Il roulait à toute vitesse, moteur rugissant, monstre de métal avalant les kilomètres d’asphalte brûlant. Le soleil l’aveuglait, parfois, sans freiner sa course, les grondements de l’engin se mêlant à ses tympans aux sifflements du vent. Il adorait la sensation, grisante, de liberté, qu’il ne trouvait qu’en conduisant sa bécane. Et les silhouettes rendues floues par la célérité, réduites à de simples points d’ombre indistincts.

Il lui fallait s’arrêter, toutefois, refaire le plein, de bouffe comme de carburant. Le quartier qu’il traversait semblait désert, mort, mais certaines façades encore en bon état relatif laissaient présager d’intéressantes trouvailles. Il ralentit quelque peu son allure, s’offrant le temps d’observer les environs, quand il remarqua la moto garée non loin.

Dans un crissement violent, il stoppa la sienne, se souciant peu du vacarme provoqué pour une fois. Il avait reconnu le véhicule, et un sourire calculateur ornait déjà ses lèvres lorsque sa propriétaire sorti à sa rencontre, l’arme au poing.

Il leva une paume, l’autre main en visière pour se protéger du soleil, signalant son absence d’intentions belliqueuses, haussant les épaules devant la menace « Eh quoi, tu vas m’abattre comme un chien, en pleine rue, devant des tas de témoins ? » il jeta un coup d’œil critique au vide notable qui les entourait, puis reporta son attention sur Tobby, étonné finalement de la voir en si bonne forme après le sale coup qu’il lui avait fait. « J’allais revenir, tu sais ? » lâcha-t-il en faisant un pas vers elle, les mains toujours levées en signe de bonne foi, avant d’ajouter, les traits adoucis dans une mimique désolée « mais j’ai été retenu. Sinon, j’t’aurais jamais laissé, et si j’ai crevé les pneus, c’était uniquement pour être sûr de te retrouver. » Le mensonge lui venait, trop facilement, par habitude.

De nouveau, il haussa les épaules, minimisant l’importance de son geste comme si, vraiment, il n’avait pas tenté de la faire tuer. Survivre. La seule chose qui comptait, toujours, quitte à devoir pour cela sacrifier les autres. Dans un monde normal, peut-être se serait-il jeté au secours de la jeune femme plutôt que de l’abandonner comme il l’avait fait, mais le monde avait cessé d’être normal depuis longtemps, et ses actes passés ne lui travaillaient plus la conscience.

Il s’arrêta, pensif, avant d’hocher la tête en commentant, l’air pas gêné du tout « T’as trouvé des trucs intéressants là-dedans ? T’inquiète pour ta bécane, j’t’ai toujours dit qu’elle était pourrie. J’avais pas spécialement envie de la jouer super friendly, mais ça m’excite les nanas armées, j’trouve ça super intime. Vas-y mollo par contre, y’a assez de merde comme ça dehors et j'doute que ton truc puisse couper net. » et, sourcils haussés, il étira son sourire, affichant une assurance qu’il était au fond assez loin de ressentir.  

Kayn avait bien noté l’absence totale de joie qui raidissait le visage de Tobby lorsqu’il s’était approché, mais ne se démontait pas pour autant. Allons, c’était une petite farce, une bonne blague, une… ouais, bon. Elle avait sûrement des raisons de lui en vouloir, mais faire amende honorable, ce n’était franchement pas son truc à lui. Il ne quittait pas Tobby du regard, la trouvant aussi bandante que lors de leur dernière rencontre. Cette nana avait le chic pour lui court-circuiter le cerveau, ce qui ne l’arrangeait pas spécialement. Armée, elle avait l’air carrément dangereuse, ce qui lui plaisait d’autant plus qu’elle ne se décidait pas à l’attaquer. Fera. Fera pas, décida-t-il alors qu’elle passait non loin de lui, sans doute pour enfourcher sa bécane et se tirer loin d’ici. La belle affaire. « J’ai pas de couteau, trésor, j’suis inoffensif tu le sais bien. » Il soupira bruyamment, ennuyé par les efforts qu’elle faisait pour ignorer les siens, n’ayant aucune envie de la voir partir aussi vite. Pas alors qu’il venait de la retrouver, de la plus fortuite des manières. « Tobby, attends. » appela-t-il, plus sérieusement cette fois. Il ne riait plus, comme lassé de son propre tempérament, et s’approcha de nouveau, lentement, jusqu’à pouvoir toucher la moto, ce qu’il s’abstint bien de faire. Les bécanes étaient sacrées pour qui les montait, et il serait prêt à tuer quiconque frôlerait la sienne, alors tripoter celle de Tobby n’était pas un risque qu’il avait envie de prendre. Sans la lâcher des yeux, il inspira profondément, se pinça l’arête du nez, puis posa une main sur l’un des avant-bras de la jeune femme, sans serrer, juste pour attirer son attention, la retenir, sans la forcer. « Sérieusement. S’il te plait ? J’suis content de te revoir, vraiment content, et même si j’ai merdé, sache que j’ai eu tout le temps pour le regretter. J’pensais que c’était mort, qu’on s’en sortirait pas, et j’me suis dit qu’en te disant ça, ben… j’sais pas, ça t’aiderait peut-être. »  Il haussa une épaule, l’air réellement tourmenté, avant d’ajouter, sans retirer sa main. « Tu crèches où en ce moment ? Tu as trouvé un groupe ? Un endroit sécurité ? J’te demande pas de m’y emmener ni rien, je… » il se mordit les lèvres, chercha ses mots quelques secondes, puis avoua de son ton le plus crédible « J’me fais du souci, même si c’est un peu tard, maintenant que je sais que t’es là, en vie, j’peux pas te laisser disparaître comme ça, y’en a déjà assez qui me hantent sans que tu t’ajoutes à la liste. Ecoute, j'suis putain de désolé.» Peut-être aurait-il du commencer par là. Et il le pensait, presque, finalement, bien que ses fantômes soient solidement muselés et relégués dans un coin de son esprit. Les mots, il les avait toujours, mais peinait à trouver les bons, ceux qui feraient mouches, qui attireraient suffisamment son intérêt pour la faire rester, plutôt que de le fuir encore.