement rhétorique, cette conversation lui restait en mémoire comme s’ils l’avaient eu la veille et il doutait sincèrement qu’il en soit autrement pour la victime de ses attaques. “Je me suis, certes, laissé aller parce qu’Elias me l’avait demandé, mais j’ai été absolument imbuvable et irrespectueux avec toi.” fit-il remarquer sur le même ton qu’il aurait utilisé pour commenter la météo. Comme s’il était parfaitement naturel pour lui d’admettre qu’il avait mal agit. Et ça l’était. Il le reconnaissait rarement, mais il en avait toujours conscience - ou presque - et dans le cas présent… Même lui ne pouvait pas être à ce point dans le déni.

“Pourquoi est-ce que tu penses que c’est une bonne idée de venir ici t’excuser auprès du type qui t’as insulté et qui, en plus, a pris plaisir à le faire ?” Une fois encore, il était d’une neutralité profondément étonnante. Son regard abandonna enfin Ezra le temps qu’il reprenne sa tasse, malheureusement, dès la première gorgée, une grimace s’installa sur ses traits. C’était froid, évidemment. Il se releva avec sa grâce habituelle et reposa ses yeux scrutateurs sur le jeune homme. Il laissa passer quelques secondes de silence avant de tourner les talons pour se rendre à la cuisine où il remit l’eau à chauffer et prépara deux tasses. En à peine quelques minutes, il était de retour au salon et posait l’une des deux sur la table basse, la poussant doucement vers le jeune homme pour la lui offrir sans avoir à le faire comme une personne normale, comme si ça lui coûtait beaucoup de se montrer sympathique. “Je n’accepte pas tes excuses.” déclara-t-il finalement. “Car tu ne m’en dois aucune. Ce serait même plutôt à moi de m’excuser.” Il leva une main devant lui, comme pour signifier à son interlocuteur de ne pas l’interrompre. “Mais je ne le ferais pas non plus, j’ai agis comme le souhaitait Elias, c’était désagréable, mais c’était censé être un exercice et aucun de nous trois n’y a participé contre son gré.” Il laissa une seconde de silence pour permettre à ses paroles de s’imprimer dans l’esprit du tatoueur et utilisa finalement la main dressée entre eux pour désigner le fauteuil, invitation une fois encore subtilement froide pour qu’il s'assoit. “Ce tatouage, alors… Je n’en ai jamais fait aucun. Je ne saurais même pas quoi choisir. Tu peux m’aider avec ça ?”

Le sujet des excuses et de ce qui les avait mené là était désormais clos pour Will. Il n’était certainement pas le genre d’homme à admettre ses erreurs et ses failles devant un inconnu et encore moins le genre à se faire des amis. Il ne comprenait pas bien pourquoi Ezra tenait à ce point à ce que l’ambiance se réchauffe entre eux. Quel intérêt si ce n’est celui d’avoir quelque chose de plus à perdre ? Avec les deux seules personnes encore en vie dans ce monde que Will respectait et aimait, il considérait avoir déjà bien trop à perdre. Mais sans doute était-ce justement pour l’une de ces deux personnes qu’il se força à se montrer un peu plus ouvert avec Ezra. Rien de vraiment transcendant, pas plus qu’une certaine politesse pas très naturelle. Mais il se disait que ça ferait plaisir à Elias, de savoir que ces deux-là étaient parvenus à un accord et qu’ils ne se sauteraient pas à la gorge à la moindre rencontre. Quoi que Will ne comptait pas s’en empêcher s’il trouvait le comportement du tatoueur déplacé. Mais il n’avait pas besoin de le dire maintenant, n’est-ce pas ?

Il essaya tant bien que mal de passer à un sujet de conversation plus tranquille et demanda donc à Ezra de le conseiller sur son tatouage. Azia l’avait déjà fait et ils continuaient d’en parler tous les deux quand ils se voyaient en dehors du camp, au point même d’avoir trouvé quelque chose qui plaisait au jeune homme. Mais pour un deuxième ? Il n’était pas certain d’en avoir envie, à vrai dire. “Je ne suis pas sûr d’avoir envie de quelque chose de trop… visible.” admit-il après que le tatoueur se soit légèrement emporté, ignorant une fois encore ses excuses comme si de rien était. “J’ai déjà travaillé sur un dessin avec une amie et on a eu beaucoup de mal à se mettre d’accord sur quelque chose. Elle ne me l’a pas encore fait pour le moment, mais je trouve déjà que c’est beaucoup trop…” Il n’avait jamais eu envie de se faire tatouer et n’avait accepté, à contre-coeur, que pour faire plaisir à Azia. Même s’il était relativement satisfait de ce qu’ils avaient choisi pour lui, ça avait demandé une certaine intimité entre eux pour parvenir à un accord. Et il n’était pas certain de pouvoir avoir un jour ce genre d’intimité avec Ezra.

“Et je sais bien que tous les tatouages ne sont pas forcés d’avoir un sens caché, mais quitte à avoir quelque chose dont je ne pourrais jamais me débarrasser, je préfère que ça ait un minimum de sens à mes yeux. C’est ce qui a été le plus difficile dans le tatouage que mon amie a dessiné pour moi.” Son regard se posa dans le vague tandis qu’il réfléchissait à cette idée, buvant son thé au passage. Mais il ne voyait vraiment pas quel autre souvenir de sa vie il voudrait porter avec lui jusqu’à la fin de ses jours. “Je ne suis pas sûr qu’Elias et moi on soit du genre tatouages assortis.” souffla-t-il, plus pour lui-même que pour Ezra. Et de toute façon, le tatouage que lui ferait Azia concernait déjà Elias, remarqua-t-il en fronçant les sourcils légèrement. C’était déjà un problème dans son esprit, qu’il n’arrivait à justifier que grâce à de profondes réflexions qu’il ne croyait pas avoir envie de partager avec son invité. “Peut-être qu’un jour si on se marie, on te demandera de nous tatouer quelque chose plutôt que de partir sur des alliances, j’aime faire dans l’original. Mais pour le moment, vraiment, je ne sais pas trop ce qui pourrait me convenir. Alors à moins que tu n’aies un genre de super-pouvoir pour trouver le tatouage idéal, j’ai bien peur de devoir refuser ton cadeau aussi.”

Ce qui, clairement, n’allait pas arranger leurs affaires, mais il avait sincèrement essayé de trouver une idée et dans le fond, le tatouage assorti restait peut-être bien la moins inutile. Autant dire que ça n’était pas près d’arriver, déjà car il n’aurait probablement jamais l’idée de proposer un truc pareil à Elias et ensuite parce qu’il n’avait jamais vraiment eu envie de se marier dans un monde normal, alors dans un monde comme le leur ? Cette idée-là non plus, il ne la proposerait jamais à Elias et il ne croyait pas que le soldat le ferait à sa place. Le cadeau d’Ezra resterait donc probablement sur la commode à côté du dessin qu’il leur avait fait et Will, lui … Il se contenterait du petit tatouage offert par Azia et ne souillerait plus jamais son corps avec quelque chose qui ne changerait sans doute rien à sa vie.

Son cadeau de mariage ? Quelques secondes, Will fut obligé de se mordre l’intérieur des joues pour retenir un soupir exaspéré de lui échapper. Le sarcasme n’était visiblement pas le fort d’Ezra ou peut-être que c’était Will qui n’insistait pas assez sur ce coup-là, tant il craignait de retrouver trop rapidement ses mauvaises habitudes. Dans tous les cas, il préféra ne pas penser plus que ça à cette histoire de mariage et se contenta de lever les yeux au ciel avant de se remettre sur ses pieds. Il déposa sa tasse sur la table basse et fit quelques pas jusqu’aux étagères alignées contre le mur au fond de la pièce, fouillant quelques instants dans les nombreux livres qu’il entassait là jusqu’à retrouver celui dans lequel il avait glissé le dessin fait par Azia. Il l’observa une seconde dans son coin avant de revenir vers Ezra et de lui tendre la feuille de papier légèrement usée, au milieu de laquelle Azia avait dessiné un semblant de poignet et les quelques chiffres à peine stylisés réclamés par Will. Seuls cinq étaient lisibles et les trois derniers semblaient effacés par l’usure.

“Elle était tatoueuse, oui, elle bossait dans un salon à Détroit si je ne m’abuse. Peut-être que vous vous connaissez.” souffla-t-il avec indifférence. “Bref, elle a dessiné ça pour moi. Comme tu peux le voir, ce n’est pas vraiment un tatouage très… Enfin, je garde ton morceau de carton dans un coin, qui sait si je change d’avis un jour.” Il lui laissa le dessin et retourna s’asseoir dans le canapé, retrouvant immédiatement sa tasse pour terminer en une seule gorgée ce qu’il restait de thé à l’intérieur. Dès que ce fut fait, son regard se reposa immédiatement sur Ezra, mais il ne dit rien pendant un instant, trop occupé à jauger le jeune homme en laissant ses pensées s’organiser toutes seules dans son crâne. Il n’appréciait pas tellement ce type, que ce soit une question de jalousie déplacée ou simplement de caractères trop différents. Mais il gardait Elias en tête. Elias qui avait un rôle important ici, qui était quelqu’un et qui aurait probablement des problèmes si son mec se mettait à faire la guerre à tout le voisinage. Et Will connaissait bien ce genre de vie, ça avait été la sienne pendant des années.

“Ecoute, Ezra.” lâcha-t-il finalement, sa voix presque sèche, au moins imperturbable. “Je me fiche de ce qui est arrivé la dernière fois. Je n’ai pas l’intention de te le faire payer ou de laisser ça peser sur nos relations à l’avenir. Du moment que tu ne tente rien avec mon mec, il n’y a aucun problème entre nous. Et quelque chose me dit que tu es suffisamment intelligent pour ne pas chercher à t'immiscer entre nous. Donc, oublie tout ça.” Il ne pourrait vraiment pas faire mieux que ça et, de toute façon, quelles étaient les chances qu’ils aient encore à se croiser ? Même si Will passait le reste de ses jours à Fort Hope, il ne s’y intégrait pas suffisamment pour prétendre avoir des amis ou quoi que ce soit de ce genre. “Je ne dis pas qu’on va devenir amis, mais je sais me comporter correctement avec les autres, je suis bien élevé et je n’ai vraiment pas envie de perdre mon temps à détester des gens pour rien.” Il ne laissait certainement pas la porte ouverte à un semblant de relation entre eux, mais il lui donnait au moins ce qu’il voulait, non ?

Pour un instant, Will prouva de la plus belle des manières qu’il était parfaitement capable de devenir soudainement sourd et décida d’ignorer Ezra et la conversation devenant un peu trop personnelle qu’ils avaient au sujet de son tatouage. En fait, le jeune homme regrettait même d’avoir montré son dessin, d’autant plus que même Elias ne l’avait pas encore vu. Probablement justement parce que lui comprendrait tout de suite d’où venaient ces chiffres et que le jeune homme n’était pas encore prêt à découvrir ce qu’il en penserait. Le temps de décider s’il voulait partager ce secret avec Ezra ou non, l’ingénieur se concentra plutôt sur les excuses que lui présentait son invité et décida de les repousser vaguement, s’autorisant finalement à lâcher un peu de trois mots d’affilés.

Il pensait vraiment s’être montré convaincant et fut pourtant surpris de réaliser à quel point il avait été convaincant en entendant la réponse si enjoué d’Ezra. Si Will avait essayé de ne pas être trop violent dans sa façon de lui dire “je me fiche totalement de toi et de cette histoire”, il avait visiblement réussi au point de faire plaisir au jeune homme. Bon sang, ce type était d’un optimisme réellement effrayant… “T’excites pas trop, je n’ai pas dit qu’on allait devenir amis et je suis presque certain qu’on n’a rien en commun, toi et moi.” se sentit-il obligé de clarifier rapidement, comme s’il craignait qu’Ezra ne revienne lui prendre la tête demain matin en proposant qu’ils aillent faire quelque chose ensemble ou une autre connerie du genre qui l’obligerait à avoir un ami. Il voulait bien faire un effort pour se montrer poli pour faire plaisir à Elias, mais pas au point de traîner avec ce mec au-delà d’aujourd’hui. “Maintenant si tu permets, j’apprécierais qu’on ne parle plus jamais de ce qui s’est passé ce jour-là et qu’on redevienne de gentils voisins qui s’ignorent poliment.”

Il agrementa cette requête d’un sourire bien trop joyeux pour ce qu’il venait de dire, mais il n’en avait pas honte. Il n’était pas ici pour se faire des amis, après tout et s’il était prêt à ne pas agresser de nouveau le tatoueur, ça ne signifiait en rien qu’il l’appréciait pour autant ou même que ça arriverait un jour… Le silence retomba très rapidement et le regard de Will se posa partout sauf sur Ezra, jusqu’à glisser sur la table basse entre eux et la feuille de papier pas tout à fait blanche qui portait les lignes de son futur tatouage. Azia et lui n’avaient pas encore convenu du moment où l’encre viendrait définitivement percer sa peau, mais ça arriverait bientôt, probablement. Dans un geste presque inconscient, Will porta une main à son cou et fit glisser ses doigts sur la chaîne qui y reposait, jusqu’à ce qu’ils se referment sur le petit rectangle argenté qui pendait au bout. “Ce sont les premiers numéros du matricule d’Elias.” souffla-t-il, changeant brusquement de sujet au point qu’il ne savait même pas si Ezra savait encore de quoi il parlait. “Les chiffres, sur mon tatouage.” précisa-t-il. Il regardait toujours la feuille de papier sur la table, ignorant superbement le visage du tatoueur. Il avait envie d’en parler, sans trop savoir pourquoi. Peut-être parce que l’opinion seule d’Azia ne l’aidait pas tellement à décider si oui ou non il s’agissait d’une bonne idée. Elle trouvait cela adorable, comme tout ce qui concernait de près ou de loin son couple. Mais lui n’était pas certain qu’Elias le vive aussi bien.

“Le premier nombre pour le corps d’armé et le deuxième pour le régiment. Les trois derniers chiffres sont censés identifier le soldat individuellement.” expliqua-t-il, pas certain de savoir par où commencer pour expliquer ce qu’il avait cherché avec ce tatouage. Visiblement, les chiffres censés se rapporter à Elias directement n’apparaissaient pas sur le dessin et ça n’était pas un accident. Will continuait de jouer nerveusement avec les plaques de son petit-ami accrochées à son cou et refusait encore de regarder vers Ezra. “Au début de l’épidémie, j’ai fréquenté un homme et il est mort en essayant de me sauver la vie. C’était le supérieur d’Elias, alors, ils ont le même matricule excepté pour les trois derniers chiffres.” lâcha-t-il finalement. Presque aussitôt après avoir fait cet aveu, Will se remit debout dans un bon et lâcha les plaques qui retombèrent mollement contre sa poitrine. “Je te ressers une tasse de thé ?” proposa-t-il et sans attendre la moindre réponse, il ramassa les deux tasses et opéra une retraite stratégique vers la cuisine. La porte claqua un peu plus fort que nécessaire dans son dos, masquant le son de sa respiration précipitée. C’était une idée stupide et Elias allait probablement le détester pour ça, en fait… De le dire à haute voix à quelqu’un d’autre qu’une amie lui avait au moins permis de faire ce constat.

D’un pas presque mécanique, Will s’approcha de l’évier où reposait la théière et s’appuya de ses deux mains contre la surface glacée du métal, fermant les yeux alors qu’il baissait la tête vers le sol. Il ne savait même pas ce qui lui avait pris d’avoir ce genre de conversation avec Ezra, d’oser parler d’Aiden comme ça avec un parfait inconnu. Il n’avait plus réellement prononcé le nom de son ex-compagnon depuis un moment. Depuis la dispute qu’Elias et lui avaient eu à ce sujet, depuis que son petit-ami lui avait finalement avoué le secret qu’il gardait depuis tout ce temps et qui avait, en quelques sortes, précipité la décision de Will concernant ce tatouage. Il pensait être passé à autre chose, avoir tourné la page. Les plaques d’Aiden n’étaient pas sorties du tiroir de sa table de chevet depuis ce soir-là et les choses étaient rentrés dans l’ordre rapidement entre Elias et lui. Ils étaient même plus proches encore. Tout allait bien, du moins c’était ce que Will avait cru, mais vu comme il réagissait aujourd’hui… Ses mains tremblaient légèrement, au point qu’il doive crisper ses doigts de toutes ses forces contre la surface métallique pour se calmer. Il entendit le coup presque timide frappé à la porte dans son dos et redressa la tête rapidement, la tournant pour regarder la porte qui, par miracle, ne s’ouvrit pas. Elle ne parvenait tout de même pas à étouffer la voix d’Ezra qui s’éleva de l’autre côté.

Will attendit encore quelques minutes après que le tatoueur ait cessé de parler, respirant lentement pour redonner aux battements de son coeur un rythme normal et ravaler les larmes qui brûlaient ses yeux. Il retourna au salon lorsqu’il eut retrouvé le contrôle de sa personne, mais revint les mains vides, ayant oublié entre temps l’excuse ridicule qu’il avait trouvé pour prendre la fuite en premier lieu. De toute façon, Ezra savait aussi bien que lui que ça n’était qu’un prétexte, alors à quoi bon jouer à ce petit jeu ? Clary sauta sur ses genoux aussitôt qu’il se fut réinstallé sur le canapé et il la caressa distraitement dans l’espoir que ça l’aide à se sentir un peu mieux, sans oser regarder Ezra en face. Dès qu’il s’en sentit capable, Will se racla la gorge et osa enfin affronter le regard du tatoueur.

“Tous tes tatouages, ils sont seulement là pour décorer ?” demanda-t-il. Le premier réflexe d’une personne normale aurait certainement été de s’excuser pour ce moment pour le moins gênant, mais Will ne s’excusait jamais sans une bonne raison et celle-ci n’en était pas une. Surtout pas vu le malaise qu’il ressentait à avoir agis autrement que comme un insupportable emmerdeur devant un autre être humain qu’Elias. “Doit bien y en avoir un ou deux qui ont un sens particulier pour toi aussi, non ?” Ses yeux encore légèrement brillants déshabillèrent le tatoueur un instant, inspectant aussi précisément que possible les très nombreux dessins sur sa peau. Il ne savait même pas pourquoi il continuait de se préoccuper de cette histoire de tatouage quand il aurait pu renvoyer Ezra chez lui et retrouver sa solitude tant apprécier. Peut-être tout simplement une question de fierté. S’il lui demandait de partir, ça reviendrait à admettre qu’il n’allait pas bien. En jouant à ce jeu-là, il gardait la face. Les apparences avant tout. Et la voix qui souffla cela dans son crâne ressemblait à s’y méprendre à celle de sa mère.

C'eût été mentir que de prétendre que Will était entièrement passionné par le sujet de conversation qu’ils entretenaient désormais, mais cela ne l’empêchait pas d’écouter en offrant à son visage l’apparence la plus intéressée qu’il puisse et de suivre des yeux les dessins sur la peau d’Ezra à mesure qu’il les montrait et expliquait leur signification. C’était une manière très différente d’aborder ce genre de pratique pour les deux hommes. Les dessins d’Ezra, même ceux cachant un sens profond, étaient avant tout des oeuvres d’art, ils étaient symboliques et démontraient d’un style personnel et particulier qui correspondait à l’homme les arborant. Pour Will, accepter de marquer son corps pour le reste de sa vie représentait un engagement beaucoup trop profond pour qu’il ose y mêler quoi que ce soit qui ne soit pas complètement logique et cohérent. Il y avait un symbole aussi dans le dessin qu’avait fait Azia pour lui, un message personnel qui représentait ce qu’il était, une partie de sa vie qu’il ne pourrait jamais oublier même si tout venait à changer du jour au lendemain, mais dans les faits, ça ne restait qu’une série de chiffres même pas particulièrement stylisés.

“J’admets que je te trouve un peu moins insupportable que je ne le laisse entendre.” souffla le jeune homme en étirant un sourire tellement discret qu’on aurait pu le manquer. Il n’aurait pas prétendu qu’Ezra et lui étaient voués à devenir amis, mais il pouvait s’habituer à son existence. “Ce n’est pas tellement une question de sentiments, tu sais.” reprit-il après une légère pause. “Ce tatouage que je veux me faire, je veux dire. Certes, il parle de deux hommes que j’ai aimé, que j’aime, mais… C’est plutôt parce qu’ils ont façonné ce que je suis aujourd’hui que pour déclarer ma flamme de la façon la plus stupide du monde. Et j'ai un peu peur qu'Elias ne trouve pas ça aussi romantique que toi...” Il se permit de sourire un peu plus franchement, réalisant qu’il n’était pas forcément beaucoup plus clair qu’Ezra ne l’avait été en essayant d’expliquer ses propres histoires. Peut-être que c’était juste trop personnel pour être partagé. Mais il n’en restait pas moins convaincu qu’il n’y avait rien de plus idiot que de marquer son corps en l’honneur de sa moitié. Qu’était-on supposé faire de ce foutu tatouage le jour où monsieur se tirait avec la femme de ménage ou le jardinier, hm ? Elias avait beau se moquer de lui sans arrêt en l’accusant d’être un grand romantique, il n’en restait pas moins complètement paralysé à l’idée du moindre engagement sérieux du genre qui demandait une confiance aveugle en l’autre et jamais il n’aurait fait un tatouage de ce genre s’il n’y avait pas eu tout ce passé avec Aiden, l’attaque, la fin du monde et tout ce qu’il était devenu en traversant ces épreuves.

“Enfin bref, je suis presque sûr qu’un de ces jours, l’un de nos charmants voisins sera assez en manque pour supporter ton extravagante personne.” lança-t-il finalement, s’efforçant de redevenir un peu plus lui-même après ces confidences qui le surprenait beaucoup plus qu’il n’aurait voulu l’admettre. Il était peut-être un peu plus virulent que ne l’aurait mérité la situation, mais s’ouvrir comme ça le mettait trop mal à l’aise, il fallait qu’il se reprenne. “D’ici là, je suppose que personne ne peut t’empêcher de continuer à fantasmer sur mon homme et moi comme tu sembles le faire plus souvent que je n’ai envie d’y penser.” Il lui adressa un nouveau sourire avant de détourner les yeux pour s’intéresser au chaton en train de lui lacérer les cuisses de ses griffes. “Et sinon, il y a d’autres joueurs de notre équipe par ici ou on est les deux seuls gays ayant survécu à toute cette merde ?” s’enquit-il d’un ton enfin plus léger et sans se forcer, qui plus est.

Si rapidement qu’il manqua d’en perdre l’équilibre, Will releva les yeux vers Ezra qui se permettait de lui donner son point de vue sur son idée de tatouage. La plupart des mots du tatoueur avaient un sens aux oreilles du jeune homme, même s’il n’était pas tout à fait convaincu qu’il aurait le cran d’aller jusqu’au bout de ce projet, mais ce qui l’intéressait réellement dans ces paroles ne concernait que la question sur Aiden. Et même si Ezra s’excusa rapidement d’outrepasser ses droits en posant une question aussi personnelle, le mal était déjà fait. Will se sentait soudainement plus irrité qu’il ne l’aurait voulu et ça s’entendait dans sa voix lorsqu’il donna sa réponse. “Bien sûr que je lui en ai parlé. Elias et moi, on n’a pas de secrets l’un pour l’autre.” Pour une raison un peu obscure, sans doute, il avait dit ça comme il aurait menacé le jeune homme de lui arracher quelques parties sensibles de son anatomie s’il osait s’approcher de son homme. Il y avait un peu de ça, dans le fond, il était outré qu’Ezra puisse envisager qu’Elias et lui se cacheraient des choses aussi importantes. Ça ne faisait pas si longtemps qu’ils se connaissaient, encore moins qu’ils étaient ensemble, mais leur relation était sérieuse, plus sérieuse que tout ce que Will avait connu jusque là, la seule manière de s’engager avec quelqu’un dans un monde où tout pouvait basculer d’une seconde à l’autre.

Repoussant cette vague inutile de colère, Will fut soulagé que la conversation s’oriente vers quelque chose de plus léger. Il ne savait pourtant pas bien comment se comporter et comprenait mal pourquoi il se sentait à ce point forcé à faire un effort pour que les choses ne soient pas trop désagréables entre eux. Probablement parce qu’il n’y avait personne d’autre ici avec qui il aurait eu des choses en commun, une raison valable de devenir ami. “Désolé, malheureusement le seul homme majeur et gay que je connaisse ici et qui ne soit pas toi, c’est moi.” lança-t-il en se forçant à rester sympathique, tout juste taquin sans pousser plus loin son caractère habituellement imbuvable. “Mais laisse leur un peu de temps, je suis presque sûr qu’un hétéro finira par virer de bord à force.” Sans véritable raison, il se surprit à passer en revue les quelques hommes à qui il avait eu l’occasion de parler depuis qu’il fréquentait Fort Hope et sa déclaration lui sembla un peu moins réaliste tout à coup. “Évite quand même de larguer ta main trop tôt…” souffla-t-il finalement, un sourire au coin des lèvres.

Un miaulement vindicatif de la part de Clary le ramena à la réalité et il réalisa qu’il ne la caressait plus depuis quelques secondes, perdu dans ses pensées, au grand désespoir de l’animal qu’il attrapa par la peau du cou et déposa sur le canapé près de lui. Aussitôt il se remit debout et se gratta l’arrière de la tête, chassant rapidement la gêne qui le gagnait en réalisant la conversation beaucoup trop personnelle qu’il avait eu avec un quasi inconnu aujourd’hui. Quelqu’un qu’il n’appréciait même pas réellement, quelqu’un qui était tout le contraire du genre de personne qu’il avait l’habitude de fréquenter. “Comme je te l’ai dit, j’ai pas mal de boulot aujourd’hui, alors… Je vais devoir te fausser compagnie.” déclara-t-il d’un ton neutre, posant son regard assuré sur le tatoueur. Les convenances auraient probablement voulu qu’il ajoute quelque chose de positif pour terminer, qu’il laisse la porte ouverte à une autre rencontre dans l’avenir, mais Will ne suivait les convenances que très rarement et certainement pas sans une excellente raison. Il n’en voyait aucune pour le moment, aussi, il resta silencieux après cela, laissant à Ezra tout le loisir de s'éclipser sans rendre ce moment désagréable pour l’un ou l’autre.