[23 Octobre 2017] Quand il avait à sortir d’habitude, Logan le faisait aux aurores, bien avant que la moindre petite inconvenance ne puisse le détourner de son but. Aujourd’hui, cependant, il avait pris son temps et n’était pas sorti de Fort Hope avant l’après-midi, peu pressé de mener à bien la mission qui l’attendait. Les choses n’allaient plus très bien ces temps-ci, la présence de l’armée agaçant doucement les nerfs de tout le monde. Au point que Fort Hope, ce camp qu’il avait mis tant de temps à construire de ses mains, sa sueur et son sang, risquait fort de perdre l’un de ses alliés les plus importants : l’Arène tenue par les frères Caulfield. C’était un désastre qui déprimait le géant. Un désastre qu’il se devait à tout prix d’éviter. Pour ce faire, il avait fait appel à la seule et unique personne qui puisse encore faire entendre raison au plus excentrique des frères Caulfield : sa propre soeur, Jade. Ou plutôt Alix, mais il se refusait toujours à l’appeler comme ça. Toujours est-il que la jeune femme s’était arrangée pour que Dean accepte de rencontrer Logan et qu’ils discutent ensemble d’un arrangement pour limiter les dégâts que les suspicions des militaires contre l’Arène créaient doucement mais sûrement.

Il s’était donc installé derrière le volant de sa voiture depuis quelques minutes à peine lorsque la portière passager s’ouvrit et que sa petite soeur s’installa à ses côtés. Logan lui lança un léger sourire et lâcha presque aussitôt un soupir, lassé d’avance de la conversation et du petit spectacle qui l’attendait au bout du chemin. Il ne comprenait toujours pas très bien ce que la jeune femme trouvait à Dean, mais il préférait éviter d’y penser maintenant, sous peine d’arriver complètement énervé sur place. “Prête ?” demanda-t-il plutôt à la jeune femme, se forçant à afficher un air léger comme s’ils allaient seulement faire une balade en voiture. Il attendit qu’elle lui confirme pour démarrer et les éloigner tout doucement de Fort Hope. Un certain malaise le prit à la seule idée de s’absenter du camp pour quelques heures. Alex était encore sur place pour gérer en son absence, Elias aussi, Juliet et Will devaient veiller sur ses filles, mais il n’en restait pas moins inquiet que quelque chose d’horrible ne se produise dès qu’il aurait le dos tourné. Ça l’angoissait au point que ses doigts pianotent nerveusement sur le volant et qu’il lance sans arrêt des regards en coin à sa soeur. “T’es sûre que Dean a bien compris que je n’étais pas du côté de l’armée ?” demanda-t-il pour la énième fois. Ils avaient eu cette conversation si souvent qu’il aurait pu la poursuivre tout seul. Ils s’étaient préparés mieux que bien pour cette rencontre, mais revoir les détails une dernière fois était la seule solution pour occuper l’esprit de Logan sur autre chose que le stress qu’il ressentait à laisser son camp sans surveillance. Que se passerait-il si on profitait de son absence pour s’en prendre à un civil ou pour décréter un nouvel ordre hiérarchique dont il serait complètement exclu ?

“Est-ce que tu sais si son frère sera là ?” continua-t-il malgré tout, comme si de rien était, comme s’ils préparaient leur voyage pour la toute première fois. “J’ai laissé mon revolver dans la boîte à gants, mais je garde mon couteau sur moi. Et je te conseille de garder une arme aussi. On ne sait jamais ce qui pourrait passer par la tête de ce type…” Dean était un crétin facile à manipuler, d’après Logan en tout cas, mais concernant Sam… Il n’avait pas la même assurance et cette petite visite le rendait presque aussi nerveux que de quitter son camp. “Répète-moi encore une fois ce que tu lui as dit ?” Il se promit que ce serait l’ultime répétition de tout ce qu’il savait déjà, mais il n’était même pas sûr de pouvoir se faire confiance, en ce moment.

Prétendre que tout se passait bien, était un mensonge. Je n’étais pas la dernière à donner mon avis quand un truc me déplaisait mais ces temps-ci, je préférai rester tranquille. Mon frère avait bien d’autres soucis à gérer, et me gérer moi, entrain de râler sur les dits problèmes, n’aurait rien arrangé. Pourtant, dans un éclair de connerie et de génie, je m’étais mis en tête de proposer une rencontre plus ou moins diplomatique. Logan m’avait donné cet étrange rôle, que d’être l’intermédiaire entre le Fort, et l’Arène. Mais de mon côté, je le soupçonnais de m’avoir donné ce titre ronflant pour me rassurer, que je puisse prétendre ne pas être totalement inutile à la communauté. Je suis surtout certaine que si j’ai ce titre, c’est parce que je couche avec l’un des deux frères mais ça, inutile de le formuler à voix haute. Voir Logan essayer de démentir ou pas ce fait, serait tout aussi ronflant que mon titre. D’autant que qui dit Arène, dit Logan grognon. Moi qui pensais que nous partirions aux aurores comme toute excursion, je l’ai surpris à détourner la chose. Il trouve toujours une raison, même minime, de repousser la chose. Et finalement, sans mentir, je le reconnais facilement là-dedans.

Enfin nous grimpons dans la voiture. Et Logan, me demande avec gentillesse et je n’en doute pas, beaucoup d’amabilité, si je suis prête. Je ris doucement.

- Plus prête que toi ouai, en avant.

Posant mes pieds sur le tableau de bord en n’oubliant pas de boucler ma ceinture, je me love dans le fauteuil. J’ai presque fait un compte à rebours dans ma tête. 3,2,1… Logan remettait ça. Je regarde par la fenêtre, avec un faible sourire amusé sur les lèvres. Il déblatère à nouveau milles questions, milles questions auxquels nous avons déjà répondus ensemble. Une fois qu’il m’a tout posé, je me tourne vers lui, avec un sourire amusé aux lèvres.

- Tu serais presque adorable quand tu panique, tu le sais ça ?

Je ris doucement et me réinstalle normalement dans mon siège.

- Oui. Je suis sûr que Dean a bien compris que tu n’es pas du côté de l’armée, je m’en suis bien assurée. Je suppose que son frère sera dans les parages mais j’ai aucune certitude, j’suis pas devin.

Je me redresse, jouant avec ma ceinture d’un air amusé. C’est peut-être un poil sadique, mais j’aime bien voir Logan comme ça avec moi. On dirait qu’il me materne. Pire que mon père à mon premier jour d’école primaire. Pire que ma mère pour ce qu’elle pensait être ma première soirée alcoolisée.

- Je prendrai pas d’armes, la plus efficace des armes que j’ai contre Dean c’est mon sourire. Il me ferait jamais de mal. Quant à ce que je lui ai dit ; je lui ai dit que son beau-frère, aller venir pour apaiser les tensions inutile entre nos deux guildes.

Appuyant avec amusement sur le "beau-frère", pour l’embêter un peu.

- A mon tour les questions. Est-ce que je me trompe ou t’es genre, hyper nerveux ? Fais gaffe tu vas te faire péter les veines du crâne à force de contracter si fort ta mâchoire.

Curieuse, je commence à fouiller dans la dit boîte à gant. Non pas que j’ai envie de me munir d’une arme, mais j’aimerai voir quel genre d’armes il a prévu en cas de secoure. Un bazooka m’aurait fait hurler de rire, mais je pense qu’il s’agit simplement d’un 9mm ou quelque chose dans ce goût-là.

- Et aussi, est-ce que t’es stressé par peur d'aggraver nos relations, ou parce que je me tape le blondinet des Caulfield ? Si comme prévu on rencontre juste Dean, je suis sûr que ça ira au poil. Il t’adore et t’idolâtre. Et si on a le second Caulfield avec nous, je suis sûr que ça ira aussi. Il a une tête de méchant dans les films, il est un peu grincheux, mais je trouve qu’il te ressemble pas mal, alors si tu fais rien qui pourrait te mettre en colère, je pense qu’il ne sera pas, en colère !

Je le fixe avec un air amusé.

- Essaye de me faire un sourire où t’aurais pas l’air constipé pour voir ?

Il fallait bien reconnaître une chose à Jade : elle faisait preuve d’une admirable patience pour gérer et supporter son frère, ces temps-ci. Elle s’était montrée plus que parfaite pour le soutenir au mieux depuis la mort de Joy et une fois encore, elle affichait un calme et une légèreté rafraîchissants alors que Logan luttait tant bien que mal contre la panique. Il fut pris d’une violente bouffée de tendresse pour la jeune femme, tout juste assombri par un reste de culpabilité à l’idée qu’il ait passé vingt ans loin d’elle, manqué tellement de moments importants, alors qu’aujourd’hui, il n’imaginait plus sa vie sans elle. Sauf, peut-être, quand elle posait les questions qui fâchent. Quoique, là encore, il se surprit à étirer un sourire alors qu’il lui jetait un autre regard en coin, se forçant tant bien que mal à se détendre un peu. C’était peine perdue, malheureusement. “J’ai pas confiance en ces enfoirés de militaires.” admit-il, visiblement crispé. “Ils font n’importe quoi en ce moment et ça me rassure pas vraiment de leur laisser mon camp le temps que j’aille m’occuper de nettoyer leurs conneries. Qui sait ce qu’on trouvera en rentrant…” Bien sûr, il ne laissait pas tout à fait Fort Hope sans surveillance, mais malgré toute la confiance qu’il portait à Alexandra et Elias, il craignait quand même qu’ils ne soient pas assez de deux pour maintenir sa position de leader incontesté. “J’suis pas d’humeur à gérer une guerre civile en ce moment, on a assez mangé de merdes ces trois dernières années.” conclue-t-il avec un peu plus de colère qu’il n’en était nécessaire.

Quant aux frères Caulfield… Mieux valait ne pas le lancer sur ce sujet, à vrai dire. Il faisait de son mieux, mais vraiment, Dean ne serait jamais la personne qu’il préfère au monde. “Si tu veux tout savoir, je crois que je préfère largement Sam à son crétin de frère.” lança-t-il, avec un peu plus de taquinerie que de méchanceté. Il essayait très fort de respecter les sentiments de sa soeur pour le blondinet, mais ça ne fonctionnait vraiment pas très bien. Cela tenait probablement du fait qu’il ne supportait pas tellement l’idée qu’un homme puisse toucher sa petite soeur, douce et fragile petite Jade qu’il verrait probablement pour le reste de sa vie comme une fillette de cinq ans, traînant sa peluche derrière elle au milieu du couloir de leur maison d’enfance. Même maintenant, qu’elle était ostensiblement devenue une femme, il ne parvenait pas à oublier cette image de la dernière fois qu’il l’avait vu avant la fin du monde. “J’suis sûr qu’il a plein de qualités…” tempéra-t-il tout de même, uniquement par amour pour Jade, “mais il parle tellement… tellement… J’me demande même comment vous arrivez à avoir des conversations normales alors que vous êtes aussi bavards l’un que l’autre ! Alors que son frère, au moins, il la ramène que quand c’est vraiment nécessaire. C’est ce que je préfère chez un être humain.” Il était comme ça lui-même, à vrai dire, comme quoi Jade avait entièrement raison de leur trouver quelques points communs. Il faisait des efforts pour elle, bien conscient qu’elle prenait son caractère naturellement taciturne pour une sorte de démonstration qu’il ne l’aimait pas autant qu’il aurait dû, mais Dean n’était pas sa petite soeur et il faisait déjà un effort surhumain pour le laisser en vie, ça n’était pas très juste de lui en demander plus.

Il se détourna de la route juste le temps de lancer un regard meurtrier à la jeune femme quand elle exigea un sourire qui ne lui donne pas l’air constipé, mais parvint au petit miracle de lui adresser un sourire sincère en croisant son regard. Peu pouvaient se vanter d’avoir un tel effet sur lui. “Je te promets de bien me tenir.” assura-t-il quand il reposa son regard sur la route. “J’ai peut-être l’air d’un bougre, mais je sais très bien à quel point on a besoin de rester en bons termes avec l’Arène après la façon dont l’armée s’est comportée avec eux. J’espère juste que j’ai raison de leur faire confiance et que c’est pas le Colonel qui a raison quand il dit qu’ils essayent de nous la mettre à l’envers…” Il aurait même pu comprendre, à vrai dire, si Sam et Dean s’étaient mis en tête de débarrasser Détroit de l’envahisseur en uniforme. L’envie ne lui manquait pas à lui non plus. La seule différence tenait au fait que sa famille était directement menacée à la moindre incartade. Il avait déjà enterré l’une de ses filles, sa femme… Il n’avait aucune envie de prendre le risque de devoir en enterrer d’autres ou ne plus être là pour elles en cas de problème. “Dean ne nous ferait pas ça, pas vrai ?” demanda-t-il, de nouveau sérieux et tendu. “Toutes ces rumeurs comme quoi l’Arène essaye de se débarrasser de l’armée et tire les ficelles de la résistance, c’est des conneries, hein ?” Il n’était même pas sûr que Jade soit mise dans la confidence si tout ça était vrai, mais peut-être… Peut-être qu’elle pouvait le découvrir. “Tu crois que tu pourrais… Lui en parler de façon parfaitement innocente et informelle, juste pour qu’on soit sûrs ?” Il avait un peu l’impression de lui demander de se prostituer en échange d’informations et ça ne lui plaisait pas du tout, mais elle était leur seule chance de découvrir toute la vérité, malheureusement.

Mon frère avait raison. Les militaires étaient un souci, un gros souci. Mais Dean n’avait rien à voir là-dedans, et franchement moi non plus. Je sais bien que ce n’est pas contre moi, qu’il dit toutes ces choses, mais c’est bien contre moi qu’il s’énerve actuellement. Et c’est lorsqu’il aborde carrément le sujet d’une guerre civile, que je le regarde fixement.

- Logan respire ou ta tête va exploser ! Même si on traverse quelque chose de compliqué, faut aussi que t’ouvre les yeux sur un détail, c’est que le monde extérieur n’a jamais été aussi sûr et que malgré l’ambiance écœurante que ces cons en uniformes apportent, Fort Hope va bien ! D’accord ?

Je suis sûr qu’il aura un tas de contre arguments. Mais je peux pas le laisser continuer de grogner seul dans son coin, tout simplement parce qu’il n’est pas seul. Je suis bien là et coincée avec lui dans l’habitacle. En revanche, je m’exaspère un peu, en ressassant tout ce qu’il vient de dire. Aussi, après un profond soupir, je me ferme encore un peu, perdant peu à peu mon sourire et ma patience.

- Je sais que tu veux me protéger Logan, d’accord ? Je sais que c’est en grande partie pour ça, que tu n’aimes pas Dean. Mais là, faut vraiment que tu ralentisses. J’ai jamais critiqué tes choix, sauf un qui était discutable et qui me concernait.

Pas besoin de développer, Logan comprenait parfaitement.

- Dean, même s’il est franchement bizarre, me rend heureuse. Parce qu’il est complètement paumé et qu’il pense jamais à mal me concernant. Il est doux avec moi, bizarre, oui, dans son monde et déphasé de la réalité, oui. Mais ça me permet d’oublier. D’oublier tout ce que j’aime pas dans notre monde actuel. C’est mieux un Dean, qu’un militaire complètement taré qui pourrait me tuer non ?

Je croise mes bras sur ma poitrine et je me redresse dans mon siège, l’air grognon. J’ai été terriblement patiente avec lui, pendant longtemps. Mais j’espérais que notre sortie soit plus amusante que de l’entendre retourner indéfiniment les mêmes problèmes qu’à la maison.

- Mais Ouai. Si t’as besoin que ton adorable petite espionne lui pose des questions, je lui montrerai mes seins et j’en poserai. Mais faut bien que tu comprennes que le plus dangereux des deux, c’est clairement Sam, pas Dean. Et Dean, ne ferait rien qui puisse me nuire, genre vraiment pas.

Je finis par soupirer profondément, et je le fixe.

- T’es qu’un ours mal léché. Si je suis si bavarde avec toi, c’est parce que j’ai pris l’habitude qu’au début, tu ne veuilles rien dire. Je te ferai dire d’ailleurs, que c’est toi depuis tout à l’heure que j’arrive pas à faire ralentir. Je m’attendais à un truc plus marrant ! Deux Carter dans un 4x4, ça sonnait comme un film épique !

A l’instant même où je dis ça, un bruit sec et fort, résonne. Ca provient du capot, ou de la roue, j’ai pas fait attention. Parfois, nos souhaits sont un peu trop puissant, par rapport à ce qu’on voulait vraiment...

Malgré ses doutes et ses craintes, Logan était quand même rassuré qu’Alix soit auprès de lui pour cette mission. Il n’était pas l’homme le plus patient du monde et il connaissait parfaitement ses faiblesses bien qu’il soit incapable d’empêcher réellement ses travers. Et peut-être qu’il ne le montrait pas suffisamment à la jeune femme, mais il lui faisait confiance pour mener à bien son rôle d’ambassadrice, ayant à coeur les intérêts de Fort Hope autant que ceux de l’Arène, suffisamment douce pour savoir parler aux gens quand il le fallait et pour gagner la confiance des autres. Il comptait sur elle, au point de lui confier ses craintes sans se poser plus de questions que ça. Elle était sa soeur, sa famille, même s’il lui avait fallu tant de temps pour l’aimer comme elle le méritait. Il ne surveillait pas vraiment son coeur auprès de ses proches et c’était, de toute évidence, une erreur car Jade ne réagit absolument pas comme il l’avait espéré. Mais avant qu’il n’ait l’occasion de s’excuser de l’avoir si visiblement vexée sans le vouloir, un bruit inquiétant venant de la voiture attira son attention. Il ralentit tranquillement pour ne pas trop forcer, mais n’eut d’autre choix que de s’arrêter quand dans la fumée commença à s’échapper de sous le capot. “Putain de merde !” grinça-t-il en coupant le moteur de toute urgence. Il n’avait pas eu le temps de passer régulièrement au garage, ces dernières semaines, et avait laissé tout ça aux soins des autres membres de l’équipe et il sentait qu’il allait bientôt le regretter.

“Prends le revolver dans la boîte à gants.” lança-t-il à Jade en se tournant vers elle, de nouveau sérieux et tendu. “J’vais aller jeter un oeil voir si on peut gérer ça, mais j’vais avoir besoin que tu me couvres au cas où.” Bien que les rues soient pas mal nettoyées grâce à la présence des militaires, ils ne pouvaient pas être partout sans arrêt et le bruit d’un moteur dans le silence ambiant de la ville allait forcément attirer quelques rôdeurs égarés depuis le dernier passage de l’armée dans ce secteur. Il n’attendit pas de voir ce qui allait se passer pour ouvrir le capot et sortir de la voiture. Un peu de fumée continua de s’échapper quelques secondes, mais il fut heureux de voir qu’il avait tout arrêté assez vite pour éviter de gros dégâts. “T’as une lampe sur toi ?” demanda-t-il à sa soeur en se penchant un peu plus sur la voiture pour examiner ses entrailles. Il ne voyait rien de grave à première vue, mais c’était souvent les petits détails qui posaient problèmes dans une panne de voiture.

Et après une inspection minutieuse, il put confirmer ses craintes : une minuscule petite pièce avait fondu contre le moteur trop chaud. Ils avaient échappé à un désastre de peu, mais il allait falloir remplacer la pièce et probablement s’inquiéter de savoir pourquoi le liquide de refroidissement n’avait pas fait son oeuvre. Rien qu’il ne pourrait faire tranquillement au milieu de nul part, en somme. Cela eut le don de l’agacer et il se redressa en poussant un soupir, prenant appui contre le capot ouvert alors qu’il passait une main lasse sur son visage fatigué. Il laissa un silence perdurer quelques secondes avant d’oser reprendre la parole, sans pour autant lever les yeux vers sa soeur. “Jade ? Tu sais que je veux que tu sois heureuse, n’est-ce pas ?” souffla-t-il doucement, de peur de la voir encore réagir au quart de tour. “Si je te taquine sans arrêt avec Dean, c’est juste… Parce que je sais pas trop comment me comporter autrement, mais si t’es heureuse avec lui, je suis heureux aussi.” Il aurait cru qu’elle savait ce qu’il ressentait réellement, mais comment aurait-elle pu s’il ne le disait pas ? “J’te fais confiance et si t’as confiance en lui, alors je me fie à ton jugement. J’suis juste inquiet, avec toutes les tensions en ce moment… J’ai trop peur qu’il arrive quelque chose si on met les soldats en colère.” C’était pour ça qu’il tenait tant à ce rendez-vous avec Dean et Sam, après tout. Pour s’assurer que les siens seraient en sécurité dans la bataille qu’il sentait venir qu’importe à cause de qui.

Moi qui réclamais un peu plus d’action pour moins de prises de tête, me voilà bien avancée. J’ai en effet gagné un peu d’action, mais surtout des prises de tête pour mon ainé mécano. Il m’ordonne de me saisir de l’arme à feu, présente dans la boîte à gants. Evidemment, je n’hésite pas bien longtemps, comprenant sans mal qu’on doit sortir du véhicule pour avoir accès aux organes endommagés de la voiture. Je m’exécute, me voici donc doublement armée, ne sortant jamais sans mon arme personnelle en cas d’imprévus dans ce genre. Je m’éloigne un peu de notre moyen de transport, préférant me concentrer sur les bruits alentours mais bien heureusement, il semblerait que ça soit calme pour le moment. Nous ne sommes pas malgré tout à l’abri d’une attaque quelconque, que ça soit d’un mort-rampant ou d’un survivant isolé, bien qu’ils soient de plus en plus rares. Je laisse Logan jouer les chirurgiens, à la recherche de ce qui cloche avec son cheval de fer. Finalement, il ne bidouille rien mais se retourne vers moi, l’air exaspéré. Soit il attend que le moteur refroidisse pour agir, soit il n’est pas en mesure de réparer l’engin. Sans me regarder, il reprend la parole, et ses mots, me surprennent.

Je me permets de rester là, quelques secondes à le fixer. Je ne m’attendais pas vraiment à ça, c’est assez soudain et cela semble si sincère. Il prononce quelques paroles apaisantes et encourageantes. Aussitôt, je me sens un peu coupable de l’avoir rembarrée si brutalement quelques instants avant. Je m’approche lentement, toujours en le regardant bien fixement.

- Je te remercie Logan. Ça fait vraiment plaisir à entendre.

Je souris en coin, rangeant mon arme à ma ceinture.

- Je m’attendais pas à ça. Je sais que Dean te tend, il tend tout le monde et même moi quand je l’ai rencontré. Mais il m’a sauvé à l’époque, sans que je ne lui donne rien en retour. Il est tellement dans son monde qu’il ne voit pas le danger autour de lui et c’est à peine s’il le remarque autour des autres.

Je m’approche encore un peu, et après une brève hésitation, je viens délicatement étreindre l’énorme nounours qui me sert de chef, et accessoirement de frère. Je pose mon front contre son torse avec apaisement, restant ainsi quelques secondes avant de me redresser, avec un petit sourire joueur sur les lèvres.

- Continu à jouer les grands frères protecteurs si tu veux. J’aime ça au fond. Et ça me fait plaisir que t’essaye d’avoir confiance. Je sais comme la paix entre les deux camps est importante. Je sais que ce rôle d’ambassadrice est un peu bidon, mais saches que je le prends quand même au sérieux. Je sais jouer les filles mielleuses si j’en ai besoin et Dean mort bien à l'hameçon. Il nous fera rien, il est raide dingue de toi, en plus de l’être de moi.

Je m’éloigne, laissant quelques secondes à mon frère pour assimiler le tout.

- Comment va le moteur ?

Exprimer ses sentiments n’était pas une pratique très répandue chez les Carter, bien que depuis qu’il ne vivait plus avec son père, Logan ait essayé de changer ça aussi. Mais il n’aurait pas dû être surpris que sa soeur réagisse de la façon dont elle le fit. Il aurait peut-être voulu des excuses pour cette colère injustifiée dont elle l’avait affublé. Mais elle lui fit au moins le plaisir de s’adoucir un peu, aussi n’insista-t-il pas et alla-t-il même jusqu’à afficher un petit sourire. Il secoua quand même un peu la tête, très légèrement exaspéré. “Ton rôle d’ambassadrice n’a rien de bidon.” gronda-t-il gentimment. “Les relations avec l’Arène sont beaucoup trop importantes pour que je m’amuse à les laisser aux mains de quelqu’un qui n’est pas capable de faire son travail correctement.” Il marqua une très légère pause, une hésitation tout juste palpable, avant de poursuivre. “C’est vrai que ta relation avec Dean joue dans ma décision, mais c’est juste un petit avantage en plus, une carte secrète à jouer au bon moment. C’est de la politique, on profite des avantages qu’on a, mais ne crois pas que je te considère comme une prostituée au service de Fort Hope.” La seule idée lui donnait la nausée et il prouvait déjà bien assez qu’il n’approuvait pas spécialement le choix de Dean comme partenaire. Ça n’était pas pour encourager sa petite soeur à se montrer encore un peu plus familière avec lui. Mais il n’y avait aucun mal à ce qu’elle mette à profit son sourire d’ange si ça pouvait les aider à survivre. Il ne lui demanderait jamais plus et était persuadé que Sam n’était pas dupe à ce sujet.

Il lâcha un soupir et se redressa, cessant de faire peser le poids de son corps contre la voiture. “Le moteur refroidit pas, doit y avoir un problème avec le liquide de refroidissement. Et une petite pièce a fondu contre le métal trop chaud.” expliqua-t-il quand la jeune femme s’intéressa de savoir ce qui clochait avec la voiture. Ce serait compliqué s’il fallait remplacer plusieurs pièces, alors qu’ils manquaient clairement du matériel nécessaire, mais s’il fallait seulement décrasser un peu la tuyauterie, ils pourraient être partis d’ici en un rien de temps. “On va attendre un peu que ça refroidisse avant de regarder plus en détail ce qui cloche.” Ce qui leur laissait plusieurs longues minutes que Logan ne se sentait pas de passer dans le silence. Même maintenant que les choses allaient mieux entre le frère et la soeur, il ressentait toujours une certaine angoisse à se retrouver seul avec elle, sans arrêt étouffé par la peur de ne pas être à la hauteur de ce qu’elle attendait de lui. Il n’y avait qu’à voir comme elle réagissait chaque fois qu’il disait ou faisait une chose un peu différente de ce qu’elle aurait voulu… Même inconsciemment, elle était toujours préparée à ce qu’il la déçoive. Comment ne pas se sentir tendu dans cette situation ?

“Est-ce que tu vois souvent Sam ?” demanda-t-il après quelques secondes de silence. Il n’était pas tout à fait convaincu que parler travail soit la meilleure solution, mais c’était au moins un sujet relativement neutre, qui avait toutes les chances de ne pas tourner soudainement en dispute. Parle de quelqu’un d’autre qu’eux, surtout, c’était une certaine forme de sécurité pour Logan. “Ce type me fait froid dans le dos, j’arrive vraiment pas à savoir ce qu’il veut ou ce qu’il pense… Qu’on arrive à convaincre Dean, c’est une chose, mais comment on fait pour que Dean arrive à le convaincre lui de nous faire confiance ?” demanda-t-il, pensif. La vraie difficulté était bien là. Il n’oubliait pas non plus la remarque plus que pertinente de Jade : Dean n’aurait peut-être jamais le cran de les trahir, mais qu’en était-il de son frère ? On parlait quand même du type qui avait eu l’idée de cette foutue arène et qui avait même réussi à en faire un succès…

Logan tente de me rassurer, de m’expliquer que mon rôle n’est pas bidon. J’ai du mal à l’avaler, au vu de ce que lui fait pour le camp et de ce que moi, j’ai à faire pour le camp. Rouler des hanches et embrasser un homme, ce n’est pas vraiment du travail acharné, mais plus un passe-temps des plus agréables. Je l’écoute néanmoins, d’accord avec lui sur certains points. Je finis par hocher la tête à la fin de ses explications, toujours concentrée sur ce qui nous entoure, histoire de ne pas nous laisser surprendre. Finalement, le nounours commence son rapport sur l’état du véhicule et le bilan, n’a rien de bien intéressant. Je fais une petite moue et je l’observe un petit instant.

- Ça, c’est pas des choses qu’on va pouvoir arranger d’un coup de baguette magique...

Je me retourne vers les bâtiments qui nous entourent, et je sens mon frère me rejoindre. Même si je l’adore et que j’adore, passer du temps avec lui, je me rends bien compte que je suis toujours tendue. Je ne lui avouerai jamais de vive voix, mais j’ai peur qu’il m’abandonne, encore. Je suis dure avec lui, j’en ai conscience. Mais en même temps, voilà un certain temps que je n’avais plus montré les crocs. Je me suis même surprise, j’étais exemplaire pendant toute sa période de doutes et de chagrin. Je l’ai épaulé de mon mieux, mais on ne peut pas dire que je sois très sereine pour autant. Parler de nos sentiments, c’est pas notre fort. J’espère juste qu’il est fier de moi. Il revient sur le sujet de l’arène et je réfléchis un instant.

- Je croise parfois Sam. Je suis calme, correct, je lui fais les yeux doux. Il aime bien les durs à cuirs. Et il aime son frère plus que tout. Je pense que si on réussit à séduire Dean et qu’on se montre respectueux envers Sam, pourquoi pas même qu’on le brosse dans le sens du poil au sujet de son arène, y a pas de raison que ça foire.

Je me tourne vers lui, bras croisés sur ma poitrine.

- Je le promets Logan. Tout se passera bien avec l’arène, on n’a pas grand-chose à craindre d’eux je pense, si on s’en tient à ça.

Et que je continue à faire ma mielleuse avec le blondinet, mais ça, c’est quelque chose que je fais sans effort. Notre relation est un peu chaotique, de par nos milieux très divers, mais je m’y plais et Dean aussi, semble à l’aise. Je me concentre brutalement sur l’horizon, alors que j’entends quelques gargouillis. Ils se font de plus en plus forts. Logan avait raison de me demander de surveiller, le bruit du moteur a dû réveiller certains déchets vivants. Je marmonne à l’intention de mon frère, bien consciente que lui aussi doit avoir entendu, et vu.

- On a de la compagnie. On bouge de là ? Ou t’as envie de te défouler ?

Je lance un regard vers la voiture. Pas sûr que le colosse veuille la laisser là. Je n’aurais pas abandonné ma voiture non plus d’ailleurs… Ma concentration se retourne vers les morts, qui se découvrent être de plus en plus nombreux. Une quinzaine, environ. J’attends les directives de Logan. Après tout, c’est lui le chef et que je me montre docile, est déjà une victoire en soit.

Si ça n’était d’abord qu’une piètre tentative de changer de sujet, la manière dont Alix parla de Sam eut au moins le mérite de calmer un peu plus les nerfs du géant. C’était le genre d’homme qu’il pouvait comprendre, peut-être même avec qui il pourrait s’entendre. Toujours mieux qu’avec Dean, en tout cas. “Ok,” souffla-t-il dans un nouveau sourire, alors que Jade essayait encore de le rassurer, “je te crois sur parole !” Il n’était pas sûr d’être convaincant s’il devait faire semblant d’adorer le concept de l’Arène, mais si c’était la seule chose dont il ait à se soucier, alors tout irait bien.

Sauf que, bien sûr, ça n’était pas la seule chose dont il avait à se soucier, loin de là. Il y avait toujours quelque chose, ça en devenait légèrement frustrant, à force. Au moins, il préférait largement le problème qui s’approchait d’eux plutôt que les histoires de politique et de diplomatie : une petit horde de cadavres surexcités, pratiquement un après-midi tranquille dans la vie d’un survivant de Détroit. Son sourire gagna même en largeur quand Jade lui offrit l’occasion d’en profiter pour se défouler un peu. “Rien de tel qu’un peu de sport avant un entretien important, pas vrai ?” lui lança-t-il joyeusement, alors qu’il arrachait déjà le kukhuri toujours rangé à portée de main dans le holster autour de ses épaules. “Si tu veux une chance d’en toucher un, bouge-toi vite ! Premier arrivé, premier servi !” la provaqua-t-il avant de se lancer lui-même vers la horde. Le fait qu’il ne risque pas d’être infecté par une morsure le rendait aussi beaucoup plus enclin à se jeter sur des cadavres par simple plaisir. Peut-être bien que dans le fond, il comprenait un peu l’intérêt qu’on trouvait à l’Arène. Il n’aimait pas spécialement l’idée, mais il commençait sérieusement à considérer la tuerie de rôdeurs comme un sport, lui aussi.

Le temps d’une petite course pour réduire la distance entre lui et le reste de la horde, et il se jetait à la gorge du premier cadavre, sa lame trouvant facilement le chemin de son crâne. C’était presque décevant tant c’était facile, mais le fait que les autres cadavres alentours se jettent tous sur lui à cet affront pimenta un peu les choses. Ce qui avait commencé par une attaque assurée et maîtrisée se transforma bientôt en un terrible bazar manquant totalement de grâce, ses bras et ses jambes frappant dans tous les sens, sa lame déchirant la chaire déjà putride, le tout se mêlant dans un écoeurant geyser de sang noir venant couvrir peu à peu ses vêtements. Il ne ferait clairement pas bonne impression en se présentant comme ça à l’Arène, mais après quelques longues minutes à se fatiguer au combat, il était réellement plus détendu quand le dernier cadavre lâcha son ultime soupir.

Essoufflé, il se tourna vers sa soeur alors qu’il essuyait la lame de son couteau sur son jeans et la rangeait dans son étui. “L’un de ces enfoirés a piqué mon écharpe.” se plaignit-il en faisant la moue. Ça n’était pas vraiment la chose la plus importante au monde, mais il regrettait quand même pas mal le vêtement, enroulé à la main arrachée d’un cadavre, couverte de sang et de tripes… Il n’avait pas plus envie de la récupérer et de devoir la laver plus tard.

Il secoua la tête, désespéré et reporta son attention sur Jade. “Bon, cette voiture…” La meilleure chose à faire aurait été de l’abandonner là et d’appeler Dean sur le talkie pour qu’il envoie quelqu’un les récupérer, mais… C’était la voiture de Joy. Il ne se sentait pas encore prêt à abandonner quelque chose qui lui ait appartenu derrière lui. Même s’il faudrait se battre contre d’autres mort-vivants et perdre un temps fou à trouver un moyen de la remettre sur les rails. “Tu ouvres les capots de celles garées à gauche et moi à droite ? On a besoin d’une bougie.”

Logan a évidemment le choix. Mais je n’hésite pas bien longtemps à savoir ce qu’il va choisir et mes intuitions semblent finalement s’avérer réelles. Abandonner sa voiture et rater l’occasion de répandre quelques tripes sur le sol ? Non, ça n’aurait pas ressemblé à Logan. Parfois, je me rends bien compte que nous sommes en effets, frères et sœurs. Certaines ressemblances sont frappantes, quoi qu’on en dise ou quoi qu’on puisse souhaiter.
“Rien de tel qu’un peu de sport avant un entretien important, pas vrai ?”
Cette phrase, marque le top départ dont nous avions besoin tous deux.  Logan part en courant, une véritable charge qu’il orchestre vers les morts vivants. Je le suis, avec un peu plus de réticence. Je ne peux pas nier que tuer ces trucs est un assez bon défouloir, mais la cause de ma retenue n’a rien à voir avec un quelconque dégoût face à cette tâche qui nous incombe, c’est plutôt l’inverse. Comme mon frère, une fois que je m’y mets, je ne m’arrête plus que lorsqu’ils sont tous morts et cette fois, bien morts. Je reprends ainsi mes aptitudes passées, mon attitude sur le ring, cette soif de vaincre et de gagner à tout prix. Mais aujourd’hui, ce n’est pas moi qui ai besoin de me défouler à mort. C’est bien mon frère, celui qui est si stressé ajourd’hui. Je le laisse ainsi prendre un peu d’avance et finalement, je le rejoins, me contentant de venir tuer ceux qui dont la présence deviendrait trop dangereuse pour mon aîné. Je l’aime cet idiot, et même si pour un esprit équilibré, la mort n’est qu’une grande aventure de plus, je suis pas prête à laisser mon frère se faire tuer bêtement pour une histoire de défouloir. Celui-ci, fini couvert de sang, ses habits propres dénotant son bon niveau de vie, font maintenant plus penser à un survivant isolé qui en a trop vu et pour moi, hé bien c’est pareil. Je regarde mon corps, avec un petit sourire amusé. Je suis déçue pour mon jean, il semblerait que Dean m’ait un peu affecté avec ses manières.

- Clairement en terme de bonne impression visuelle, on repassera et encore… J’ai envie de dire, le frère et la sœur, venus tous deux de Fort Hope, qui arrivent décorés ainsi… Ils verront qu’ils n’ont pas affaire à des survivants en carton, tu crois pas ?

J’essuie mon couteau de chasse sur un morceau de tissu, plus ou moins propre. Je penserai à stériliser ma lame quand je rentrerai chez nous. La plainte de Logan, me fit lever la tête et j’éclate doucement de rire. On mort, qui vole une écharpe ? C’est bien la première celle-là. En effet, vu l’état sanguinolent de cette dernière, je comprends bien qu’il n’ait pas envie de la récupérer. Notre attention revient vers les voitures, et je hoche la tête sous ses ordres. De l’aide sera toujours apportée à ceux qui en feront la demande et même si je doute que mon frère ne l’ai remarqué, je n’ai jamais été en mesure de lui refuser grand-chose. Obsédé par notre relation commune et dévastée à l’idée qu’il puisse s’en aller à nouveau. C’est pour ça, que je m’attèle si ardemment à sa demande sur la bougie, mais également grâce à ma fascination pour lui, que plus jeune je m’étais mise en tête de devenir mécano. C’est cool. Aujourd’hui je vais pouvoir trouver la fameuse bougie, puisque je sais à quoi elle sert. Après quelques recherche appliquées, je finis par sourire en coin, victorieuse. Je reviens ainsi vers le gros nounours, pour appuyer mon avant-bras sur son épaule.

- Hm. J’sais pas si je te l’ai dit, mais c’est à cause de toi que je me suis intéressée à la mécanique.

Lui collant sous le nez, la fameuse bougie qui nous permettra de repartir vers l’arène, l’endroit de rêve pour mon frère n’est-ce pas ?

- Je suis presque sûr que t’aies déçu que j’ai trouvé cette pièce avant toi. Elle est pas trop chouette, ta petite soeur adorée ?

Un sourire en coin étire mes lèvres. Je ne suis pas vraiment sûr qu’il soit déçu, mais j’aime l’embêter, le taquiner... Même si clairement, ce coup de chance ne prouve rien du tout.

L’adrénaline du combat fit son petit effet un instant, arrachant un large sourire à Logan et même une impression de légèreté dans tout son corps. Mais lorsqu’il posa de nouveau le regard sur la voiture en panne, son air s’assombrit malgré ses efforts pour le cacher. Le fantôme de Joy continuait de le hanter, qu’importe le temps passé. C’était plus facile, aujourd’hui, il parvenait à sortir de Fort Hope, à passer de bons moments et même à créer des liens avec Mila, mais… le souvenir de sa femme n’était jamais très loin, la plaie dans son coeur jamais tout à fait refermée. Il essaya malgré tout de cacher son air affecté en se concentrant sur la partie vraiment importante : les réparations. Et dès ses consignes données, il s’approcha de son côté de la rue pour commencer les recherches.

Il ne devait pas y avoir passé plus de quelques minutes quand la présence de Jade près de lui le fit sursauter et se redresser. Rien qu’au son de sa voix, il souriait de nouveau et leva les yeux au ciel à la remarque de la jeune femme. “Je ne sais plus si tu me l’as dit, mais j’crois que je m’en doutais un peu.” fit-il remarquer gentiment. Elle n’avait clairement pas pris son amour de la mécanique de leur père ou de sa mère, mais il se souvenait encore vaguement de toutes les petites voitures usées et abîmées que sa mère lui ramenait et qu’il alignait soigneusement sur son petit bureau ou des posters de voitures de collection sur les murs de sa chambre. Il avait laissé tout cela derrière lui en partant et bien qu’il n’ait pas la moindre idée de ce que leur père avait fait de cette pièce après son départ, ça ne le surprenait pas trop que Jade y ait vu une façon de se rapprocher de lui en grandissant. Il secoua la tête et récupéra la bougie que lui tendait sa soeur, abandonnant ses propres recherches au passage. “Avant de crier victoire, on va déjà voir si elle fonctionne toujours.” lui lança-t-il alors qu’elle se vantait, “si elle a passé trois ans à prendre la poussière, c’est pas gagné.”

Le moteur était encore un peu trop chaud pour qu’il puisse y mettre les doigts sans risque, aussi rendit-il la bougie à sa soeur tandis qu’il se penchait pour regarder sous le capot. “Il y a une fuite…” remarqua-t-il à peine eut-il posé les yeux sur le bitume sous la voiture. “Puisque t’es un petit génie de la mécanique, dis-moi comment on peut colmater le trou du réservoir du liquide de refroidissement en attendant que je puisse le changer vraiment quand on sera rentré à Fort Hope.” Il croisa les bras sur sa poitrine et planta son regard dans celui de la jeune femme, prêt à entendre ses suggestions, quoique cela ressemble davantage à une petite interro surprise qu’il lui faisait passer tout à coup.

Logan est un grand sujet de réflexion pour moi, et d’aussi loin que je me souvienne, il l’a toujours été. Et même si je ne l’ai finalement connu que peu d’années sur ma vie entière, j’ai l’impression d’être assez sensible à lui. On est plus ou moins deux grands silencieux sur nos émotions, on les garde jusqu’à l’explosion. Aussi, je l'observe faire le yoyo avec ses sentiments. Le visage fermé. Je ressens qu’il est tendu et je n’ai pas grand mal à deviner pourquoi. Je souris avec finesse malgré tout. Nous avons tellement de soucis à gérer, que je n’arrive pas vraiment à décider lequel il faudrait mieux traiter en premier. Mais l’empressement de Logan et ses airs, la redirection de la discussion sur la fuite du réservoir de liquide de refroidissement, me donne bien la couleur. Moi qui pensais avoir un vraie relation entre ma voiture et moi, me retrouve à douter. Logan tient milles fois plus à cette voiture que moi avec mon impala. Je soupir doucement, l’air un peu résignée. Je suis à présent bien certaine qu’il ne voudra pas l’abandonner ici le temps d’aller à l’arène pour trouver un gars avec une grosse voiture qui serait capable de nous la ramener. Dean, avec ses grands airs, n'hésiterait pas bien longtemps à envoyer une armée entière au secours de la voiture de mon frère si je battais seulement des cils.

- Je crois que le plus juste, serait de trouver de la résine spéciale. Mais ça implique de trouver un garage dans le coin, d’espérer qu’il y ait cette fameuse résine et d’espérer également que le temps n’aura pas eu raison de son efficacité.

La vache. Dean a finalement changé pas mal de choses en moi et surtout ma façon de parler. J’aurais dit ça comme ça autre fois ? C’est clair que non. Aussi, je me redresse doucement pour l’observer avec plus de sérieux.

- C’est très périlleux, mais on peut toujours conduire avec une fuite… A toi de voir. Sinon tu vas devoir nous sortir une solution de ta chevelure de princesse.

Je me tourne dos à la voiture et croise les bras, venant m’appuyer contre cette dernière, la désagréable sensation de piétiner sans vraiment avancer commençant à me vriller les jambes.

- On a un peu de temps avant que le moteur ne refroidisse vraiment alors… Si t’as d’autres angoisses à me partager, je me ferai un plaisir d’écouter.

Et accessoirement, de me dresser comme un mur entre lui et elles. Depuis la mort de Joy, j’ai un peu l’impression d’être la grande soeur. J’ai tout donné pour le protéger de sa tristesse et essayer de maintenir la maison et sa vie de famille en l’état jusqu’à ce qu’il reprenne pied. Maintenant, ça va mieux avec Mila et c’est déjà un grand début. Mais le coloss a malheureusement milles combats à mener au quotidien. Même si je ne peux pas apporter de solution pour certains, je peux toujours jouer l’oreille attentive pour lui plaire et lui redonner courage.

Ce que Logan savait déjà ne tarda pas à se transformer en mots dans la bouche de sa soeur et ça rendait la conclusion un peu plus fatale, insurmontable. Il y avait bien trop de “si” dans leur plan d’action, beaucoup plus qu’ils ne pouvaient s’en permettre pour une simple petite visite de courtoisie à l’Arène. La véritable solution, le géant la connaissait déjà et il ne doutait pas un instant que Jade le sache aussi bien que lui. Elle attendait seulement qu’il l’admette, sans doute, pour ne pas le brusquer parce qu’il était devenu incroyablement sensible sur certains sujets, ces temps-ci. “Parfaite analyse de la situation !” lança-t-il malgré tout, son ton aussi joyeux et encourageant que possible. Après tout, sa soeur n’y était pour rien si la voiture était tombée en panne et s’il avait tant de mal à tourner la page. “On dirait que tu sais vraiment de quoi tu parles, finalement.” se moqua-t-il vaguement, juste pour gagner encore un peu de temps avant de devoir annoncer ce qu’ils savaient déjà tous les deux. Il fallait seulement qu’il arrive à se convaincre que d’abandonner la voiture ici le temps de pouvoir la faire remorquer jusqu’à Fort Hope - ou bien l’abandonner pour de bon - n’était pas la même chose que d’oublier Joy définitivement. Elle n’était pas seulement une voiture, après tout, n’est-ce pas ?

Ce que Jade n’était pas, en tout cas, c’était stupide. Peut-être aussi que Logan cachait mal ses émotions. Toujours est-il que la jeune femme n’achetait pas ses faux-semblants, comme elle le prouva en lui offrant de partager le reste de ses angoisses avec elle. Ça n’était pas vraiment le genre du barbu de balancer ses états d’âme à qui voudrait bien l’entendre et d’instinct, il eut envie de prétendre que tout allait bien ou de remettre le couvert avec l’Arène. Un coup d’oeil à sa petite soeur le retint de faire une chose aussi stupide. Elle le saurait, il en était persuadé. Alors, au lieu de lui mentir bêtement, il baissa les yeux et passa une main dans ses cheveux, lâchant un long soupir. “C’était la voiture de Joy.” souffla-t-il sans la regarder. “J’étais plus ou moins le seul à l’utiliser depuis des mois, mais c’était sa voiture.” Pourtant ça restait une simple voiture, pas vrai ? Il n’y avait vraiment rien qui puisse rappeler sa femme dans ce véhicule, même pas un petit porte-clé accroché au rétroviseur. Rien du tout que ce que Logan savait. “J’suis pas encore prêt à l’abandonner là, faut que je la ramène à Fort Hope…”

Il n’avait pas parlé de Joy depuis… Depuis trop longtemps. Depuis qu’elle était morte dans leur lit, avec leurs filles près d’elle, sans qu’il ne sache ce qu’elle avait ressenti à ce moment là. Il pensait à elle, il disait parfois qu’il n’était pas encore prêt à l’oublier, mais il n’en disait jamais trop. Et cette fois, pourtant, il ne se sentait plus capable de parler d’autre chose. “Je sais que c’est stupide, mais j’veux pas la laisser là, j’veux pas jeter ses affaires, ni arrêter de penser à elle. Elle aurait pas dû mourir et… J’ai l’impression que si je balance tout ce qui lui appartenait, c’est comme si je la balançais elle. Tu comprends ?” Il était presque sûr qu’elle ne comprendrait pas, tout simplement parce que maintenant qu’il disait tout ça à voix haute, il réalisait combien c’était ridicule. Joy ne disparaîtrait pas s’il rangeait toutes ses affaires dans des cartons au grenier. Elle avait déjà disparu… Elle ne reviendrait jamais, peu importe qu’il lui laisse sa place dans sa vie. Jamais. Et il savait parfaitement que ranger ses affaires ne lui ferait pas oublier combien il l’avait aimée. “Mais on est pas loin de l’Arène. On ferait mieux de laisser la voiture ici et finir à pieds. On pourra toujours trouver quelqu’un pour nous aider à la ramener à Fort Hope ou pour nous filer de quoi réparer, pas vrai ?”

Mes instincts ne trompent donc pas. Il y a bien autre chose que la panne de voiture ou la tête de Dean qui vient ici lui poser problème. Le coloss, ne tarde pas trop, avant de commencer à se livrer. Cette voiture, c’est celle de Joy. J’admets avoir souvent vu les deux l’utiliser depuis que je suis arrivée à Fort Hope, mais j’ignorais que c’était à elle réellement. Je hoche doucement la tête, avant de l’écouter sagement, m’expliquer la peur qu’il a concernant ses affaires. Je soupir doucement, avant d’observer autour de nous. Je croise tranquillement mes bras contre ma poitrine, avant de serrer un peu ma prise, pour me réconforter.

- Je ne sais pas ce qui a cloché, dans l’éducation qu’on a reçu. Mais j’ai l’impression qu’on est vraiment pas doués avec les sentiments et les émotions dans cette famille.

Doit y avoir une pomme pourrie dans nos gênes.

- Pense pas que ça soit ridicule, c’est un deuil que tu fais, idiot. T’as le droit, d’être attaché aux biens matériels de Joy. Vivre avec quelqu’un et le voir disparaître, laisse toujours un vide dans le coeur. Que cette voiture ait une telle importance à tes yeux, c’est normal pour l’instant. Te sens pas ridicule d’avoir des émotions. Quand tu seras prêt, tu pourras garder ou non, ses affaires. Pour l’heure, laisse toi le temps de guérir.

Tout ça, je le dis sans le regarder, guettant les alentours d’un oeil observateur. Je soupir doucement, avant de me retourner vers lui, quand je suis bien certaine que le calme et la tranquillité règne autour de nous.

- L’arène nous aidera, soit sans crainte à ce sujet. On a qu’à s’y rendre à pied, c’est en effet plus très loin. Une fois là bas, on signalera ta voiture pour qu’ils la récupèrent, ou qu’on puisse contacter Fort Hope pour que quelqu’un là-bas, s’y rende.

Je le pousse doucement, d’un petit coup d’épaule doux et affectueux, comme pour l'inciter à bouger.

- En avant. On va déjà être bien en retard et je sais pas toi, mais j’ai pas envie de voir Dean inquiet de nous trouver avec du sang sur les vêtements. Je te préviens, je sens qu’il va tenter de nous déshabiller pour qu’on se change...

J'annonce ça avec un petit sourire amusé. Après tout, il n'aurait pas forcement tort. Après tout, ça pourrait être pas mal qu'on se présente à Sam sans restes de cervelles dans les cheveux.