Le grand jour était arrivé. Cela faisait déjà quelques nuits qu’Ezra ne dormait plus à cause du stress, mais là, son anxiété avait dépassé toutes les limites. Tout se passait bien pour le moment, mais le tatoueur n’arrivait pas à se décontracter et à profiter du moment. Pourtant, tout était en place. Les tables attendaient simplement d’accueillir les mets des invités, le piano du musicien avait été positionné dans un endroit stratégique pour l’acoustique et Ezra était là dans ses plus beaux vêtements pour attendre les habitants des camps intéressés par sa petite fête. Le tatoueur espérait seulement qu’au moins une ou deux personnes viennent. Il n’allait pas non plus forcer les gens à venir, mais il souhaitait au plus profond de lui que tout le monde allait participer de bon cœur.

Ezra tournait en rond faisant les cent pas, se demandant ce que trafiquait Harvey, à qui il avait bien rappelé l’horaire le matin même, mais aussi se demandant si son frère allait daigner montrer le bout de nez. Puis, il se mit à se demander si Logan, Alex, Elias et Maddie allaient eux aussi venir … enfin, le tatoueur se doutait qu’ils allaient venir jeter un œil mais viendrait-il s’y amuser ? Ça c’était une autre question …

Il se maudissait intérieurement de se mettre dans un tel état pour une simple fête. Mais où était passé sa nonchalance et son absolue confiance en lui … ? Il n’en savait rien mais il commençait à en avoir marre d’être devenue et de rester ce mec fragile un peu trop abîmé, que les mâchoires de Maryse avaient recraché après son séjour loin de Fort Hope. Il soupira et s’approcha de la table, arrangeant les fleurs pour la énième fois dans leurs vases.

Il n’y avait encore personne pour le moment, les gars qui avaient transporté le piano étaient repartit, mais ils avaient promis à Ezra de revenir plus tard. Alors le tatoueur se sentait un peu seul. Vraiment très seul … Il lissa son t-shirt du jour et se recoiffa sommairement. Il fallait qu’il présente bien pour ne pas effrayer les personnes qui ne le connaissaient pas. Même par les temps qui courraient, la fin du monde et toutes les autres joyeusetés du moment, être tatoué n’était toujours pas très engageant … Et pourtant Ezra n’attendait qu’à passer du temps avec les autres pour échanger quelques mots autour d’une petite collation et pourquoi pas si l’ambiance le permettait et si Harvey pointait le bout nez allait danser un petit peu.

C'était jour de fête à Fort Hope. Les survivants fêtaient le jour de l'indépendance, la fête nationale américaine. Claire ne semblait pas très enthousiaste à l'idée de participer à l'événement. Son regard était hagard et elle fixait un miroir cassé depuis une bonne demi-heure en sous vêtements. Si la porte d'entrée n'avait pas claqué, elle serait restée dans les vapes. Elle ne manquerait pas de remercier sa colloc' d'avoir fait un boucan. Au moins ça lui avait servi d'alarme. Il était en effet temps de se préparer. Ce n'était pas comme si la canadienne avait le choix en la matière. Elle ne disposait pas de vêtements de rechange. De plus sa tenue habituelle commençait sérieusement à accuser le coup. Des trous étaient apparus un peu partout, résultat de plusieurs mois de torture. Il était sérieusement temps d'investir. Alors qu'elle enfilait ses guenilles, elle se rassura en pensant que personne ne serait sur son 31 de toute manière. Et puis au moins elle sentirait pas le fenec...

Cela faisait trois mois que Claire était arrivée à Fort Hope. Elle commençait doucement à s'habituer à la vie au camp et une certaine routine s'installait petit à petit. Et cela lui fichait une peur bleue. Elle s'était habituée depuis le début de l'apocalypse à galérer et à vivre ua jour le jour dans un stress quasi-permanent. Et elle avait rapidement associé cette tension à la survie. Le relâchement était perçu comme un énorme risque et une mort assurée ; surtout dans le cas d'une survivante isolée. Le fait que la situation actuelle de Fort Hope semblait sous contrôle et que ses dirigeants envisageaient un retour à une société « normale » la terrifiait au plus haut point. Ces derniers jours, la jeune femme n'avait eu de cesse d'entendre les gens évoquer les progrès des patrouilles militaires qui sécurisaient un périmètre de plus en plus grand.

Claire sortit finalement à contre cœur de sa maison et se rendit sur la grande place presque à reculons. Sa contribution à l’événement résidait dans un pack de bières qu'elle tenait fermement en main et sur lequel elle jeta un regard tendre. C'était du gâchis. Elle avait échangé ces bières contre des clopes qu'elle avait récupéré en mission quelques jours plus tôt. Il paraît que c'était mieux de ramener un truc, histoire de participer. Cela pourrait sûrement l'aider à s'intégrer. Chose qui lui était encore plutôt difficile, surtout avec les civils du camp dont elle n'avait de cesse de railler pour leur laxisme et leur manque d'instinct de survie. Elle se disait que cette fête prouvait clairement son point. Mais la jeune femme n'avait pas vraiment quelqu'un à qui se plaindre. C'était bien le fond du problème...

Claire débarqua finalement à la fête. Il n'y avait pas encore grand monde mais cela commençait à se remplir. Elle jeta un coup d’œil aux alentours et repéra rapidement la buvette. Il s'agissait d'une grande table rectangulaire sur laquelle trônaient plusieurs plats et boissons. Rien de bien folichon en soit mais ça ressemblait à un véritable festin en ces temps troublés. Ou à du gâchis de nourriture pour l'intendant du camp et les plus sceptiques... Elle salua brièvement le type responsable et déposa son pack de bières à côté de ce qui s'apparentait à un bol de sangria. Elle se garda évidemment une bière pour elle. Alors que la jeune femme commençait déjà à s'ennuyer et envisageait de ne pas s'attarder des lustres, elle remarqua un homme tout seul à quelques mètres d'elle. Elle le détailla quelques instants, remarquant ses tatouages et son humeur plutôt sombre qui faisait écho à la sienne. Si elle voulait discuter avec quelqu'un, c'était le moment ou jamais. Instinctivement, elle prit une deuxième bière et se dirigea vers ce dernier.

Bonjour, je vous dérange pas j'espère. Commença-t-elle visiblement pas vraiment désolée. Vous me paraissez pas vraiment dans l'ambiance. Elle lui tendit la bière. Ca vous aidera peut être ? Moi c'est Claire, ça fait longtemps que vous êtes dans le coin ?

Les joues de Claire s'empourprèrent après des paroles qu'elle jugea relativement niaises. Elle jura même intérieurement. Cela faisait tellement longtemps qu'elle vivait seule qu'elle en avait presque oublié les conventions sociales. Elle espérait que ce type ne lui en tienne pas rigueur. Il ne semblait pas le genre à se prendre la tête de toute manière.

Et en parlant de ne pas effrayer les inconnus, une jeune femme l'aborda, visiblement disposée à faire un peu la conversation. Les idées noires d'Ezra s’évaporèrent aux premiers mots qu'elle lui adressa. C'était une jolie brunette qui devait avoir environ le même âge que lui. Il se redressa un peu et lui sourit de manière très avenante, comme à son habitude. Même s'il n'était pas encore à l'aise avec tout le monde, il arrivait beaucoup mieux à donner le change lors de conversation que quelques mois auparavant.

« Oh non absolument pas mademoiselle ! »

Elle lui tendit une bière qu'il saisit, malgré une légère hésitation. Mais le tatoué ne l'ouvrit pas pour le moment, se contentant de se présenter à son tour. Son visage rayonnant de gentillesse.

« Je m'appelle Ezra. Ravie de te rencontrer, Claire. Et merci … pour la bière. »

Apparemment, la jeune femme était observatrice. Effectivement, le tatoueur pensait à trop de choses pour pouvoir simplement profiter du moment présent. Mais en arrivant auprès de lui, elle venait surement de changer la donne.

« Non … en fait … Je stressais juste de ne voir personne venir … mais je remarque que ça se rempli doucement alors je suis soulagé. Maintenant, j'espère juste que tout le monde s'amusera bien … Moi y compris, mais je suis pas sûr que j'y arrive vraiment ... »

Le tatoueur rit un peu nerveusement, se passant une main dans ses cheveux qu'il avait, inutilement, tenté de discipliner. Son stress n'était pas la seule raison de son absence d'entrain pour sa propre fête. Même si dans son petit monde à lui il imaginait que tout se passerait bien, une part de lui était terrifier que les choses dégénèrent. Et surtout des conséquences que ça aurait pour lui.

Un autre détail, et pas des moindre, perturbait Ezra. Malgré ses nombreux coup d'oeil à droite et à gauche pour guetter l'arrivée d'Harvey ou de son frère, il n'avait aperçu aucun des deux garçons … S'il avait pu s'en douter pour Ariel, il avait un pincement au cœur en pensant qu’Harvey ne viendrait peut-être pas … Et même s'il comprenait que sa timidité puisse le bloquer, il auvait imaginé qu'il aurait fait cet effort pour lui. Un célèbre poète n'avait-il pas dit que si un seul être vous manquait, tout était dépeuplé ? Ezra comprenait maintenant la signification de ses mots. Si les personnes auxquelles il tenait plus que tout au monde ne pointaient pas le bout de leur nez, à quoi bon avoir organisé ça ?

Ils savait très bien qu'il n'avait pas fait tout ça uniquement pour lui, les autres habitants seraient peut-être heureux … mais lui ? Le serait-il ? Il soupira, puis répondit à la question de la jolie jeune femme qu'il avait en face de lui, chassant rapidement ses idées noires qui ne cessaient de revenir dans son esprit.

« Oui, ça fait quelques mois que j'habite ici. Onze pour être exacte. Et toi ? Tu es nouvelle ? »

Il scruta un peu Claire, essayant de voir s'il l'avait déjà croisé avant, mais de ses souvenirs, il ne l'avait jamais croisé. Il gardait un sourire toujours aussi sympathique sur ses lèvres et continua la conversation toujours aussi gentiment.

« Si tu n'attends personnes, je peux te réserver une danse dès que le musicien aura commençait son concert si tu veux ? Je suis très doué pour la valse d'après ma grand-mère ! »

Claire ne s'offusqua pas du refus de boire de son interlocuteur. Au moins ce dernier avait-il accepté son petit cadeau. Cela pouvait sembler anodin mais c'était un grand pas pour Claire qui cherchait désespéramment le contact humain. Des années de solitude et la mort de tous ses compagnons de route l'avait rendu de facto assez individualiste et difficile à approcher. Un comble pour la canadienne dont le travail à l'ONU dépendait souvent de ses capacités à convaincre ou à discuter avec des parties hostiles. Comme quoi deux années d'anarchie et de chaos pouvaient facilement changer une personne. Contrairement à ce qu'on avait l’habitude d'entendre dans le folklore urbain d'avant l’apocalypse. Elle prit une gorgée de sa bière en écoutant le dénommé Ezra se présenter et lui évoquer ses doutes quant à la réussite de l’événement.

Se tenait-elle devant celui qui avait organisé cette fête ? La question lui traversa l'esprit alors qu'elle jeta un nouveau coup d’œil autour d'elle en imitant son interlocuteur dont le regard ne cessait de se balader à droite à gauche. Cela commençait bel et bien à se remplir. Attendait-il quelqu'un en particulier ou bien essayait-il de se comporter en hôte de qualité ? Ah tant de questions qui firent bouillir le petit cerveau d'une Claire toujours pas déridée. La canadienne ne se considérait pas comme une alcoolique mais elle l'était probablement. Elle aimait l'alcool sous toutes ses formes même si elle avouait volontiers un penchant pour le whisky. L'alcool lui permettait surtout d'oublier. Une qualité qui lui était devenue essentielle dans ce monde qui ne faisait plus aucun cadeau. Elle reporta son attention totale Sur Ezra lorsque ce dernier évoqua son ancienneté.

Onze mois ? Ca fait un bail. Comme tu peux t'en douter je suis une nouvelle. fit-elle avec un petit rictus défaitiste. Comme si elle était gênée par le simple fait d'avoir été percée à jour. Je suis arrivée avec les militaires, ça doit faire bientôt trois mois. Elle ne se souvenait plus du jour exact et resta ainsi quelques secondes pensive, le regard tourné envers le ciel. Le jours se ressemblaient beaucoup à Fort Hope. C'était bien moins vrai que livrée à elle-même dans Détroit mais il n'était pas rare que Claire perde quelque peu la notion du temps. Oui c'est ça, 84 jours. fit-elle pleine de conviction, à l'image d'une élève modèle encore à l'école ayant trouvé la réponse, se fichant de passer pour une folle qui comptait les jours depuis son arrivée...

La proposition d'Ezra laissa Claire légèrement circonspecte. Elle ne s'y attendit visiblement pas. Elle sembla hésiter quelques instants, bégayant presque pour répondre rapidement. Par réflexe, elle avala le contenu de sa bière d'un trait. Son regard se fit fuyant et elle faillit se mettre les mains sur les joues tellement elles lui paraissaient chaudes. C'est pas de refus. finit-elle par répondre de manière laconique avant d’enchaîner en totale impro. Tu veux peut être manger un morceau en attendant ? ajouta-t-elle en montrant la table de victuailles non loin. Tu pourras peut être me raconter l'histoire du camp ? Enfin si t'as rien de plus important à faire. minauda-t-elle en conclusion avec une attitude que les gens qu'elle côtoyait ne reconnaîtrait pas.

Le visage du tatoué s’illumina quand il entendit Claire évoquer les militaires. Elle connaissait peut-être son petit-frère et cela lui ferait tellement plaisir de voir comment il était en vrai avec les autres. Il se doutait bien que son comportement exécrable que ce dernier lui offrait n'était pas son comportement naturel.

« Avec les militaires ? Mon petit frère est militaire ici ! Tu le connais peut-être, il s’appelle Ariel Young. Il a de beau yeux bleu et il est un peu plus petit que les autres golgoth qui l'accompagne. »

Le tatoueur ne put s’empêcher de rire légèrement quand elle lui donna le nombre exact de jours qu’elle avait passé à Fort Hope. C’était originale bien qu’un peu effrayant. Se sentait-elle en prison à l’intérieur du camp ? Ezra devait arriver à la faire se sentir 100% à l’aise ici, avec eux. Il s’en faisait sa mission personnelle pour le moment, après tout, c’était le but de sa fête non ?

« On dirait une prisonnière à compter les jours depuis ton arrivée. Mais tu sais, avec trois mois d’ancienneté, tu n’es plus vraiment une nouvelle. C’est fou que l’on ne se soit pas croisé avant … Bon c’est vrai que dernièrement je n’étais pas très sociable, mais bon quand même. »

Quand il vit de l’hésitation puis, ce qu’il supposa être de la gêne sur le visage de la femme, Ezra se sentit un peu bête de lui avoir proposé de danser avec lui. Il s’était peut-être un peu trop précipité. Il aimait danser, mais il n’avait même pas demandé à Claire si elle, elle aimait ça. De plus, cela pouvait peut-être prêter à confusion et ils auraient sûrement dû faire un peu plus connaissance avant qu’il ne se permette de lui proposer une valse. Mais maintenant que cela était fait, il ne reviendrait pas en arrière et ne regrettait pas ça demande, d’autant plus que la jeune femme avait accepté.

« Je ne voulais pas te gêner avec ma proposition, mais je suis vraiment content que tu aies accepté ! Harvey ne voudra jamais valser devant tout le monde s’il pointe le bout de son nez de toute façon. Donc tu me sauve la vie ! »

Puis, cette dernière lui proposa d’aller manger un bout. Et Ezra acquiesça d’un signe de tête avant de lui répondre.

« Euh … oui … Je crois qu’un ami à moi a déposé des pancakes en plus. Je vais en manger un pour lui faire plaisir, même s'ils ont franchement pas une bonne tête. »

En effet, il avait vu Will et Elias débarquer à la fête et déposer une assiette de ce qui semblait être des pancakes. En tant qu’organisateur et ami du couple, il se devait d’aller goûter ce qu’ils avaient préparé. Alors, rassemblant son courage à deux mains, il accompagna Claire jusqu’au buffet ou il devait bien ce l’avouer, beaucoup de monde avait participé. Ezra ne put s’empêcher de sourire. Il était heureux que son histoire de fête prenne une aussi belle tournure. Ça mangeait, ça discutait, ça rigolait même ! Tout le monde semblait passer un agréable moment.

Ensuite, une fois son pancake roussi à la main, Ezra releva son visage vers Claire et pris un petit air contrit quant à sa dernière question.

« L’histoire du camp ? Oula, je ne suis peut-être pas la bonne personne pour te parler de ça. Depuis que je suis arrivé, si on omet l’arrivée des militaires, c’est vraiment très calme. Mais apparemment il y a eu des soucis avant. Mais, je ne vais pas pouvoir t’en dire plus, ça à l’air d’être un sujet très sensible et la personne à qui j’avais demandé n’a pas beaucoup apprécié que je pose des questions sur ça. Mais j’avoue que je manque à tous mes devoirs de gay du quartier à ne pas être au courant de tout ce qu'il se passe entre ses palissades ! »

Il rit légèrement, croquant dans son petit pancake et bien qu’appréhendant le goût, il fut agréablement surpris.

« Hmm … Ils sont bons ! Leur côté carbonisé ne ressort pas du tout au goût, c'est fou ! Enfin bref … Si tu veux, je peux te faire un rapide tour d’horizon des personnes que je connais et qui sont ici ? Je ne te promets pas de faire une biographie complète de chaque habitant, mais j’en connais quelques-uns. Peut-être que comme ça tu te sentiras un peu moins la nouvelle du coin ? »

Il lui fit un clin d’œil et reprit un deuxième pancake. Comme quoi la conversation ouvrait l’appétit apparemment.

Claire acquiesça lorsque Ezra évoqua son frère Ariel. Elle n'était pas très sociale de base mais passer trois mois au sein d'un petit groupe uni et qui tente de survivre au jour le jour, ça rapprochait pas mal. Tout ce qu'elle connaissait de lui c'était ses compétences, notamment en explosifs et son attitude assez cavalière, rentre-dedans. Une attitude qui n'avait jamais dérangé la canadienne. Elle préférait de loin qu'on lui dise les choses directement que de tourner autour du pot pendant des heures, voire carrément parler des gens dans leur dos. Elle ne s'attarda pas sur les différences entre les frangins et préféra rester simple et faire quelques compliments. Elle sirota sa bière et prit un air pensif, son regard détaillant le visage de son interlocuteur.

Maintenant que tu me le dis. Y'a une petite ressemblance physique. Il est très motivé et si j'en crois ce que dit son commandant, c'est un bon élément.

En dehors de ses activités quotidiennes, Claire ne sortait pas beaucoup. Et puis il fallait avouer qu'en sa qualité de ravitailleuse, elle partait souvent en mission. Le peu qu'elle restait au camp, la canadienne passait son temps entre exercice physique et l'introspection. Elle accompagna Ezra jusqu'au buffet et se contenta de l'écouter parler. Elle esquissa un léger sourire de façade lorsque ce dernier évoqua ce fameux Harvey ou encore ses autres amis qui étaient apparemment présents à la petite fête. Son visage s'était même illuminé à leur simple mention. Claire enviait cet état d'esprit. Lorsqu'il évoqua l'histoire du camp et lui proposa de lui parler des habitants, elle ne sut pas trop quoi faire.

J'en serais ravie. C'est juste que... Claire hésita un instant, rassemblant visiblement ses pensées et son courage. La bière aidait bien à ce niveau la. Disons que depuis le début de l'apocalypse tous les gens que j'ai rencontré et avec qui je me suis liée sont morts. De mes compagnons d'infortune au départ de New York à ceux que j'ai pu croiser sur Détroit depuis mon arrivée en solitaire il y a plus d'un an. Pour tout t'avouer je suis devenue pessimiste avec le temps. J'ai peur que tous ces gens... Elle fit un geste du bras pour englober leur entourage. Finissent pas mourir eux aussi. Elle lui jeta un regard d'enfant battu avant d’enchaîner.

Je sais c'est triste de penser comme ça. Mais je prends sur moi. Désolé je case un peu l'ambiance mais ma simple présence te donne raison d'avoir organiser cet événement. Son regard se perdit dans la foule, cherchant vaguement une connaissance, un point de repère mais sans y parvenir. Parle moi de tes amis et connaissances. finit-elle par demander sur un ton plus jovial en prenant un de ces pancakes légèrement brûlés.

Ezra sourit bêtement en l'entendant évoquer son frère. Il ne pouvait pas cacher qu'il était un vrai frérot-gâteau, même si la situation entre les deux Young était plus qu'orageuse.

« Surtout lui dit jamais qu'il me ressemble, je ne pense pas qu'il le prendrait très bien. Mais ça me fait plaisir de savoir qu'il fait du bon boulot. C'est que ça doit réellement lui plaire comme métier. Je ne l'aurais jamais imaginé prendre l'uniforme ... Il était tellement mignon quand il était gamin. »

Ezra eut un petit pincement au cœur quand Claire lui appris avoir perdu beaucoup de monde sur sa route. Et il comprenait très bien sa réserve concernant l'avenir des autres survivants. Alors pour dédramatiser la chose, le tatoué tenta un petit trait d'humour.

« Tu es bien tombé avec moi, je suis increvable. On a essayé plusieurs fois d'avoir ma peau, mais je suis toujours là ! Je devrais changer de nom et m’appeler Chiendent Young. Mais … même si ce que tu dis est triste, tu n'es pas la seule dans ce cas. Énormément de monde ont peur de recréer des liens avec les autres survivant de peur que ces derniers ne finissent par mourir eux aussi. Alors ils s'isolent et en oublient d'essayer de vivre normalement. Je pense qu'il faut commencer à réapprendre à se comporter comme avant. Ça nous prendra du temps, mais il faut que l'on y arrive. On ne peut pas continuer à agir comme des proies, il faut qu'on se relève et que l'on apprenne à vivre et non pas à seulement survivre. »

Le tatoueur reprit sa respiration, et baissa un peu le regard, une légère teinte rouge ayant coloré ses joues. Parfois il ne se maîtrisait pas et se laissait emporté par son envie de changer leur mode de fonctionnement. Il est vrai que quand on abordait le sujet de leur vie actuelle, le tatoueur espérait plus que tout au monde un retour rapide à la normale. Il en avait marre de cette ambiance de camp de fortune, il voulait retrouver un semblant de vie normale : des commerces, des loisirs, des discussions banales où les sujets d'armement et de ravitaillement n'existerait plus et surtout des célébrations comme celle qu'il avait organisé aujourd'hui.

« Oula ... j'me suis un peu emballé. Mais je suis heureux de voir qu'autant de monde est près à essayer. Cela me fait tellement plaisir. »

Ezra rit un peu gêné, se passant une main sur la nuque comme à chaque fois qu'il se sentait mal à l'aise ou ridicule. Mais bien heureusement, il put rapidement enchaîner sur la suite et prit rapidement un air un peu plus sérieux, commençant à balayer du regard les alentours.

« Mes connaissances alors ... ? Hmmmh … »

Ezra se tourna face à la foule, cherchant au milieu des multiples visages qui l'entouraient ceux qu'il connaissait bien. Il n'allait pas lui présenter la liste complète des personnes avec qui il avait un jour discuté. Cela ferait bien trop de monde, mais il pourrait au moins lui montrer celle qu'il avait actuellement sous les yeux, les désignant quand il le pouvait d'un mouvement de bras.

«  Alors, là-bas c'est Will et Elias, ils se sont mariés il y a quatre mois. Je suis assez proche de Will, avec Elias c'est un peu plus compliqué. Si je vois bien, ils sont avec un des enfants de Logan. Tu as sûrement dû le remarqué, c'est le grand barbu là-bas. Il est veuf depuis peu ... ça me fait beaucoup de peine pour lui ... Ensuite, même si je ne la vois pas pour le moment, il doit y avoir Alex. C'est un petit bout de femme brune. C'est elle qui m'a supervisé pour l'organisation. Ensuite, je t'ai déjà parlé d’Harvey, qui est un ami très cher, un joli brun avec des grains de beauté un peu partout, mais je crois que sa timidité aura raison de sa présence ici ce soir. Oh ! Et le beau gosse blond là-bas, celui qui discute avec mon frère, c'est Sidney. Il a un fort caractère mais c'est un amour dans le fond. Pour le reste … je les connais de vue, mais je n'ai pas encore eu la joie de discuter avec eux. »

Puis, avec un grand sourire, il reporta son attention sur son interlocutrice. Peut-être qu'elle aussi avez des gens qu'elle connaissait ici. Il devait forcement avoir des personnes ici avec qui elle avait bien accroché, non ?

« Et toi ? Tu connais du monde ici ? Même si cela ne fait pas longtemps tu dois bien avoir discuté avec certains des habitants … ? Enfin, si ce n'est pas le cas, sache que tu peux venir discuter avec moi à n'importe qu'elle moment. Au cas où tu ne l'ai pas encore remarqué, je suis très bavard. »

Il lui offrir un joli sourire et enchaîna la conversation, maintenant qu'elle était prise dans ses filets, elle allait subir les assauts de questionnement du tatoué jusqu'à ce que ce dernier arrive à ses fins et la connaisse un peu mieux.

« Alors, tu faisais quoi dans ta vie d'avant ? »

Claire prit une énième gorgée de sa deuxième bière. elle commençait déjà à en ressentir les effets. L'alcool était plutôt rare en ces temps troublés. Si elle possédait une bouteille de whisky, elle évitait d'en abuser. Pas vraiment par bienséance ou pour éviter d'être saoule mais avant tout pour l'économiser ! Ainsi si la canadienne buvait de manière quasi-quotidienne, elle ne tenait pas vraiment l'alcool. Elle se sentait bouillir et tâta même ses joues légèrement cramoisies par réflexe. Désinhibée, Claire lâcha un petit sourire lorsqu'Ezra évoqua son frère. Il tenait beaucoup à ce dernier. Cela se voyait comme le nez au milieu de la figure. Un sourire qui vira rapidement aux éclats de rire en réponse aux délires de son interlocuteur. Cela faisait des mois qu'elle n'avait pas rit de la sorte. Son visage s'éclaira enfin et pouvait poindre son vrai visage et sa vraie personnalité.

Merci Ezra. T'es sympa se contenta-t-elle de dire laconiquement en reprenant une gorgée de son nectar.

Claire se montra ensuite attentive alors qu'Ezra désigna toutes les personnes qu'il connaissait. Elle se surprit à en connaitre quelques uns, de vue tout du moins comme le dénommé Logan qui semblait être le chef du camp et qui lui avait déjà refilé plusieurs missions de ravitaillement. Alex devait sûrement désigné Alexandra Collins, sa supérieure hiérarchique directe. La canadienne essaya de retenir les noms et les visages. Cela pourrait sûrement lui servir plus tard lorsqu'il sera le moment de briser la glace et ainsi entamer une conversation avec des gens auparavant inconnus.

Hmm. Je ne connais aucunes de ces personnes personnellement mais j'en ai croisé quelques unes. Enfin surtout les décideurs du camp qui me donnent des ordres. Mais merci de m'avoir permis de mettre un nom sur tous ces visages. fit-elle avant de marquer un temps d'arrêt et de finir sa bière. Merci vraiment. Je connais surtout des militaires avec qui je suis arrivée. Y'a ma jeune colloc' Keridwen aussi qui s'acharne à vouloir tester ma patience tous les jours...

Ezra était du genre bavard. Etrangement Claire ne semblait pas s'en offusquer. C'était même le contraire. Cela faisait tellement longtemps qu'elle n'avait pas eu de réelle conversation avec quelqu'un. Une conversation de tous les jours sur ce qu'il se passe, quel temps il fait où encore qui couche avec qui. Des sujets abordés autour de la machine à café dont elle avait l'habitude d'évoquer lors de sa vie d'avant. C'était d'ailleurs le sujet qu'Ezra voulait aborder. La canadienne en profita pour prendre un petit truc à manger avant de finalement répondre.

J'étais enquêtrice à l'ONU. Grosso modo je cherchais des preuves d'infractions commises par des dictateurs ou des gouvernements du moyen-orient et en particulier des preuves que ces derniers utilisaient des armes bactériologiques ou nucléaires. Pour ne citer que l'exemple le plus frappant. T'as jamais vu des jeeps de l'ONU roulant dans le désert et se faisant refoulés aux frontières dans des reportages ou aux infos ? expliqua-t-elle un léger sourire nostalgique aux lèvres avant d’enchaîner. Et toi tu bossais dans quoi ? Les tatouages ? fit-elle en se fendant d'un petit clin d’œil légèrement moqueur.

Le sourire du tatoueur s’étira encore plus quand elle lui annonça de la manière la plus simple du monde qu’elle le trouvait sympa. C’était sans aucun doute sincère, mais sûrement bien aidé par les effets de l’alcool. En effet, la jeune femme semblait avoir une sacrée descente, il espérait seulement que ce n’était pas parce qu’elle était mal à l’aise, mais bien parce qu’elle se laissait entraîner par l’ambiance festive de la soirée.

Elle sembla réfléchir un peu quand il lui retourna sa question sur les personnes qu’elle connaissait et il fut ravi d’apprendre qu’il l’avait un peu aidé en lui présentant ses connaissances. Mais Ezra fronça légèrement les sourcils quand elle lui apprit que sa colloc’ lui menait la vie dure. C’était dommage de devoir supporter des gens avec qui on ne s’entendait pas super bien. Même s’il fallait faire un effort, cela pouvait être un peu lourd …

« Ta coloc’ te donne du souci ? Pourquoi donc ? Si elle t’embête beaucoup, tu peux demander à changer de maison je pense … Moi je m’entends bien avec la mienne. Anja est vraiment cool, pourtant, je suis pas facile à vivre tous les jours. J’ai des mauvaises habitudes qui désespéreraient beaucoup de monde et pourtant, elle, arrive à vivre avec. Imagine, même ma vraie famille n’a jamais réussi à faire ça. »

En effet, la nudité d’Ezra ne plaisait pas à tout le monde. Autant le tatoueur était à l’aise ainsi, autant il mettait pas mal de monde mal à l’aise. Alors que, finalement, sa colocataire le vivait plutôt bien, même si elle lui faisait de petites réflexions par-ci par-là elle ne l’obligeait, en aucun cas, à se vêtir. Puis il y avait aussi ces crises d’insomnies à répétition et son bavardage excessif, qui pouvait en exaspérer plus d’un, sans oublier plus récemment son somnambulisme… Finalement, Ezra n’était pas un colocataire de tout repos. Et pourtant, tout se passait bien chez lui. À croire que ce dernier avait dû tomber sur un ange de patience.

Puis, alors que Claire récupérait quelque chose à manger, elle commença à lui décrire son métier et le tatoué écarquilla les yeux de surprise. La jeune femme avait un métier des plus exotique … Il en avait rencontré des gens, que cela soit dans le cadre de son métier ou ensuite sur les routes, mais il n’était jamais tombé sur quelqu’un de l’ONU ayant un travail si peu banal et important. Alors, avec tout l’enthousiasme dont il débordait habituellement, il lui répondit :

« Oui ! J’en ai vu à la télévision à l’époque ! La classe ! ça c’est un métier super intéressant. Tu vivais en vrai ce qu’on voit au cinéma. Même si je comprends très bien que c’était beaucoup plus sérieux et dangereux dans la réalité. Enfin je suppose. »

Le tatoué ne put s’empêcher de rire quand elle lui demanda s’il était tatoueur. C’est vrai qu’il était facile de deviner son métier, ce dernier l’avait au sens propre comme au figuré dans la peau. Il lui répondit avec la même passion qu’à chaque fois qu’il parlait de son occupation ante-apocalypse, bien que, on pouvait deviner dans sa voix une pointe de tristesse.

« Dans le mile pour mon métier. Je venais d’ouvrir ma première boutique peu avant la fin du monde. J’avais fini mon apprentissage chez mon maître et je venais de prendre mon envol de jeune tatoueur. Enfin … j’aurais bien voulu voir ce que ça aurait donné avec le temps … Mais ce n’est plus qu’un vieux rêve maintenant, ce que je sais faire ne sert plus à grand-chose de nos jours. »

Avant de se laisser submerger par le blues de ne pas pouvoir tatouer comme il le souhaitait, Ezra changea rapidement de sujet. Cela lui manquait tellement … Et même si plusieurs personnes lui avaient demandé des tatouages, il était inquiet de passer à l’acte dans les conditions d’hygiène actuelles. Il ne manquerait plus qu’il tue quelqu’un à cause d’un tatouage.

Il secoua sa tête et tendit une main vers Claire en s’inclinant gracieusement devant elle.

« Alors, toujours prête pour cette danse mademoiselle ? Je pense que c’est maintenant ou jamais ! »

La musique venait de changer et Lazare semblait entamer une sorte de valse au piano. Et vu qu’Ezra ne savait que cette danse-là … Il n’avait pas trop le choix s’il comptait vraiment faire danser la jeune femme.

Claire laissa échapper un léger rire cristallin lorsqu'Ezra commenta son métier. Elle se surprit même à mettre sa main devant la bouche par pudeur. Il n'avait pas idée à quel point son ancien métier était dangereux. Même elle ne se rendait pas toujours compte à l'époque. Il fallait être un peu taré pour faire ce genre de chose. Ou avoir la vocation. La canadienne vida sa bière en écoutant son interlocuteur parler de lui. Elle avait visiblement un peu trop bu, ses joues se parant graduellement de rouge cramoisie.

Claire remarqua rapidement que son métier manquait à Ezra. Elle n'était pas spécialement douée pour remonter le moral des gens. Encore moins depuis le début de l'apocalypse. Il était difficile de faire preuve d'empathie après avoir erré pendant près d'un an en solitaire dans le contexte actuel... Elle tenta néanmoins sa chance après avoir poser le cadavre de bière qui lui restait en main.

Peut être que tu pourras rouvrir une boutique ou du moins nous faire profiter de tes talents lorsque tout ça sera terminé. Enfin si ça se termine un jour. Tu as pensé à exprimer ta créativité par d'autres moyens ? Comme le dessin ou la peinture par exemple ? remarqua-t-elle alors que son interlocuteur l'invitait finalement à danser.

Claire prit une grande inspiration. Cela faisait une éternité qu'elle ne s'était pas prêtée à ce genre de prestation. L'alcool jouait clairement son rôle de désinhibiteur. La canadienne n'avait jamais été douée pour la dance et encore moins pour ce qu'elle prit pour une valse. Elle comptait clairement sur son partenaire du jour pour la guider. Claire se raidit à la manière d'une corde à arc lorsqu'Ezra glissa sa main dans la sienne.

Désolé. Je... Ca fait si longtemps... s'excusa-t-elle en avance.

Alors que leur conversation suivait son cours, Ezra ne put passer à côté de la roseur des joues de la jeune femme, ni de ses rires qui semblait bien trop spontané pour être pleinement conscient. À ne pas en douter, elle devait être légèrement enivrée par la bière qu'elle venait de finir.
Il aurait tellement aimé boire un peu lui aussi … Mais si Harvey débarquait et le surprenait une bouteille à la main, il allait passer une très mauvaise soirée. Et son petit brun aurait raison de s’énerver contre le tatoueur. C'était encore trop tôt pour penser boire à nouveau, simplement pour le plaisir … Il devait encore un peu patienter.

Il sourit gentiment à la question de Claire, pour exprimer sa créativité, il l'exprimait. Maintenant qu'il avait repris le dessin, il se sentait à nouveau revivre. Il n'aurait jamais pensé que dessiner serait à ce point aussi vital pour lui.

« Oui, je dessine toujours. J'imagine mes prochains tatouages, ou encore je dessine les personnes ou les choses que j'apprécie. Mais rien ne remplacera les sentiments que j'éprouve en encrant la peau d'une personne. Dis comme ça c'est un peu effrayant d'ailleurs ... Et concernant une nouvelle boutique … je ne suis pas sûr … ça impliquerait tellement d'investissement au niveau du matériel que je ne pense pas qu'on me laisse tatouer des gens en toute impunité en utilisant les ressources du camp pour ça. Enfin, seul l'avenir nous le dira ... Et peut-être que j'arais une bonne surprise sur ce point là. »

Il soupira mélancoliquement, se rappelant de sa propre boutique à Kalamazoo. Il se demandait si cette dernière avait été pillée et ce que ses affaires étaient devenues. Il sentit son cœur se serrer, pourquoi tout ça avait eu lieu ? Le tatoué n'espérait qu'une vie tranquille, sans embûche … Mais ce n'était absolument pas ce qu'il lui était arrivé, ce qui leurs étaient arrivés. À lui, comme au reste du monde.

Il secoua la tête pour se reprendre, alors qu'il tendait sa main à Claire en lui proposant une danse. Cette dernière accepta, mais émit une certaine réserve quant à sa capacité à suivre le mouvement. Ezra rit gentiment, et essaya de la mettre à l'aise rapidement.

« Oh ne t'excuse pas … ça fait très longtemps pour moi aussi … Et d'habitude ce n'est même pas moi qui mène … Et puis, à part ma grand-mère, tu seras la seule fille que j'aurais fait danser. Alors ne t'inquiète pas. »

Il offrit un clin d'oeil à la demoiselle et démarra donc la danse, la guidant du mieux qu'il le pouvait. Contre toute attente, le tatoueur n'était pas maladroit. Il n'était pas non plus le meilleur valseur du monde, mais il se débrouillait plutôt bien, arrivant à faire danser sa partenaire de manière convenable.

Il souriait comme un bien heureux, ce qu'il était. Cette soirée était parfaite pour lui et il espérait qu'il en était de même pour tout le monde ici présent.

« Ça va Claire ? Alors c'est pas si mal pour un tatoueur gay ex-joueur de football américain, non ? »

Il éclata de rire, l'entraînant dans une série de tourbillons sur l'espace dégagé pour les danseurs.

Claire glissa ses doigts tremblants dans ceux de son cavalier du jour. Ses gestes étaient hésitants et son appréhension se voyait comme le nez au milieu de la figure. Elle attendit qu'Ezra ne se lance et la guide au gré du tempo.

Les premiers pas furent horriblement compliqués, même si l'alcool avait fait son effet et désinhiber la canadienne. Rapidement son cavalier l’entraîna dans un pas plus robuste et bientôt elle se laissa gagner par l'euphorie de tourbillons énergiques. L'espace d'un instant elle oublia son quotidien et sa lutte éperdue pour la survie, sa famille probablement morte et les tracas de cette nouvelle vie qui était la sienne. Claire remercia intérieurement Ezra pour ce moment magique. Elle lui sourit lorsqu'il évoqua sa grand-mère et son inexpérience avec les femmes. Ah oui il est gay. se rappela-t-elle finalement. Elle détourna la tête de lorsque son regard croisa celui de son cavalier. Elle avait sans doute un peu trop insisté.

Claire n'était pas une grande sentimentale. Elle ne l'avait jamais été à vrai dire. Il fallait avouer que passer ses journées dans l'arrière-pays du moyen-orient à visiter des installations ultra protégées et à crécher dans des bleds perdus au milieu de nulle part, cela ne facilitait pas les interactions sociales. Encore moins avec le sexe opposé. En dehors d'intenses histoires d'une nuit bien entendu...

Tu es un merveilleux dans...

Pas le temps de terminer sa phrase que Claire se prit les pieds dans le tapis. Elle s’emmêla les pinceaux et lâcha sans réfléchir la main de son cavalier, presque par réflexe. Elle s'étala alors de tout son long. La canadienne avait bien tenté de sauver les meubles mais son sens de la perception l'avait trahi, embrumé qu'il était par l'alcool. La honte... Elle ne chercha pas à se relever tout de suite, préférant d'asseoir en tailleur. Elle sentit les regards se tourner vers elle. Claire reporta son attention sur Ezra. Elle s’esclaffa.

Oh mon dieu, j'ai deux pieds gauche ! Tu remarqueras que j'ai soigneusement évité d'écraser les tiens ! hurla-t-elle, un large sourire sur le visage en tendant sa main vers son cavalier.

Perdu dans sa danse et ses tourbillons, Ezra ne put absolument rien faire quand il sentit Claire trébucher et lui lâcher la main. Avant même qu’il n’est pu essayer de la rattraper, cette dernière finie par terre et le tatoueur la regarda d’un air hébété, à la fois surpris et inquiet qu’elle se soit blessé. Après tout, une cheville foulée pouvait arriver bien rapidement quand on ne faisait pas attention.

Il se rapprocha d’elle et essaya de l’examiner d’un coup d’œil, cherchant le moindre signe de douleur. Mais la jeune femme s’assit de manière tout à fait décontractée en tailleur. Ezra, l’air toujours un peu préoccupé lui demanda gentiment :

« Claire, tu vas bien ? Tu ne t’es pas fait mal ? »

C’est alors que la jeune femme s’esclaffa et lui fit remarquer qu’elle ne lui avait pas écrasé les pieds. Alors Ezra rit à son tour. Si elle plaisantait, c’est qu’elle devait aller bien. Alors autant prendre cet incident à la rigolade.

« Oui j’ai remarqué, merci bien. Mes orteils t’en sont reconnaissants. »

Puis alors que cette dernière lui demandait de l’aide pour se relever en lui tendant la main, Ezra se dit qu’il valait mieux prendre une pose pour le moment. Il y était allé peut-être aller un peu fort avec sa valse endiablé … Mais lui aussi c’était laissé emporter par l’euphorie du moment. Il était tellement heureux que sa fête fonctionne et voir les gens s’amuser autour de lui, lui donnait des ailes. Et c’était sa pauvre cavalière qui en avait fait les frais.

« On va peut-être arrêter la danse pour ce soir. Sinon mon cœur risque de lâcher si tu retombes une nouvelle fois. »

Ezra attrapa délicatement la main de Claire et l’aida à se remettre sur ses pieds. Il lui offrit une nouvelle fois un magnifique sourire et lui désigna d’un signe de tête deux chaises abandonnées dans un coin.

« On va s’asseoir cinq minutes ? Le temps de nous remettre de nos émotions ? Et puis, vu que je t’ai imposé une danse, je suis prêt à faire tout ce dont tu as envie pour t’amuser ! Et pas d’arrière-pensée mademoiselle ! Je ne suis pas un garçon facile. »

Il rit de bon cœur et guida précautionneusement sa cavalière vers les chaises en question. Il ne manquerait plus qu'elle trébuche à nouveau, la pauvre. Il gardait un sourire de bienheureux sur le visage, ça faisait très longtemps qu’il ne s’était pas senti aussi léger. Comme quoi il suffisait de peu de chose, d’un peu de musique, d’une bonne ambiance et d’une personne sympathique avec qui partager cet instant pour qu'un moment simple devienne inoubliable.