Juliet est une personnalité plutôt complexe. Elle a beaucoup évolué au fil des âges et elle est radicalement différente de celle qu'elle fût, il y a des années en arrière. Petite, Juliet était une enfant rêveuse et joyeuse. Désireuse de découvrir le monde, tout trouvait de l'intérêt à ses yeux. Surtout l'art. Cette passion est bien la seule chose qui ne l'a pas quittée, encore maintenant dans ce monde infesté de créatures mangeuses d'hommes. Elle était une gamine tête en l'air, constamment dans sa bulle, trop éloignée de ce monde pour se rendre compte de l'influence de ses parents sur elle. Puis, en grandissant, son désir de découvrir le monde qui l'entourait a pris le pas sur le reste. Elle n'est pas partie bien loin et à la place du monde, elle a découvert Logan. Dans un sens, cet homme fut son monde. A ses côtés, elle s'est révélée être une personne aventureuse et téméraire. Tout lui semblait possible. Ensuite, il y a eu Eulalie et là, son monde s'est écroulé. Si l'enfant est la prunelle de ses yeux, elle l'a ramenée sur Terre avec brutalité. Depuis là, Juliet est devenue une personne rationnelle, se servant de sa tête uniquement pour prendre des décisions qui reviennent à une mère. Elle ne rêve plus, elle est brisée au fond d'elle même. Ses parents, en la convainquant de se séparer du père de sa fille, ont fait éclater son âme en un milliard de petits morceaux. Pourtant, têtue comme une mule, Juliet s'est servi de cette fêlure pour avancer. Elle a appris à faire avec. Il paraît que ce qui ne nous tue pas nous rends plus fort. Alors, même si les remords et les regrets menacent de la consumer, elle avance. Elle le doit bien à Eulalie.

Juliet est née un 25 décembre, au fin fond du Michigan, dans une famille prédestinée à ne pas avoir d'enfant. Après des années d'essais infructueux, ses parents s'étaient faits à l'idée de ne jamais pouponner. Pourtant elle est arrivée, quand l'espoir semblait mort. Depuis sa naissance Juliet est couvée, sur-protégée du monde extérieur par des parents parfois trop aimants. Petite, elle ne s'en formalisait pas vraiment, elle était trop occupée à rêver le monde et à feuilleter d'énormes bouquins consacrés à l'art. A son sixième anniversaire, son père l'a emmenée dans un musée et elle est restée des heures durant, assise devant un tableau qu'elle trouvait somptueux. Sa passion est née de cette manière. Ses parents, ne connaissant aucune difficulté financière, l'ont inscrite à un cours de peinture. Elle le fréquentera assidûment, jusqu'à son dix septième anniversaire.

Ce jour là, en descendant prendre son petit déjeuner, elle surprends une conversation entre ses parents. Ils ne veulent pas qu'elle fasse de la peinture son métier. Selon eux, l'art ne peut pas être considéré comme une profession, c'est tout juste un passe temps. Juliet a alors réalisé que, depuis sa naissance, ils décident tout à sa place. Ils l'ont inscrites dans des établissements privés, elle a dû se mettre au soccer pour eux alors qu'elle déteste le sport, elle a participé gentiment à des œuvres caritatives et des galas de charité. Mais c'est terminé maintenant. Elle n'ira pas dans la faculté qu'ils ont choisi pour elle, elle n'étudiera pas la finance comme son père l'exige. Elle ne veut pas reprendre l'entreprise familiale. Désobéissant pour la première fois à un ordre parental, elle s'est inscrite au Burlington College, dans le Vermont, à neuf heures de route du domicile familiale. Pour ses parents, la pilule est difficilement passée. Mais ils ont préféré la laisser partir plutôt que de se brouiller avec leur unique enfant.

Elle a commencé à travailler dans un petit café, à deux pas de la faculté. Juliet n'a pas besoin de cet argent pour vivre, ses parents couvrant plus que largement les frais de sa scolarité. Mais elle a envie, pour une fois, de ressembler à une étudiante lambda. Un jour, il est venu dans le café. Puis le jour d'après. Puis encore le jour d'après. Chaque fois, il lui commandait un café et rien d'autre. Juliet n'a pas compris tout de suite qu'elle avait tapé dans l’œil de ce jeune homme, un peu plus vieux qu'elle, aux allures de mauvais garçon. Elle souriait bêtement quand elle voyait l'Aston Martin verte se garer devant la porte de l'établissement. Quand il a s'est finalement décidé à l'aborder, elle a accepté avec surprise mais aussi une joie non feinte. Et ce fut là, le début d'une histoire qui aurait dû finir autrement.

Logan. Il la faisait rire, il illuminait ses journées. Elle l'a aimé, comme jamais elle ne se pensait capable d'aimer. Il l'a aimée, comme jamais elle ne pensait être aimée un jour. Leur amour était pur et vrai. Ils le nourrissaient de petites choses simples, de petites attentions sans prétention. En sortant du travail, elle filait au garage avec un donut et un café bien chaud. Parfois, il venait la chercher et ils taillaient la route à bord de l'Aston Martin verte. Souvent, Juliet s'endormait sur le siège passager et quand elle se réveillait, elle découvrait un paysage différent. A sa manière, Logan lui faisait découvrir le monde. Logan n'avait pas un sou, il vivait dans un minuscule appartement et travaillait comme mécano dans un garage. Mais Juliet s'en fichait. Peut être qu'il n'était pas l'homme que ses parents souhaitaient pour elle, mais elle s'en fichait. Ils s'aimaient, bien plus que quiconque pourrait le comprendre. C'est le genre d'amour ne peut pas disparaître, quoi qu'il se passe.

L'histoire ne s'est pas bien terminée. Loin de là. Elle est tombée enceinte à un âge bien trop jeune pour cela. Elle avait vingt-deux ans, elle avait encore la vie devant elle. Alors, elle va prendre la décision la plus stupide de sa vie. Au lieu de l'annoncer à Logan, elle l'a dit à ses parents. Et ils ont fait ce qu'ils font de mieux. Ils l'ont convaincue de rentrer, de laisser cet homme pas assez bien pour elle, ils lui ont dit que Logan n'arriverait pas à subvenir à leur besoin. Ils se sont basés uniquement sur son emploi. Comment un garagiste pourrait élever un enfant et assumer les études de la mère ? Elle les a écouté et elle est partie. Elle est rentrée dans le Michigan. Juliet faisait bonne figure mais il n'y a pas un soir où elle n'a pas pleuré. Vous n'imaginez pas comme c'est triste de sentir son enfant à naître bouger sans que le père ne soit là pour en profiter.  

Pourtant, le temps a passé et s'il n'a pas refermé les blessures, il les a tout de même pansé. Eulalie est née et Juliet a appris à vivre avec le vide laissé par Logan. Elle a enfin accepté son attirance pour les femmes, bien que cela soit plus par dépit qu'autre chose. Logan est et restera le seul homme de sa vie. Cela rien ni personne ne le changera. Pendant trois ans, elle a habité chez ses parents avec sa fille. Elle a assouvi sa passion en travaillant dans une galerie d'art. Aussi régulièrement que possible, elle envoyait des photos d'Eulalie à son père. En cachette de ses parents, jusqu'à ce qu'ils le découvrent et qu'une dispute éclate. Juliet est partie avec sa fille sous le bras et un énorme chèque de son père. Sûrement une manière de se faire pardonner. Elle a ouvert une galerie d'art à Détroit, occupant l'appartement situé au dessus de celle ci.

Pensant pouvoir tout reprendre de zéro, elle a reprit contact avec Logan. Mais les choses ne se sont pas passées comme elle l'escomptait. Les retrouvailles n'ont pas été joyeuses et Juliet a pris pleinement conscience que le mal qu'elle lui a fait est irréparable. Elle a brisé leur famille, elle a fait volé en éclat leur conte de fée. Les relations entre Eulalie et son père étaient tendues, la petite lui reprochant son absentéisme. Elle est trop petite pour comprendre que ce sont les choix de sa mère qui ont amené cette situation. Logan est reparti et, pour la seconde fois en moins de dix ans, Juliet a laissé filer l'amour de sa vie.

Jusqu'à l'épidémie, elle ne pensait pas que sa vie pouvait encore empirer. Mais ça, c'était avant l'invasion de ces créatures. Juliet a tenu à rester aussi longtemps que possible dans sa galerie avant de se rendre à l'évidence. Elle n'y arrivera pas seule. Alors, elle a chargé la voiture avec l'essentiel puis elles sont parties. Juliet a roulé jusqu'à ne plus avoir d'essence puis elle a marché, ce qui lui a semblé une éternité. Tétanisée par les zombies et bien incapable de se défendre, elle se contentait de se joindre à un groupe la journée et se terrer dans un endroit clos la nuit. Jusqu'au jour où elle est arrivée, complètement épuisée, à l'hôpital St John. Elle a demandé asile et les militaires leur ont fait une place, à elle et Eulalie. Depuis, elle survit là, entre les quatre murs de la morgue.

Lors de leur première nuit dans cet endroit lugubre, pour la première fois en neuf ans, Eulalie a réclamé son père.