Pour la première fois depuis ce qui ressemblait fort à une éternité, la maison des Kaneki-Burbank était quasiment vide. À l’exception de Will, les habitants des lieux avaient tous trouvé mieux à faire ailleurs. Le jeune homme prévoyait même de suivre leur exemple, jusqu’à ce qu’il réalise qu’il serait finalement tranquille pour plusieurs heures. Ça n’était pas tant qu’il détestait sincèrement ses colocataires. Dans le cas de l’un d’entre eux, ses sentiments se révélaient même tout l’inverse. Seulement, monsieur était habitué à un certain mode de vie qui consistait principalement à faire absolument tout ce qu’il voulait quand il le voulait, sans se soucier des autres. Et il pouvait difficilement se le permettre quand deux jeunes femmes traînaient sans arrêt dans les parages. On l’obligeait désormais à porter des vêtements en toute occasion, à fermer la porte de la salle de bain et pire encore, à se contenter de sa chambre quand il se prenait tout à coup à vouloir passer du temps avec son mari. Sans compter de devoir ranger derrière tout le monde ou de ne jamais avoir une heure de calme pour lire. La colocation n’allait vraiment pas au mode de vie de Will Burbank.

Mais pour l’heure, il était seul et il en profitait pleinement. Dès que la dernière habitante des lieux avait pris congé, le jeune homme s’était débarrassé de ses vêtements et avait pris ses quartiers dans le salon. Depuis une demi-heure déjà, il lisait un vieil exemplaire d’un roman de Stephen King, en caleçon dans son canapé. Ça n’était pas grand chose, sans doute, mais ça représentait tout pour lui. Et il espérait bien continuer comme ça jusqu’à ce que la maison ne se remplisse de nouveau. D’après ses estimations - de paire avec les trois ou quatre fois où il avait demandé confirmation à Lucy et Azia avant qu’elles ne sortent - sa paix durerait au moins trois heures encore. Peut-être un roman de plus s’il continuait sur le même rythme de lecture.

Il n’y avait aucune raison pour que ça change, ou du moins Will le croyait-il, jusqu’à ce qu’on ne vienne frapper à la porte. Un grognement frustré lui échappa, mais il ne put s’empêcher de cesser sa lecture pour lever les yeux vers la source de ses tourments. Il ne savait pas qui pensait bon de venir le déranger, mais il n’avait aucune envie de voir cette personne et il décida finalement de ne tout simplement pas ouvrir. Ça ne pouvait pas être un visiteur venu pour lui, de toute façon. Depuis quelques semaines, Will ne faisait plus aucun effort pour se montrer amical avec ses voisins. Déjà qu’on l’appréciait assez peu avant cela, il doutait que son comportement ait arrangé sa réputation et tant mieux. Il n’y avait qu’une seule personne qu’il n’avait pas pris en compte dans cette histoire… L’homme dont la voix s’éleva depuis l’extérieur : Ezra. Les deux hommes ne se voyaient plus vraiment, ces temps-ci, ni l’un ni l’autre n’ayant cherché à faire le premier pas après les trop nombreuses épreuves mises sur leur route. Mais c’était Ezra… Il comptait à la liste des quelques personnes pour qui Will ressentait une curieuse affection, même quand ça l’agaçait prodigieusement. Et avant qu’il ne réalise vraiment, l’ingénieur était debout et ouvrait la porte, offrant son plus bel air ennuyé au tatoueur, comme si rien au monde ne pouvait l’intéresser. “Tu sais donc où est la porte d’entrée !” lança-t-il en guise de salutation. “J’ai eu quelques doutes, dernièrement.”

Il observa le jeune homme juste le temps de constater qu’il semblait aller un peu mieux. Ça n’était peut-être pas encore la grande forme, mais une assurance que s’ils s’en tenaient aux politesses, il n’y aurait pas de nouvelle conversation trop sérieuse entre eux. Raison pour laquelle, il invita son voisin à entrer d’un simple signe de main tandis qu’il se décalait de la porte pour faire de la place. Il la claqua dans le dos d’Ezra et retourna simplement s’installer dans son canapé comme si de rien était. Son t-shirt était à portée de main sur la table basse, mais il ne ressentait plus tellement de pudeur face à Ezra depuis que ce dernier l’avait observé en pleine action avec Elias. “Alors, qu’est-ce que tu veux ?” demanda-t-il en posant les pieds sur la table. “J’étais en plein milieu d’un bouquin passionnant, donc je te conseille de choisir tes prochains mots soigneusement.”

Même s’il n’y avait pas eu de précédent dans leur amitié, Will n’aurait pu retenir le petit sourire satisfait qui s’imprima sur ses lèvres à la remarque qu’Ezra fit sur son apparence. La pudeur lui était peut-être plus familière qu’au tatoueur, mais rarement quand il s’agissait de compliments lui étant directement adressés. “Rince-toi l’oeil, c’est gratuit.” lâcha-t-il, indifférent, alors qu’il rejoignait le salon et la place qu’il aurait voulu ne jamais quitter. Il n’eut pas besoin d’inviter son visiteur à le suivre pour que celui-ci s’installe dans le fauteuil et Will ne fit pas la moindre démonstration d’un accueil chaleureux. À la place, il s’installa confortablement, les pieds sur la table basse et son livre sur les genoux, jouant distraitement avec les pages tandis qu’il invitait Ezra à expliquer la raison de sa visite sans grande chaleur non plus. Il doutait que le tatoueur s’en offusque, habitué aux sautes d’humeur de Will autant qu’à sa politesse légendaire. Il s’était passablement améliorer après son retour de chez Maryse, mais chassez le naturel et il revient au galop, n’est-ce pas ? Il n’était pas le seul à avoir retrouvé ses mauvaises habitudes, à en croire la façon dont Ezra sembla perdre toute son assurance au moment de s’expliquer. Will, jusqu’alors passionné par la contemplation des pages de son livre, releva les yeux ver son ami, arquant un sourcil au passage. Non pas qu’il ne croyait pas au coeur pur et désintéressé du jeune homme, mais franchement ? Il manquait tellement de crédibilité que c’en était presque amusant.

Ils ne s’étaient pas adressés la parole depuis des semaines et tout à coup, Ezra lui payait une petite visite de courtoisie ? Même avec son expérience, Will ne pouvait pas avaler un morceau aussi gros. Il leva les yeux au ciel pour de bon quand le jeune homme affirma être heureux de le voir. Cela, au moins, il y croyait de bon coeur. Ça ne rendait pas le reste plus crédible. Du tout. “C’est vrai que je suis un plaisir pour les yeux.” admit-il de son ton éternellement détaché. “Elias et moi allons très bien. Notre mariage se porte à merveille, notre vie sexuelle aussi, comme tu le sais. Et maintenant que sa fiancée a posé ses valises dans la chambre d’amis, je suppose qu’on vit un véritable rêve éveillé.” mentit-il sans ciller. Il avait pourtant peu d’amis à Fort Hope, très peu même. Et ça n’était pas avec Azia ou Elias qu’il aurait pu discuter des heures des problèmes qu’il rencontrait depuis son retour. Ils auraient offert de l’aider sans problème, mais ne comprendraient probablement jamais qu’il se sente si affecté par la perte d’un foetus à peine formé. Le fait qu’il continue de désigner Lucy comme la fiancée d’Elias ou qu’il soit redevenu un vrai crétin étaient les seuls indices que tout n’était pas si rose dans sa vie qu’il voulait bien l’admettre, mais à force de se faire mordre, on apprenait vite à ne plus trop s’approcher du chien errant. Ezra, d’un autre côté, ressentait une sincère affection pour Will, ce dernier en était persuadé. Et quoiqu’ils n’aient jamais vraiment passé de temps ensemble, ils avaient partagé des choses très personnelles, involontairement ou non. L’ingénieur aurait pu lui parler et peut-être même obtenir de l’aide plus que bienvenue. Il s’y refusait quand même.

“Je ne te retourne pas la question, j’ai des yeux aussi et du peu que j’en vois, pour une fois, tu as l’air d’avoir repris du poil de la bête. Continue comme ça et peut-être même que je viendrais te rendre une visite surprise dans quelques semaines, moi aussi !” reprit-il à la place, laissant son regard glisser lentement de haut en bas le long du corps du tatoueur. Quand il retrouva ses yeux, il semblait toujours s’ennuyer profondément, cela dit. “Alors maintenant qu’on a passé l’épreuve des banalités ridicules, si tu me disais ce que tu fais vraiment ici ?” Un sourire s’installa enfin sur ses lèvres, ses sourcils se soulevant de nouveau pour lui donner une apparence presque intéressée. “Non pas que je ne sois pas touché par ton intérêt pour nous, mais je pensais qu’on avait dépassé depuis longtemps le cap où tu crois encore que je ne sais pas lire en toi comme dans un livre ouvert et où je suis obligé de te prouver que tu te trompes avec mon charme habituel. En fait, je croyais même qu’on avait réglé cette question dès notre toute première conversation.” Et bien au-delà de ce fameux charme dont on entendait souvent parler, mais qui manquait presque toujours de faire ses preuves, Will s’imaginait quand même que leur amitié avait suffisamment évoluée, depuis le temps, pour qu’Ezra ait le cran de s’exprimer librement quand il le désirait.

Quelques mots, si l’on pouvait appeler ça comme ça, échappèrent encore à Ezra, mais ça n’était toujours pas très fourni ni très travaillé. Il bégayait tellement que Will se surprit à poser un regard réellement intéressé sur lui. Au fil des mois, l’ingénieur avait appris peu à peu de nombreuses choses sur son voisin, bourreau et ami. Il ne se cantonnait pas à un seul rôle, évidemment, et Will avait eu l’occasion d’admirer plusieurs facettes de sa personnalité, mais il en était ressorti avec l’impression qu’Ezra avait plutôt tendance à en faire trop quand il ressentait le besoin de cacher quelque chose. Il était un peu plus subtile que son ami dans ce domaine, mais il comprenait bien cette technique d’autodéfense. Le genre qu’on habillait lorsque la plupart des gens n’entretenaient à votre égard qu’une liste de clichés qu’ils refusaient d’oublier et qui ne manquaient jamais de créer un malaise. On apprenait à en jouer pour survivre. Quoiqu’il ne sache pas dire avec certitude si c’était là le petit jeu d’Ezra ou non. Aucune importance, de toute façon, puisqu’en ce moment le tatoueur n’avait rien de son exubérance habituelle, sans être l’ombre qu’il était devenu ces derniers temps. Quoi qu’il ait à dire à Will, ce dernier devinait en tout cas que ce devait être important. Raison pour laquelle il ne fit rien de plus que se mordre les joues tandis que le tatoueur assurait une fois de plus que les politesses lui tenait à coeur. Il poussa même jusqu’à hocher la tête quand Ezra fit remarquer qu’ils étaient amis, essayant de ne pas montrer la tristesse qu’il ressentait à ce qu’Elias soit soigneusement exclu de cette belle amitié. Les choses entre eux s’arrangeaient, lentement mais sûrement. Will essayait de ne pas s’en mêler.

Le tatoueur éprouva sa patience pour encore quelques minutes avant de lâcher le morceau et quand ce fut chose faite, rien d’autre qu’un air incrédule n’était lisible sur le visage de Will. Tout ça pour ça ? Il n’était pas très familier des doutes sur ses propres capacités et manquait cruellement d’empathie face à la crise existentielle que traversait Ezra à propos de son art, mais il ne put s’empêcher de penser que ça ne valait pas vraiment le coup de se faire tant de mal. “Tu sais, je ne suis toujours pas très fan de tatouages.” rappela-t-il en premier lieu, alors qu’il acceptait enfin de se redresser pour s’asseoir correctement et faire face à son ami. “Et je ne dis pas ça pour te décourager ou pour refuser ton offre. Au contraire, ça me tente toujours beaucoup.” Il n’était même pas bien sûr de pourquoi il voulait un autre tatouage. Le premier avait été un pas énorme pour lui, mais un geste presque nécessaire pour avancer dans sa vie, en laissant Aiden derrière lui sans le quitter pour autant. Il avait encore des cadavres à enterrer, aujourd’hui, mais il manquait d’une véritable bonne raison, d’un raisonnement aussi poussé que celui ayant précédé sa première expérience. Sans doute cherchait-il seulement à soulager son coeur d’une peine qu’il ne comprenait pas. Et si tatouer Aiden sur sa peau l’avait débarrassé du poids de son cadavre, pourquoi ça ne fonctionnerait pas encore ? “Seulement, rassure-toi, je doute d’être prêt à te laisser me tatouer un truc trop artistique.”

D’un geste du poignet, il désigna Ezra lui-même, englobant ses très nombreux tatouages dans le lot, quoiqu’ils soient pour la plupart invisibles aujourd’hui. Will ne s’imaginait clairement pas avec un dessin très stylisé de Dieu savait quoi sur le corps. S’il franchissait ce pas une seconde fois, ce ne serait que pour quelque chose à la fois significatif et discret. “Mais voyons un peu ce que tu sais faire.” concéda-t-il tout de même, en se penchant sur la table basse pour voler le carnet à dessins du tatoueur avant qu’il ne puisse l’en empêcher. Il se réinstalla contre le dossier du canapé pour tourner les pages. Il y en avait beaucoup de noircies par la mine d’un crayon et quelque part au centre, même Will et son absence d’empathie furent forcés de constater un changement drastique dans le style de l’artiste. Il pinça les lèvres, mais ne dit rien avant d’avoir parcouru les trente pages avec attention, y compris un portrait d’Harvey visiblement caché aux yeux des plus curieux qui lui arracha son seul regard vers Ezra de toute sa contemplation. Quand il eut terminé, il ferma le carnet avec précautions et le posa sur ses genoux en laissant les paumes de ses mains dessus, comme s’il avait autant d’importance à ses yeux qu’à ceux de leur propriétaire. “T’as beaucoup de talent.” souffla-t-il, sobre et pourtant sincère. Il le savait déjà, bien sûr, non seulement une oeuvre signée d’Ezra était actuellement encadrée et trônait fièrement sur une étagère au milieu de la bibliothèque à sa gauche, mais en plus le tatoueur tout entier était une véritable oeuvre d’art et Will devinait sans mal que certains tatouages étaient de lui. Il pinça les lèvres une fois encore et posa son regard attentif sur le jeune homme. “J’ai une préférence pour les derniers, même si j’imagine que c’est ceux qui te déplaisent le plus. Ils me parlent davantage.” Sans doute parce qu’ils résonnaient douloureusement avec les cicatrices laissées par leur épreuve commune.

“Mais je crains de n’être vraiment pas le client idéal. Comme je te l’ai dit, je ne me sens pas spécialement prêt pour une pièce plus… artistique. Mais peut-être qu’on peut trouver un arrangement ?” Tranquillement, il reprit le carnet et le reposa sur la table basse, le glissant doucement vers son propriétaire. Il faisait attention de parler d’un ton neutre, presque doux qui ne lui ressemblait pas vraiment. Pas seulement pour ménager le tatoueur, mais aussi parce que les souvenirs de Maryse pesaient légèrement dans un coin de son crâne et qu’il craignait de les réveiller en parlant trop fort. “J’aimerais bien que tu dessines quelque chose pour moi, si tu t’en sens capable. Un tatouage qui serait plus dans ton style et un autre plus dans le mien. Tous les deux sur le même thème. Et je verrais comment je me sens avec ta version avant de me décider pour de bon sur celui que je veux sur moi.” Il avait désormais une tatoueuse dans sa chambre d’amis et il aurait pu se tourner vers elle puisqu’elle avait réalisé son tout premier tatouage, mais pour ce projet, il tenait vraiment à Ezra. Personne d’autre au monde que lui ne comprenait réellement ce qu’il avait sur le coeur, après tout. “Je t’ai déjà parlé de mon premier tatouage, je crois.” reprit-il en tournant son poignet pour le montrer au jeune homme. “Tu sais déjà que c’est à la fois un rappel de mon passé et une ouverture sur mon avenir. J’aimerais quelque chose de semblable dans le message. Mais sur un autre sujet. Je suppose que tu sais lequel, on n’est pas forcé d’en parler. Est-ce que ça t’aide ?”

Il n’y avait pas vraiment d’espoir ni dans le regard, ni dans la voix de Will. Il n’entendait rien aux tribulations artistiques d’Ezra, lui qui n’avait jamais vraiment connu ni la saveur amère du doute de soi, ni le murmure d’une Muse au creux de son oreille. Exprimer ses sentiments lui apparaissait comme une chose à faire dans le bureau d’un psy ou dans l’intimité d’une chambre, pas sur du papier. Mais il fut tout de même surpris lorsque le tatoueur accepta son marché, devinant que ça devait lui demander un certain effort d’accepter de relever le défi. L’hésitation dans sa voix et la menace des bégaiements aidant pas mal à lui mettre la puce à l’oreille. Il conserva un air neutre et hocha simplement la tête tandis que l’artiste récupérait son carnet et s’installait plus confortablement dans son fauteuil, visiblement prêt à commencer ses croquis dès maintenant. Will n’avait pas vu venir cette façon de procéder non plus, mais sans doute que ça ne manquait pas tellement de sens. S’il devait inspirer puis porter cette oeuvre, normal qu’il serve de modèle dans une certaine mesure.

Il fut pris d’un étrange malaise, de ceux qui nous envahissent quand on se retrouve tout à coup sous le feu des projecteurs, conscient du regard de la foule levé vers soi, mais incapable d’y échapper. Il remua légèrement sur lui-même et se décida finalement à se reposer pleinement sur le dossier du canapé, ses pieds retrouvant la table basse et ses mains se croisant sur son ventre. Ainsi donnait-il au moins l’illusion de la nonchalance, à défaut de la sentir réellement imprégner ses muscles. Ezra entreprit alors de lui donner quelques précisions, lui expliquant qu’il commencerait à dessiner le dessin correspondant davantage au style de Will dès maintenant et par le biais d’indications qu’il souhaitait entendre en même temps. L’ingénieur ouvrit des yeux ronds, mais ne laissa filtrer aucun autre indice de sa surprise sur ses traits. Ce tatouage n’était certainement pas encore une idée claire et établie dans son esprit, tout juste une décision prise consciemment. Il s’y réfugiait dans l’espoir que, comme lorsqu’il avait laissé Azia marquer sa peau, la douleur de l’aiguille et la présence définitive de l’encre sur sa peau saurait guérir la brèche inexplicable dans son coeur. La mort d’Aiden continuait de peser sur sa conscience, le soldat au regard d’acier hantait encore certains de ses rêves, mais il portait sobrement son existence sur sa peau, cicatrice que son esprit si désespérément cartésien avait pu voir guérir lentement jusqu’à n’être plus qu’une vague esquisse familière et surtout indissociable de sa personne. Le concept du dessin - si l’on pouvait appeler cela comme ça - lui était venu naturellement, sans qu’il n’ait besoin d’y réfléchir réellement. Mais là…

“Je peux toujours essayer. N’hésite pas à poser des questions plus précises si je ne te donne pas exactement ce que tu veux.” souffla-t-il après de longues secondes de silence, qu’il passa à peser le pour et le contre. Il détourna rapidement son regard d’Ezra pour le poser sur le mur devant lui et chercha les mots à poser sur cette plaie intangible. Les premières secondes, il ne se passa rien du tout, rien ne lui vint, pas la moindre image, pas la moindre idée. Il ferma les yeux, serrant les paupières autant que possible et respira lentement jusqu’à pouvoir vider son esprit et calmer son corps. Son silence perdura pourtant longuement après qu’il se soit apaisé tant et si bien qu’on l’aurait pu croire endormi. Mais après une bonne éternité, le lendore osa tout de même ouvrir les yeux, qui échouèrent sur le mur. Sa voix calme, presque traînante, s’éleva un peu plus tard. “Je n’arrive à penser à presque rien d’autre qu’à une cage, comme celle d’un oiseau, mais une prison quand même. Mais quelque chose de sombre malgré tout, même si ce n’est pas seulement à cause de cette cave où on m’a enfermé.” Sans doute une certaine forme d’empathie aurait dû l’effleurer. Parle de tout cela avec Ezra ressemblait fort à de la cruauté, mais le tatoueur exigeait qu’il exprime tout ce qui passait par son crâne et Will obéissait docilement, comme ayant oublié la présence même du tatoueur à ses côtés. “Et… Tu es familier de l’art japonais ? J’ai lu quelque chose sur les Oni, il y a un moment. Il semblerait que dans la culture Yakuza, ils sont un peu plus que des démons, davantage les porteurs du code de conduite et de punir sévèrement ceux qui ne le respectent pas. Je ne sais pas s’il y a moyen de représenter tout ça de façon assez sobre pour me convenir, mais je suis pas mal attiré par ce symbole.” Il sortit de sa léthargie presque trop brusquement et releva les yeux vers Ezra, sourcils froncés. “Est-ce que ça t’aide d’une façon ou d’une autre ?”

Étrange et inexplicable, une certaine tension naissait dans le ventre de Will alors qu’il attendait un verdict de la part d’Ezra. C’était son tatouage, après tout, ce serait à lui de le porter pour le reste de sa vie et de l’assumer. Qu’importe l’opinion du tatoueur à ce sujet. Mais il attendait une certaine forme d’approbation, le moindre signe qui lui confirme qu’il ne faisait pas un choix totalement stupide, d’autant plus que maintenant qu’il avait exprimé cette pensée sur les Onis à voix haute, il sentait comme un malaise en réalisant la portée de ce symbole. Il croyait avoir été très innocemment attiré par cette image et ce qu’elle représentait, mais désormais qu’il exprimait ses pensées à ce sujet, il réalisait peu à peu ce qu’elle signifiait réellement pour lui, ce qu’elle représentait vraiment. Ça n’était pas incohérent, dans le fond, mais ça le laissait perplexe et plutôt mal en point. Le sourire d’Ezra l’empêcha de laisser le malaise l’emporter complètement et le laissa penser qu’il n’était peut-être pas totalement stupide et ridicule, contrairement à ce qu’il commençait à se dire. Il avala sa salive avec quelques difficultés et chassa cette pensée désagréable au loin pour se concentrer sur les questions d’Ezra. Il y en avait moins qu’il le craignait, mais le fait que le jeune homme les balance toutes en même temps sans lui donner le temps de respirer lui donna un peu le tournis. Il eut un peu de mal à se redresser pour attraper le carnet tendu vers lui et plus encore à poser les yeux sur le papier.

Il vit rapidement que l’esquisse ressemblait à ce qu’il avait dit, mais fronça les sourcils sans pouvoir s’en empêcher. C’était à la fois plus sombre et plus effrayant qu’il en l’aurait cru et pourtant assez cohérent avec ce qu’il ressentait, malgré le malaise toujours palpable. Il prit un certain temps à observer le dessin avec attention, ses traits se détendant peu à peu à mesure qu’il se familiarisait avec. Ça n’était pas totalement lui, juste un peu plus élaboré que ce qu’il se sentait capable de porter, mais… sans être vraiment un non catégorique. Ça lui parlait assez en tout cas. “J’aime bien.” souffla-t-il en s’extirpant difficilement de sa contemplation pour regarder Ezra. “C’est un peu plus… j’en sais rien, en fait. J’ai juste un peu de mal avec l’idée d’un tatouage qui soit “vrai”, tu vois ? J’aurais tendance à me précipiter vers un truc discret et pas très marqué comme ce que j’ai déjà, mais… ça peut le faire si j’arrive à me faire à l’idée.”

Il haussa les épaules et retourna observer le dessin quelques secondes. Il arrivait de mieux en mieux à s’y faire à mesure qu’il le regardait, même s’il conservait quelques difficultés à l’imaginer sur son corps. “Je crois que sur la poitrine, ce serait bien.” lâcha-t-il finalement, prenant enfin la peine de répondre aux questions d’Ezra. “Et je crois que je préfère quelque chose d’assez petit. Le fait que ce soit très sombre ne me dérange pas, les zones pleines non plus, mais je ne veux pas que ça prenne toute la place. C’est possible avec ce genre de motif ?” Il passa encore un peu de temps à regarder le dessin avant que ses sourcils ne se froncent de nouveau brusquement et qu’il ne relève les yeux sur son ami à la même vitesse. “Est-ce qu’on peut y ajouter de la couleur ?” demanda-t-il. “Je sais que c’est possible dans les faits, mais je veux dire, dans les circonstances actuelles… Est-ce que ça ne te compliquerait pas un peu la vie d’utiliser des encres de couleur différentes ? Du rouge, je pense. Pas partout, juste… une touche quelque part. Sur le masque ou ailleurs, comme des traînées de sang.” L’idée ne gagnait pas vraiment en douceur, mais le dessin parvenait étrangement à s’imposer à lui sans problème à mesure qu’il prenait le temps de la laisser imprégner son esprit.

Le projet prenait forme avec une facilité que Will n’aurait jamais envisagé. Il ne savait pas pourquoi, comment, mais le dessin sous ses yeux se faisait une petite place dans son esprit et l’idée de le porter sur sa peau pour toujours, quoique toujours un peu angoissante, s’imposait tranquillement. Un moment, Will répondit aux questions de son ami en relevant à peine les yeux sur lui de temps en temps, son air calme révélant surtout qu’il était ailleurs, dans ses pensées les plus profondes et les plus secrètes, mais pas dans ce salon. Il se laissa prendre au jeu jusqu’à ce qu’Ezra ne lui offre de lui dessiner une version au feutre pour lui laisser le temps de s’habituer, réclamant au passage un rasoir pour faire de la place. Brusquement, Will baissa les yeux sur son propre torse et fut presque choqué d’y voir les poils couvrant sa peau, comme s’il avait réellement oublié à quoi il ressemblait. Il posa une main sur sa poitrine en fronçant les sourcils, ses doigts jouant un instant sur son corps. Il réfléchissait en même temps que les deux hommes parlaient et prenait conscience de la triste réalité de son ignorance dans le domaine du tatouage. “Est-ce qu’on verra toujours le dessin quand ça aura repoussé ?” demanda-t-il sans regarder vers Ezra. Il ne lui laissa même pas l’occasion de répondre tout de suite. “Vaudrait peut-être mieux trouver un autre emplacement, c’était une idée idiote.” souffla-t-il à la place. “Des suggestions ?” Lui n’avait pas tellement de meilleure idée et quand il perdait la face de cette façon, en disant quelque chose de ridicule qu’un petit génie dans son genre aurait dû envisager tout de suite, il perdait aussitôt ses moyens, ça n’aidait pas vraiment. Le sujet n’aidait pas non plus, les ombres et les souvenirs cachés derrière ce projet, la soudaine et pourtant lente réalisation de ce qu’il demandait à Ezra. Tout ça le rendait nerveux et mal à l’aise, trop loin de l’homme assuré à l’air éternellement supérieur qu’on trouvait habituellement en regardant dans sa direction.

Il n’écoutait plus vraiment ce qui se disait ensuite, hochement simplement la tête assez vaguement tandis que le tatoueur lui donnait d’autres informations. Il ne réalisa pas plus qu’Ezra avait récupéré son carnet, ne se concentra plus sur le monde réel jusqu’à une ultime question qui collait tellement avec les pensées qui défilaient dans son crâne au même moment que ça le fit sursauter. Enfin, il releva les yeux vers Ezra et sa main retomba sur sa cuisse alors qu’il se mordait les lèvres. “C’est si évident que ça ?” demanda-t-il en connaissant déjà la réponse. “Je crois que oui, mais je l’ai réalisé que là, en parlant de ça avec toi.” admit-il, même si l’on avait de sérieuses raisons de douter qu’il s’adresse réellement au tatoueur. Ça semblait tellement évident, en effet, que ce motif n’était pas là au hasard, que c’était Elias ou au moins une part de lui que tout le monde devinait juste en posant les yeux sur lui. Cette idée était la plus entêtante et la plus difficile à supporter aussi et plus il y pensait, plus Will se sentait mal à l’aise. “Tu crois que c’est bizarre ?” demanda-t-il en fronçant les sourcils. “Il va trouver ça bizarre, non ? Et il va sûrement mal le prendre aussi… Je devrais peut-être trouver autre chose. C’est beaucoup trop étrange et malaisant. Il va complètement flipper quand il verra ça.” Il n’était même pas bien sûr de pourquoi, mais il savait qu’Elias n’aimerait pas voir ce dessin sur sa peau, que ce serait à la fois un rappel constant d’un crime honteux et une sorte d’accusation silencieuse. Elias le prendrait forcément mal et Will commençait à douter sérieusement de ce qui lui passait par le crâne en ce moment. Son mariage souffrait déjà le martyr et il voulait en rajouter une couche en laissant croire qu’il voyait l’homme de sa vie comme un monstre vengeur assoiffé de sang ? Ce n’était pas le cas, mais ce serait ce qu’on verrait, pas vrai ?

À cette pensée, Will se leva brusquement, le livre posé sur ses genoux tombant au sol sans qu’il ne lui accorde guère plus qu’un regard. “Je reviens.” souffla-t-il alors qu’il s’éloignait déjà d’Ezra pour foncer se cacher dans la cuisine. Il ouvrit un placard un peu plus violemment que nécessaire et en sortit deux verres et une bouteille de whisky. Il se servit une première tournée, avalant le verre d’une seule traite dans l’espoir que ça suffise à le calmer. Quelques secondes pour retrouver le contrôle de sa respiration eut un meilleur effet et finalement, il revint au salon après deux ou trois minutes seulement, posant les deux verres vides sur la table basse pour les remplir presque à ras-bord. Il attrapa le sien et le leva dans la direction d’Ezra. “Bois un coup, c’est trop sérieux, ces histoires de tatouages.” offrit-il, davantage comme un ordre qu’autre chose. Il n’attendit pas qu’Ezra s'exécute pour vider le sien, en tout cas.

D’une seule traite, l’alcool trop fort glissa dans la gorge de Will en parvenant à le réchauffer un peu. C’était un terrible crime que de ne pas savourer ce grand whisky avec un peu plus de douceur, mais la seule idée de l’alcool désormais dans ses veines lui donna l’illusion une seconde que tout allait s’arranger. Il reposa le verre vide sur la table basse dans un geste un peu brut et tenta d’offrir un air nonchalant à Ezra qui essayait tant bien que mal de le rassurer sur son idée de tatouage et surtout sur comment son mari le prendrait quand il le découvrirait. Étant donné le manque de pudeur de Will, il y avait fort à parier que le secret ne tiendrait pas plus de quelques heures… Il hocha la tête distraitement, bien malgré lui réellement rassuré par l’offre du tatoueur. “Faire en sorte qu’il n’ait pas l’air d’un meurtrier, ce serait parfait, en effet.” concéda-t-il, soulagé. Il hocha la tête sans aucune raison apparente, cherchant simplement à se convaincre que cette petite modification suffirait à exprimer son projet sans risque de mauvaise interprétation. Il ne l’admettrait probablement jamais, mais il était vraiment heureux de confier ce projet à Ezra. Au moins le jeune homme parvenait-il à le comprendre sans qu’il n’ait besoin de trop parler et il doutait sérieusement que ça ait été le cas avec Azia. Tout finirait bien. Il le fallait.

Il sortit de sa torpeur en entendant le nom d’Harvey dans la bouche de son ami, parvenant enfin à afficher un air moqueur et bourré de sous-entendus sans avoir à se forcer. Mais déchanta bien vite alors que le tatoueur poursuivait ou plutôt, revenait à la charge avec son tatouage. Will se resservit un verre de whisky pour le seul plaisir d’avoir quelque chose à faire et de quoi fuir en cas de besoin et fit un vague geste de la main pour rejeter la proposition de son ami au loin. “Je lui en parlerai.” mentit-il sans la moindre gêne. Étrangement, il avait pourtant toute confiance en Ezra, mais parler de ses problèmes de couple revenait à admettre qu’ils existaient et il n’était pas encore prêt à ça. Il finirait bien par trouver un moyen de régler ça, de toute façon. Il y croyait dur comme fer et plaçait tous ses espoirs dans cette sortie qu’ils avaient prévu tous les deux et qui tardait à se concrétiser malgré tout. “Et va pour les côtes, je compte sur toi pour que ce soit quand même sexy.” Il fit un clin d’oeil à l’homme avant d’avaler une gorgée d’alcool. “Maintenant, assez parlé de tout ça !” décida-t-il quand il éloigna le verre de ses lèvres. “Ça fait une éternité qu’on n’a pas parlé, toi et moi.” fit-il remarquer de son ton empli de promesses terribles, très Will. “Comment ça avance avec Harvey ? T’as enfin réussi à le décoincer ou vous faites encore semblant d’être seulement amis ?”

Bon, certes, ils n’avaient réellement parlé de ce genre de choses qu’une seule fois de toute leur vie, mais quelle importance ? Ces temps-ci, Will était vraiment prêt à tout pour que son esprit s’égare loin de sa propre vie amoureuse et de ses problèmes personnels et connaissant Harvey, il ne croyait pas que les choses soient très évoluées entre lui et Ezra. Sans aucun doute, cette conversation aurait de quoi le passionner et l’occuper un moment. “Je sais qu’Elias lui a offert quelques cours d’éducation sexuelle à l’époque où ils allaient s’entrainer au tir ensemble, mais tu connais mon mari… Je ne suis pas sûr que ce soit le mieux placé pour éduquer les jeunes aux plaisirs de l’amour entre hommes.” Il se pencha doucement en avant, offrant son plus beau sourire à Ezra. “Si tu veux, je peux tenter ma chance et aller lui parler pour toi… Lui décrire tout ce qu’il rate en se refusant à toi. Il parait que je peux être très persuasif quand je veux.”

Le rire qui échappa à Will devant la panique du tatoueur fut tellement sincère et naturel qu’il étonna l’ingénieur lui-même. Il se souvenait à peine de la dernière fois qu’une émotion positive lui avait échappé sans qu’il n’ait besoin de se forcer un peu. Peut-être cela venait-il de l’alcool, qu’il n’avait plus tellement l’habitude de consommer et dont il sentait la chaleur prendre place dans ses veines peu à peu. Il se força tout de même à se calmer assez vite, aussitôt qu’Ezra sauta sur ses pieds en fait et son visage heureux se para d’un masque inquiet alors qu’il observait son ami se mettre à faire les cent pas dans son salon. Tout en faisant enfin les aveux que Will attendait depuis si longtemps et qui le laissait pourtant perplexe. Il n’essaya pas de calmer le jeune homme avant qu’il ait terminé de parler, mais quand ce fut le cas, Will leva les yeux vers lui, lèvres pincées et malaise évident. “Je ne dirais rien, c’était juste pour plaisanter.” assura-t-il d’une voix calme, qu’il espérait rassurante. Il faisait toujours un peu trop le malin, mais il n’avait aucune envie sincère de torturer Ezra, bien au contraire. Le tatoueur était presque la seule personne de tout ce camp pour qui Will ne ressentait aucune émotion véritablement négative. Il restait toujours quelque chose d’un peu étrange entre eux, les souvenirs de leur captivité luttaient pour ne pas être oublié et parfois, le jeune homme se réveillait en pleine nuit avec le visage du tatoueur encore imprimé sur la rétine. Mais loin de le tenir loin d’Ezra, c’était surtout ce qui lui donnait envie de graviter autour de lui. Il essayait de ne pas trop chercher à comprendre.

“Détends-toi, Ez.” souffla-t-il en reprenant son verre pour essayer de suivre son propre conseil. “Ton secret est sauf avec moi, c’est promis.” Il pensait réellement et fit même un effort pour ne pas revenir sur le sujet. Mais c’était peine perdue, on parlait de Will : dès qu’il avait une idée en tête, une question dans le coin de crâne, il devenait impossible de l’en détourner. Son besoin de tout savoir, tout comprendre, pouvait devenir parfois effrayant, une véritable plaie autant pour lui que pour ses proches. “Pourquoi t’es tellement persuadé que c’est une bonne idée de ne rien lui dire ?” demanda-t-il sur le même ton calme, presque un murmure sans l’être tout à fait. La réponse l’intéressait réellement et pourtant, au lieu de laisser une chance à Ezra de la lui donner, il se redressa un peu et reprit immédiatement la parole. “Je ne suis marié que depuis cinq mois alors que je ne suis pas un expert,” dit-il en fronçant les sourcils. Seulement cinq mois, ça l’étonnait toujours un peu tant il avait l’impression d’avoir toujours connu Elias, de l’avoir toujours eu dans sa vie. Les épreuves incessantes et les obstacles toujours sur leur route amplifiaient ce sentiment de façon affolante. “Mais s’il y a bien une chose que j’ai apprise à force de me casser les dents à faire tenir ce mariage, c’est que rien ne fait plus de mal que les secrets.”

Il aurait sûrement dû se sentir un peu hypocrite de dire une chose pareille, lui qui cachait tellement de choses à Elias depuis plusieurs semaines maintenant et qui s’entêtait à les lui cacher même quand elles se trouvaient juste sous leur nez. Mais justement. Il savait mieux que personne combien les non-dits pouvaient empoisonner une relation. “On a toujours une bonne excuse pour justifier de ne pas être honnête avec ceux qu’on aime. Ma préférée c’est celle qui prétend qu’on se tait pour protéger l’autre. C’est la plus hypocrite de toutes, tu ne crois pas ?” Il marqua une pause le temps d’offrir un regard appuyé et lourd de sous-entendus au tatoueur, mais pas assez longue pour lui donner l’occasion de répondre quoi que ce soit. “Tu as peur, je peux comprendre, crois-moi, je suis effrayé chaque seconde de chaque jour depuis que j’ai rencontré Elias. C’est comme ça qu’on sait qu’il y a quelque chose, je crois. Quand on a tellement peur de tout perdre, qu’on est prêt à mentir et à faire n’importe quoi pour que ça n’arrive jamais. Mais à la fin de la journée, tu te retrouves seul avec tes secrets et tes mensonges, même quand la personne à qui tu mens est avec toi et c’est ce qui finit par vous séparer.” Il n’était plus tout à fait sûr de parler d’Ezra et Harvey, tout à coup, ce qui le frappa assez violemment pour qu’il se sente secoué et endolori. Il secoua la tête et les épaules comme pour se remettre du coup.

“Tu as peut-être oublié comment c’était, de réaliser pour la première fois qu’on est différent des autres parce qu’on désire quelque chose que le reste de la société n’approuve pas vraiment, mais j’en doute. Ça ne t’est jamais venu à l’esprit qu’il a peut-être peur, lui aussi ? Tu es le centre de son univers depuis des mois, mais ça ne reste qu’un gosse qui a sûrement du mal à comprendre ce qui lui arrive. Seulement, tu ne le sauras jamais si tu ne lui dis pas ce que tu ressens et vous finirez par vous perdre, c’est sûr et certain.” Il lâcha un soupir et s’arrêta enfin de parler, détournant rapidement les yeux, agacé par le malaise qui commençait à le gagner presque plus rapidement que l’ivresse dans laquelle il cherchait à se noyer doucement.

Avoir raison était l’une des choses que Will préférait au monde et cela l’emplissait généralement d’une satisfaction immense qui pouvait vite le rendre insupportable. Ça se traduisait souvent par un sourire fier et un petit air supérieur qu’il trouvait particulièrement approprié à sa personne. Quand il comprit qu’il avait raison cette fois, il ne se produisit rien de tel. À croire qu’avoir raison n’était pas toujours une bonne chose. Il ne l’aurait jamais parié. Au lieu d’un sourire et d’un air hautain, il se para simplement d’une grimace perplexe et un peu douloureuse et observa Ezra avec une attention particulière, comme s’il cherchait à lire ses pensées rien qu’en inspectant les traits de son visage. C’était un peu le cas, quelque part, quoiqu’il ait déjà toutes les réponses qu’il cherchait. Il laissa le silence s’installer brièvement, malgré tout ce que venait de dire Ezra et qui aurait mérité une réponse immédiate. Ça n’était pas vraiment agréable, mais il avait besoin de réfléchir, de choisir soigneusement chaque mot et de dire la bonne chose. Ça aussi, c’était étrange. Ça ne lui ressemblait pas de vouloir ménager quelqu’un, de vouloir faire les choses correctement. Tout avait changé dans sa vie, dernièrement, surtout lui.

“Je ne connais pas bien Harvey,” murmura-t-il au bout d’un moment. On entendait la tension dans sa voix, le soin qu’il mettait à chaque mot, à chaque souffle, comme s’il craignait réellement de voir le tatoueur se liquéfier sous ses yeux. “Mais je ne crois pas que tu sois très objectif sur la situation.” Il se mordit la lèvre, mais n’ajouta rien tout de suite, préférant accorder à Ezra ce dont il avait besoin : respirer un peu. Il se pencha plutôt sur la table basse et remplit de nouveau leurs deux verres, alors qu’il réfléchissait toujours dans son coin. Il attendit d’en avoir avalé une bonne gorgée avant de relever les yeux vers son ami. “Elias et moi, on ne s’en sort pas aussi bien que tu le penses, tu sais.” souffla-t-il avec plus de retenue encore. Il n’avait pas vraiment le courage de tout expliquer, d’entrer dans les détails et de prendre le risque d’ouvrir la boîte de Pandore soigneusement rangée dans sa poitrine. La moindre petite brèche menaçait de le briser à jamais, ou du moins le croyait-il. “Depuis que je suis de retour à Fort Hope… Je pense qu’il ne se passe pas une semaine sans qu’on ne se dispute et c’est à peine si on se parle, ces jours-ci.” admit-il. Et Ezra et lui étaient pourtant rentrés depuis bientôt cinq mois. Finalement, ça n’était pas bien compliqué de jouer le rôle du couple parfait et le temps passait si vite que Will en avait oublié qu’il faisait semblant la plupart du temps et qu’il aurait dû agir vite avant qu’il ne soit trop tard. “Et peu importe que tu aies de l’expérience ou non, une relation demande des efforts, du travail. J’ai été en couple plusieurs fois avant de rencontrer Elias, mais lui non. Ça ne m’empêche pas de faire des erreurs, peut-être même plus qu’il n’en fait.”

“Et ça a été difficile dès le départ, parce qu’il n’a jamais connu d’homme avant moi, qu’il n’a jamais eu de relation sérieuse avant moi et qu’il était plutôt comme toi, j’imagine, à coucher sans jamais chercher plus loin. Et peut-être que les choses sont différentes entre Harvey et toi, j’en suis même sûr. Mais… Différentes ou non, je sais ce que ça fait d’avoir peur, du passé autant que de l’avenir, d’être blessé ou déçu. J’ai encore peur, même aujourd’hui, même en sachant qu’il m’aime et que ce qu’il y a entre nous, personne ne pourra jamais me le prendre. Ça fait partie du jeu et ça vaut largement le coup de prendre le risque.” Il secoua la tête et avala une autre gorgée d’alcool, frappé par son hypocrisie plus douloureuse que jamais. Il était grand temps qu’il prenne sur lui et qu’il tente sa chance, comme il osait conseiller à Ezra de le faire. Un sourire s’installa lentement au coin de ses lèvres alors qu’il éloignait le verre de son visage. “Je te conseille quand même de ne pas être trop direct. Je doute que le gosse soit prêt à te regarder droit dans les yeux et faire son coming-out. Ça n’a aucune importance de toute façon, qu’il soit gay ou non, ça ne change rien du moment qu’il a envie d’être avec toi. Essaye plutôt d’être subtile, pour une fois. De savoir ce qu’il ressent sans essayer de mettre une case dessus ou tu vas le faire flipper, c’est clair et net.”

Il lâcha un rire un peu étouffé et se laissa retomber contre le dossier du canapé, son regard venant se perdre dans le vide un moment. Il espérait ne pas se tromper sur Harvey, sincèrement. Il espérait que le gamin comprendrait ce qui se passait et aurait le courage d’essayer. “Et si jamais il ne ressent pas la même chose, ça veut seulement dire que ce n’était pas le bon. Et je serais là pour boire avec toi jusqu’à ce que tu oublies !” promit-il en levant son verre vers le jeune homme. “Peut-être même qu’on pourra convaincre Elias de se joindre à nous et qu’un verre après l’autre, il sera enfin partant pour un plan à trois ! L’espoir fait vivre, pas vrai ?”

Certaines personnes là dehors disposaient de toute une collection de réponses toutes faites à donner dans des situations comme celles-là, des encouragements factices et autres lieux communs qui ne fonctionnaient jamais à motiver qui que ce soit. Will était plutôt partisan de la vérité et elle n'aiderait certainement pas Ezra, il le savait d'avance. Mais il n'était pas certain que ne rien dire du tout soit vraiment mieux. Il commença par hausser les épaules et détourner le regard, s'intéressant de nouveau à son verre dont le niveau d'alcool baissait à une vitesse plutôt impressionnante. Il finirait par le regretter rapidement. "Je ne sais pas, ça me semblait pire de prendre le risque de passer le reste de ma vie sans lui ? C'est ce que je me dis chaque fois que mon ego menace de se mettre entre nous : est-ce que c'est mieux d'épargner ma fierté ou d'avoir droit à encore quelques jours de plus avec l'homme que j'aime ?" souffla-t-il dans un autre haussement d'épaules. "Je n'ai pas de recette miracle, Ez. Bien sûr que c'est effrayant et bien sûr qu'il y a un risque que ça ne fonctionne pas, mais ça a toujours bien marché pour moi. C'est aussi simple que ça. Quand on veut quelque chose, il faut se donner les moyens de l'obtenir." Mais bien sûr que c'était effrayant et la peur de l'échec aurait pu paralyser n'importe qui. Sauf Will, sans doute. Il était immunisé contre ce genre de craintes, lui qui avait passé sa vie à s'entendre dire qu'il pourrait réussir n'importe quoi, avoir tout ce dont il rêvait, que rien ne pourrait jamais le retenir. Dans le cas d'Harvey et Ezra, pourtant, il voyait où pouvait se trouver le problème et il croyait malgré tout dur comme fer qu'à la place d'Ezra, il n'aurait pas hésité une seconde.

Ça demandait seulement un peu d'assurance et de subtilité, deux qualités dont le tatoueur semblait manquer cruellement, comme il n'oublia pas de le rappeler à son ami qui s'étonna de sourire à cette remarque. "Tu peux aussi ne rien dire du tout et passer le reste de ta vie à te demander ce qui se serait passé si t'avais essayé. Ça me rendrait dingue, personnellement, mais peut-être que ça peut te convenir, à toi !" Le sourire très Will sur ses lèvres venait compléter cette tentative de provocation, mais il commençait à douter sincèrement que le jeune homme répondrait comme lui à un tel comportement. Certaines personnes ne trouvaient jamais la force de se battre et qu'il soit ou non de ceux-là, Ezra ne l'avait-il pas toujours cru ? Will se souvenait encore de leur désagréable première rencontre qui semblait prouver ce fait sans l'ombre d'un doute. Raison pour laquelle il tenta de détendre l'atmosphère dans son offre de soutien au jeune homme. Rien ne servait de le pousser vers une route qu'il ne se sentait pas prêt à emprunter. Au moins l'idée de s'incruster dans ses ébats avec Elias semblait vraiment remonter le moral d'Ezra.

Un rire pas très joyeux secoua brièvement Will avant qu'il ne secoue la tête, désabusé. "Je crois que mariés ou non, ça reste une agression." confirma-t-il très calme compte tenu de ce dont ils parlaient. Il retrouva tout son sérieux à la question suivante et posa son regard sur le jeune homme. "Ne parle jamais de ça à mon mari, c'est clair ?" demanda-t-il en préambule, presque comme une menace, mais il manquait franchement de conviction pour faire peur. "Ça m'est arrivé quelques fois et c'était sympa, je ne le regrette pas, mais... je ne crois pas que j'en serais capable avec Elias. Ça me rend malade de l'imaginer avec quelqu'un d'autre que moi, même si c'est seulement pour une nuit et en ma présence." admit-il, avec juste assez de nonchalance pour masquer la véritable angoisse que cette idée lui provoquait. Peut-être que l'alcool commençait doucement à lui monter à la tête, il ne voyait pas d'autre façon d'expliquer qu'il soit tout à coup incapable de se taire. "On a une relation bien assez compliquée comme ça, il n'y a pas de place pour une troisième personne entre nous." Il avait perdu de sa décontraction en route et secoua la tête pour en chasser tout ce sérieux. "Et toi, alors ? Je suis sûr que t'as fait des trucs de dingue." lança-t-il dans l'espoir de clore définitivement le sujet de son mariage.

Malgré le refus catégorique de Will, Ezra ne se laissa pas démonter et se permit un instant d'envisager ses ébats à trois en faisant la liste à voix haute. Ce ne fut pas tellement qu'il en parle aussi librement et sans aucune honte qui prit Will par surprise, il n'était pas assez coincé pour ça et même pas gêné d'apparaître une fois dans l'une des configurations possibles. Non, ce qui le fit se crisper d'un coup et ouvrir des yeux ronds, ce fut d'entendre le nom de Sidney dans l'une d'entre elles. Sidney, comme dans Sidney le crétin de frère adoptif de Docteur Sexy, homophobe renommé ? "Quoi ?" souffla Will, quelque part entre surprise et révolte. "Tu parles du blondinet du bout de la rue ? Celui qui habite avec l'asiat' super canon ?" Il secoua la tête, complètement désabusé. Il savait qu'Ezra avait une tendance à faire les mauvais choix, particulièrement en matière de relation amoureuse, mais là... "T'as conscience que ce type est un vrai con et qu'il est homophobe par dessus le marché ?" demanda-t-il et peut-être qu'on percevait un peu de jugement dans sa voix, d'accord et ça n'était pas le genre de chose qu'on faisait entre amis, mais il fallait bien que quelqu'un protège Ezra avant qu'il ne se mette encore dans une situation périlleuse. Et qui mieux que Will pour faire ça, pas vrai ? Il était définitivement trop bon et trop généreux, l'exemple parfait de l'altruisme pur et sincère. "Si j'étais toi, j'éviterais de lui proposer une idée pareille, Dieu seul sait comment il pourrait réagir..."

Enfin, il n'avait pas le pouvoir d'empêcher Ezra de faire n'importe quoi s'il ne le voulait pas, après tout. Et puis, pour l'instant, ça restait de l'ordre du fantasme, n'est-ce pas ? Si Ezra n'arrivait même pas à parler de ses sentiments avec Harvey, il le voyait mal courir frapper à la porte du voisin pour lui proposer de s'envoyer en l'air. Will pensait déjà à autre chose, de toute façon et plus particulièrement au colocataire du blondinet arriéré. "Finalement, si Elias était partant, je crois que je serais prêt à le partager avec Drew le temps d'une nuit... Peut-être même deux." lâcha-t-il, rêveur. Oui, il parvenait vraiment à se l'imaginer sans aucun mal et ça lui plaisait bien, même si ça n'arriverait jamais. Mais il n'y avait rien de mal à fantasmer un peu, quoiqu'il se garde de partager ses fantasmes avec son mari, déjà sûr que ce dernier ne verrait pas les choses avec autant d'ouverture d'esprit. La conversation s'éternisa avec beaucoup plus de calme pendant quelques secondes, jusqu'à ce qu'une déclaration d'Ezra ne parvienne à arracher un rire au jeune homme. Qui n'était probablement pas dans un meilleur état, sachant qu'il riait rarement avec autant de sincérité qu'il venait de le faire, mais qui se permit quand même de juger. "Déjà ? T'as raison, tu deviens trop vieux pour profiter pleinement de la vie !" se moqua-t-il, sans s'arrêter trop sur le fait que lui-même se sentait étrangement léger et qu'il avait chaud. Mais pas encore au point de l'admettre à voix haute.

Il poussa même le déni jusqu'à les resservir tous les deux. "Peut-être qu'on peut trouver quelqu'un qui sait écrire dans le coin, pour récolter ton témoignage et écrire le livre à ta place..." Il eut l'air de réfléchir sérieusement pendant quelques secondes et d'avoir trouvé une idée vraiment incroyable, car il se redressa brusquement et frappa dans ses mains. "Raconte-moi l'histoire la plus folle qui te sois arrivée. Je peux sûrement écrire ce livre pour toi, je suis devenu un pro dans l'art de raconter des histoires maintenant que je joue les baby-sitters pour les filles de Logan !" Et il leva son regard très sérieux, quoiqu'un peu troublé par l'alcool, vers le jeune homme, impatient d'entendre ses histoires probablement trop explicites pour les oreilles d'un enfant.

D'une simple moue perplexe, Will fit savoir qu'il ne croyait pas trop à la théorie selon laquelle Sidney ne serait pas aussi con qu'il semblait l'être, mais se retint de faire le moindre commentaire à voix haute. Il garderait un œil sur ce crétin, mais n'irait pas se mêler des affaires d'Ezra sans y être invité. Surtout pas sur un sujet comme celui-là, alors qu'il y avait tellement d'autres choses dans la vie d'Ezra dont il voulait se mêler sans qu'on ne lui ait rien demandé. Il fallait savoir choisir ses batailles, n'est-ce pas ? Et puis, de toute façon, dès la première évocation de Drew, l'esprit du jeune homme était déjà ailleurs, occupé à voguer dans des fantasmes qui ne se réaliseraient probablement jamais. Il sortit de ses pensées assez brusquement alors que le tatoueur l'accusait d'être fétichiste et lui offrit un air outré. "Ça n'a rien à voir avec un fétiche, c'est juste que j'ai un faible pour les asiatiques... On a tous nos préférences, ce n'est pas ma faute !" Et puis, il n'y était pour rien si Elias et Drew s'avéraient aussi agréables à regarder, après tout. De toute façon, il ne faisait de mal à personne et en dehors d'Ezra, personne n'était au courant de ce petit secret. Il comptait sur l'ivresse du tatoueur pour que les choses restent ainsi.

Le sujet dévia bien rapidement, de toute façon et un instant, alors qu'Ezra racontait l'histoire la plus dingue qui lui soit arrivée, Will resta les yeux et la bouche grands ouverts à le regarder. Lui-même n'était pas un enfant de chœur, mais clairement il n'arrivait pas à la cheville de son ami. "Pourquoi t'as accepté de le faire ?" s'étonna-t-il quand il retrouva l'intégralité de ses facultés intellectuelles. Si encore il y avait trouvé un certain plaisir, mais d'après son histoire, ça n'était même pas le cas... Il secoua la tête, désabusé par cette confidence qui se révélait au moins à la hauteur de ses espérances. "J'ai rencontré des types bizarres, ok, mais je n'ai jamais fait un truc dont je n'avais pas envie. Je crois que je suis un peu trop une princesse pour ça." souffla-t-il, songeur, alors qu'il fouillait dans sa mémoire à la recherche d'une histoire aussi étonnante. Mais non, rien à faire, il ne trouvait rien qui soit à la hauteur des frasques d'Ezra. "Dès qu'un mec me paraissait bizarre, j'allais voir ailleurs... Pour tout te dire, je n'ai même pas dû faire ça dans un lieu public plus d'une fois ou deux. J'avais des exigences, tu vois. Ouais, je suis définitivement une princesse..."

Il avait presque honte de lui, tout à coup, mais ça ne dura pas plus d'une seconde. Il n'y avait rien de mal à vouloir faire les choses d'une certaine façon, après tout. Pas vrai ? Ça ne l'avait jamais empêché de profiter de la vie, en tout cas et il n'avait aucun besoin de se mettre en compétition avec Ezra de toute façon. Il réalisait juste un peu plus franchement quel idiot il avait été de croire qu'il n'était pas exactement le genre de mec à finir marié et père de famille malgré ses grands airs de rebelles. La vie qu'il menait maintenant était exactement ce qui l'attendait depuis toujours, même quand il prenait ses grands airs et jouait au type au-dessus de tout et trop indifférent pour se caser. Il fut tiré de ces pensées stupides par la voix presque tremblante d'Ezra qui se lançait dans une déclaration touchante qui tira un rire franc à Will. "Merde, je crois que t'as vraiment trop bu, mon vieux." lança-t-il quand il retrouva son calme. "Mais je t'aime aussi. Et si tu le dis à quelqu'un, j'ai une tombe à ton nom dans mon jardin." tempéra-t-il malgré tout. "On devrait arrêter de boire avant de se mettre à se faire des câlins et échanger des bracelets d'amitié." décida-t-il tout de même en reposant son verre de nouveau vide sur la table basse. "C'est fou qu'on se soit jamais croisé avant la fin du monde... La communauté gay de Détroit ne doit pas être si grande que ça, pas vrai ? Et on a quand même réussi à ne jamais coucher ensemble, c'est un miracle." reprit-il, de nouveau songeur alors qu'il s'allongeait sur le canapé.

Il n'était pas encore assez alcoolisé pour le dire à voix haute, mais il était plutôt content que les choses se soient passées ainsi entre eux, malgré les mauvais moments avec Maryse. Il avait au moins l'impression d'avoir un véritable ami pour la première fois depuis un long moment et ça n'était pourtant pas gagné la première fois qu'ils s'étaient rencontrés dans ce même salon d'ailleurs. "J'ai rencontré ton frère, tu sais ? Qu'est-ce qui cloche chez ce gamin ?" demanda-t-il un peu soudainement, sans trop savoir d'où lui venait cette idée stupide, qui risquait fort de gâcher l'ambiance d'ailleurs.