- Version courte:
→ né Théo à Détroit le 5 septembre 1990. Donc nationalité états-unienne mais origines franco-américaines.
→ accro aux jeux-vidéos depuis ses dix ans, et l'est ainsi toujours.
→ a travaillé dans une supérette de la ville pendant plus de deux ans sans jamais avoir fini de cursus universitaire avant.
→ est resté chez lui avec ses parents durant les débuts de l'épidémie.
→ séparé de ces derniers durant le bombardement au napalm et emmené en sécurité à Sierra Station.
→ premier voyage en solo après la destruction de la station.
→ vit en communauté avec quelques hommes dans un motel abandonné, avant d'échanger ses « amis » contre sa liberté aux Punishers en août 2015.
→ second voyage en solo où il se fait appelé « Jasper » pour fuir ses ennemis et commence ses larcins pour survivre sans dépendre de quiconque.
→ première entrée à Fort Hope le 21 novembre 2016.
→ chassé de la communauté pour vols répétés le 3 mars 2017. Il retourne en solitaire peu après, mais reste dans le coin.
→ ramené à Fort Hope le 3 mai 2017 suite au recensement imposé.
Les jeux-vidéos, c'est fascinant.
Non, sans déconner, c'est fascinant. Y'a des histoires, des personnages super badass, de la musique qui déchire et
en plus, on peut interagir avec tout ça pour faire comme on veut. Théo était ce genre de gosses : un peu déconnecté de la réalité et surtout attentif à tout ce qui est fictif et hors de sa portée (comme la facilité de parler à une fille, par exemple).
En plus, comme il était fils unique, y'avait pas de bagarre sur qui devait jouer à telle heure. Il y avait seulement les parents pour venir éteindre la télé quand il passait au moins plus de trois heures dessus (quand ils étaient dans le coin. Autrement, il pouvait passer la journée devant l'écran à s'abrutir, comme ils disaient). C'était la règle lambda et les remarques de vieux adéquates : les jeux-vidéos, trop consommés, ça rendait stupide et violent. Théo se prenait ces remarques-là, mais sans trop de conséquences. Ça se serait vu, s'il était une brute. C'était pas un gamin perturbé ou perturbant.
Il est né à Détroit un 5 septembre, en 90. Et son histoire est vraiment chiante de normalité. Il a touché aux Playstations à partir de huit, dix ans. Son père vient de quelques
states à côté, et sa mère est française. Il avait tellement peu d'intérêts à savoir comment ils se sont retrouvés à pondre un seul môme à la frontière du Canada qu'au final, il en sait toujours rien. Bref, il a touché aux Playstations à partir de huit, dix ans...
▬ 18 novembre 2012 : supérette de Détroit
- Deux dollars cinquante-six, siouplé.
La dame paya un Théo affublé d'un t-shirt minable de caissier avant de s'en aller. Ils s'échangèrent brièvement des « au revoir » soufflés par politesse, et l'employé profita de ce petit moment de répit où le magasin allait bientôt fermer ; plus personne dans sa file, pause de cinq minutes improvisée avant d'enlever ce t-shirt pourri.
Un collègue du même rang de la hiérarchie mais beaucoup plus à l'aise dans ces baskets-là l'interpella en approchant de son comptoir.
- T'es ouf, Vegas. On t'a dit d'ar-ti-cu-ler, quand tu parles à la clientèle.
- J'ai dis « s'il vous plaît ».
- Tu l'as pas dis comme ça. Les gens vont pas te manger.
En même temps, Théo était las de ce job. Ça faisait pas très longtemps depuis son embauche, mais qu'est ce qu'il s'emmerdait. Et il avait même pas le droit de s'en plaindre. « Tu l'as cherché », qu'on va lui dire, si jamais il essaye. C'était un peu de sa faute, aussi. Élève médiocre, pas motivé, et surtout pas inspiré sur la fin une fois qu'il avait terminé le lycée. Il s'était bien essayé à des études supérieures pour faire plaisir à ses parents, et aussi parce qu'il se sentait bizarre s'il continuait pas les études dans une certaine « normalité ». Mais voilà, il avait fini caissier.
Le temps de trouver un truc mieux. Mais il ne cherchait pas vraiment non plus. Ou plutôt, il cherchait un meilleur taff alimentaire. Quand il était petit, il rêvait de devenir pomper, flic, avocat, même une fois éleveur de bestioles exotiques. Ses rêves se précisaient, devenaient plus réfléchis, mais en fait il n'avait fait que très peu de recherches et toujours sous le coup de la
hype. Jamais rien de concret, jamais rien qui le motivait réellement.
La preuve : il s'appuyait de façon tout à fait las sur la caisse enregistreuse, penché négligemment sur ses avant-bras.
- Tu fais quoi, l'année prochaine ? demanda le type.
- Beeen...
- Rebelote ?
- Nan, nan ! se défendit Théo sans savoir quoi répondre. Pas rebelote, j'vais pas... revenir ici pour une année d'plus.
- Limite j'te l'conseillerais. Car j'serai plus là en septembre prochain. J'ai les ronds pour repartir en fac. Tu sais pourquoi ?
En vrai, ce mec le saoulait, parce qu'il aimait prendre les gens de haut sans avoir l'air de se la péter. Et ça rendait le truc encore plus insupportable. Rien que pour en finir avec cette conversation chiante, Théo se massa le visage d'une main et répondit :
- Pourquoi ?
- Parce que j'savais où j'allais, en vendant des boîtes de conserve.
On devrait
tous prendre exemple sur ce mec, quelle riche idée.
Théo lui offrit un sourire tellement grand qu'on y voyait toute la beauté de l'hypocrisie. Et puis tant pis, hein, c'était pas vraiment son ami, de toutes façons.
Ce boulot se transformait vraiment en cage, il ne savait pas du tout ce qui allait faire de son avenir. Il avait l'air tellement peinaud, avec ces bras fins et sa tête de victime. Il avait deux-trois potes qui réussissaient et avec qui il parlait au téléphone ou sur Skype, pas de copine, et n'était de toutes évidences pas intéressant aux yeux de l'objectivité. Comme ses anciens amis du lycée étudiaient encore ou avaient trouvé une autre voie ailleurs (et mieux placée que la sienne), il ne les voyait quasiment plus comme avant.
Les gens changeaient, et Théo, il stagnait tristement, un peu dans la pitié. Et comme il était j'en-foutre sur les bords, il prenait le jugement sans jamais trouver quoi que ce soit à répondre.
Il vivait toujours avec Papa et Maman, en plus. À vingt-deux ans, on pouvait encore se le permettre, mais
bon, voilà, hein.
▬ 22 août 2014 : maison des Vegas
Papa passait des appels téléphoniques depuis l'aube et Maman clignait à peine des yeux devant la télévision. D'un côté, on prenait des nouvelles, se mettait d'accord sur qui va chercher qui, et pour aller où. D'un autre, on se tenait au courant. Comment ça se passe, dehors. Si ça va mieux, si c'est pire. Un nerveux, une stressée, et le juste milieu. Théo était ce dernier.
Il jonglait entre les SMS, les vidéos Youtube et les appels de ses potes ou de quelques connaissances auxquelles il ne pensait même pas en temps normal. Genre, le patron du boulot. Jamais il ne s'était autant préoccupé de gens qui ne l'intéressaient pas qu'en cette période. Clairement, ils ne savaient pas quoi faire, tout les trois.
Il y avait bien l'armée qui tentait des trucs, mais c'était un peu comme chaque fait divers au JT de 20h : c'est en cours, on en sait pas plus, ou ça cherche, ou ça traîne, bref, c'est juste pas bon.
Théo se leva de la chaise sur laquelle il était mal installé et monta dans sa chambre. Sa chambre d'ado qui n'avait pas changé de déco' ses dix-sept ans. Environ.
Même un grand gamin comme lui ignorait totalement ce qu'il pouvait faire. C'était trop le bordel. Lui et beaucoup d'autres stagnaient dans le stress sans savoir comment bouger ou faire bouger. C'était tous des poissons rouges qui tournaient en rond dans leur bocal, et lui, il était le plus paumé.
Il approcha de sa fenêtre dont les volets étaient fermés depuis maintenant des jours. Il n'entendait pas de là le moindre bruit dérangeant, mais il suffirait d'ouvrir un peu pour constater que la ville est terrifiée et dans une sacrée mouise.
Ça va passer, se disait-il pour se rassurer. Il y allait sûrement y avoir des méthodes costaudes, vu que l'armée s'y mettait, mais au moins, ça allait aller.
▬ 29 novembre 2014 : Sierra Station
« On va rejoindre ton oncle », disait Papa.
« On sera en sécurité », disait Maman.
Putain de bordel de merde.
Le but était pas compliqué : il fallait aller à Grosse Pointe. Ils l'ont fait, ils y sont arrivés, et « boum », que ça a fait.
Boum par-ci,
boum par-là, et-
ouais, la grosse merde arrivait maintenant.Théo n'avait pas revu ses parents depuis les incendies provoqués volontairement par le gouvernement. Les souvenirs étaient un peu flous, en fait. C'était arrivé si vite, avec tellement de bruit, tellement de panique, tellement de gens, qu'il ne se souvenait plus très bien. La foule criait et courait partout comme une fourmilière écrasée. Il suffisait qu'on casse un peu la chaîne qu'on leur a dit de suivre, et voilà, c'était le bordel. L'Homme fonctionne pareil en société. Et plus le groupe est grand, plus il en devient con.
Pour sa survie, des inconnus l'avaient aidé à échapper aux feux et aux mouvements de foule grossièrement énormes. Certains gens se bousculaient si fort et si vite qu'ils se foutaient complètement s'il fallait sacrifier quelqu'un pour leur survie. Théo aurait jamais pu faire ça. Il était lâche et voulait vivre, mais il aurait jamais pu avancer en sachant que pour ça, il aurait dû laisser une femme mourir dans sa voiture enflammée ou un petit garçon de son âge qui s'était retrouvé séparé de ses parents. Pauvre gamin. Allez savoir s'il a fini là ou s'il a été sauvé.
Il préférait ne pas y penser.
Ici, au moins, les gens étaient vivants. Et plutôt solidaires.
- Donc toi, c'est Théo, c'est ça ?
- Ouais.
- T'as quel âge ?
- 24.
- T'es jeune...
Eh oui, il était jeune. Mais en même temps, les temps qui s'annonçaient prévoyaient sûrement de faire grandir très vite un peu tout le monde. Les enfants récemment orphelins allaient devoir s'endurcir, les adolescents travailler pour le compte de tout le monde, et les adultes qui ont plus de la vingtaine vont faire tout le boulot qui requiert sécurité, vivres, tout ce qu'il faut pour pas devenir fou.
Il allait devoir surmonter l'idée qu'il n'allait peut-être pas revoir ses parents qui étaient Dieu sait où. Avec son oncle, probablement. Il espère. S'il suffit qu'ils ne se voient plus jamais pour que toute sa famille reste en vie, y'a des chances qu'il accepte. Car il fallait totalement oublier le plan d'aller rejoindre quiconque, ça, on lui avait dit.
De toutes façons, il avait pas envie de sortir. Rester « au chaud » au même endroit jusqu'à ce que le monde redevienne normal (il espérait encore), c'était un bon plan. Ouais, voilà. Il allait aider tout ceux qui le lui demandaient, et un jour, tout allait prendre fin.
▬ 29 avril 2015 : motel abandonné
Bon, en fait, on va arrêter de croire au Père Noël.
Il n'a jamais autant regretté un truc que la destruction de la Sierra Station. C'était rester enfermé par crainte, mais au moins, il était aussi nourri que logé, et il faisait carrément de son mieux pour que ça se passe bien. Comme l'hiver se finissait à peine, il était d'humeur à moins faire confiance aux propositions qu'on donnait aux démunis comme lui et ses ex-congénères. Alors, quand tout ce beau monde a déménagé au labo' pour ne pas perdre les habitudes, Théo a prit ses couilles et est parti.
Il savait qu'il allait le regretter, mais moins que de les avoir suivi. Il sentait que plus il obéissait, moins il allait apprécier. Il était lâche, mais moins. Ou alors, il l'était encore plus, mais comptait davantage sa propre pomme que celle des autres.
Ça devait être ça : il avait tellement bossé pour satisfaire les siens qu'il ne se sentait pas récompensé en faisant le mouton comme eux. Même s'il y avait des gens biens et à qui il devait beaucoup.
Ainsi, Théo commença son périple en solitaire. Oui, il allait morfler, oui, il se mettait en danger, mais oui, ça faisait un peu de bien. En fait, être un peu seul lui rafraîchissait les idées. Des mois qu'il faisait du collé-serré à des gens qu'il ne connaissait pas. Le prix de la tranquillité était élevé, mais pour rester optimiste, il allait être plus simple de voyager seul qu'avec une troupe entière.
Son deuil était fait, il allait pouvoir avancer.
▬ 11 août 2015 : motel abandonné
- As.
- Non.
- Mais il a un As, j'te dis ! On va perdre, si on fait comme t'as conseillé.
- M'en fous, je joue As. Eeet... BIM, HA HA ! Vous êtes nuls, gros nazes.
En restant seul ici, les miracles avaient fini par avoir pitié du pauvre accro aux jeux-vidéos et lui avaient fait cadeau d'une organisation plutôt bien menée. Ainsi, les vivres maigres mais suffisantes, il avait rencontré Johnny, et sa petite bande de potes.
Cinq personnes au total qui voyageaient en groupe solitaire et qui ne savait plus à qui faire confiance. C'était un peu ironique de voir un type aussi baraque que John' dans une de ces piètres galères, et encore plus quand on constate que c'est un maigrichon comme Théo qui a pu l'aider à en sortir. En réunissant leurs ressources et s'accordant sur quelques jours de repos dans ce motel que Théo avait nettoyé de tout envahisseur, la petite bande vivait bien comme il faut sans trop de problèmes.
Enfin, les seuls qui résidaient, c'était surtout ceux de l'électricité et de l'eau. Pour ça, on se contentait de nettoyer les plaies et de ne pas abuser de l'eau potable pour prendre des douches improvisées. On faisait le minimum avec tout ce qu'il fallait descendre très lentement.
Le mieux, dans tout ça, c'est que Théo s'était donc fait une bande de copains. Quelque part.
Si au départ ça n'était qu'un coup de main d'homme solitaire qui pensait les virer quelques jours après, il s'est avéré qu'en effet, discuter un peu du proverbe « l'union fait la force » ramenait quelques couleurs dans leur vie. Ainsi il put rester dans ce motel qu'il avait trouvé avec des camarades en plus. Il leur fallut du temps, mais était émise l'idée un jour qu'ils pouvaient compter les uns sur les autres.
Et c'était pas une stupide idée quand on voyait le potentiel musculaire que représentait Johnny.
▬ 14 août 2015 : motel abandonné
C'était à leur tour de passer sous la pelle des
Punishers.
Y échapper aurait été trop beau, mais visiblement, le monde avait pas finit de se foutre d'eux. Ils en entendaient parlé, mais ne pensaient pas qu'ils allaient venir raquer jusqu'ici. Pourtant, ils furent tous prit au dépourvu : c'était quasiment à l'aube, alors que le soleil achevait de se lever, que le
Fossoyeur se pointa avec sa bande armée jusqu'aux dents.
Six personnes trop bien installées pour ce qu'elles étaient face à ces débroussailleurs de vivres, aucune chance de survie si Théo ou quiconque ici tentait quoi que ce soit. C'était l'acceptation ou la mort, ni plus ni moins.
Ils les avaient fait se mettre en rang comme une ligne de condamnés à mort, pendant que d'autres sales races de
Punishers fouillaient le motel. Progressivement, ils ramenaient des sacs pleins dans lesquels ils avaient récupéré tout ce qui était utile. Nourriture, médicaments, vêtements... Heureusement, Théo avait encore sa Gameboy dans la poche de veste. Il faisait bien de jamais s'en séparer.
- C'est tout c'que vous avez ? leur demanda-t-on. Faites pas cette tête : au moins, vous êtes vivants.
La vie était certes la meilleure chose à conserver, aujourd'hui, mais quand même, vous êtes rien d'autre que des connards.
- Vous nous fileriez pas le motel, par hasard ?
- Va t'faire enculé, répondit Johnny.
- J'espère que t'es pas le chef de ta bande de guignols.
Théo se sentait en danger comme jamais. Ils leur avaient tout donné – du moins, tout leur avait été prit – et il ne pensait pas pouvoir fuir cette proposition si forcée. Surtout qu'ils étaient juste six. Si peu qu'option A : on donne le fond des poches (sauf la Gameboy), option B : tout le monde se fait tué. Et Théo n'aimait ni l'un ni l'autre.
Le motel était bien placé et éloigné des hordes. Forcément, ça faisait de l'oeil à la survie. Et malgré son envie irrésistible de vivre, il fallait faire des sacrifices. Il lança donc sans tremblement dans la voix :
- Prenez-les, alors.
- Hein ?
- Mes potes. Prenez-les dans votre camp, et vous m'laissez au motel.
Les cinq autres tournèrent la tête vers Théo, dont un Johnny particulièrement
mindfucké d'entendre une aberration pareille. Les
Punishers aussi y comprenaient peu de choses. Personne encore n'avait vendu ses amis comme ça, et pourtant, il le faisait comme s'il marchandait avec des oranges. C'était lâche.
Il était lâche, mais en même temps, il était capable de fuir des choses pour se sentir mieux après. Et ça marchait du tonnerre, même.
- Arrête de dire des conneries, protesta un des siens.
- Théo, tu ferais pas ça, ajouta Johnny.
- Bon, ben alors ? Vous dites « oui » ?
Ils n'en revenaient pas leur yeux : ce fils de chien insistait. Il échangeait sans mal ses « potes » contre sa liberté. Personne voulait mourir, c'est sûr, mais n'était-ce pas le même Théo qui refusait d'abandonner une femme dans sa voiture enflammée ? Un petit garçon séparé de ses parents dans la foule en panique ? C'était tellement improbable qu'une fois face au fait, ça n'en devenait que plus aberrant et aussi vexant qu'un appel à la vengeance.
Les
Punishers emmenèrent alors de force les cinq personnes qu'il avait accepté de réfugier dans
son motel, et il reçut en plus d'une échappatoire un tas de surnoms peu ragoûtants au niveau de la poésie. « Fils de pute », « j'vais t'tuer », « j'te jure, si j'te retrouve, j'te saigne ». Des menaces qu'il voulait bien croire. Le pire étant que, c'était pas fini.
Les
Punishers pouvaient toujours croiser sa route à nouveau, dans le futur. Et si jamais ça se faisait, Théo serait potentiellement la cible d'une rédemption ultra douloureuse.
Il était mal placé, en fait, pour les traiter de connards.
▬ 20 décembre 2015 : rues de Détroit
Dans le coin, il avait trouvé des petits quartiers renforcés par des gens tout à fait ordinaires – beaucoup plus simples que Johnny et sa bande. Des gens qu'il rencontrait et qu'il ne voyait plus dès le lendemain sans que lui ou eux ne préviennent. Des gens qui survivaient seuls, comme lui. Il était reparti dans un voyage plus solitaire, et d'ailleurs, il ne voulait plus se déplacer sur de grands trajets avec quiconque. Il se voyait mal se faire de nouveaux copains après le sale coup qu'il avait fait.
Sale coup, mais qui le mettait bien, il allait pas cracher sur sa situation. Il préférait être un traître en vie qu'un éventuel
Punisher qui aurait sûrement mal tourné. Ces gens-là étaient plus innocents, sans histoire, si bien qu'il apprit doucement de nouvelles méthodes pour survivre.
Au-delà du pillage, il volait sans rien dire des choses, parfois en gardant la confiance des plus crédules. Aussi, il profitait de ces personnes blanches de vices pour s'inventer une identité toute neuve et sans lien avec les pilleurs du
Fossoyeur.
Il avait choisit « Jasper », car ça avait quand même nettement plus de gueule que « Théo ». Si on le reconnaissait et que son nom repartait dans des territoires ennemis, faisait écho aux personnes qui s'étaient rendu compte de ses larcins, peut-être alors que de vieilles connaissances viendraient le chercher. Et pour éviter ça, il laissait parlé son excentricité avec un prénom qui était cool, et moins commun que ce qu'il avait à la base.
Doucement, il s'habituait à « Jasper ».
Jasper Théo Vegas. C'était bien essayé, cependant, comme renouveau. Théo le Traître, ou Jasper le Voleur. Il dirait bien qu'il prend désormais toutes les précautions pour ne plus se mêler à quiconque, mais au final, c'est toujours lui jeter la pierre. Dans ce cas, quitte à merder, autant le faire en sa propre faveur.
C'est pas qu'il choisit d'être con, personne lui laisse le choix, c'est tout.
▬ 28 février 2016 : ???
- NIQUE SA MÈRE, COURS !
Jasper tenta un dernier regard par-dessus l'épaule pour observer la horde de rôdeurs venue d'il ne savait où. Le type qui l'avait accompagné dans sa recherche de trésors paniquait beaucoup plus que lui, et beuglait souvent « pas ici » ou « pas par-là », attirant progressivement les morts vers eux. Heureusement pour Jasper, il savait se faufiler ici et là et s'imaginer des sorties de secours qu'il créait sans peine. Là, par exemple, il enfonça le faux plafond qui était tellement moisi qu'y faire un gros trou n'était pas un lourd défi. À peine fut-il entré dedans qu'il proposa une main à son collègue de l'heure pour l'y tirer.
- Viens, on bouge avant que le reste s'écroule.
Derrière lui, le type murmurait des jurons pour se calmer, mais le stress restait là. Pendant qu'ils se déplaçaient à quatre pattes, les grognements des rôdeurs résonnaient en-dessous. En passant au-dessus d'une grille, ils purent constater que tomber maintenant sur le sol de cette maison abandonnée reviendrait à se faire déchiqueté le cou par une belle bande de cannibales (si on pouvait encore considérer que les rôdeurs faisaient techniquement partie de l'espèce humaine).
Derrière lui, le type jura en constatant la même chose.
- Oh putain...
- C'est rien. Avance.
- On va mourir...
- Mais nan, on va pas mourir.
Jasper préférait rester optimiste. Il leur avait trouvé une échappatoire, y'avait pas de raison pour que ça soit pour rien. Ils sortirent dans le jardin par lequel toute la horde était passée. À se demander encore qu'est ce qui les avait attiré. Peut-être son compagnon, qui avait tendance à parler trop fort – et crier de panique en voyant les premières horreurs arriver a dû achever d'attirer les dernières. Jasper épousseta sa veste et lâcha un gros soupir fatigué.
Ils avancèrent dans la direction opposée à celle qu'ils devaient emprunter pour le retour. Trop de sales bêtes.
Jasper lui proposa de l'eau. Le type était trop retourné pour dire autre chose que « non ». Sans doute était-il resté sur l'affirmation qu'ils allaient survivre à cette invasion imprévue. Le franco-américain n'était pas trop optimiste, mais préférait l'être. Il fallait toujours un homme pour motiver les troupes, même s'il parlait parfois pour dire n'importe quoi. Y'avait besoin de ça, quelque part : quelqu'un de pas sérieux, pour détendre l'atmosphère. Et aussi pour prouver qu'on pouvait encore penser à autre chose qu'à seulement tout faire pour bien serrer la ceinture.
Sur le chemin, ils croisèrent d'autres rôdeurs. Le type jura.
Jasper lui promit de lui faire fermer sa gueule s'il venait encore à l'ouvrir avant qu'ils soient arrivés. Il en avait un peu marre, de ce pessimiste trop prononcé. Il tenterait bien une petite vanne, là, mais l'inspiration manquait.
« Tu connais l'histoire du con qui gueule et qui se fait bouffé ? Moi non plus. » Ha ha, qu'est c'qu'on s'marre.
Pas de détour à emprunter, il fallait se risquer à traverser cette passerelle toute branlante qui passait au-dessus du danger.
- Si tu dis rien, ils vont rien remarquer. Passe devant.
- Tu rigoles ? Vas-y toi, c'est toi qui propose !
- C'est surtout qu'on a nulle part par où passer, fais pas l'con, fonce !
Sceptique (et maudissant Jasper au passage), le type ouvrit la marche et avança doucement sans quitter la mer de rôdeurs qui s'élargissait sous leurs pieds. S'ils tombaient, c'en était fini de leurs peaux. Au moins, la passerelle ne grinçait pas. Un dernier moment de stress avant de rentrer. Et on pourra stresser là-bas, youpi.
La passerelle ne céda pas.
En revanche, elle se détacha lorsqu'ils la quittèrent, frappant des rôdeurs qui étaient mal situés. Jasper, pour une fois, cria ce fameux « COURS, COURS », et ils se carapatèrent avec des cannibales (nom subjectif) à leurs trousses. Le type hurla pour faire évacuer sa panique.
- ON VA MOURIR ! ON VA MOURIR !
- ON VA PAS MOURIR, PUTAIN !
Ils ne pensaient pas que d'autres rôdeurs se trouveraient un peu plus loin devant eux, en fait. Ils furent encerclés. Jasper parvint à s'en sortir.
Le type criait trop pour fuir sans attirer les monstres à lui. Et il périt au milieu de cette mer dégueulasse. Jasper ne voulait pas l'entendre crier pendant que sa chair se faisait déchiré, alors il prit la fuite pour échapper à d'éventuels cauchemars nocturnes.
Dans toute sa vie, Jasper n'aura pas connu la mort de trop de gens. Il préférait bien dormir.
▬ 13 novembre 2016 : garage abandonné
Jasper s'était habitué à ses vils voyages en solitaire. Un coup il était seul, un coup il squattait des groupes de gens indépendants. Jamais il ne restait trop longtemps, sinon ça serait profiter de leur bienveillance. Sauf que le Voleur avait cessé de peser le pour et le contre concernant la morale : c'est bien simple, il partait toujours en piquant des trucs. Et dans les cas où il s'en allait avec des vengeurs à dos, il donnait son vrai prénom, Théo.
Théo Vegas qui était donc un pire charlatan que Jasper. Il aurait peut-être pu faire l'inverse en gardant son véritable prénom propre et immaculé de toutes fautes, mais le souvenir de ses ex-copains devenus
Punishers à l'époque l'enfonçait dans l'idée qu'il valait mieux continuer de rouler ce nom-là dans la boue, et pas l'autre.
Sauf que Jasper se faisait de plus en plus d'ennemis en échange de la facilité de vivre avec ce qu'il vole. Et même qu'une fois, en rencontrant un nouveau groupe, il avait apprit en se présentant sous le nom de « Jasper » que ces gens-là avaient entendu parlé du fameux « Théo » qui foutait le boxon partout.
Valait mieux trouver un vrai plan pour rester peinard aussi longtemps que possible. Et c'est là qu'il se rappela de la solution tendance actuelle.
- Tu vas à Fort Hope, alors ? demanda-t-il à une fille plus jeune que lui.
- Ouais, répondit-elle en faisant un dernier sac. Là-bas, y'a de l'eau, à manger, même le chauffage et l'électricité, il paraît.
- Cool. Y'a de la coke et des putes ?
Elle le regarda d'un air hautain et moqueur en sortant un « hin hin » abruti du fond de la gorge.
- Comment tu sais qu'on te raconte pas des chimères ?
- J'ai vécu deux ans dans un autocar avec le cadavre d'un mec qui pourrissait, je préfère tenter ma chance et au pire revenir en m'étant dit que j'aurai essayé.
C'était logique, surtout quand on en avait marre de vivre dans une communauté sans promesses. Contrairement à ce qu'il se disait sur Fort Hope. Les temps étaient plus calmes, en plus, c'était sans doute grâce à eux. Des semaines qu'il entendait des gens bien parler de cette zone protégée, et qu'il voyait des personnes plus honnêtes que lui y déménager. Peut-être devait-il se laisser tenté.
Peut-être qu'il aurait dû être plus malin et s'y rendre bien avant de devoir mener un genre de double-vie.
▬ 24 novembre 2016 : Fort Hope
Trois petits jours qu'il était arrivé, et jusque-là, le coin ne l'avait pas déçu. Y'avait plein de gens, de la bouffe et de l'électricité. Pas de coke, ni de putes, dommage – c'est ce qu'il avait dit à un mec un peu trop sérieux en blaguant, mais il n'avait pas l'air d'humeur à rire.
Jasper avait tenté d'y trouver ses parents, dans l'espoir qu'eux au moins avaient eu l'intelligence de s'y rendre plus tôt que lui, mais non. Il était le seul Vegas de la liste. À partir de là, il fit de son mieux pour ne plus penser à eux du tout. Soit ils tenaient bien quelques part ensembles (avec son oncle), soit ils étaient tous morts, et c'était même plus probable.
Alors autant ne plus y penser du tout.
Il était bien, autrement. Logé, nourri, et surtout, en sécurité. Il y avait sûrement ce petit stress permanent concernant l'extérieur. Est ce que les rôdeurs ne passaient vraiment pas ? Est-ce qu'on était bien tranquilles ? Comme on était encore dans une période calme, Jasper trouva pour la première fois depuis le début de l'épidémie la paix. Il s'y sentait vraiment bien. Et c'était peut-être un peu l'occasion de se faire d'autres copains.
Peut-être, hein.
Il pouvait essayer.
▬ 12 mars 2017 : rues de Détroit
Et encore une fois, il avait bien foiré.
- Putaiiin, mon chargeur !
Il avait beau fouiller, mais non, hein. Il avait bien laissé son chargeur de Gameboy à Fort Hope. Jasper fixa la console, qu'il s'était empressé d'éteindre en voyant le petit voyant rouge s'allumer. C'était déjà une sacrée chance de cocu que de l'avoir encore, alors un chargeur spécifique pour elle, il risquait pas d'en trouver un de fonctionnel dans la nature.
Faut dire qu'on l'avait viré si vite de la communauté qu'il avait aussi certainement laissé là-bas plein d'autres trucs. Mais là tout de suite, rien d'autre ne lui venait à l'esprit.
En même temps, à force de prendre des choses qui n'étaient pas à lui à la base, il commençait un peu à oublier qu'est ce qu'il possédait vraiment. Entre les trucs d'avant Fort Hope et
pendant Fort Hope...
C'était une sale habitude, mais qui aidait toujours. Pourtant, il devrait savoir que ça ne servait plus à rien. On le nourrissait et on lui permettait même de se laver tout les jours. Mais après une sale année à ne vivre que de choses volées, les mains de Jasper n'avaient pas perdu... la main.
Accusé de vols, parfois prit et reprit sur le fait, il n'y avait plus d'espoir pour ce type de vingt-six ans à qui on faisait confiance. On l'aidait, et voilà ce qu'il faisait en retour : voler dans les réserves, parfois même les effets personnels des siens. Sale ingrat.
Il avait au moins pu bien profiter du coin, mais vivre en communauté, pour lui, c'était fini.
Jasper fuit le magasin abandonné et dévalisé dans lequel il prenait une petite pause au moment où il entendit un grognement rauque faire écho à l'autre bout du terrain.
▬ 3 mai 2017 : Fort Hope
En passant à nouveau la porte de la zone, Jasper leva à peine les yeux vers ceux qui le reconnaissaient. C'est pas qu'il était pas content de revenir, aussi, mais en même temps, il l'avait pas prévu. Le recensement imposé par les militaires obligeaient quelque peu la communauté à l'accepter de nouveau dans leurs rangs, car c'était les ordres qu'on leur avait donné.
Mais bon, c'était un voleur, quoi.
D'un côté, c'était cool pour lui : il allait pouvoir à nouveau bien manger et dormir dans une petite maison. D'un autre, ça promettait d'être tendu. Il croisa certains regards plus longtemps que d'autres, et reconnu même deux-trois personnes qu'il avait dérobé.
Il s'arrêterait bien pour leur expliquer qu'il avait croisé des militaires sans faire exprès, et que donc, ils l'avaient embarqué, mais n'était-il pas en fait plus judicieux de ne plus leur parler du tout ? C'était peut-être mieux ainsi de ne pas se faire de copains. De rester seul, et de ne sortir de son trou que pour être utile.
- Moi non plus j'suis pas très content d'te revoir, gamin, lui lança une vieille connaissance civile.
- J'ai envie de répondre, mais j'sais pas avec quoi...
Il avait vraiment l'air d'un petit garçon qu'on tirait du coin. Il était dit qu'on devait le surveiller, et qu'officiellement, Jasper avait promit de se tenir à carreau. Ce qui restait encore à prouver.
Et il fut bien triste de constater qu'on avait jeté son chargeur de Gameboy.