[2 Juin 2017] Parmi les arrangements négociés avec Logan lors de son entrée à Fort Hope, Will s’était assuré que figure en bonne place un passe-droit concernant ses services rendus à la communauté. Chaque habitant du camp se devait de participer pour améliorer la vie et le confort de tous, mais contrairement à la plupart, l’ingénieur n’occupait qu’une seule et unique responsabilité et elle ne lui prenait pas autant de temps que ne l’avait envisagé le géant en lui accordant ce droit. Will s’en vantait souvent, fier et heureux d’avoir fait plier le froid colosse de Détroit dans une démarche purement orgueilleuse. Du moins, il s’en vantait encore quelques semaines plus tôt. Ces temps-ci, il n’aimait plus tellement avoir autant de temps libre. Car qui disait n’avoir rien à faire, disait aussi de longues périodes gracieusement offertes à se retrouver en tête à tête avec soi-même. Non pas que le jeune homme n’apprécie pas sa personne, bien au contraire, peu pouvaient se targuer de compter plus que lui-même à ses yeux. Il n’y avait probablement qu’Elias, en fait. Seulement, il n’était pas vraiment le genre à se remettre en question et quoiqu’il fasse preuve d’une impressionnante capacité de jugement et d’une réflexion étonnement profonde, il fuyait l’introspection comme la peste. À quoi bon se remettre en question quand on pouvait tout simplement réfléchir et prendre la bonne décision dès le départ, après tout ? Seulement voilà, les choses changeaient. Entre son séjour en tant que captif chez Maryse, les difficultés dans son couple et la fausse-couche d’Azia… Will découvrait, dans la douleur, que la cage dorée dans laquelle il avait vécu vingt-six ans ne l’avait pas accompagné dans l’Apocalypse. Il était cependant trop têtu pour accepter de parler à quelqu’un des doutes et des questionnements qu’il traversait ces temps-ci et préférait largement jouer le rôle du petit crétin qu’on connaissait et qu’on aimait. Rien ne lui allait mieux au monde qu’un air supérieur et une remarque bien sentie. Ça suffisait à donner le change pour son public, mais pas pour lui.

Un autre monologue interne sur sa presque paternité l’avait accompagné toute la matinée, ce jour-là et rendu si nerveux et agacé qu’il ne supporta bientôt plus le silence régnant partout dans la maison d’Elias. Les sentiments trop contradictoires et échappant à toute forme de logique ne lui réussissaient pas le moins du monde. Il lui fallait une réponse claire et définitive, suivant une logique presque cartésienne, pour se sentir mieux. Et à l’issue d’une trop longue réflexion, il en était venu à une conclusion simple : se confronter à la réalité. Cette technique se révélait un franc succès pour lui remettre les pieds sur Terre, dernièrement. Il fit donc un rapide tour jusqu’au siège du gouvernement fort hopien pour s’assurer que Logan n’était pas chez lui et quand on lui confirma que le leader se trouvait bel et bien à son bureau, il ne prit pas la peine de répondre à la jeune femme qui lui demanda s’il voulait le voir et tourna simplement les talons. Moins de cinq minutes plus tard, il se tenait devant la porte de la maison du géant et frappait dessus avec fermeté. Il n’avait aucune idée de qui il trouverait de l’autre côté, mais il devait bien y avoir une baby-sitter de garde pour prendre soin des deux petites Carter. En attendant qu’on vienne lui ouvrir, il pria pour que ce soit quelqu’un qu’il puisse supporter sans trop de mal. Cet espoir s’envola aussitôt que la petite brune autoritaire du coin apparut dans l’encadrement. “Alexandra ! Bonjour !” lança-t-il tout de même, affichant un grand sourire hypocrite de circonstance. Will Burbank n’était pas connu à Fort Hope comme le gentil voisin sociable et souriant. On pouvait s’estimer chanceux quand il se souvenait de notre nom ou qu’il s’adressait à nous autrement que par un sarcasme frôlant l’irrespect. Mais il savait faire les efforts nécessaires quand il voulait obtenir quelque chose, précieux héritage d’une enfance passée dans les cercles politiques.  “J’espérais que ce soit à toi que Logan ait confié ses filles ce matin. J’ai à te parler, je peux entrer ?” Il fit aussitôt un pas en avant, de façon à ce que la jeune femme comprenne bien qu’il ne demandait que par politesse et rien d’autre. Il doutait qu’elle se laisse faire si elle ne voulait vraiment pas de lui chez elle, mais il avait bon espoir qu’elle fasse passer ses bonnes manières avant l’antipathie qu’il inspirait naturellement.

Ce matin, Alex avait proposé à Logan de veiller sur Octavia et Mila. Son ami avait des choses à faire au bureau et la jeune femme n'avait rien de prévu. Elle se doutait fortement que ces fameuses choses à faire n'étaient qu'un prétexte pour ne pas s'occuper des filles, ce qu'Alex regrettait. La plupart du temps, lorsqu'elle rentrait le soir, elle trouvait quelqu'un à la maison en train de s'occuper des filles, parfois c'était Juliet, d'autres fois Alix ou encore d'autres habitants ou habitantes de Fort Hope mais rarement Logan. Elle espérait qu'avec le temps, il arrive à surmonter son deuil mais elle ne savait pas vraiment que faire pour l'aider... Elle était triste pour ses filles, surtout Octavia qui réclamait son papa...
Alex s'était donc levée tôt ce matin et s'était préparée un petit déjeuner. Alors que son café venait tout juste d'atteindre une température idéale, Alex entendit Mila pleurer dans sa chambre. Tant pis pour son café, elle attrapa un biberon, mit le lait à chauffer puis, elle rentra dans la chambre où la petite fille venait de se réveiller. Après l'avoir nourrie et changée, ce fut Octavia qui se réveilla. Alex lui servit également son petit déjeuner. La jeune femme habilla ensuite les deux petites filles. Finalement elle prenait plus de plaisir à s'occuper des filles qu'elle ne l'aurait cru. Elle ne s'était pas beaucoup occupée de Peter lorsqu'il était bébé. A l'époque, elle était jeune, avait d'autres préoccupations comme celles de croire naïvement qu'elle pouvait changer le monde, et surtout, elle n'avait pas de situations stable. Elle était passée à côté de toute la vie de son fils, persuadée qu'l était entre de bonnes mains et que ce qu'elle faisait était plus important. Elle prenait conscience maintenant qu'elle ne pourrait plus jamais revenir en arrière. Longtemps elle avait cru qu'un bébé se contentait d'être nourri et changé et n'avait pas grand intérêt, mais ces deux petites filles-là changeaient sa manière de voir les choses. Non pas qu'Alex se revoyait fonder une famille, elle restait toujours persuadée qu'élever un bébé dans ce monde n'était pas une bonne idée et était trop risquée, mais elle se surprenait à sourire béatement à Mila ou à gazouiller pour la faire sourire. Bien évidemment, elle s'assurait que personne ne remarquait son comportement. Il ne manquerait plus que quelqu'un la voit dans ce petit moment de faiblesse.

Une heure plus tard, Octavia jouait tranquillement et Mila semblait s'être replongée dans un profond sommeil, Alex se refit donc chauffer son café puis s'assit pour le boire tranquillement. Ce fut alors que quelqu'un frappa à la porte. Autant pour les petites, Alex ne disait rien et faisait preuve d'une grande patience, après tout, leurs besoins passaient avant les siens, c'était bien normal. Autant être dérangée par un adulte alors qu'elle était en train de boire son café, ça la contrariait vraiment. Elle se leva et ouvrit la porte. La vision de Will n'arrangea en rien sa mauvaise humeur. Elle ne répondit pas à son bonjour et le laissa lui annoncer les raisons de sa venue. Will lui dit qu'il avait à lui parler et fit un pas en avant pour rentrer. Alex cala fermement son pied contre la porte de sorte qu'elle ne s'ouvrit pas et que Will faillit se la prendre en plein dans le nez. "Vas-y je t'écoute." lui répondit-elle sèchement. Que croyait-il ? Qu'elle allait lui ouvrir la porte, l'inviter à rentrer et à boire le café comme des vieux amis ? Elle ne le connaissait pas vraiment mais sa réputation l'avait devancé et elle n'avait nullement envie de faire plus ample connaissance. Souvent Logan lui avait rapporté des faits ou paroles de Will et il ne lui en fallait pas plus pour coller une étiquette d'emmerdeur sur le front du jeune homme. "Dépêche-toi, j'ai à faire." Le ton était donné. Alex n'avait pas envie de s'éterniser. Son café allait refroidir ce qui allait fortement l'irriter.

Tout le monde n’était pas taillé pour une vie en société. Quand Will vit la porte frôler dangereusement son parfait visage, il comprit qu’Alex était de ces personnes taillées pour la survie, mais pas dans les cercles politiques. Elle ne devait sa place dans le petit gouvernement de Logan que par celle qu’elle occupait dans la vie privée de l’homme et nullement grâce à ses talents de diplomate. Ça lui était bien égal, honnêtement, hormis à cet instant où il avait besoin de se rapprocher d’elle et que ses chances de mener ce projet à bien se réduisaient brusquement. Il cligna des yeux, décontenancé, avant de planter son regard sur le peu qu’elle laissait voir de son visage. À vrai dire, il n’avait pas spécialement pris le temps de se préparer avant de venir frapper à sa porte. Alors maintenant que la jeune femme exigeait de l’entendre parler avant de le laisser éventuellement entrer… Il devinait même qu’elle n’aurait aucun scrupule à le laisser sur le pas de la porte s’il ne trouvait pas le mensonge parfait. “Quel accueil chaleureux…” grogna-t-il, juste assez fort pour qu’elle l’entende. Ça ne jouait pas en sa faveur, mais il était un peu trop pris par surprise, là. Et sa fierté de petit garçon pourri gâté en prenait un coup chaque fois qu’on lui refusait quelque chose ou qu’on restait froidement insensible à son charme. Il se redressa légèrement, histoire de se tenir un peu plus droit et un peu plus grand, pour se donner l’apparence d’un homme assuré loin d’être vexé qu’on le repousse si durement. Il avait réussi à survivre des années au milieu d’une horde de politiciens vicieux et prêts à tous les coups bas pour réussir, réussi à s’affirmer et à grandir malgré son homosexualité dans un univers aussi étriqué et propice aux jugements et aux ragots… ça n’était pas un minuscule petit bout de femme qui lui résisterait, n’est-ce pas ? “Je souhaitais discuter avec toi de mes avancées sur les installations électriques du camp…” mentit-il en regardant brièvement loin des yeux d’Alex. “Logan adore collaborer avec moi sur ce sujet, d’habitude, mais il a l’air assez occupé en ce moment, alors je me suis dit qu’il valait mieux me tourner directement vers son bras droit plutôt que de lui faire perdre du temps.” Un sourire faux étira ses lèvres quelques secondes, mais bien avant que la jeune femme n’ait eu l’occasion de lui répondre, il sut qu’il perdait définitivement son temps avec elle.

Peut-être qu’il aurait pu convaincre la blonde, voire même agacer assez Logan pour qu’il baisse les bras, mais Alex… Il ne la connaissait même pas et il devinait déjà qu’elle n’accepterait jamais de jouer à ce petit jeu avec lui. Un soupir lui échappa et il baissa les yeux vers le sol en même temps que ses épaules s’affaissaient en signe de reddition. Il n’était pas plus convaincu qu’elle accepte de l’aider s’il se montrait tout simplement honnête, hélas ça restait sa seule solution. Et même en sachant cela, une part de lui entretenue par l’orgueil peinait à lâcher prise. Il inspira et se força à lui faire face de nouveau, effaçant toute trace de fierté de son visage pour tenter une approche un peu plus sincère. “Ecoute… J’ai besoin d’aide pour quelque chose. Ça m’ennuie autant que toi de venir chercher de l’aide ici, mais tu es la seule à qui je peux en parler à l’heure actuelle.” Il passa une main dans ses cheveux dans un geste trahissant toute sa nervosité. Il avait un mal de chien à s’exprimer plus clairement que ça et ne se sentait vraiment pas prêt à tout déballer sans un minimum d’enrobage. “C’est un problème très… personnel. Je n’ai pas vraiment envie d’en discuter sur le pas de la porte. Je comprends que tu n’as aucune raison de me tendre la main, mais c’est vraiment important. Je ferais ce que tu voudras en échange. Est-ce que je peux entrer, s’il te plait ?” Avoir des dettes ne lui réussissait pas vraiment, mais c’était ainsi que fonctionnait leur monde désormais, n’est-ce pas ?

Lorsque Will lui répondit en grognant que son accueil était chaleureux, Alex lui répondit par un sourire tendant plus vers la grimace ironique. Elle restait froide face à lui, lui laissant clairement comprendre qu'il lui faisait perdre son temps. La jeune femme jeta un coup d’œil à l'intérieur de la maison où Octavia continuait à jouer tranquillement nullement troublée par ce qui se passait à la porte d'entrée. Alex laissa échapper un petit soupir avant de se retourner vers Will. Le jeune homme évoqua le sujet d'installations électriques qu'il devait voir avec Logan mais comme il ne voulait pas le déranger, il voulait voir ça directement avec elle. Alex leva un sourcil et lui répondit : "Tu ne penses pas que ça pouvait attendre que je sois au bureau ? Tu crois vraiment que c'est assez important pour me déranger ici chez moi ?" Elle n'y allait pas de main morte mais elle voulait lui faire comprendre que ces petites affaires d'installations électriques étaient loin d'être une priorité pour elle et qu'il aurait mieux fait de rester chez lui et d'attendre plutôt que de la déranger chez elle. Cette histoire  sentait le mensonge à plein nez. Will ne la regardait même pas dans les yeux et semblait avoir autre chose sur la conscience. Alors qu'elle allait lui répondre qu'il n'avait qu'à repasser dans l'après midi et qu'elle serait alors plus disposée pour en parler, Will changea d'attitude.

Le jeune homme semblait décider à changer d'attitude face à elle. Il lui avoua qu'il avait quelque chose à lui demander et qu'il n'était pas aussi ravi que ça à l'idée d'évoquer ça avec elle. Alex apprécia son honnêteté et il avait attisé sa curiosité. Elle le regarda quelques secondes, se demandant quelle conduite adopter. Une grande partie d'elle-même avait vraiment envie de lui dire d'aller voir quelqu'un d'autre et qu'elle avait autre chose à faire que de s'occuper de ses petits problèmes. Mais une partie plus infime d'elle avait envie de savoir ce qu'il voulait. Par chance pour Will, ce fut cette dernière partie qui gagna. Avec un petit soupir, elle lui dit : "Vas-y rentre." Alex s'effaça pour le laisser passer. Mila dormait toujours mais Octavia, lorsqu'elle le vit rentrer, trouva refuge dans les bras d'Alex. La jeune femme montra une chaise à Will et lui fit signe de s'y asseoir. "Tu veux un café ?" C'était le jour de chance de Will apparemment, habituellement elle n'était pas aussi.. aimable. Mais elle sentait que cette histoire allait prendre du temps alors autant finir de boire son café qui refroidissait à vue d’œil. "J'espère que tu ne vas pas me faire perdre mon temps" ne put-elle s'empêcher de lui dire. Le ton était donné. Elle voulait bien être "sympa" quelques instants mais il ne fallait pas trop lui en demander. Elle posa une tasse de café chaude devant Will, prit sa propre tasse de café et quelques biscuits pour Octavia. Puis, elle s'assit face à Will. "Vas-y, je t'écoute."

Alex but lentement une gorgée de café. Bon sang ce que c'était bon. Elle était toujours de mauvaise humeur avant de boire son café. A vrai dire, elle l'était souvent aussi après mais la caféine l'aidait à se détendre. Octavia, assise sur ses genoux, grignotait son biscuit tout en fixant Will de ses grands yeux. Elle se demandait surement ce qu'il faisait là, chez elle, tout comme Alex se demandait également ce qu'il pouvait bien le lui demander. Pourquoi à elle ? Ils n'avaient aucun atome crochu et ne s'étaient jamais vraiment adressés la parole. Elle avait beau retourner la question dans sa tête, elle ne voyait vraiment pas ce qu'il pouvait bien lui vouloir.  

Les secondes qui suivirent furent parmi les plus désagréables de toute la vie de Will. Devoir rester là, à affronter le regard scrutateur de la jeune femme, après avoir montré sa vulnérabilité, ne lui plaisait guère. Il se sentait presque agressé et profondément vexé qu’on le force à laisser tomber les apparences pour obtenir gain de cause. Il détestait profondément les gens du peuple et leur incapacité à comprendre l’importance des faux-semblants dans les rapports sociaux. Après avoir passé sa vie entière à apprendre les codes et comment les utiliser pour survivre, ça le tuait de devoir s’en séparer même brièvement. Malgré tout, il resta planté devant Alex sans flancher le temps qu’elle prenne sa décision. Plus tendu que jamais, il attendit sagement jusqu’à ce qu’elle accepte enfin de lui donner une chance et qu’elle l’invite à entrer. Ses épaules s’affaissèrent subtilement quand il obtint enfin qu’elle coopère et il lâcha un discret soupir avant d’entrer dans la maison. Il venait rarement rendre visite à Logan chez lui et c’était même la première fois qu’il passait le pas de la porte. Ça lui semblait être la partie la plus difficile de sa mission et pourtant, une fois à l’intérieur l’angoisse remonta brusquement quand son regard se posa sur Octavia qui fonça immédiatement vers Alex. Will observa la petite fille avec un genre de curiosité mêlée de peur. Ça n’était pourtant pas la première fois qu’ils se retrouvaient face à face, mais ils semblaient tous deux aussi effrayés l’un que l’autre. Le jeune homme se força pourtant à s’installer sur la chaise que lui désigna son hôtesse, s’asseyant le dos bien droit et les mains posées sur les genoux comme s’il venait de prendre place dans la salle d’attente des Enfers et hocha la tête assez sèchement quand elle lui proposa un café.

Ces quelques minutes de répit furent les bienvenues, malheureusement il ne s’écoula pas assez de temps avant que la jeune femme ne revienne s’asseoir face à lui et qu’elle n’exige qu’il se mette à parler. Il était là pour ça, après tout. Il inspira un bon coup pour se donner un peu de courage et posa les yeux sur la fillette plutôt que sur la femme à qui il était censé s’adresser. Il n’avait pas tellement pris le temps d’envisager une conversation à coeur ouvert et maintenant qu’il était mis devant le fait accompli… Il n’y avait juste aucune chance qu’il y parvienne. “Tu n’étais peut-être pas au courant, mais Joy et moi, on était de bons amis.” lâcha-t-il après une éternité à chercher des mots qui refusaient de sortir. Ça n’était même pas tellement un mensonge. Will n’était pas tout à fait le genre d’homme à avoir des amis, mais il parlait avec Joy, il leur arrivait de passer du temps ensemble et de se rendre des services. Au final, elle était le plus proche d’une amie pour lui. Au point qu’il aurait même préféré que ce soit elle assise face à lui aujourd’hui, à elle qu’il puisse discuter de ce problème pesant douloureusement sur sa conscience. “Et je… Tu sais qu’Elias et moi, on héberge une amie en ce moment. Azia ? Elle…” Il ferma les yeux le temps d’une inspiration, ses doigts se crispant légèrement sur ses genoux. Alex n’était pas la jeune femme la plus avenante de tout ce camp, mais au fond mieux valait qu’il parle avec elle plutôt qu’avec Logan, n’est-ce pas ? Il voyait mal le géant d’humeur à lui accorder une chance ces temps-ci. “Elle était enceinte quand elle est arrivée à Fort Hope en Mars.” souffla-t-il en regardant obstinément le visage levé vers lui d’Octavia.

“Elias et moi, on envisageait de s’occuper du bébé après sa naissance, mais… Enfin, disons que ça n’arrivera pas, finalement.” Il croisa brièvement le regard de la brune pour se détourner aussitôt, cachant vite la grimace douloureuse imprimée sur ses traits. Si elle n’était pas trop stupide, elle devait certainement commencer à comprendre ce qui le préoccupait, bien que son discours soit particulièrement décousu. Et il n’avait franchement aucune intention de faire encore davantage d’efforts pour être compréhensible. “Tout ça pour dire que je voudrais… Est-ce que tu penses que je pourrais garder Mila de temps en temps ? Même sa soeur, s’il le faut. Joy était mon amie et, eh bien, j’imagine que vous devez avoir besoin d’aide pour gérer les enfants maintenant qu’elle n’est plus là. Logan et toi, vous avez beaucoup de travail, non ? Et la blonde qui vit avec vous n’est quasiment jamais là, alors… J’aimerais faire ça pour Joy. Elle aurait accepté de me confier sa fille si elle avait eu son mot à dire.” Au final, ça n’était pas exactement ce qui l’avait amené ici, mais ça suffisait. Il n’arrivait pas trop à s’imaginer parler plus ouvertement quand face à lui, son interlocutrice restait froide et coincée et lui donnait l’impression de lui faire subir un procès plutôt injuste. Et bien que ni Mila ni Octavia ne soient en mesure de l’aider à faire le deuil de sa brève paternité, peut-être qu’elles l’aideraient à réaliser qu’il n’était vraiment pas fait pour ça et qu’il n’y avait finalement rien dont il doive se remettre. Dans le cas contraire, quelques heures de babysitting par semaine suffiraient certainement à assouvir ce besoin perturbant qu’il ressentait.

Alex observa Will. Il semblait tendu, loin de l'attitude plutôt provocante et hautaine qu'il arborait habituellement. C'était ainsi qu'elle le voyait : Une personne se croyant au dessus des autres et à l'écart des règles. Alex accordait peu d'importance à ce genre de personnes, ils étaient trop différents. Elle préférait de loin l'action aux grands discours et pour elle, de belles paroles étaient inutiles pour survivre dans le monde où ils évoluaient aujourd'hui. Face à un rôdeur, à quoi servait la discussion ? A rien, alors qu'un bon coup de couteau dans le cerveau... il n'y avait rien de plus utile. Peut-être qu'autrefois on pouvait donner du pouvoir aux gens possédant un certain sens de la politique. Aujourd'hui, ça ne servait plus à rien. C'était ainsi qu'elle voyait les choses. Gérer sa population et ses individus tous plus différents les uns que les autres était une partie du travail à Fort Hope qu'elle laissait bien volontiers à Logan. Elle se chargeait plus des relations extérieures, des nouveaux arrivants. Certes, là aussi, de grands discours pouvaient être utiles mais ils n'avaient rien de politique, plutôt utiles et persuasif. En conclusion, Alex ne s'était jamais vraiment intéressée à Will. Elle préférait la compagnie de personnes pouvant lui être utile comme partenaire de sortie par exemple.

Will se lança enfin. Il lui dit qu'avec Joy ils étaient amis. Alex fronça les sourcils. Non, elle ne savait pas mais elle ne connaissait pas toute la vie de la défunte femme de Logan. Elles n'étaient pas vraiment amies et encore moins confidentes. Pour autant, elle n'avait jamais vu Will en sa compagnie ou venir lui rendre visite à la maison. "Non, je ne savais pas." dit-elle simplement. Elle ne mettait pas sa parole en doute, elle n'était pas au courant des moindres faits et gestes des habitants de Fort Hope. La jeune femme le laissa poursuivre sur son histoire, se demandant de plus en plus où il voulait en venir. Tout ça lui paraissait sans queue ni tête et elle comprenait encore moins ce qu'elle venait faire dans tout ça. Il lui expliqua qu'avec Elias, ils comptaient s'occuper du futur bébé de leur colocataire et que ça n'arriverait finalement pas. Will paraissait triste, et Alex émit simplement un petit "Désolée pour vous..." Elle ne souhaitait le malheur de personne ici, pas même des personnes qu'elle ne portait pas dans son cœur. La jeune femme fit descendre de ses genoux la petite Octavia qui s'impatientait et la regarda partir dans un coin de la pièce pour jouer avec ses petites poupées. La petite fille semblait avoir compris que Will ne représentait pas une menace pour sa petite sécurité.

Alex écoutait Will, se demandant sérieusement un instant s'il ne comptait pas lui demander d'adopter un des enfants de Logan vu que Joy était soi-disant son amie. Après tout, peut être avait-il entendu parler du mal être de Logan et du fait qu'il soit mal à l'aise avec le fait de s'occuper de la petite Mila. Mais non, il n'en était rien. Il lui demanda juste si c'était possible de s'occuper de temps en temps des deux enfants. La jeune femme fut surprise de sa demande. Will n'était pas le genre d'homme à vouloir prendre en charge des enfants. Il semblait plutôt du genre à s'occuper uniquement de sa petite personne. Vouloir agrandir sa famille avec Elias était une chose, vouloir s'occuper des enfants des autres en était une autre. Petit à petit, Alex comprenait que Will souhaitait surement faire son deuil de l'enfant qu'il n'avait pas eu en s'occupant d'autres enfants, ou bien peut être voulait-il juste se montrer qu'il était capable de s'occuper d'un nourrisson. Elle n'en savait rien et n'avait jamais été très psychologue pour analyser les autres. Pour autant, elle était embarrassée. Elle n'était pas sûre que Logan prenne bien le fait qu'elle autorise Will à s'occuper de ses enfants. "Ecoute, ta proposition est sympa mais..." Alex inspira doucement. "Mila et Octavia ne sont pas mes filles. Logan compte sur moi pour m'en occuper. Je ne peux pas te donner l'autorisation de t'occuper d'elle tant que je ne lui en ai pas parlé." Elle réfléchit quelques instants avant de continuer. "Peut être peux-tu en attendant, t'en occuper en ma présence ? Mila a besoin d'être changée et nourrie, tu veux t'en charger ?" C'était malheureusement tout ce qu'elle pouvait proposer à Will pour le moment. Peut être que Logan accepterait que Will s'occupe de ses filles, mais tant qu'elle ne lui en avait pas parlé, elle ne pouvait le laisser seul avec les deux enfants.

Posant son regard sur un point au hasard juste assez près du visage d’Alex pour qu’on imagine qu’il la regardait elle, Will ignora superbement les quelques mots de compassion que la jeune femme décida de lui adresser. Il ne chercha pas à savoir si elle était sincère ou simplement polie, ça lui était complètement égal et ça ne changeait rien de toute façon. Juste à parler du bébé, de la fausse-couche d’Azia, suffisait à raviver l’étrange douleur dans sa poitrine, semblable à ce qu’il aurait ressenti si on lui avait enfoncé une lame dans le coeur. Il aurait tellement voulu comprendre pourquoi. La logique, le domaine qu’il maîtrisait le mieux au monde, lui offrait bien quelques réponses, mais elles ne le satisfaisaient en rien. Il n’y avait jamais eu de bébé, pas réellement en tout cas. Rien d’autre que les images idiotes imprimées dans son crâne, fantasmes ou rêves, il ne savait pas. Il était censé être égoïste et immature, alors pourquoi est-ce que ça lui faisait quelque chose ? Et surtout, pourquoi semblait-il le seul à ce point touché par cette perte ? Ni Azia ni Elias ne lui donnaient l’impression de souffrir autant. Désormais habitué, Will se força à enfermer toutes ces questions et ces pensées dans une petite boîte qu’il rangea dans un coin de son crâne et continua de parler avec autant d’indifférence que possible pour formuler enfin sa demande.

Il ne s’attendait pas totalement à ce qu’Alex saute de joie une fois la question posée, ni à ce qu’elle lui colle les deux gamines dans les bras pour disparaître sur le champ. Dans les faits, il savait parfaitement qu’une telle requête venant de lui ne serait pas acceptée si simplement. Malgré tout, quand la jeune femme lui opposa quelques bons arguments pour refuser, il sentit la frustration gonfler un peu plus fort dans son coeur et eut à se mordre les lèvres pour ne pas répondre quoi que ce soit. Il inspira doucement pour se calmer et se força à regarder de nouveau vers Alex tandis que celle-ci proposait qu’il s’occupe de Mila maintenant, sous sa surveillance. Une chaleur étrange se répandit dans ses veines et il eut besoin de quelques secondes pour réaliser que c’était de l’angoisse. Mais il obtenait plus ou moins gain de cause, n’est-ce pas ? Et quelqu’un pourrait lui prêter main forte s’il foirait complètement… “Ok.” souffla-t-il en hochant la tête. Quelques secondes de réflexion n’auraient pas été de trop, mais s’il commençait à penser maintenant, ça lui ferait plus de mal qu’autre chose. À la place, il se remit debout presque dans un bond et s’offrit seulement de se composer un masque de tranquillité, tandis qu’il invitait Alex à mener la voie d’un geste de la main. Plongé dans un drôle de mutisme qui n’était pas très représentatif de sa personne, le jeune homme la suivit dans la maison jusqu’à ce qu’ils ne se retrouvent penchés sur la petite Mila, qu’il observa avec attention. Elle était terriblement minuscule, sa silhouette sans nul doute affectée par la malnutrition de sa défunte mère pendant la grossesse. Et il savait pourtant mieux que personne qu’elle mangeait plus que sa part lorsqu’elle était encore en vie, ne serait-ce que pour toutes les fois où il lui avait demandé de l’aide en cuisine et où elle s’était jetée sur les Dorayakis sous ses yeux horrifiés.

Du coin de l’oeil, Will jeta un regard à Alex avant de se pencher sur la fillette pour la prendre dans ses bras. Il se laissa un moment surprendre par son poids plume et son odeur, mélange de talc et d’autre chose un peu plus doux, par sa présence minuscule dans ses mains immenses et le battement presque affolé de son coeur, avant de la déposer avec douceur sur la table à langer. “Je n’ai jamais fait ça.” informa-t-il en lançant un autre regard en coin à Alex, la panique devenue un peu plus difficile à cacher. “Tu peux me montrer ?” C’était difficile, de ravaler sa fierté pour demander de l’aide, mais il était un peu sonné par la soudaine réalité de ce projet idiot, de Mila. “Elle ressemble à Joy, tu ne trouves pas ?” lâcha-t-il, ses yeux de nouveau fixés sur le bébé, ses traits tendus et sa gorge nouée. Elle avait encore le visage un peu rond, les traits pas encore totalement formés, mais il parvenait à voir la jolie rousse quelque part. Ou peut-être était-il seulement complètement idiot. Timidement, il approcha une main et laissa Mila s’emparer de l’un de ses doigts, retenant un sourire en se mordant le coin des lèvres. D’une certaine façon, elle l’effrayait prodigieusement, mais ça n’était pas entièrement désagréable non plus. Il était passionné, en tout cas, entièrement concentré sur elle quand il reprit la parole. “T’as déjà eu envie d’avoir des enfants ? Avant tout ça, évidemment. Je sais qu’il faut être complètement dingue pour vouloir devenir parent dans ce monde.” Sous le coup de la douleur et de la colère, il avait même balancé ces mots au visage d’une Joy enceinte de sept ou huit mois, son ton plein de fiel. Il se souvenait pourtant parfaitement du sourire qu’elle lui avait renvoyé, totalement indifférente à la colère de son ami. Sans doute parce qu’elle savait qu’elle n’était pas dirigée contre elle, pas vraiment. Et les mots qu’elle lui avait répondu… Ils tournaient encore en boucle dans son crâne, la nuit surtout, quand il n’arrivait pas à dormir et observait le plafond sans parvenir à chasser de ses yeux grands ouverts, les images sanglantes d’Azia repliée sur elle-même sur le carrelage de la salle de bain, ses larmes et ses cris de douleur, le sang sur ses doigts tremblants. La fin définitive d’un rêve que Will ne savait même pas avoir et dont la perte lui avait pourtant brisé le cœur. L’espoir que tout s’arrange, avait dit Joy. Il l’avait trouvé tellement idiote et naïve. Il l’aimait, de sa façon très personnelle, mais l’optimisme sans pareil de la jeune femme l’exaspérait toujours. Jusqu’à lui manquer, maintenant, quand il aurait eu besoin que quelqu’un lui dise qu’avec ou sans ce bébé, les choses finiraient par retrouver un sens.

Alex attendit que Will réfléchisse à sa proposition. Il finit par accepter et elle s'amusa un peu de sa réaction. Il parut paniqué et ne tarda pas à lui dire qu'il n'avait jamais changé de couche. Elle hocha la tête : oui elle allait lui montrer comment faire. Puis, Will affirma que Mila ressemblait à sa mère. Alex se pencha vers la fillette. Elle ne s'était jamais posé la question de savoir à qui ressemblait le plus le bébé. Elle avait des traits de son père, Logan et oui, peut être quelques-uns de Joy.  "Oui, je suppose qu'elle lui ressemble un peu..." Pour elle, Mila était Mila, une petite fille avec sa personnalité et son petit visage enfantin. Alex n'était pas du genre à gazouiller devant un bébé ou à vouloir à tout pris leur trouver des ressemblances à l'un ou l'autre de ses parents. Si elle n'était pas la fille de Logan et si les circonstances ne l'avaient pas amené à s'en occuper régulièrement, elle ne lui aurait probablement pas prêté la moindre attention, trop occupée par son quotidien à Fort Hope. Le destin en avait décidé autrement, et Logan ne se sentait, pour le moment, pas capable de s'occuper de sa fille, aussi, Alex, comme d'autres habitants de Fort Hope, se relayait pour veiller sur la fillette et sa grande sœur. Finalement, elle y prenait goût et s'attachait aux deux enfants. Elle retrouvait naturellement des gestes qu'elle avait eu pour son fils.

Alex se pencha vers la petite fille et délicatement, elle lui enleva sa couche. Avec des gestes sûres et doux, elle prit son temps pour que Will n'en perde pas une miette. Une fois nettoyée, elle remit à Mila une couche propre, tout en jetant un coup d’œil au stock qui diminuait dangereusement. Bientôt ils devraient fabriquer leurs propres couches s'ils n'en retrouvaient pas rapidement à l'extérieur. Will lui demanda si elle avait déjà eu envie d'avoir des enfants. Il rajouta que maintenant, il savait que c'était dingue de vouloir devenir parent. Alex arrêta ses gestes quelques secondes. Elle n'avait jamais réellement voulu devenir mère. ça lui était tombé dessus comme ça lorsqu'elle avait 20 ans. Après avoir confié Peter à ses parents, elle avait continué sa vie et n'avait jamais eu l'occasion de se poser la question. On a envie d'avoir des enfants lorsqu'on est en couple avec quelqu'un depuis de nombreuses années, non ? Lorsqu'on a une vie suffisamment posée et stable pour offrir à un futur bébé des conditions de vie satisfaisantes ? Ce n'était pas le cas d'Alex, aussi, elle n'hésita pas à répondre à Will : "Non, je n'ai jamais eu envie d'avoir des enfants. Je suppose que je n'ai rencontré personne avec qui construire une famille." C'était juste une constatation, il n'y avait aucun regret dans sa voix. Elle n'évoqua pas Peter. Son petit garçon était présent à Fort Hope avec sa nouvelle famille mais il ne savait pas qu'elle était sa mère. Elle ne voulait pas que ça lui arrive aux oreilles avant de le lui avoir dit elle-même. En effet, aujourd'hui, être de nouveau mère lui paraissait absurde et suicidaire. Elle pouvait comprendre l'envie qu'avaient certains couples d'avoir des enfants mais au vu des risques et des complications que pouvait engendrer une grossesse, elle trouvait cela purement suicidaire. Joy en était la preuve. Elle haussa les épaules : "Aujourd'hui, la vie est trop instable. Même si nous avons un semblant de confort, il manquera toujours de tout. Joy a survécu à sa grossesse mais pas à son accouchement et regarde Mila, elle est si petite. Que lui arrivera-t-il si elle tombe malade ? Si on ne trouve pas de médicament pour la soigner ? Et on manque de lait, de couches, de vêtements, de jouets... Et quand elle grandira, on aura beau faire tout pour elle, elle ne sera pas aussi insouciante qu'elle le devrait... Alors oui je pense vraiment que c'est inconscient de faire un bébé dans ce monde. Mais je peux comprendre qu'on en ait envie..." Pour une fois Alex ne jugeait pas Will. Elle pouvait comprendre sa déception vis à vis du bébé qu'il avait perdu. Elle se contentait de dire son opinion et c'était facile pour elle qui n'avait pas envie d'être mère à nouveau. Peut être qu'un jour elle verrait tout ça d'un autre œil mais pour le moment, c'était sa vision des choses. La jeune femme vivait au jour le jour sans se poser de question sur son avenir. Vivre, ou plutôt survivre était sa priorité, elle avait fait de Fort Hope son objectif et avait probablement mis un peu trop sa vie personnelle de côté.

"Et voilà !" Alex souleva la petite fille et la posa dans les bras de Will. "Tu peux t'installer là si tu veux" Elle lui désigna un fauteuil à bascule dans un coin de la pièce. "Ou bien tu peux t’asseoir par terre, sur le tapis, avec Otavia." La fillette releva la tête en entendant son prénom avant de replonger dans son jeu avec ses poupées. Alex hésita quelques secondes. Elle ne comptait pas laisser Will seul avec les fillettes mais peut être pouvait-elle tout de même vaquer à ses occupations... C'est ce qu'elle fit. Elle profita de la présence du jeune homme pour s'occuper de la chambre des deux petites filles. Elle changea les draps, secoua les matelas, passa la serpillière tout en écoutant d'une oreille si tout se passait bien du côté de Will...   

Un profond soulagement s’empara de Will lorsque la jeune femme accepta de lui montrer comment faire plutôt que de le lâcher seul avec un bébé et une couche à changer. Il fit tout de même de son mieux pour que ça ne se voit pas trop, fermant simplement les yeux pendant une seconde, le temps d’une profonde inspiration. Il ne parvint pourtant pas à s’éloigner de Mila tout de suite. À peine le bébé avait-il levé les yeux sur lui et s’était-il emparé du doigt de l’ingénieur que ce dernier était tombé sous le charme. Il n’arrivait pas vraiment à l’expliquer, mais il n’arrivait pas à expliquer grand chose de ce qu’il ressentait, ces temps-ci et se contenta donc de profiter de la chaleur qui parvenait enfin à atteindre son coeur trop facilement secoué depuis quelques temps. Une part de son ego surdimensionné et de sa fierté agaçante refusait de lâcher prise et lui interdisait de laisser le sourire qu’il sentait monter de s’imprimer librement sur ses lèvres, mais qu’importe ? Il se laissa aller à la contemplation de la fillette jusqu’à ce qu’Alex n’approche enfin, s’impose davantage et qu’il n’ait d’autre choix que de lui laisser la place s’il ne voulait pas avoir à changer cette couche lui-même. Il fit un pas de côté, se plaçant juste assez près d’Alex pour suivre le moindre de ses mouvements avec attention et pendant quelques minutes alors que la jeune femme changeait la couche avec une évidente expertise, son coeur balança entre adoration et dégoût.

La question, sans doute très malvenue et indiscrète, de savoir si Alexandra avait déjà ressenti l’envie d’avoir des enfants lui échappa sans qu’il ne puisse la retenir. Il s’intéressait davantage à Mila qu’à autre chose et certainement pas à sa gardienne - ni même à ce qu’elle faisait, à vrai dire. Alors s’il y eut le moindre signe de mécontentement sur le visage d’Alex, il n’en sut jamais rien. Sa voix semblait parfaitement calme et assurée, en tout cas, quand elle lui répondit. Elle ne débordait pas d’amour avec l’idée de mettre un enfant au monde dans les circonstances qui étaient les leurs et d’un point de vue purement logique, Will le comprenait très bien. Son coeur lui hurlait pourtant tout autre chose et s’offensait des paroles d’Alexandra. Il parvint pourtant le petit miracle de ne pas lui répondre, à défaut de trouver des mots neutres à lui renvoyer, jusqu’à ce qu’elle ne mette fin à la conversation en lui collant la fillette dans les bras. Son sourire gagna le combat, cette fois, alors qu’il acceptait le bébé contre sa poitrine et allait docilement s’installer sur le sol auprès d’Octavia. Et pendant quelques minutes, alors qu’il occupait Mila en lui offrant une main, assise sur ses genoux, il essaya de jouer tant bien que mal avec Octavia qui murmurait sagement, une histoire connue d’elle seule. “Je n’ai jamais voulu d’enfant non plus.” lâcha-t-il après un moment, sa voix légèrement rauque s’élevant d’une façon étrange, à douter qu’il s’adresse vraiment à Alex.

“Il y a tellement de choses à penser, tellement d’erreurs qu’on peut commettre sans s’en rendre compte. C’est trop de responsabilité pour un type comme moi.” Faisait-il la conversation ou cherchait-il à se convaincre de quelque chose, difficile à dire. Il doutait que la jeune femme ne se pose la question, de toute façon. “Joy était persuadée que c’était une bénédiction, en tout cas. De devenir mère.” reprit-il de ce même ton vague, ailleurs, son attention toujours toute portée sur les deux soeurs. “De créer une vie dans un monde en train de pourrir. C’était un peu comme si elle cherchait à prouver quelque chose, tu vois ? Mettre un enfant au monde en signe de protestation et de rébellion contre l’ordre des choses.” Octavia se leva un peu soudainement pour aller fouiller dans ce qui ressemblait à un coffre à jouets et Will profita de ne plus l’avoir sous les yeux pour se préoccuper entièrement de sa soeur, qu’il tourna vers lui alors qu’il lui adressait un grand sourire. Il la berça légèrement en secouant la jambe sur laquelle elle était assise. “Peut-être qu’elle avait raison, après tout. On a besoin de plus de petites choses comme celle-là et de moins de cadavres, par ici. Pas vrai, princesse ?” Sa dernière question s'adressait clairement à Mila, qui lui répondit par un son vraiment bizarre, mais plutôt joyeux, arrachant un demi rire à Will.

Will lui dit qu'il n'avait jamais songé à avoir des enfants lui aussi. Alex ne répondit rien, c'était ce qu'elle disait précédemment, on ne songe vraiment à construire une famille que lorsqu'on rencontre enfin quelqu'un avec qui se lancer. Il semblerait que Will ait rencontré quelqu'un pour cela... C'était triste que ça arrive dans ces conditions-là. Elle finit par se rapprocher et observa la scène qui se déroulait sous ses yeux. Will semblait prendre plaisir à s'occuper de la fillette et Mila semblait à l'aise dans ses bras. Octavia s'était également détendue et jouait à ses côtés. Will avait tort, il ferait probablement un bon père. Elle écouta ses paroles sans l'interrompre.   

Apparemment Joy était persuadée que devenir mère était une bénédiction, Alex songea à Peter. Non, la jeune femme n'avait pas si tort. Elle se souvenait ce qu'elle avait ressenti lorsqu'on lui avait posé son fils sur son sein le jour de l'accouchement. Elle s'était sentie si heureuse, c'était probablement le plus beau jour de sa vie. Même si par la suite elle avait du faire de terribles choix l'éloignant de son petit garçon, elle n'avait jamais regretté de l'avoir mis au monde. Elle ferma les yeux, se remémorant chaque moment : son petit corps si fragile et si parfait, sa douceur, son petit cri de protestation d'avoir été brutalement sorti de son cocon... C'étaient des souvenirs qui resteraient à jamais graver dans sa mémoire. "Oui, c'est une bénédiction." laissa-t-elle échapper. Mais maintenant ? De nos jours ? L'était-ce ? Non, elle n'y croyait pas. Elle haussa les épaules aux paroles de Will. Elle n'avait jamais réellement eu l'occasion de parler avec Joy de tout ça. Maintenant, elle ne voyait dans une grossesse, que le danger. Après avoir farfouillé dans son cofre à jouets, la petite Octavia se rapprocha d'elle et lui tendit les bras. Alex la prit contre elle et enfouit son visage dans ses cheveux. C'est vrai que les enfants avaient un don pour rendre tout plus simple, plus joyeux. C'était tellement plaisant d'entendre son rire enfantin résonner dans la maison, ça redonnait un semblant de normalité à leur vie devenue si noire et si triste. Pourtant, Alex ne put s'empêcher de répondre à Will d'une voix douce mais fataliste : "Je ne suis pas sûre que Joy partage encore ton point de vue..." C'était juste une manière de rappeler la triste réalité à Will. Joy avait beau avoir donné la vie à une merveilleuse petite fille, elle n'y avait pas survécu... Pour autant, Joy aurait-elle refusé de mener cette grossesse à terme si elle en avait connu l'issu ? pas sûre, une mère est prête à beaucoup pour son enfant...

Finalement, Alex s'assit non loin de Will plaçant la petite Octavia sur ses genoux. Elle s'attachait aux deux fillettes, comment pourrait-il en être autrement ? Elles étaient si innocentes et n'avaient jamais demandé à vivre dans ce monde. Même si elle jugeait la grossesse comme dangereuse et condamnait qu'on puisse vouloir tomber enceinte de nos jours, elle aimait les enfants. Cette conversation était étrange. Alex ressentait presque de la tendresse pour le jeune homme en face d'elle. Presque car une fois cette conversation terminée, nul doute qu'ils ne s'adresseraient plus la parole avant un moment. Mais là, avec la présence des deux petites filles, c'était différent. Elle était touchée par ce qu'il lui avait dit à propos de la perte de son bébé. "On ne sait jamais de quoi demain sera fait. Peut-être qu'un jour tu pourras être père à ton tour. Beaucoup d'enfants se sont retrouvés orphelins et il arrive de nouvelles personnes chaque jour à Fort Hope." Elle repensa à une de ses phrases. "Et être parent ça s'apprend, tout le monde fait des erreurs mais personne ne sait qu'il est un bon parent ou non avant d'avoir des enfants..." Alex, de son côté, avait été une piètre mère ou peut être au contraire avait-elle été une bonne mère en laissant son fils grandir dans un environnement stable et aimant avec ses parents plutôt que dans le monde dur dans lequel elle vivait elle-même à l'époque ? Mila commença alors à se dandiner, et à grimacer. Alex se leva et traversa la pièce pour lui préparer un biberon. Elle le tendit à Will pour qu'il le donne à la fillette.

Il s’était vraiment attendu à ce que ce moment avec les deux fillettes lui remette les pieds sur Terre. Qu’il réalise, aussi simplement que ça, qu’il n’était pas fait pour être père et que tout ce qui lui brisait le coeur depuis des semaines n’était rien qu’un autre de ces caprices dont il avait l’habitude. Il était de nature à vouloir ce qu’on lui refusait et il n’y avait pas de raison que ce soit différent en ce moment, pas vrai ? Mais plus il passait de temps à tenir Mila dans ses bras, moins il croyait à cette excuse qui tenait presque de l’espoir désespéré. Ça ne guérissait pas les blessures, pas vraiment. Il voulait toujours de tout ça, les sourires de la petite, son regard tourné sur lui, même ses cris et ses couches sales. Ça le laissait complètement perplexe, ça ne lui ressemblait vraiment pas, mais il ne pouvait empêcher son coeur de battre plus fort avec cet espoir qu’un jour, ce ne serait plus la fille du voisin dans ses bras, mais la sienne. Cet espoir ne flancha même pas un peu lorsque Alex fit remarquer que Joy aurait probablement un avis différent désormais qu’elle avait dû donner sa vie pour celle de sa fille. Will leva les yeux vers elle assez brusquement. Il ne souriait plus totalement, plus avec la même béatitude qu’une seconde plus tôt en tout cas, mais quand même encore un peu. “Je crois que si.” argua-t-il avec toute l’assurance du monde. “Elle voulait apporter quelque chose de beau dans ce monde et elle a réussi. Toutes les mères sont censées être prêtes à tout pour leur bébé, non ?” Il ne connaissait peut-être pas grand chose au fait d’être parent, mais il savait au moins ça grâce à sa propre mère. Et il ne voyait pas Joy capable de tenir un discours différent si elle l’avait pu.

Mais ça n’était pas le cas et aujourd’hui, il ne restait qu’une petite fille de quelques mois pour rappeler au monde qu’elle avait même existé. Il secoua la tête pour chasser cette pensée et suivit plutôt Alex des yeux alors qu’elle s’asseyait au sol à son tour. Il détourna le regard rapidement, reportant toute son attention sur Mila. Il se sentait un peu sous pression, maintenant que la jeune femme se trouvait si proche, au point qu’il puisse presque sentir son regard peser sur lui ou qu’il l’imagine en tout cas. Il lui avait confié des choses, aujourd’hui, que personne d’autre ne savait à son sujet, ni son mari, ni sa meilleure amie. Des choses qu’il ne pourrait sans doute jamais leur dire. Et il n’aimait pas ça. Pas de devoir cacher un sentiment aussi important à ses proches, mais qu’une inconnue le connaisse comme ça. Il n’osa même pas relever les yeux quand elle se décida à parler de nouveau, angoissé par le ton qu’elle prenait, la douceur dans sa voix autant que dans ses mots. Il resta un moment sans répondre, occupé à soulever les mains de Mila dans les siennes, à réfléchir à ce qu’Alex venait de lui dire surtout. “C’est un peu affreux, non ?” demanda-t-il sans attendre vraiment de réponse. Il s’expliqua très vite. “De se dire que mon bonheur va dépendre du malheur des autres. Si j’ai de la chance.” Il était égoïste et tout le monde le savait. Même lui ne doutait pas vraiment de réussir très vite à se faire à l’idée que s’il avait un enfant un jour, ce serait aux dépens d’une autre personne, de parents morts ou incapables d’élever leurs enfants eux-même. C’était exactement ce qui se serait passé si Azia avait mené sa grossesse à terme et il avait aimé ce bébé, ou au moins l’idée de ce bébé, qu’importe ce que sa meilleure amie avait eu à subir pour lui offrir cette occasion. Ça restait triste, quelque part et il n’avait pas besoin de l’être davantage en ce moment.

“Enfin bref !” lança-t-il donc, espérant qu’un semblant d’énergie suffirait à lui redonner le sourire. Il n’avait aucune raison de se sentir mal, là. Il fallait s’en convaincre en tout cas. “Qu’est-ce que tu fais quand tu dois les garder toute seule ?” demanda-t-il, chassant les sujets de conversation déprimants avec des banalités, ce dont il avait pourtant horreur. “Tu restes enfermée là à jouer à la poupée toute la journée ?” Il essayait très fort de sembler décontracté et ne s’en sortait pas si mal que ça. “Je suis prêt à faire tout ce qu’il faut pour te prouver que je suis digne de devenir leur baby-sitter, moi aussi.” assura-t-il dans un petit sourire presque joyeux.

Will lui dit que c'était affreux de devenir père au détriment de la vie d'autres personnes. Elle haussa les épaules. Dans l'adoption, il y avait deux côté à voir en effet. Certes, les enfants avaient perdu leurs parents, mais en se faisant adopter, ils pouvaient recommencer à vivre. "C'est vrai que vu comme ça c'est affreux, mais l'adoption existait déjà bien avant l'épidémie, ce n'est pas nouveau. Vois plutôt ça comme une chance pour ses orphelins de recommencer une nouvelle vie avec des gens qui les aimeront ?" Elle s'arrêta avant de continuer : "Et puis, pour les couples gays, il n'y a pas 36 solutions. Désolée d'être aussi réaliste, mais je ne suis pas sûre que de nos jours une femme accepte de prendre le risque de porter un enfant juste pour votre bonheur..." Il n'y avait absolument aucune critique dans la voix d'Alex, c'était juste une constatation pour elle. Elle ne voyait pas comment, dans les conditions de vie actuelle, une femme pouvait prendre le risque de tomber enceinte juste pour offrir un bébé à un couple. Avant c'était différent, cela pouvait se faire pour le côté financier ou généreux mais de nos jours, la survie ne primait-elle pas sur tout ? Alors oui, une femme pouvait toujours lui confier son bébé comme c'était apparemment le cas avec celle dont il lui avait parlé mais Alex ne croyait pas que ce genre de situations se produisait souvent. Will lui demanda ensuite ce qu'elle faisait lorsqu'elle s’occupait des filles toute seule. Elle haussa les épaules : "Et bien, tu vois, il y a des tas de choses à faire quand on s'occupe d'un enfant. Il faut les sortir pour qu'elles prennent l'air, les nourrir, les occuper... On ne s'ennuie pas."

Will lui dit qu'il était prêt à tout pour prouver qu'il pouvait être leur babysitteur. La jeune femme hocha la tête, elle entendait ce qu'il lui disait mais la décision finale ne lui revenait pas mais revenait au père des deux fillettes : Logan. Alex avisa l'heure qui tournait. Elle se leva et se dirigea vers la porte. Il fallait qu'elle commence à préparer le repas pour Octavia sinon la petite fille risquait d'être de forte mauvaise humeur. Cuisiner avec une petite fille grognon accrochée à sa jambe n'était pas forcément très pratique et Alex préférait éviter cela. Déjà qu'elle n'était pas franchement une bonne cuisinière, autant mettre toutes les chances de son côté pour faire un repas convenable. "Bon, désolée, mais mon quart d'heure de Mère Thérésa est passé, alors vas trouver quelqu'un d'autre à qui raconter tes états d'âme." Il ne fallait pas trop en demander à Alex. Elle pouvait se montrer gentille et compréhensive quelques minutes mais sa nature méfiante et froide reprenait très vite le dessus. Et puis, au final, elle ne connaissait pas suffisamment Will et le voir se confier ainsi à elle avait quelque chose d'étrange pour la jeune femme. Elle ne se sentait pas forcément très à l'aise. Elle n'était vraiment pas le genre de personnes à qui on confiait habituellement ses soucis ou ses problèmes personnels. On venait plutôt s'adresser à elle pour des problèmes d'ordres techniques comme un soucis quelconque à Fort Hope, un problème de stocks dans les ressources ou un objet manquant à aller chercher à l'extérieur, mais ça s'arrêtait là et elle n'encourageait nullement les autres à se confier à elle. Chacun ses soucis après tout. Pourtant, ces derniers temps, elle se retrouvait dans d'étranges situations. Il y a quelques jours, Ezra était venu lui demander conseils pour l'organisation d'une fête et aujourd'hui, Will s'était confié à elle. Tout ça ne la mettait pas vraiment à l'aise. Ce n'était pas de l’égoïsme car elle savait se montrer généreuse, notamment lors des sorties où tout ce qu'elle ramenait était destiné au camp et rarement à elle, mais l'empathie n'était pas dans son caractère. Elle le regarda se lever et elle ajouta pour conclure la conversation. "Pour le baby-sitting, j'en toucherai un mot à Logan, mais je ne te garantis rien.". 

Les épaules de Will furent secouées par un rire bref et silencieux alors que la jeune femme cherchait à se montrer si brutalement honnête sur la façon dont il aurait des enfants un jour. La fin du monde n’avait rien changé à ce qu’il pouvait espérer dans ce domaine en effet, mais au point il en était actuellement, les mots qui échappaient à Will tenaient davantage d’un long monologue sans réel intérêt que de véritables questions. Il parlait simplement, parce qu’il en avait envie et qu’il ne pouvait pas aborder ce sujet chez lui, qu’Alex était là pour l’écouter et qu’il se fichait complètement de l’opinion qu’elle aurait de lui à la fin de cette conversation. Ça faisait du bien, ça le libérait et il ne demandait rien d’autre. À part, peut-être, que le léger malaise qu’il ressentait à s’ouvrir si facilement à une totale inconnue ne s’essouffle un peu. Une part de lui continuait de lutter alors qu’il se montrait vulnérable devant la brune et elle finit par l’emporter pour de bon quand le jeune homme ne répondit rien aux remarques pas si désagréables que ça d’Alexandra et changea simplement de sujet. Il n’avait plus rien à ajouter sur le sujet des enfants, de toute façon et préférait se concentrer sur ce qui parvenait à l’apaiser un peu pour l’instant : les deux fillettes dont on le laissait s’occuper quelques minutes et qui parvenaient à lui donner l’illusion qu’il cherchait et éteindre l’incendie dans son crâne.

Il se trouvait convaincant, quand sa voix enjouée résonna dans le silence laissé par les remarques d’Alex, mais la déception le frappa quand même de plein fouet quand la jeune femme se releva pour lui faire comprendre - pas très subtilement - qu’il était temps pour lui de partir. Le sourire timide de l’ingénieur s’effaça brusquement et, inconsciemment, il resserra son emprise sur le petit corps de Mila, avec la crainte inexplicable qu’Alex ne la lui arrache des bras et la douleur encore plus inexplicable que cette idée imposait dans sa poitrine. Il n’était pas très sûr que la jeune femme ait compris que les questions qu’il venait de lui poser servaient à ouvrir la voie pour qu’il passe encore du temps à suivre ses traces pour s’occuper des deux fillettes ou si elle ignorait la subtile demande volontairement et il n’avait pas envie de le savoir. En moins d’une seconde, elle avait réussi à le vexer et détruire tous les efforts mis en place pour agir comme un humain normal et sympathique. “Navré de t’avoir ennuyée avec mes histoires.” grinça-t-il méchamment alors qu’il se relevait, Mila toujours dans ses bras. Il serra le bébé contre sa poitrine et pendant toute une seconde, affreusement longue et gênante, resta planté là sans trop savoir quoi faire. Son orgueil blessé, la colère revenant doucement brûler ses veines, il restait accroché à la fillette, clairement pas prêt à laisser tomber ce morceau de sa vie, même s’il était minuscule et pas vraiment à lui.

La voix d’Alex le sortit de sa torpeur. Elle n’était pas plus douce et compréhensive, mais au moins, elle consentait à lui laisser une chance en parlant à Logan pour lui. Difficilement, Will s’accrocha à cet espoir. Il hocha la tête sans rien ajouter et s’approcha de la jeune femme pour lui tendre le bébé, continuant d’observer la petite même quand elle ne fut plus contre lui. Quand il releva les yeux vers l’adulte, un mot parfaitement incongru lui brûla les lèvres. Il ressentait rarement l’obligation de remercier les gens et encore moins celui de le faire naturellement, sans qu’on ne l’ait exigé d’une quelconque façon. Croiser le regard d’Alex eut l’incroyable effet de coincer ce merci dans sa gorge et à la place, il reprit son air indifférent et intouchable. “Je te dois toujours un service.” lança-t-il d’un ton neutre. “Fais-moi signe si tu trouves une manière de me faire payer ma dette.” Il lui adressa un signe de tête en guise de salut et passa par la porte ouverte à la vitesse de l’éclair, de plus en plus mal à l’aise à mesure qu’il restait là. La pause avait été la bienvenue, mais Alex avait réussi à le repousser dans le fond de son trou en un rien de temps. Presque aussi vite que le temps qu’il lui fallut pour quitter la maison sans un regard en arrière.