Le stress. C’est l’implacable stress qui me vrille sans conteste l’estomac en ce moment, depuis plusieurs jours que j’ai lu ce message… J’ai trouvé ce fameux message près des ruines du laboratoire il y a peu. Elle me cherche… Joey est vivante et elle me cherche. Je ne peux m’empêcher d’avoir peur, pour elle comme pour moi en vérité. Joshua connaît mon nom. Il pourrait très bien avoir écrit ce message et pourtant, je suis presque sûr que c’est elle et pas lui. Il serait illogique que ça soit ce tortionnaire d’ailleurs, car aucun lieu de rendez-vous n’était précisé, ce qui est finalement logique puisque elle comme moi, savons où nous devons nous retrouver en cas de séparation. C’est pourtant à n’y rien comprendre, pourquoi m’avoir laissé ce message au final ? Voilà plusieurs temps que je viens ici, déposant une fleur sur le meuble de la pièce principale pour noter mon passage, la remplaçant à chaque nouveau passage de ma part en ces lieux. Joey n’a peut-être pas encore eu l’occasion de venir jusqu’ici… Voilà pourquoi j’ai décidé de dormir là hier et sûrement ce soir encore, si elle ne daigne toujours pas se montrer. J’ai pu quitter Fort Hope pour venir ici, j’ai emporté de quoi manger pour plusieurs jours, au total trois. J’ai avec moi Shadow et Bandit évidemment, une si longue sortie ne pouvait que quérir leur présence, surtout celle de Bandit lorsqu’il s’agit de Joey. A presque cent pour cent, pourtant, la peur me détruit malgré tout le cœur de ne pas être sûr qu’elle va bien, qu’elle viendra aujourd’hui. Il s’agit surement d’un jour, un nouveau simple jour sans lequel je ne pourrais la retrouver.

Je suis tendu, tellement tendu. Je fais les cent pas, sans m’arrêter, ne me freinant que lorsque ma tête commence à tourner à force de marcher en rond dans un si petit endroit. Mes muscles sont tendus et bandés, comme si je m’apprêtais à me battre avec quelqu’un. Je suis vraiment tendu, peut-être beaucoup trop. Je m’y reprends à de nombreuses fois, mais je me défoule comme je peux. Me suspendant sur le bord d’un meuble, je fais quelques tractions. J’enchaîne avec quelques pompes, quelques abdos, histoire de m’essouffler un peu. Mais rien n’y fait, j’ai beau commencer à sentir certains muscles trop sollicités devenir endoloris, le stress et l’impatience ne me quittent pas. Le calme de Shadow, m’indique avec dégoût que personne n’approche. La solitude, le silence, l’attente et l’insouciance…

Plusieurs secondes, minutes, heures passent, sans qu’aucun signe de vie extérieur ne survienne. Pourtant, Shadow qui c’était installée sur le canapé se redresse subitement et saute du canapé. Elle ne grogne pas et lorsque la porte s’ouvre, elle s’assoit sur son postérieur, secouant doucement la queue. Joey entre, je n’ai d’yeux que pour elle. Presque aussitôt, à l’aide de grandes enjambées, je la rejoins. Je l’attrape et la serre avec force contre mon torse, l’étouffant presque c’est certain. Finalement, je me détache d’elle, gardant mes mains plaquées contre ses joues.

- T’étais où bordel ?! Joey bordel !! J’étais mort d’inquiétude ! Arrête de disparaître, arrête de mentir, arrête de me filer mal au cœur comme ça tout le temps !!

Je suis dur, c’est clair. Mais elle n’a pas idée de l’angoisse qu’elle m’a fait endurer ces derniers temps. J’ai le droit d’être un poil énervé. Surtout quand on sait, qu’elle devait être avec son Don juan. Je finis par la lâcher, pour me frotter doucement le front, les yeux embués de larmes.

- Excuse-moi. Mais je suis totalement perdu depuis l’incendie, j’ai plus mes repères. Ne pas savoir où tu es, si tu vivais c’était… Joey, pourquoi tu boites ?

Je fronce les sourcils avec gravité, tandis que mon regard glisse sur le fameux, le seul, l’unique. J’étais tant absorbée par Joey que je n’avais pas vu, qu’elle était venue accompagnée....

Dire que je suis nerveuse est un euphémisme. Il faut dire que ma dernière sortie ne s’est pas vraiment bien passée, bien au contraire, et que j’en ai payé pendant un long moment les conséquences. Enfin…si on considère le fait que je boitille encore, j’imagine qu’on peut dire que je les paye encore. Mais cette fois-ci, on est dehors en ayant parfaitement le droit d’être là, et même si ça ne fait pas disparaître pour autant toutes les autres merdes qui pourraient nous tomber dessus, au moins on est certains que personne ne nous attendra de pied-ferme en rentrant, pour balancer Isha au trou.

Je marque un temps d’arrêt quand on arrive devant la maison où Aaron et moi nous étions donnés rendez-vous en cas de séparation, celle jusqu’où je n’avais pas réussi à aller la dernière fois que j’ai quitté l’arène. J’ai tellement peur de la trouver vide, elle aussi, que pendant quelques secondes, j’ai du mal à avancer. Je ne suis pas certaine d’accepter aussi facilement que les fois précédentes un nouvel échec. Pourtant, Isha m’entraîne, et je ravale mon angoisse en lui emboîtant le pas, jusqu’à la porte d’entrée de la maison. Mes yeux noisette se posent sur lui un instant, alors que d’un léger signe de tête, il m’encourage à ouvrir la porte, et à rentrer dans ladite maison. Je prends mon courage à deux mains, et clenche la porte pour pouvoir y entrer, en passant devant le brun. Je n’ai pas fait plus de trois pas que mon regard tombe sur un chien, un chien qui m’est étonnamment familier. « -Shadow… » que je murmure bêtement, alors que mon cerveau peine manifestement à comprendre ce que la présence de la bête signifie. Tout comme il semble encore avoir du mal à réagir à la présence, belle et bien réelle, de Bandit, en train de sauter autour de moi, de me faire la fête comme jamais. Je crois que je dois avoir l'air de débarquer de nulle part, avec ma tête d'ahurie dont les neurones semblent peiner à se connecter, pour me faire comprendre ce que j'ai sous le nez. Et quand Aaron débarque à son tour, ce n'est pas pour arranger les choses. Je reste clouée sur place, incapable d’avoir le moindre geste, de faire le moindre pas pour m’approcher de lui.

Ce n’est que lorsque ses bras se referment sur moi que mes neurones acceptent enfin de faire leur taff, et que je comprends qu’il est là, vraiment là. Putain, Aaron est là ! Mes bras se referment sur lui à leur tour, alors que je l’étreins de toutes mes forces, sentant quelques petites larmes monter à mes yeux, trahissant tout le bien que ça me fait de le retrouver. Je me laisse faire quand il finit par se détacher, et par poser ses yeux sur moi, tandis qu’il m’engueule comme seule Naya savait le faire quand je dépassais les limites. J’ai beau ne pas le trouver vraiment juste avec ses reproches, je ne moufte pas, et ne me vexe même pas, trop heureuse, réellement heureuse, de le retrouver, enfin. Je vois ses yeux brillants, qui font sans doute écho aux miens, ce qui me serre le cœur, et me donne encore moins envie d’être rude envers lui. « -Pardon…je suis tellement, tellement désolée… » J’essuie pudiquement la larme qui dévale désormais ma joue, alors que j’esquisse finalement quelques pas pour me rapprocher de lui, alors qu’il reprend déjà la parole, pour s’excuser des mots durs qu’il vient d’avoir.

Pourquoi je boîte ? Ah ça…c’est une question épineuse, le connaissant. Mais je n’ai pas le temps de formuler la moindre réponse, que j’entends la voix froide d’Isha retentir dans mon dos, me faisant écarquiller les yeux, et hausser les sourcils, alors que je tourne finalement le visage vers lui, secouant légèrement la tête de droite à gauche, comme pour lui demander ce qui lui prend. En matière de présentations, on a déjà sans doute fait mieux. « -La jambe c’est rien, juste une égratignure… » J’ai l’impression de parler dans le vent, et pendant quelques secondes, je ne peux que les observer se jauger du regard en silence. Merde…je n’avais jamais réellement pensé à ce jour où ils se rencontreraient tous les deux. Est-ce que je suis censée faire quelque chose en particulier, ou dire quelque chose ? Je crois bien que c’est la première fois que je suis sur le point de présenter un homme à mon meilleur ami, un homme qui compte réellement, et pour le coup, je ne connais pas le mode d’emploi pour ce genre de présentations. « -Aaron, voici Isha…Isha, Aaron, mon meilleur ami… » Ca sonne tellement formel que pendant quelques instants, même moi je me rends compte du ridicule de mes propos. Isha sait parfaitement qui est Aaron, puisque je lui ai parlé de lui à des tas et des tas de reprises, et Aaron connait l’existence d’Isha, puisque j’ai fini par lui faire des révélations qui ont mis du temps à quitter mes lèvres.

Je me racle la gorge, comme pour essayer de casser cette ambiance pesante qui commence lentement à s’installer, et me tourne de nouveau vers Aaron, sans parvenir à ordonner réellement le flux de questions qui se pressent soudainement dans ma tête. « -Tu vas bien ? Tu étais passé où ? Et il s’est passé quoi avec le labo ? Et ils sont où tous les autres ? Daemon va bien ? » Des tas de questions restées sans réponse jusqu’à maintenant, et qui n’ont pas manqué de me torturer, et de me harceler sans répit. Je glisse un coup d’œil sur sa silhouette, avant de l’attraper par la main, et de l’entraîner vers le canapé, quelques mètres plus loin, prenant bien soin de me tourner vers Isha pour l’inviter à nous rejoindre d’un coup de tête. Les chiens nous emboîtent le pas, et Bandit se retrouve à quémander des caresses dès que je m'assois, et c'est avec un sourire sur les lèvres, réellement heureuse de le retrouver, de les retrouver tous les trois, que je gratte l'arrière de ses oreilles.

Avant que Joey ne puisse vraiment me répondre, je remarque l’arrivée, on ne peut mieux annoncée, par Isha. Lui, ce cher compagnon dont elle a eu tant de mal à me parler, parce qu’elle savait que je n’aimerais pas ses manières, que je n’aimerais pas sa personne. Tel un bouclier, comme si je venais de l’insulter milles morts, il se permet de la défendre, de m’assurer que si j’avais cherché, je l’aurais trouvé… Cet abrutit ignore les endroits où j’ai pu me retrouver à de multiples reprises pour trouver une trace de son passage, de sa détention, de sa possible survie. Joey, les larmes aux yeux, semble avoir beaucoup de mal à engager la discussion, à me parler. Je suis ému de la retrouver, comme elle semble d’ailleurs l’être aussi… Ca semblait sincèrement inespéré. Je ne sais pas quoi dire réellement, si ce n’est avouer que je suis énervé contre lui évidemment, mais aussi un peu contre elle. Je préfère pourtant m’abstenir. Isha semble être un sanguin et même si je suis d’un naturel assez joueur et doux avec elle, je suis aujourd’hui fatigué et surtout stressé. Etonnement, même si j’ai fini par la retrouver, j’ai encore un stresse sincère qui bat dans mon torse. Je ne peux que me rassurer, en me disant que ça va passer à mesure que nous pourrons discuter, nous retrouver… Mais pour l’instant, l’ambiance est tendue. Elle risque d’ailleurs de l’être tant que moi ou Isha, serons tendus. Je sais qu’il en va du bonheur de Joey, mais pour l’instant je crains qu’on ne soit vraiment prêt à jouer les chiens grogneurs...

Finalement, Joey dans un souci de calme surement, nous invite à nous diriger vers le canapé, à même nous y asseoir. Bandit semble tout fou de retrouver sa maîtresse aussi, nous allons nous installer, Joey entre nous deux, surement installée là de façon stratégique, pour éviter qu’on ne se saute dessus comme des animaux. La belle vient à vite se renseigner.

- Alors… Pour répondre un peu à tout en même temps… Je vais bien. Le laboratoire a pris feu, les survivants se sont dispersés, on n’a pas d’explication concernant l’incendie d’ailleurs… J’ai trouvé refuge à Fort Hope, je t’expliquerais un peu cette folle histoire plus tard … Daemon va bien, je suppose… il a décidé de partir explorer les alentours, même si je ne me fais pas d’inquiétude pour lui et … voilà.

Je n’ai pas de meilleures nouvelles à lui apprendre je le crains. En revanche, j’en ai un tas de choses à lui raconter. Mais évitons de nous étaler devant Isha. Le pauvre gars m’aime pas, je l’aime pas, et on va devoir se supporter un certain temps. Autant continuer sur autre chose, quelque chose qui créera moins de tensions, si j’arrive à ne pas être maladroit…

- Et toi. Et vous ? Où tu es, comment tu vas, pourquoi tu es partie… Est-ce que tu rentres avec moi ? Ou même vous deux… Je ne veux plus te perdre Joey. Deux fois, c’est déjà trop. Tu comprends ça ?

Mon regard se fait tendre, mais profondément désolé. Hors de question de l’avouer devant l’autre type, mais je me sens presque coupable. C’est moi qui ai fait une connerie encore ? Ou il y a des choses que j’ignore encore...

HRP:

Je m’installe sur le canapé, et remarque un peu à retardement que contrairement à ma proposition, Isha est resté dans l’entrée, et semble réticent à l’idée de venir nous rejoindre. Je me tourne vers lui d’un air interrogateur, les sourcils légèrement foncés, et pour une fois, je ne suis pas certaine de parvenir à décrypter les émotions qui se lisent sur son visage. Pourquoi est-ce qu’il tiendrait la chandelle ? Il n’a pas envie d’essayer d’apprendre à connaître mon meilleur ami, avec qui je le bassine depuis des mois déjà ? « -Isha ? » Mais rien à faire, il a déjà quitté la maison, nous laissant, Aaron et moi, en tête à tête. Mon dieu, quelle tête de cochon. Finalement, je crois que je commence à comprendre ce que signifie l’expression qui indique que qui se ressemble s’assemble.

Je soupire, et me retourne vers Aaron en haussant les épaules dans une espèce d’excuse silencieuse, même si je ne sais pas exactement quelle mouche a piqué Isha. Heureusement, le brun ne semble pas se formaliser de ce départ précipité et pas très cool, et consent à répondre à mes questions, alors que ma bouche s’entrouvre légèrement à la mention de toutes ces choses à côté desquelles je suis passée ces derniers mois. Je sais bien que le laboratoire a brûlé, Isha et moi sommes tombés sur ses ruines, et ça m’a brisé le cœur de ne pas savoir ce qu’il était advenu des survivants qui y avaient trouvé refuge, ou même s’ils avaient pu s’en sortir vivants. C’est un soulagement, même si l’idée que notre petite communauté est désormais dispersée dans Détroit ne soit pas forcément pour me ravir. Je m’avachie davantage à ma place, et me laisser aller en arrière contre le dos du canapé. Bon, après tout, les nouvelles ne sont pas si terribles que ça, pas vrai ? Aaron est vivant, je dois admettre que je commençais à penser le contraire, et son frère également, même s’il semble mener pour l’instant une vie de cow-boy solitaire.

Je voudrais esquisser un petit sourire quand Aaron m’abreuve de questions à son tour, mais j’ai un peu de mal, et me rends compte que je suis sans doute plus tendue que nécessaire. J’essaye d’emmagasiner les questions, tout en sachant que mes réponses à venir ne vont pas forcément lui plaire. Machinalement, ma main se pose sur mon avant-bras, qui a été marqué au fer rouge par les bons soins de Joshua lorsque je suis arrivée à l’arène, et qu’heureusement, mon manteau et mon pull cachent aux yeux d’Aaron. Je me sens coupable à l’idée qu’il puisse penser que je suis simplement partie, en choisissant de le laisser derrière moi, ainsi que Bandit. A cette pensée, mes doigts parcourent distraitement la peau entre les oreilles du chien, qui est venu me rejoindre sur le canapé. « -Je suis pas partie de mon plein gré. Je me suis fait enlevée. Des mecs m’ont coincé dans une rue, et m’ont ramené de force à l’arène, pour que je serve dans leur show. Sauf que… » Je marque une courte pause, et tend l’oreille à l’affut du moindre bruit suspect, mais Isha a bien l’air d’être dehors, et hors de portée de mes propos. Tant mieux, s’il entendait la véritable histoire de ce qui m’est arrivé lorsque j’ai débarqué dans sa vie d’amnésique, je sais très bien que son géniteur nous le ferait payer. « -Joshua m’est tombé dessus. Il vit là-bas. Il m’a droguée, et balancé dans l’arène face à des rôdeurs, pour que je me fasse bouffer. Mais Isha m’a sauvé, et il m’a…euh…revendiquée. Je…je suis plus ou moins devenue esclave, du moins officiellement, et j’avais aucun moyen de pouvoir quitter l’arène, ou de pouvoir t’informer que j’étais en vie. Je suis vraiment désolée… » Vraiment désolée qu’il se soit autant inquiété, et que je n’ai rien pu faire pour l’informer de la situation.

Je finis par m’installer à mon aise, les pieds croisés sur la table basse, et tourne une nouvelle fois mon regard vers Aaron. « -Il a perdu la mémoire…Isha, je veux dire. Joshua lui fait croire qu’il est le père de l’année, et il est trop paumé pour se méfier, et ne pas voir que son père le manipule. Si je lui dis quoi que ce soit sur son passé, Joshua va s’en prendre à lui…Alors, j’ai pas vraiment eu d’autres choix que de jouer le jeu… » Et que quelque chose arrive à Isha, c’est quelque chose que je refuse de voir arriver, pas après tout ce qui s’est passé, et le mal qu’on a eu à se retrouver. Bandit me tire de mes pensées sombres en me léchouillant les doigts, et j’esquisse distraitement un sourire, alors que mes doigts retrouvent son pelage. « -Merci d’avoir pris soin de lui…je suis tellement, tellement contente de vous retrouver tous les deux. Tu m’as vraiment manqué… » J’esquisse un sourire contrit, bien consciente que tous les mots du monde, que je ne parviendrais sans doute jamais à prononcer, ne sauraient expliquer à quel point je suis soulagée de le voir bel et bien en vie, juste à côté de moi.

Tout ça me laisse froid. Tant pis si Joey m’en veut, tant pis si je passe pour le connard égoïste du siècle, mais là, cette rencontre me blesse plus qu’autre chose. Mon regard est figé dans le vague et d’ailleurs, il vaut mille fois mieux que je regarde le néant, plutôt que de la regarder elle. La haine qui se lirait dans mon regard la ferait surement flipper. Je suis entièrement tendu, prêt à exploser. Entendre tout ça me rend juste malade, elle me rend malade. Même si une partie de l’histoire n’est pas de sa faute, le reste j’estime que si. Et elle est clairement en train d’avouer mes plus grandes craintes.

- Ouai, ça a dû être dur je vois.

Le mépris se lit dans ces quelques mots. J’ai beau tenter de faire le tri, rien ne vient atténuer ma colère. Mon regard se pose sur mon doigt, celui qui me manque, alors que je repense au fameux Joshua. Milles flashs, milles images et milles conclusions s’attisent autour de ses mots. Elle ne devait pas s’attendre à ça, mais c’est la seule chose qui me vient, de la fureur. Lentement, je me lève. J’attrape une chaise, que je fracasse sur le sol avec une violence sans pareille, faisant sursauter et grogner Shadow, qui songeait à un danger proche. Puis j’explose. Je tourne en rond, faisant les cent pas, comme un lion en cage.

- Encore une fois. Oui encore une fois j’ai été incapable de te protéger et encore une fois, toi tu m’as laissé seul. Je suis l'incapable et Isha le héros. Putain je n’arrive pas à le croire ce que j’entends !! Tu prétends être retenue là-bas contre ton gré mais tu m’explique comment t’as écris ce mot si tu ne pouvais pas sortir ? Comment tu te retrouves là aujourd’hui avec encore une fois, ton putain d’Isha ? Ne me prends pas pour un con parce que si tu voulais partir, tu me supplierais de t’emmener loin d’ici ! Je peux te ramener à Fort Hope si tu veux, t’as qu’un mot à dire pour que je te tire de ce soi-disant enfer ! Ne compte pas sur moi pour te laisser repartir avec lui les bras croisés, alors que t’es entrain clairement de me dire que t’as été enlevée droguée séquestrée et esclavagisée !

Je n’arrive pas à redescendre en pression, mes muscles sont tellement bandés qu’ils tremblent, que je me sens clairement ailleurs. La pression sanguine contre mes tympans est telle, que je sens battre mon cœur partout dans mon corps, jusque dans mes doigts, jusque dans ma gorge. Je ne sais pas où je trouve la force, mais enfin, mon ton baisse. Je reste debout face à la belle, droit comme un piquet. Mon regard n’a rien n’à voir avec l’air que je lui offre d’habitude. Pas de tendresse, pas d’amour, pas d’inquiétude. Juste une profonde lassitude, une incroyable détresse.

- Je suis peut-être irrationnel, je suis peut-être dur dans mes mots et peut-être que demain je regretterai. Mais là, je suis blessé. Complètement dépassé et désespérément perdu. Ma fureur m’aveugle peut-être, peut-être que je n’arrive pas à entendre la vérité, mais là, je veux, que tu me dises les choses Joey. Alors j’écoute. Pourquoi tu ne repars pas maintenant avec moi. On peut emmener ton adorable compagnon avec nous.

Le compagnon, est en effet Isha. Si c’est le prix à payer pour la ramener avec moi dans le fort sécurisé, je veux bien endurer la présence de son imbécile de copain, qui depuis son existence, me donne l’impression d’être devenu inutile pour Joey. Je me calme encore un peu, descendant d’un étage supplémentaire.

- Tu m’as manqué, et tu me manques toujours Joey… Je ne veux pas repartir seul. Je ne peux pas te laisser là.

Ce me fait du bien de laisser mes doigts parcourir le pelage de Bandit, de sentir sa langue venir râper mes doigts, de le voir me présenter son ventre pour davantage de caresses. Et la présence d’Aaron juste à côté de moi est la cerise sur le gâteau, ces retrouvailles auxquelles je croyais de moins en moins, malgré moi. Parce que ce serait mentir que de prétendre ne pas avoir entendu la petite voix qui me murmurait, jour après jour, que je ne reverrais jamais plus mon meilleur ami, et que je devais me résoudre à tirer une croix sur lui. Mais je n’ai pas pu lâcher complètement l’affaire, parce que la simple pensée qu’Aaron ne me prendrait plus jamais dans ses bras, ne me couverait plus jamais de son regard tendre, ou ne m’adresserait plus jamais ce sourire joyeux que je lui connais était insurmontable. Et je pensais qu’il aurait ressenti la même chose, et c’est sans doute pourquoi sa première remarque, pour ne pas dire pique, me fait hausser un sourcil d’un air interrogateur. Qu’est-ce qu’il essaye de sous-entendre, exactement ?

Mon regard ne le quitte pas quand il se lève, s’approche d’une chaise…et l’explose par terre avec rage. Bien…je vois que ces retrouvailles vont être quelque chose. Ma mine reste impassible, et je croise les bras sur ma poitrine, alors qu’il se met à faire les cent pas. S’il a quelque chose à dire, qu’il ne se gêne pas pour moi, il n’y a rien que je ne puisse pas encaisser, pas même les reproches de mon meilleur ami. Reproches qui ne tardent d’ailleurs pas à tomber. Je l’ai laissé seul ? Mais…il a écouté ce que je lui ai raconté ? Le fait que je n’ai rien décidé du tout, dans toute cette histoire, que je n’ai été que la marionnette du plan machiavélique de Joshua, qui a échoué à me faire supprimer. Je tente de garder une expression neutre, même si je sens malgré moi une certaine colère monter en moi, notamment quand je l’entends remettre en cause mes propos. Je pensais qu’il me connaissait mieux. Qu’il me connaissait bien, même. Qu’il était celui qui me connaissait le plus dans ce putain de monde. Et autant dire que ses paroles, et le manque de confiance qu’il exprime à cet instant à mon égard sont plus que blessants. Même si avec le recul, je me rends compte que j’aurai peut-être dû zapper quelques détails, comme le fait que j’ai été droguée, et lancée en en-cas à des rôdeurs, ou qu'on avait fait de moi une esclave.

Aaron finit par se planter face à moi, et je lui présente la même mine imperturbable, le même regard neutre, alors qu’à l’intérieur, c’est plus la tempête qu’autre chose. Et ses nouveaux propos ne font rien pour apaiser les flammes qui brûlent en moi. Pourtant, malgré mes sages décisions, je ne peux empêcher un rictus de m’échapper quand il m’informe qu’il est blessé. Tiens donc. Je serre la mâchoire en l’entendant parler d’Isha de la sorte, et le trouve un peu sévère de le cataloguer, sans même savoir qui il est réellement. C’est vrai quoi…ce n’est pas son rôle de meilleur ami, de chercher à connaître réellement le mec qui partage ma vie, avant de me donner son opinion sur lui ? Du moins…c’est ce que j’ai toujours fait, avec les nanas qu’il m’a un jour présenté dans sa vie. Mais je ne suis pas certaine que le lui faire remarquer va réellement aider à apaiser la situation, bien au contraire.

Il semble se calmer encore un peu, et m’explique qu’il ne peut pas me laisser à l’arène. Malheureusement, ce n’est pas à lui de décider, il ne peut pas prendre ce genre de décisions pour moi. Je finis par me lever à mon tour, aussitôt imitée par Bandit, et pendant quelques instants, je lui tourne le dos, pour me rapprocher du buffet à quelques pas de là. Il est couvert de tas de cadres photos désormais couverts d’une épaisse couche de poussière, que j’essuie du pouce, pour découvrir les visages souriants des anciens habitants de cette maison. « -Hé bah…je n’avais pas envisagé des retrouvailles comme ça… » Je jette peut-être de l’huile sur le feu, même si au fond, je ne fais qu’exprimer ma pensée. Cela fait des semaines, des mois même, qu’on ne s’est pas vus, je pense qu’on aurait pu laisser les reproches pour une prochaine fois. Je finis par lâcher mon exploration des moments heureux de la famille d’avant, pour me tourner vers le brun, et me mettre en appui contre le meuble derrière moi.

Je prends bien soin de planter mon regard dans le sien pour reprendre la parole, comme si par ce geste anodin, je tâchais de lui faire comprendre tout le sérieux de ma réponse, et de la situation. « -Je ne peux pas partir de l’arène. Pas pour l’instant, en tout cas. Je dois protéger Isha de Joshua… » Même si Isha lui-même n’en a pas vraiment conscience. Et puis…je doute de pouvoir réussir à passer mes journées loin de lui à présent, pas maintenant que nous sommes si proches. Je laisse un soupir las s’échapper de mes lèvres, et regarde la pièce pendant quelques secondes supplémentaires. Je déteste l’idée de devoir me justifier, surtout face à lui, et si n’importe qui d’autre se serait violemment heurté à un mur, je parviens à mettre mon foutu caractère de côté, pour essayer d’apaiser les choses. « -On a réussi à se sauver de l’arène en douce quelques fois, pour te chercher, et écrire les messages…mais on a fini par se faire prendre… » Et on en a payé chèrement le prix. Je fixe le sol pendant quelques secondes, en tâchant d’ignorer la boule qui me noue l’estomac à cet instant précis. Il faut dire qu’Aaron et moi, on a plus l’habitude de se chamailler et de se faire des câlins que de se crier dessus. Et cette situation, pour le moins inattendue, me laisse un goût amer. « -Et tu n’es pas un incapable. » C’est dit doucement, mais suffisamment fort pour que mes mots ne lui aient pas échappé pour autant. Il est même loin d’être un incapable, et lorsqu’il se sera calmé, il se rendra sans doute compte que même avec la meilleure volonté du monde, il n’aurait pas pu empêcher ces types de m’enlever, et Joshua de me mettre la main dessus.

L’ambiance est tendue et c’est ma faute. Elle l’est sincèrement, mais je n’arrive pas à être le Joyeux Aaron qu’elle connaît depuis toujours, pas après tant d'échecs cumulés en si peu de temps. Je n’aurais pas dû lui hurler dessus, je n’aurais pas dû l’accuser, mais que faire d’autre alors que je suis tant embrouillé… Je ne veux pas qu’elle se méprenne, qu’elle pense que je ne suis pas heureux de la voir. La retrouver, c’est l’une des plus belles choses qui me soit arrivée depuis tant de temps. C’est juste que je m’en veux comme un fou d’entendre tout ce qu’elle a subit, sans personne pour la secourir alors que cent fois, dans un monde sans apocalypse et avec, je lui ai juré protection et affection. Hors là, quand j’entends tout ce qu’il s’est passé, tout ce temps où mes recherches ne servaient à rien, je ne peux que me détester. Joey est ainsi un nom, que j’hésite encore à ajouter à la liste de ceux que je n’ai pas pu sauver. J’ai le cœur qui bat très fort, je sens mes impulsions sanguines dans le bout de mes ongles et frapper mes tympans. S’en est presque assourdissant et le combat que je mène pour me calmer, redescendre en pression, est une lutte acharnée et sans pitié contre moi-même.

- Joey, je suis désolé de t’avoir parlé comme ça… Mais putain j’en ai marre d’échouer, j’en ai sincèrement marre. J’aimerais une victoire, au moins une, un de ces jours. Et ce n’est pas parce que je suis pessimiste que j’en vois pas, c’est parce que j’en ai pas eu la moindre depuis au moins l’incendie du laboratoire. Te retrouver, c’est précieux pour moi mais… Tu n’es pas en sécurité. Et ça, ça me rend vraiment dingue…

Oui, savoir qu’elle attend de moi que je rentre à Fort Hope en la laissant, ça ne me plait pas.

- Tu me demande vraiment de te laisser repartir dans un endroit où t’es une esclave, avec ce type, Isha, dont je ne sais rien ?

J’aimerais bien lui rappeler que je ne le connais pas, à cause d’elle justement, qu’elle ne me l’avait pas présenté quand c’était possible, mais aujourd’hui que sans le vouloir, nous avons été présenté, cet idiot a clairement fuit ma présence. Je suis censé en penser quoi ? Est-ce que je dois vraiment la laisser partir sans rien dire, en saluant leur couple d’une main tendu ?

- C’est au-dessus de mes forces après tout ce que tu viens de me lâcher. Tes souffrances et tout ce qui va avec… Si ton Isha est assez fou pour vouloir rester là-bas après tout ce que tu endures, c’est pas l’homme qu’il te faut. Tu mérites un type qui te respecte et qui te protège, qui t’écoute ! Et je te l’ai dit, si c’est vraiment lui que tu veux t’as qu’un mot à dire et même s’il n’est pas d’accord je le bâillonne et on le traîne jusqu’à Fort Hope.

C’est évidemment ironique, même si l’idée me paraît faisable si ça permet à Joey de dormir entre des murs sécurisés ce soir et pour toujours. Que Isha soit amnésique comme elle me l’a signalé ne change rien, il n’a pas dû passer à côté le fait que sa copine se soit faite droguée et qu’elle soit esclave si ?

- Je ne peux pas te perdre toi aussi. C’est tout ce qu’il y a à comprendre, au final... Je suis inquiet pour toi.

Oui, si ça me permet de garder Joey, l’idée de traîner Isha jusqu’à Fort Hope n’est finalement pas une si mauvaise idée que ça… On ne devrait pas avoir de mal à trouver une chaussette pour lui éviter d’appeler à l’aide.

HRP:

Le dos en appui contre le meuble derrière moi, je déplace tout le poids de mon corps sur ma jambe valide, alors que mon regard n’a pas lâché Aaron. Sa peine, son incompréhension, cet espèce de désespoir aussi qui lui colle à la peau ne m’échappent pas, et c’est uniquement pour cette raison, et parce qu’il est mon Aaron, que je parviens à rester calme malgré la façon dont il vient de s’adresser à moi. N’importe qui d’autre aurait fait les frais de mon caractère, et de mon impulsivité. Mais pas lui. S’il y a bien une personne contre laquelle je n’ai jamais élevé la voix, c’est bien lui. Alors je prends sur moi, et serre le poing pour cacher les tremblements de mes doigts causés par cette colère que je tache de maîtriser du mieux que je peux.

De toutes façons, il semble se calmer, lentement, comme moi j’imagine, et déjà regretter ses paroles, si j’en crois ces excuses qu’il ne tarde pas à me présenter. Mes sourcils se haussent, malgré moi, alors que ma bouche s’ouvre sans même me demander mon avis. « -Se retrouver, moi je trouve que c’est déjà une sacrée victoire. » En revanche, il a raison sur le fait que je ne sois pas en sécurité à l’arène, enfin…à vrai dire, le seul souci, ça reste Joshua. A part ça, j’ai un toit au-dessus de ma tête, de la nourriture dans mon assiette, et quasiment plus personne ne me voit comme une esclave depuis que Dean a fait de moi l’infirmière de l’arène. En plus de ça, Isha a racheté ma liberté à la toute fin de l’année dernière, à force de combats rondement menés. La seule raison pour laquelle je reste à l’arène, c’est pour le poisson rouge qui me sert de copain, parce qu’il refusera de quitter celui qu’il croit être son gentil papounet chéri.

Une fois encore, je ressens une sourde vague de colère monter en moi quand j’entends les propos peu élogieux qu’il a au sujet d’Isha, et cette façon dont il semble l’avoir jugé, sans même le connaître. Merde, le type que j’ai devant moi ne ressemble pas vraiment à l’Aaron qui partage ma vie depuis de très nombreuses années déjà, et pendant quelques secondes, je me demande où est passé cet homme-là. Je le fixe du regard, peut-être un peu trop durement au vu de la situation, et pince les lèvres pour ravaler les paroles que mon sale caractère me pousse à prononcer, et qui n’arrangeront rien à la situation. Je serre les dents, et les poings de concert, avant de parvenir à articuler, malgré ma mâchoire serrée : « -Il me respecte, il me protège, et il m’écoute. » Je garde le silence une nouvelle fois, un silence contraint, qui me pèse, tant les mots, pas très agréables, butent sur mes lèvres closes. J’inspire à fond, et Aaron m’a déjà vu suffisamment de fois énervée, même si c’est arrivé à de rares occasions, et jamais contre lui, pour savoir que c’est là ma dernière soupape de sécurité avant l’explosion. « -Tu n’as échangé que trois mots avec lui, trois pauvres mots, alors ne le juge pas si vite. Il m’a sauvé la vie, et pas qu’une seule fois, il se bat chaque jour pour ma sécurité, pour que les autres mecs de l’arène me foutent la paix, pour qu’on ai a mangé, et il s’est battu jusqu’à regagner ma liberté. Je ne suis plus une esclave. Et il était là…il était là quand j’ai découvert ce qu’il restait du laboratoire, que je te croyais mort, et que plus rien n’avait de sens. Bordel, Aaron, tu crois que ça a été difficile que pour toi ? »

Je m’écarte de la commode, et entame quelques pas hésitants dans le salon, me focalisant sur le sol plutôt que sur Aaron. Merde alors, ce sont les pires retrouvailles de la Terre entière. Le pire, dans tout ça, c’est que je pense comprendre ce qui le mets dans cet état, et que j’imagine, même si je me refuse à l’admettre, que j’aurai sans doute réagit de la même façon, ou presque, à sa place. Je soupire, et me mors la lèvre inférieure, avant de lui refaire face à nouveau. « -Je déteste l’arène. Et je déteste encore plus ne pas être avec toi. Tu me manques, et j’ai finis par me persuader toute seule que je te reverrais plus jamais, et pourtant, t’es là, juste en face de moi, je suis heureuse comme jamais de te retrouver, et tout ce qu’on arrive à faire, c’est se disputer. Tu me perdras pas, ça n’arrivera pas. Crois-moi quand je te dis que je ne veux pas à avoir à choisir entre toi et lui. Je…je refuse, et j’y arriverai pas. Pour l’instant, on ne peut pas quitter l’arène, mais je te promets, je te le promets Aaron, qu’on reviendra s’installer à Fort Hope, quand les choses iront mieux. » J’espère qu’il se souvient que je ne fais pas de promesses en l’air, et que si je lui dis ça, je m’y tiendrais, même si ça prendra quelques mois. Je ne perds pas espoir concernant le fait qu’Isha finisse par voir la vraie nature de Joshua, et accepte le fait que celui qu’il voyait réellement comme son père est Logan, le leader de Fort Hope, et qu’on viendra y vivre dès qu’il l’acceptera.

Ne le juge pas si vite… Voilà sa demande. Mais comment ne pas faire autrement ? J’ai envie de lui rappeler pourquoi je ne le connais pas, pourquoi je n’ai pas pu le connaître avant tout ça. Parce qu’elle n’avait pas pris la peine de me parler de lui. Les présentations n’ont jamais été faites avant son enlèvement, et elles sont faites aujourd’hui, sachant que c’est lui qui m’a fui et jugé en un regard. Preuve étant, qu’il n’est pas là. Encore une fois, j’ai l’impression que Joey n’a pas écouté un traître mot de ce que je lui ai dit. Je lui ai proposé de rentrer avec moi dans le fort sécurisé, je lui ai même proposé de traîner de force avec nous son amant mais pour toute réponse, elle me dit qu’elle déteste l’endroit où elle est, qu’elle y reste pour lui et cette réponse n’a aucun sens, puisque je lui propose d'emmener avec nous la raison pour laquelle elle reste et retournera là-bas après cet entrevu. Mon sang est en ébullition, quand j’entends tout ce qu’elle a traversée, tout ce qu’elle traversera encore et surtout, une autre de ses phrases m’aurait fait hurler, si je ne faisais pas tout pour rester calme.

- Tu me promets ?

Elle peut entendre, que lorsque je répète ses propres mots, sa promesse, elle peut entendre que c’est une question rhétorique. Elle l’as fait. Elle m’a promis qu’elle reviendrait un jour s’installer à Fort Hope avec lui quand ils le pourraient. Mais pourquoi pas maintenant, je n’en sais rien. Ça n’a aucun sens. Si elle a peur de Joshua, je le conçois mais, aussi fou soit-il, c’est clair qu’il ne pourrait même pas passer les remparts du Fort. Elle serait là-bas en sécurité. Elle et son cher amant.

- Ne fais pas de promesses que tu ne peux pas tenir Joey. Ça fait plusieurs mois que t’es là-bas et je pense que tu as eu des tas de chances pour fuir. Mais je pense que ce que tu attends, c’est qu’Isha puisse retrouver la mémoire pour quitter les lieux. Tu ne partiras pas avant ça, lui encore moins. Et l’amnésie est quelque chose de si aléatoire, qu’il pourrait tout aussi bien ne jamais la récupérer figure toi.

Tout ça, n’est pas prononcé sous un ton agressif ni accusateur, mais sur un air profondément désespéré. Je suis inquiet pour elle, sur ce qui l’attend. Je sais que je n’aurais pas le choix de la laisser repartir, mais je sais aussi, que c’est profondément risquer. Un simple au revoir, peut devenir très vite un adieu dans un endroit aussi dangereux que celui où elle vit actuellement.

- Tu sais quoi Joey, on arrête là. Tu ne rentreras jamais avec moi à Fort Hope, tu n’entendras pas ce que je te dis et moi je n’accepterais jamais une seule des raisons pour lesquelles tu restes là-bas. Alors tu sais quoi, on arrête d’en parler. Mais putain et ça c’est un ordre, on a intérêt à vite se revoir. Et t’as intérêt à être en un seul morceau. Compris ?

Mon ton est ferme, comme celui d’un grand frère qui engueule sa sœur parce qu’il a peur pour elle, alors que cette dernière rentre d’une soirée un peu arrosée. Je soupire profondément avant de me redresser.

- Et arrête de le défendre. Je te rappelle qu’il avait aujourd’hui une chance de me prouver qu’il n’était pas à la hauteur de ce que j’avais déduis sur lui et il a fait le dos rond. Je n’ai pourtant pas été insultant en sa présence et même si là, je ne te dis pas d’éloges sur lui, je ne l’ai pas insulté une seule fois. Je n’ai fait que dire ce que je pense ; qu’il ne fait pas ce qu’il faut. Tu fais passer ta vie et ton bonheur après sa vie et son bonheur. Je n’ai pas l’impression qu’il fasse pareil, c’est tout ce que je dis… Aussi, maintenant que ce sujet est clos, j’aimerais qu’on parle d’autre chose. Un truc plus joyeux si t’as en magasin, parce que je suppose que notre temps à se parler est chronométré, tu ne restes pas là ce soir ni rien du style je parie.

Elle n'a pas l'habitude que je lui parle ainsi, et moi non plus. Pourtant, même si mes mots sont durs, mon ton varie. Exprimant ma rage, ma peur, mes tristesse, ma colère, mais surtout l'angoisse. L'angoisse de la perdre...

Mes doigts tremblent, et je serre les poings pour les cacher aux yeux d’Aaron, et ne pas montrer à quel point je suis troublée. Et surtout, hors de moi. Cela fait des mois que nous ne nous sommes pas vus, et la seule chose qu’il fait depuis que je suis arrivée dans cette maison, notre point de rendez-vous secret, c’est de m’accabler de tous les maux dont il souffre aujourd’hui, et de m’enterrer sous les reproches. Je conçois que je ne suis pas innocente dans cette situation, que j’ai bien sûr ma part de torts, mais s’il croit que j’ai volontairement décidé de rester avec Isha, et d’oublier tout le reste, il se trompe. Je pensais qu’il me connaissait suffisamment, qu’il avait vu assez de mon caractère, pour comprendre que je ne serais jamais le genre de femme à me laisser aveugler par mes sentiments, ou à prendre des décisions sur des coups de tête, juste au nom de ma relation avec le gladiateur. Qu’il pense que je puisse faire passer mon histoire avec ce dernier avant la longue amitié qui nous lie me serre le cœur, mais je n’en laisse rien paraître.

Quand il reprend mes paroles, et cette promesse que je viens de faire de lui revenir, je ne peux m’empêcher de lui lancer un regard froid, pour finalement le fusiller sur place quand il estime que j’ai fait des promesses en l’air. Des tas de chance de m’échapper ? Mais bordel, qu’est-ce qu’il en sait ? C’est quand la dernière fois qu’il s’est approché de l’arène suffisamment près pour observer les mecs postés à tous les points de sortie, pour éviter que quiconque quitte les lieux sans l’accord de Sam, ou plus vraisemblablement, n’y entre sans permission. Mais je n’ai pas le temps de faire la moindre remarque à ce sujet que ces nouvelles paroles me rendent incrédule, ce qui doit très facilement se lire sur mon visage. Attendre qu’Isha retrouve la mémoire ? Mais s’il savait à quel point il est loin de la réalité. Le brun et moi ne parlons même pas de son passé, c’est comme un sujet tabou qu’il faut éviter, ou aborder seulement quand il le demande, et sur des sujets bien précis. Il est tellement loin de la réalité. Je ne m’inquiète pas du fait que mon gladiateur retrouve ses souvenirs ou pas, s’ils reviennent, on agira en conséquence, aussi bien que s’ils ne lui reviennent jamais. Ce qu’Aaron ne semble pas comprendre, c’est simplement que je ne veux pas quitter Isha, parce que ma relation avec lui dépasse de très loin le simple attachement. « -Si tu savais à quel point t’as tout faux… » Ce n’est pas dit fort, d’ailleurs, je ne suis pas bien certaine que c’est à lui que je m’adressais réellement en prononçant ces mots.

Bandit doit sentir mon trouble, car il quitte le canapé pour venir se coller à mes jambes, alors que je me retrouve anormalement muette face aux propos de celui que j’ai pourtant toujours considéré comme mon meilleur ami. Quand il reprend la parole, je sens la chappe de plomb qui pesait sur mes épaules me voûter encore davantage. Ma mâchoire se serre, et alors que mon regard se pose sur mon chien, je sens ma respiration s’accélérer peu à peu, et un sentiment très désagréable monter du fond de ma poitrine. Aaron reprend la parole, pour continuer à me faire bien comprendre qu’il n’a pas du tout la moindre estime pour Isha, et je ferme les yeux face à ses mots, parce que cela fait un peu trop à encaisser pour une seule fois. Que sait il de ma vie avec Isha, de mon bonheur avec lui ? M’a-t ’il posé la moindre question, s’est-il intéressé un tant soit peu ? Non. Il n’a fait que supposer, et juger, sans même savoir, condamner notre relation, sans nous laisser la moindre chance. Il se trompe encore une fois, le sujet n’est pas clos, du moins pas pour moi, et je n’ai pas d’autre sujet plus joyeux à aborder avec lui.

Je quitte Bandit des yeux pour les reposer sur Aaron, sans même chercher à cacher l’air blessé qui doit briller en eux. « -Tu n’as pas d’ordre à me donner. » C’est la première chose qui parvient à quitter mes lèvres, et pourtant, je n’avais aucune idée que j’allais dire ça, avant d’ouvrir la bouche. Je me rapproche de lui, jusqu’à n’être plus qu’à quelques pas, le chien sur mes pas. Il n’est pas compliqué de voir à quel point j’ai du mal à maîtriser ma colère, qui fait trembler ma voix. « -C’est toi, qui ne m’entends pas, Aaron. Qui ne m’écoute pas, plutôt… » Je me plante juste devant lui, si près qu’en un geste de bras, je pourrais l’attraper par la manche pour le serrer contre moi. Mais c’est loin d’être dans mes intentions à ce moment précis. J’ai trop de choses à dire, et pourtant, aucune envie d’ouvrir la bouche, parce que je n’ai pas l’impression que je vais savoir rester calme, et maîtresse de moi-même. Pas face à tous ses débordements, et cette façon qu’il a eu de s’adresser à moi. Il croit avoir été le seul à souffrir de l’absence de l’autre ? Il n’a aucune idée des nuits d’insomnie, des journées passées sans manger, des heures à pleurer dans les bras d’Isha quand j’ai découvert le laboratoire en fumée. Et il n’en saura probablement jamais rien.

La joie que je ressentais quand mon regard est tombé sur lui dans l’entrée est toujours là, quelque part en moi, mais masquée par une lourde couche d’autre chose. De la lassitude, une profonde fatigue, une infinie tristesse qui ne me donne même plus envie de me battre. Il est en vie, on s’est plus ou moins retrouvés, et c’est la plus grande victoire qui me soit arrivée ces derniers temps, suffisante pour que j’en reste là aujourd’hui. « -Tu sais…le mec avec qui je vivais dans le laboratoire, qui partageait nos dîners à Naya et moi, qui est venu à ma sortie de l’Académie…ce mec-là me manque. Lui…lui, il aurait essayé de comprendre pourquoi j’ai pris ces décisions-là, il aurait cherché l’explication qui lui manque, il aurait posé les bonnes questions au lieu d’agir et de me condamner comme toi tu l’as fait. La pâle copie que j’ai devant moi ne lui ressemble en rien, et je ne sais pas qui est cette personne avec les mêmes traits que celui qui a toujours été mon meilleur ami. Si tu retombes sur lui un jour, dis-lui que je l’aime, et que j’espère qu’il reviendra vite. » Mes yeux s’embuent dangereusement, et après quelques secondes de plus, mon regard fixé dans celui d’Aaron, je lui tourne le dos, et esquisse des pas maladroits vers la sortie, en sifflant Bandit pour qu’il me suive. Une larme solitaire échappe à ma vigilance, et je l’écrase du pouce sans lui laisser le temps de parcourir ma joue. Pour des retrouvailles tant attendues, j’admets que l’on s’est bien loupés, et que nous sommes deux à blâmer pour cela. Mais j’imagine qu’il a raison sur un point, on ne parviendra pas à s’entendre, pas ce soir, peut-être même jamais sur ce sujet, et je suis soucieuse de limiter les dégâts. La seule solution est encore de battre retraite, même si ça fait un mal de chien à chaque pas qui m’éloigne davantage de lui, et d’espérer que la prochaine fois que l’on se verra, on saura mettre de côté nos différents pour apprécier réellement la présence de l’autre.

Aucun son ne retentit derrière moi, aucun bruit de pas précipités pour me rejoindre. J’ignore ce que fait Aaron, mais une chose est certaine, il ne compte pas me rattraper, et s’arranger pour qu’on ne se quitte pas sur une dispute. Ça non plus, ça ne lui ressemble pas vraiment. A croire que l’homme que j’ai quitté malgré moi au labo n’existe plus, remplacé par cette version froide, colérique, et dure que je ne lui ai jamais connu. Je n’ai certainement pas été tendre non plus, je le reconnais volontiers, mais qu’il refuse de comprendre que je n’ai pas choisi de partir, et de ne jamais revenir, que je ne peux pas rentrer avec lui pour l’instant, ou même que cette séparation a été aussi difficile pour lui que pour moi m’agace. Et ces mots qu’il a eu à l’encontre d’Isha, sans même avoir échangé plus de trois mots avec lui, ne m’ont pas plu. J’ai toujours laissé leur chance à chacune des nénettes qu’il m’a présenté, ne peut-il pas en faire autant avec le seul homme que j’ai porté à sa connaissance ?

Je chasse toute trace de larmes de mon visage, et me sèche les yeux avant de quitter cette maison de malheur. Je sais qu’à la moindre trace suspecte, Isha serait encore capable de rentrer comme une furie dans la maison pour s’expliquer avec Aaron, et je sais d’avance que ce ne sera pas une bonne idée. A cet instant, je n’ai plus qu’une envie, tout à fait contradictoire avec les mots que j’ai tenu au dresseur canin quelques instants plus tôt, rentrer à l’arène, m’enfermer dans notre chambre, et attendre demain, qui sera forcément une meilleure journée qu’aujourd’hui. Le gladiateur se tourne vers moi dès que j’ai quitté la maison, et j’évite son regard alors que la portière s’ouvre déjà. Je laisse Bandit s’installer, non sans mal, dans la voiture, et grimpe à mon tour sur le siège passager, claquant la portière avec un peu trop d’entrain, emportée par ce tumulte de sentiments qui germent en moi.

Comme un robot, je m’attache, et fixe mon regard sur le chien, qui n’est jamais rassuré lors des trajets en voiture. Machinalement, mes doigts se perdent dans ses poils, derrière ses oreilles, et j’ai l’impression que ça nous apaise, aussi bien lui que moi. Quand Isha me demande si Aaron ne vient pas avec nous, je me contente d’un simple « non », sans lever les yeux vers lui. Il est hors de question qu’il vienne à l’arène, où vit Joshua, qui lui a coupé l’annulaire sans même sourciller, juste pour le plaisir. Je ne l’ai de toutes façons même pas proposé au barbu. Il vit à Fort Hope désormais, dans un camp protégé, et il me semblait hors de question de lui suggérer de quitter ce lieu là pour rejoindre celui où vit un sociopathe qui s’est déjà attaqué à lui par le passé. « -Roule, s’il te plaît. » C’est dit doucement, mais avec fermeté, une façon de faire comprendre à Isha que le sujet est clos, et que nous rentrerons seuls ce soir.