Rusée - Patiente - Minutieuse - Loyale - Réfléchie - Sociable - S'adapte facilement -¤- Influençable - Fragile (depuis l'épidémie, négligeable avant) - Soumise à l'autorité - Réfléchit trop - Facilement rattrapée par ses émotions - Peur panique de l'abandon

Raven dut apprendre très jeune à se débrouiller par elle-même. L'enfance qu'elle a vécu, auprès d'une mère négligeante et dans un quartier violent, ne lui a guère laissé le choix. Fort heureusement, son arrivée en famille d'accueil, puis son adoption par les Santoya, lui a permis de se construire normalement et d'espérer une existence plus belle. Dure à la tâche, elle s'est donnée les moyens de rentrer dans l'armée et de faire partie de l'élite du corps des démineurs, chez qui elle était débutante lorsque l'épidémie a commencé. Déterminée, ne reniant rien de ses origines malgré les cicatrices laissées par ce dernier, elle savait s'adapter à tout. Jusqu'à l'épidémie, du moins.

Auparavant joviale, appréciée de son unité et au rire facile, elle s'est renfermée dès que les survivants de son petit groupe se sont installés dans une ferme non loin de Grosse Pointe, où ils ont passé l'hiver rude. Il lui arrive régulièrement de se demander pourquoi elle lutte et si cela en vaut la peine, sans jamais s'en être ouvert à quiconque pour le moment. Elle se repose sur sa First Lieutenant pour prendre les décisions, suivant les ordres tel un robot désarticulé, sans goût pour rien. Néanmoins, il y a fort à parier que sa forte personnalité ne tardera pas, elle aussi, à sortir de cette torpeur dans laquelle elle s'est abîmée.  

Le Bronx et ses quartiers populaires. Un euphémisme pour ne pas dire précaires. C'est ici que l'on trouve la lie de la population, ces peaux noires, basanées, ce melting-pot culturel, ses règlements de comptes entre gangs et ... Des citoyens totalement ordinaires, aussi. Les clichés ont la vie dure, n'est-ce pas ? Relayés par les médias, des faits isolés peuvent devenir l'emblème de tout un borough. Si seulement ils savaient ce qui se cache derrière les portes cochères, s'ils oubliaient un peu leurs foutues séries télé, ils comprendraient. Ils verraient qu'on n'a pas tous un labo de crystal meth' dans notre cuisine, qu'on ne bat pas tous nos mômes et que même, ils vont à l'école. Mais ils n'ont jamais voulu voir et en ce qui me concerne, j'ai arrêté d'essayer de leur retirer leurs oeillères. Peut-être parce qu'en réalité, il m'a fallu des années pour le comprendre, moi aussi. Il m'a fallu le vivre.

Parce qu'on se le dise, j'ai beau m'agacer des stéréotypes véhiculés, j'ai été l'un d'entre eux. Dans le genre, un peu la totale. Père inconnu et absent, mère junkie, prostituée, une fratrie de cinq enlevée par les services de l'enfance ... Oui, j'ai été de ceux-là. J'ai été de ces gamins qui doivent apprendre à faire leur goûter tout seul et à transporter une casserole d'eau pleine jusqu'à la gazinière en priant pour que ça ne lui pète pas à la tronche. J'ai été de ces enfants hurlant dans les bras de l'assistante sociale, pleurant pour qu'on ne l'arrache pas à une mère déviante. J'ai connu les foyers, les bizutages par les plus âgés, le canif sous l'oreiller pour dissuader ton compagnon de chambre de te piquer tes trois sous et tes deux bonbons.  

Et puis, j'ai connu les familles d'accueil. Ou plutôt la famille. Celle qui m'a fait voir l'envers du décor, qui m'a fait comprendre que dans le Bronx, il y avait d'autres choses, d'autres façons de vivre. De l'espoir. Je n'étais pas très difficile à apprivoiser. J'avais envie d'apprendre. Je crois même que je ne demandais que ça. Ce besoin désespéré d'être aimée, que l'on s'occupe de moi, d'exister en tant qu'individu seul et entier ... Quand certains développent ce caractère mauvais, violent, défiant, des gosses mal élevés et délaissés, j'avais appris à m'effacer. Les stigmates de ma vie passée n'étaient trahis que par ces satanés TOC. Le lavage de main intempestif était encore gérable, mais s'arracher les cheveux par poignées entières ... Plus compliqué à cacher. Avec l'aide de mes "parents", cependant, je m'en sortais plutôt bien.

Joe était militaire, régulièrement envoyé d'une base à l'autre, mais le peu de temps qu'il passait chez nous, il nous le consacrait entièrement, à nous, les mômes oubliés. Quant à Minnie, notre mère, elle pouvait se montrer aussi sévère et inflexible que d'une douceur incomparable. Elle avait cet instinct-là, celui qui avait fait défaut à ma mère biologique et à tant d'autres à travers le monde. Ils nous aimaient, nous poussaient vers le meilleur de nous-même, voulaient connaître nos ambitions et nous aider à atteindre nos rêves. Régulièrement, les flics se pointaient, avec l'un de nous chopé en train de commettre un délit quelconque. Minnie ne criait pas. Jamais. Joe non plus. Le fautif était prié de rejoindre sa chambre et suivant la personnalité, la méthode différait. Pour moi, c'était une longue dissertation de quatre pages minimum où je devais détailler par le menu ce que j'avais fait, pourquoi et comment je pouvais m'empêcher de recommencer. A 16 ans, les gyrophares ne renvoyaient plus leurs lumières bariolées pour moi. La leçon avait été parfaitement intégrée.

Je n'étais pas plus intelligente que la norme. A dire vrai, il n'existait absolument rien de spécial en moi si ce n'était ma passion un peu étrange et désuète pour les maquettes d'avion. Celle pour les sciences, également. Précision, minutie, solvant et substrat ... De la logique et du bon-sens, rien de plus. C'était simple. Et la simplicité, après des années de chaos et d'anarchie existentiels, était tout ce dont j'avais besoin. Sans compter que la concentration avait un effet positif incomparable sur mes troubles compulsifs.

Je crois que, finalement, on cache tous en nous cette part inavouable, ce secret de polichinelle renfermant ce que nous sommes vraiment. J'aurais pu prendre ce job de serveuse qui m'avait servi à me payer ma première voiture. J'aurais pu partir à la fac', devenir prof' ou archéologue. J'aurais pu me trouver un gentil garçon et devenir mère à vingt ans. Grâce à Joe et Minnie, j'avais le choix. Ils m'avaient les outils et à force de labeur, je les avais transformé en armes à mes aspirations. Dans ce monde où les trois quarts de la population devaient se contenter d'un presque rien, j'avais toutes les cartes en main. Alors, je choisissais l'armée.

Malgré tout ce que j'avais reçu ces dernières années, quelque chose me manquait. Etait-ce l'espace ? Un but beaucoup plus grand que moi ? Je faisais mes classes mais n'irais pas au front. Obama rappelait les troupes d'Irak, évitait d'en renvoyer de nouvelles. C'était le territoire qu'on voulait protégé. Je passais quelques mois à Guantanamo à surveiller les "prisonniers de guerre", à observer mes supérieurs les interroger. Puis, j'étais mutée de base en base. Aucun appartement à moi, des possessions qui tenaient dans un sac à dos et de temps en temps, un retour à New York pour retrouver le sourire chaleureux de Joe, les sourires réconfortants de Minnie et le bazar laissé par les autres pupils - comme moi. Mais je ne tenais pas longtemps, j'avais toujours cette nécessité d'être en mouvement, d'en faire plus, d'en savoir plus. J'obtenais l'autorisation de suivre la formation de démineur. Nous étions triés sur le volet, en fonction de nos états de service, de nos qualités humaines indispensables à ce métier extrêmement dangereux et de nos capacités. Je n'étais pas peu fière d'avoir réussi à entrer dans cette promotion !

La première partie de mon apprentissage se déroula à Boston. La seconde devait avoir lieu à Détroit. J'atterrissais là-bas en mars 2014, consciente que la lumière était au bout du tunnel ... Du moins, en étais-je persuadée.

Au début, nous croyions à des fous échappés d'un asile quelconque. Des cas isolés qui commençaient à mettre un certain bordel dans la ville. Puis, dans d'autres. On nous déploya à travers toutes les terres, en renfort de la police, dépassée par la multiplication des émeutes. Sauf que nous réalisions que nous n'étions pas plus préparés qu'eux. Une dizaine pouvait être contenue, abattue s'ils refusaient de coopérer, mais une centaine, des milliers ! Nous n'avions pas la moindre idée de ce qu'il se passait réellement. Lorsque les antennes cessèrent d'émettre, que nos radios ne nous renvoyaient des infos toutes plus contradictoires les unes que les autres, nous nous retrouvâmes, à l'image du reste de la population, livrés à nous-même. Le camp de réfugiés dont mon unité avait la charge subit l'assaut d'une sorte de ... Horde ? Je suppose que le mot est approprié pour décrire l'horreur du massacre qui se déroula sous nos yeux et nos armes. Mon responsable refusa de fuir. Il tomba. Mais nous, nous étions moins courageux. La forêt fut notre refuge. Nous n'étions plus que trois. La First Lieutenant et trois bidasses, dont moi. L'hiver s'annonçait, la radio ne nous renvoyait que des grésillements indistincts, puis plus rien quand les batteries furent à plat. Nous sommes retournés à Détroit, bien décidés à nous frayer un chemin parmi les morts-vivants et à trouver un endroit où passer la mauvaise saison.

On vous prépare pendant des années. On vous conditionne à garder la tête froide face à toutes sortes d'attaques. Guerre nucléaire, bactériologique, putsch ... Les simulations ne vous épargnent rien. En tant que soldats, votre devoir sera, quoi qu'il arrive, d'être les premiers à mourir si besoin. Sauf que mis devant le fait accompli, on comprend. Comme un étranger ne connaît rien des véritables existences de nos pauvres du Bronx et n'en a qu'un véritable aperçu que s'il s'y trouve confronté, on ne comprend vraiment la réalité d'un événement que lorsqu'il vous tombe dessus, pour de vrai. On réalise que rien, ni personne, ne peut vous préparer à ça. Et que tout bon guerrier entraîné que vous étiez supposé être, il ne s'agissait finalement là que d'une illusion.

On n'est jamais préparés.

Quelque part à la limite de Détroit, à quelques miles de Grosse Pointe, vous trouverez des fermes abandonnées. C'est là que nous sommes, dans l'une d'elles, désormais à cinq après y avoir trouvé un vieil agriculteur avec sa fille, seuls rescapés de leur famille. Cinq, pas six. Dodge a été pris. La faim se fait sentir, la promiscuité également. La neige a fondu et il est temps de retrouver l'air pourri par la mort. Il en va de notre survie. Il faut que l'on tienne. Les survivants doivent le rester.

Néanmoins, une question me reste, tourne, vrille et m'obsède ... Après tout, ai-je vraiment envie de survivre ?