Étant parvenue à sortir de Fort Hope pour partir à la recherche d’Ezra, me voilà qui me balade à nouveau dans les rue désertes. Voilà un moment qu’il n’est pas revenu au campement et ça m’inquiète vraiment. J’espère qu’il n’a pas été mordu, je ne sais pas si je supporterai l’idée de perdre encore quelqu’un. Foutu communauté de bisounours à la con! Je savais bien qu’il ne fallait pas que je m’attache…et pourtant, je pense à tous ceux à qui je tiens déjà. Il ne suffit que d’un monstre pour tous les tuer. D’ailleurs, je suis passé à notre ancienne planque à papa et moi, et évidemment, il n’est jamais revenu. À quoi bon entretenir un faux espoir pour lui…ou même pour Ezra? Ils sont surement morts tous les deux.

Je me traine les pieds dans la neige. La foutu neige! J’en ai vraiment marre du froid, mais au moins j’ai apporté quelques provisions et je ne crèverais pas de faim cette fois.

Ma balade a fini par me conduire dans un endroit que je ne connais pas vraiment. Il y a ce grand stade qui apparait devant moi et ça me fais sourire. Ça me rappelle une fois où on était allé voir une partie de baseball avec l’école. On c’était bien marré! Mais maintenant, y a plus vraiment de raison de se marrer. Je savais bien que Fort Hope n’était qu’une illusion, une façade. Pourtant je meure d’envie d’y retourner. Danser avec Joy, forger avec Adam, flirter avec Ryan, aller voir les lapins avec Ezra …ouais cette bande de con, me manque déjà! Je préfère partir maintenant et garder un bon souvenir d’eux…avant qu’ils ne se fassent tous tuer.

Puisque je commence à être fatiguée et que je m’ennuie, je décide de me mettre à la recherche d’une maison encore fermée à clé. Je ne mets pas longtemps à tomber sur un petit appartement encore verrouillé. Si ça se trouve, la porte arrière ne l’est pas ou on a brisé une fenêtre pour entrer, mais je m’en fiche, j’ai juste envie d’un défi. Fouillant dans mon sac à dos rose, j’en ressors Boubou, ma peluche; et d’un petit trou dans une couture, j’en extrais les outils de crochetage que j’ai volé à papa. Fourrant les tiges métalliques dans le trou de la serrure, je me penche pour pouvoir me concentrer sur mon travail. Les conseils de papa trottent dans mon esprit en même temps que le déclic final se fait entendre. Tournant la poignée de la porte, je m’exclame joyeusement :

«Tadam!»

Je sais bien que personne n’est là pour m’entendre, mais ça me fait du bien de déconner un peu. À Fort Hope je n’avais pas vraiment l’occasion de pratiquer mes talents. En fait, j’avais même préféré les taire. Va savoir ce qu’ils auraient pensé de moi, si j’avais osé tout raconter. Ils sont tous tellement gentil. D’ailleurs, c’est peut-être pour ça que je ne me suis jamais senti à ma place là-bas.

Soudainement, un de ces foutu monstres sort de l’appartement pour foncer droit vers moi. Empoignant le couteau à ma ceinture, je ne suis pas assez rapide et par réflexe je bondis vers l’arrière. Mes pieds atterrissent dans le vide et je tombe du perron, à la renverse. P*tain! Je me traine par terre, un peu plus loin et d’un seul bond, je me remets sur mes pieds. La lame de mon couteau fend l’air pour aller se planter dans la tête du mort-vivant, qui a aussi sauté en bas du perron. Heureusement qu'Adam m'a donné quelques cours! Voilà que le mort s’écroule par terre, avec mon poignard encore planté dans son crâne. Je me penche pour le lui retirer, à deux mains. Mais au moment où la lame quitte sa tête, je ne m'y attendait pas, et je tombe encore une fois à la renverse.

«P*tain de m*rde!»

Je me relève, hors de moi. J’en veux à papa de m’avoir laissé toute seule, à Fort Hope de m’avoir donné de faux espoir et à Ezra de s’être barré! Furieuse, je donne quelques coups de pied au mort avant d’éclater en sanglot, comme une pauvre idiote! C’est que franchement ça fait un bail que j'en ai marre de ce monde pourri!

Je suis toujours en train de pleurer, au moment où une jeune femme s’approche de moi pour me demander ce qui se passe. Je ne l’ai jamais vu avant, je ne pense pas qu’elle soit de Fort Hope. Son visage est froid et elle semble prête à dégainer, ce qui me confirme qu’on ne s’est jamais vu. Par réflexe je fais un bond vers l’arrière et me met sur mes gardes. Je tiens mon poignard devant moi, mais la vérité c’est que j’en ai plus grand-chose à faire. Il m’arrive même de me demander pourquoi je m’obstine à lutter. Ne me sentant pas tellement menacé, je baisse mon arme. J’ignore qui est cette pauvre fille, mais tant qu’à piquer une crise, autant avoir un spectateur, non? La colère reprend le dessus sur la tristesse et j’explose de rage :

«J’en ai marre de ce monde pourri! Tout le monde crève ou disparait! J’aurais pas dû me joindre à cette communauté de m*rde…et surtout pas m’attacher aux gens!»

Je désigne le rôdeur d’un geste de la tête :

«Y vont tous finir comme ça de toute façon! Comme Maman…comme papa…et sûrement Ezra aussi!

Pourquoi ont continuent de se battre, hein?! Pour crever de faim dans les rues? Ou ben pour vivre dans l’illusion au ''Fort de l’espoir''? Pfff!»

J’ai prononcé le nom de la communauté avec moquerie. Je les adore ces gens, mais franchement ils sont un peu naïf. Ils s’accrochent à notre ancienne vie, alors que c’est évident qu’on ne la retrouvera jamais. Même si on finissait par vaincre la maladie qui relève les morts, rien ne serait plus pareil. Ont à tous fait des choses terribles pour survivre. La moitié d’entre nous, sont déjà barjo. Je suis, moi-même, à deux doigts de le devenir.

Me calmant un peu, je m’assoie sur le perron du petit appartement. J’essuie mes larmes du revers de la main et je sors mon paquet de cigarette pour m’en allumer un bout. C’est la première fois que je fume devant quelqu’un, mais là j’en ai plus rien à battre de ce qu’on pense de moi. J’ai joué la comédie bien assez longtemps, maintenant j’ai envie d’être moi-même. Je lève la tête vers la jeune inconnue, comme si j’essayais de lire en elle. Qu’est-ce qu’elle pourrait bien faire d’une gamine paumée? Vaudrait bien mieux pour elle, qu’elle continue son chemin.