Mon esprit est vide, comme si la moindre réflexion m’était impossible à réaliser. Un frisson d’angoisse pure, court le long de ma nuque, faisant dresser quelques-uns de mes cheveux sur son passage. Je grimace, mes lèvres prisent d’un rictus indéchiffrable et ma mâchoire se contractant sous la tension. Mon idée n’est pas franchement la meilleure que j’ai eue. Elle a plus de chances d’échouer, que de réussir. Pourtant, je suis porté par un espoir sincère et une envie présomptueuse. Les quelques personnes à bien connaître Anja, pourraient me décourager bien vite, m’assurant qu’il serait plus sage de me faire castrer autrement, mais je n’écouterai personne. J’ai perdu déjà tant d’êtres qui me sont chers. Le monde dans lequel on vit est hostile, l’homme ayant repris sa juste place de prédateur et les morts-vivants au dehors, celle de supers-prédateurs… Avec tant de risques et de problèmes, certains se sont résignés à ne plus rien vivre de doux, chaleureux. Mais à quoi sert la vie, si on se contraint à survivre, pour s’empêcher de vivre ? Ce choix ne devrait pas être à faire. Et celle que je cherche en ce moment, a fait ce choix radical. Cacher qui elle est vraiment pour se préserver.

Pas à pas, j’avance. Entièrement équipé de mon attirail de soldat, l’on pourrait croire que je suis encore en service et pourtant, il s’est terminé il y a une bonne heure déjà. Mais je voulais prendre le temps, de me balader sur les palissades pour observer l’extérieur et surtout, attendre qu’elle, finisse son service. Shadow me suivant calmement, comme mon ombre, ne fait pas le moindre geste de travers. Droite et concentrée comme d’habitude, elle observe de son œil vif, le moindre mouvement alentour. Comme d’habitude, elle voit, entend et sent plus loin que moi. Qu’elle soit la première à repérer Anja ne me surprend pas. Comme d’habitude, je la laisse filer devant pour aller réclamer un peu d’attention, tandis que moi, je m’immobilise. Main posée sur le garde-corps en métal froid, je fixe la brune d’un œil neutre, et finalement, un fin sourire se dessine sur mon visage. J’approche, d’une démarche calme et légère qui me caractérise plutôt bien, avant de m’arrêter devant elle. Étant encore en tenue et sur notre zone de travail, je me contente d’incliner respectueusement la tête en guise de salut, pour ne mettre personne dans l’embarras.

- Salut Anja. Tu peux venir avec moi s’il te plait ? En réalité ce n’est pas vraiment une question, mais plutôt un ordre déguisé.

Je souris en m’inclinant doucement vers l’avant, en me décalant légèrement sur le côté pour lui laisser le passage, l’invitant à passer devant moi. Je lui emboîte rapidement le pas, jusqu’à ce qu’on soit enfin descendu au niveau du sol. Je ricane, décidant de prendre les devants avant qu’elle ne me bombarde de questions, de son regard si vif. Continuant de marcher avec tranquillité, incluant dans ma démarche qu’elle doit continuer à me suivre, je reprends mes palabres.

- J’aimerai… Qu’on aille s’installer un peu à l’écart, tranquille. Au bord du lac, me semble être une belle idée. Calme, discret, reposant on ne sera pas embêtés là-bas. Ne t’inquiète pas, c’est pas un piège tu ne risques rien. De toute façon, je sais que si je voulais te nuire, je finirai vite au tapis pas vrai ?

Je lui accorde un petit clin d’œil, sans pour autant être à l’aise. Elle doit le sentir et même le redouter, mais je m’en fiche. Mon angoisse file à mesure que je rentre peu à peu dans le bain, mon esprit réagissant naturellement comme si j’étais en mission commando.

- Faut vraiment que je te parle d’un truc. C’est super important, tu vois. S’il te plait, soit attentive et te fous pas de moi. J’ai juste réfléchi, et j’ai besoin de t’en faire part, tu vois ? J’aurai bien voulu te faire un festin, mais un endroit neutre et simple sera mieux je pense.

La garde d’Anja au sommet des barricades du camp c’était passée aussi bien que d’habitude. Pas de problème particulier à signaler, aucun danger palpable à l’horizon, et depuis l’arrivée des militaires, les rôdeurs se faisaient moins nombreux aux abords du camp, puisque ces charmants uniformes, que la jeune femme avait du mal à tolérer, s’étaient chargés de nettoyer les rues de Détroit. Leur travail n’était pas encore réellement achevé, elle avait eu l’occasion de le constater lors de sa sortie avec Tyler, où ils s’étaient aventurés loin de Fort Hope dans l’espoir d’y trouver des ressources, et où les macchabées s’étaient faits bien plus présents. En l’absence de toute action, et puisque seule l’attention de la flic avait été requise, cette dernière s’était ennuyée à un point inimaginable, et elle avait vu chaque heure passer avec une lenteur affligeante. Enfin…même si Anja était, et avait toujours été, une mordue d’adrénaline, elle préférait encore cela à une invasion de rôdeurs, une attaque de survivants, ou elle ne savait quoi d’autre qui risquerait de mettre toutes ces vies en danger.

Quand l’heure était arrivée pour elle de quitter les barricades, la jeune femme s’était étirée longuement pour éveiller son corps ramolli par l’inaction, puis elle avait cherché à rejoindre la terre ferme. C’était sans compter sur Aaron, qui fut devancé par Shadow qui vint chercher auprès de la brune l’attention que celle-ci lui prodiguait habituellement. La jeune femme posa un genou à terre, et caressa la chienne avec entrain, laissant un vague sourire affleurer sur son visage. Son jeune maître ne tarda pas à s’approcher à son tour, s’arrêtant devant Anja, qui se releva, pour lui adresser un signe de tête en guise de bonjour. Elle fut interloquée par la façon dont il lui demandait un peu de son temps, et elle l’observa quelques secondes en plissant les yeux, se demandant pourquoi il se sentait soudainement le droit ou la liberté de lui donner quelque ordre que ce soit. Mais elle remarqua rapidement son sourire, et tandis qu’il se décalait pour la laisser passer, Anja choisit de ne faire aucune remarque, tandis qu’elle ouvrait la marche pour les ramener sur la terre ferme.

Aaron ne tarda pas à se mettre à sa hauteur, avant de la dépasser pour l’entraîner loin des barricades, vers le lac manifestement. La policière regarda tout autour d’elle en fronçant doucement les sourcils, se demandant vraiment ce qu’il était en train de se passer. Rien de grave, assurément, puisque tous les habitants du camp autour d’eux semblaient calmes et sereins. Elle en vint rapidement à la conclusion que ce n’était pas en rapport avec les survivants, mais cela ne parvint pas vraiment à la rassurer pour autant. Elle fixa le maître-chien quand il se sentit obligé de préciser qu’il n’était pas en train de l’attirer dans un traquenard, avant de hocher la tête quand il remarqua que face à elle, il n’aurait aucune chance s’ils devaient en venir aux mains. « -Tout à fait vrai ! » dit-elle non sans relâcher ses sourcils froncés, se demandant à quoi rimait tout cela. Ezra l’avait appelé une fois machine de guerre quand il avait su tous les arts martiaux qu’elle pratiquait, et Anja était persuadée que sans ces savoirs et pratiques, elle ne serait peut-être plus là aujourd’hui.

Le niveau de perplexité de la brune ne manqua pas de monter d’un nouveau cran quand il lui annonça qu’il avait réfléchi à des choses, sans lui dire vraiment de quoi il s’agissait, et qu’il avait besoin de partager l’objet de ses réflexions avec elle, sans pour autant lui donner plus d’informations sur le sujet. Elle le trouvait bien énigmatique d’un coup, et ce n’était pas forcément pour la mettre à l’aise. D’ailleurs, Anja n’avait pas manqué de remarquer qu’Aaron lui-même ne semblait pas être tout à fait dans son assiette, sans qu’elle ne sache très bien pourquoi. Il semblait préoccupé, peut-être également un peu nerveux. « -Tu sais bien que je ne me moquerai jamais de toi. » dit-elle dans un premier temps, tandis qu’elle observait plus attentivement le jeune homme, à croire qu’elle s’imaginait que l’objet de ses pensées allait simplement apparaître sur son front, juste comme ça. « -Et si tu me disais ce qui se passe, tout simplement ? Je te trouve…bizarre. » Et pourquoi aurait-il voulu lui faire un festin ? Vraiment, il avait réussi le petit miracle de la perdre avec toutes ses paroles.

Nous arrivons assez rapidement, sur le dit lac. L’ambiance de couleur est belle, en cette douce fin de journée. L’eau claire est plate, tranquille, presque limpide. Sans que je ne perde de temps, je me saisis d’un bâton qui jonche l’herbe, que j’agite sous le museau de Shadow, avant de le lancer à l’eau. Cette dernière, troublée dans son repos, s’agite en de multiples vaguelettes et éclaboussures, la chienne n’hésitant pas à poursuivre sa proie comme si ça vie en dépendant. Shadow a bien besoin de courir un peu aujourd’hui, nager lui fera grand bien, c’est certain. Pour ma part, je reste toujours aussi secret, malgré les encouragements de Anja pour que je lui dise enfin ce que je pense au plus profond de mon esprit tourmenté.
Je ramène ma carcasse vers l’avant, avant de me laisser tomber plus bas, m’installant pour plus de confort. La chienne me ramène le bâton, trempée, le poil imbibé et la queue battante. A nouveau, je l’envoie.

- J’ai réfléchis à tout ce qu’il s’est passé dans ma vie ces derniers temps.

Mon visage est un peu crispé soudain, les sourcils légèrement froncés. On ne peut pas dire que les choses avaient été toutes roses et tranquilles. Frottant mes paumes ensemble, j’assemble mes mots, pour ne rien dire de trop déprimant, même si c’est compliqué de faire un résumé joyeux de certains événements.

- Le labo, Charlie, Cora, Olivia, Peyton, Jordan et même… Damon. Je ris nerveusement, regardant l’herbe pour éviter de supporter le regard d’Anja. Faut pas se leurrer, même s’il est parti en quête d’un nouveau monde, je suis prêt à parier que sans moi pour le chaperonner, il doit être mort à l’heure qu’il est.

Je relève le visage et ferme les yeux doucement, laissant un léger vent frais, m’apporter l’air dont je commençais à manquer.

- Aujourd’hui, je n’ai plus personne. Je n’ai plus vraiment d’amis, ni de famille. Mais soyons francs, j’ai deux merveilleuses personnes qui se portent bien et qui sont bien protégées.

Mon regard se tourne vers elle. Plus énigmatique que jamais. Jamais, je n’avais posé sur elle un regard si impénétrable.

- Quand tu as été blessé. C’est une partie de mon monde qui s’est effondré. Je suis terrifié, à l’idée de te perdre, toi ou Joey. Ca serait vraiment douloureux, j’irai même jusqu’à dire insurmontable. Tu comprends ?

Pour l’instant, la bombe n’est pas encore lâchée. Mais j’aimerai juste lui faire comprendre, mon cheminement de pensée. Mes révélations, mes réflexions. Tout ce qui a pu jusqu’ici, me porter à lui faire une demande très particulière et presque suicidaire. Les temps sont durs, et à la fois radieux. Le monde n’a encore jamais été aussi sûr depuis le début de la fin, de notre monde. C’est quelque chose de si précieux, que je veux le partager avec elle, le plus longtemps possible.

- On sait qu’on vivra pas vieux, pas vrai… ?

Je fixe Aaron sans bouger, alors qu’il prend tout son temps pour ramasser un morceau de bois sur le sol, et l’envoyer à l’eau, Shadow ne tardant pas à se jeter dessus, peu importe pour elle que l’eau soit froide ou pas. Le brun lui, s’installe tranquillement sur les berges, sans même m’accorder un regard, ou m’expliquer ce qui lui arrive subitement. Je regarde tout autour de nous d’un air avide, peut-être à la recherche d’une sortie de secours que je ne trouve pas. Est-ce qu’il veut que je reste, ou est-ce que je suis censée partir, et le laisser à ses réflexions ? Shadow revient aux pieds de son maître, prête à bondir une nouvelle fois après le lancer de bâton, ce qui ne tarde pas à arriver. Bon…j’esquisse un pas vers le camp, quand la voix d’Aaron me fait me stopper une nouvelle fois, tandis qu’il m’explique qu’il s’est visiblement plongé en pleine rétrospective sur sa vie.

Je reste debout au-dessus de lui, le dominant de ma taille, alors qu’il commence à égrener une liste de prénoms qui me font froncer les sourcils. Son frère ? Qu’est-ce que son frère vient faire dans cette histoire ? Damon n’est-il pas parti voir si l’herbe est plus verte ailleurs qu’à Détroit ? Je reste songeuse un instant, tandis qu’Aaron m’explique qu’il imagine que le jeune Blynk n’a pas survécu à sa grande aventure, et qu’il est sans doute mort, quelque part. Je retiens un soupir, parce que je ne sais toujours pas où cette conversation va nous mener, puis avant de me laisser le temps de la réflexion, je m’installe à mon tour en tailleur, juste à côté d’Aaron. « -Ca, tu ne peux pas en être sûr. Il va peut-être très bien, a trouvé un autre groupe, vit la vie qui lui convient. Te torture pas avec des choses dont tu n’as absolument aucune idée. » Et je sais de quoi je parle. Toute la route que j’ai effectué en solitaire, de Washington à Détroit, m’a permis de penser à toutes les choses atroces qui avaient pu arriver à Cassie et Paul. Des scénarios violents, sanglants, qui ne se terminaient jamais bien pour les frangins Deluca. Et à part me rendre dingue, ces images dans ma tête n’ont jamais servi à rien.

Je fronce doucement les sourcils quand il me dit qu’il n’a personne, ouvrant déjà la bouche pour lui rappeler qu’il a reçu la visite il n’y a pas si longtemps que ça de Joséphine, son agaçante meilleure amie, et de son marmot. A-t-il déjà oublié cette gamine dont il est le parrain ? Mais je n’ai pas l’occasion de dire quoi que ce soit, qu’il me parle de ces deux merveilleuses personnes qu’il a dans sa vie, comme s’il venait soudainement de se rappeler de la pompier et de sa gosse. Oui, elles sont sans doute en sécurité dans cette arène, alors d’où vient cet air morose sur son visage ? Il est en train de me perdre avec tous ces chemins détournés qu’il emploie pour parler plutôt que d’aller droit au but. Je reste impassible quand il tourne son visage tourmenté vers moi, attendant de savoir où il veut en venir exactement.

Ce qu’il ne tarde pas à faire, tandis que mes sourcils se froncent. Qu’est-ce que ma blessure a à voir là-dedans ? Je ne cache pas le fait que je suis perdue par cette conversation, qui commence légèrement à me faire angoisser malgré moi. « -C’était trois fois rien… » que je réponds bêtement à mi-voix en référence à ma mésaventure, tellement bas que je ne suis pas certaine qu’Aaron m’ai vraiment entendue. Peut-être pas, d’ailleurs, puisqu’il continue à parler comme si de rien n’était, comme s’il n’avait jamais été interrompu. Mes poings se serrent quand je l’entends expliquer qu’il aurait du mal à s’en remettre s’il m’arrivait un jour quelque chose d’aussi définitif que la mort. Je veux dire…je peux comprendre qu’il ne se remette jamais de la perte de Joey, ces deux-là ont toujours été comme cul et chemise, toujours fourrés ensemble, sans doute peut-être encore davantage après notre rupture. Mais moi…je suis juste la nana qui l’a largué en lui brisant le cœur, il y a des années de cela, pourquoi ne se remettrait-il pas de ma disparition ? Quand il me demande si je comprends, peut-être de manière tout à fait rhétorique d’ailleurs, je hoche la tête de droite à gauche, affichant bien cet air paumé que je ressens, là, tout de suite. Non, je ne comprends pas ce qu’il dit, ni où il veut en venir. Ou en tout cas…en tout cas c’est ce que je préfère me dire.

Je déglutis péniblement quand il conclut finalement en disant qu’on ne vivra sans doute pas vieux, et sous l’effet d’une tension nouvelle qui grimpe peu à peu en moi, je réponds la première idiotie qui me passe par la tête. « -Va savoir…les rôdeurs auront peut-être pas le dernier mot après tout… » Mais au fond, je n’en suis pas vraiment convaincue pour autant. Je ramène mes jambes contre moi, les entoure de mes bras, et pose mon menton dessus, tandis que j’observe Shadow fendre les flots une nouvelle fois, et revenir victorieuse avec son bâton dans la gueule. « -Tu devrais aller lui rendre visite à l’arène. Tu te sentirais peut-être mieux après ça… » Peut-être qu’il y verra plus clair après avoir parlé à Joey. Et peut-être aussi que son antipathie naturelle envers moi permettra de le dissuader de faire ce que je pressens qu’il va faire.

Je souris finement. Même si elle affichait ses airs, je sentais bien qu’elle me voyait peu à peu venir, sans pour autant, avoir envie de l’admettre. Je suis irrémédiablement heureux, en mon fort intérieur. Si elle ne voulait vraiment pas que j’y vienne, elle aurait déjà fui, je la connais. Pourtant, elle reste ici et elle semble attentive, comme si elle redoutait et peut-être, souhaitait que j’y vienne finalement. Je me décale un peu vers elle, penchant la tête de côté pour la fixer.

- Je verrai Joey, c’est sûr. Mais ce n’est pas tout à fait là, que je veux en venir.

Même si je suis amusé, voir enthousiaste, une petite grimace déforma la commissure de mes lèvres. Suis-je vraiment sûr d’avoir envie de risquer notre rapprochement sur ce pari risqué ? Oui, je crois bien que oui. Je réfléchie à fond, ne comprenant plus comment aborder la chose. Je sais que je dois, que je veux le dire. Mais comment, sans me prendre une gifle ou la voir partir en courant ? Enfin, une petite illumination me saisit. Je vais lui dire, comme toujours. Avec mon cœur et sans réfléchir trop longtemps, c’est à dire ne pas faire ce que je fais maintenant.

- Bon écoute. Comme je te disais, je ne pense pas qu’on vivra vieux et pour moi, ça n’est pas une malédiction. On a tous les deux des métiers à risque, on était préparé dès la formation à mourir pour les autres. Une flic, un militaire, y a de quoi faire pas vrai ?

Le me tourne complètement vers elle et la fixe droit dans les yeux, ne lui laissant pas vraiment le choix d’affronter mon regard franc et déterminé.

- Notre histoire, ce qu’on a vécu, s’est achevée sans que je ne sache pourquoi, jamais tu ne m’as donné de réelle raison. Ici, et maintenant, je te le dis, je m’en fiche de manière définitive. Tu ne veux pas m’expliquer et je te respect, toi et tes choix.

Je souris avec finesse, continuant sans la faire attendre.

- J’ai envie, qu’on tente le coup. On s’est à nouveau apprivoisé, on se parle et je trouve qu’on est bien ensemble. J’aimerai qu’on tente de se remettre ensemble Anja. Si tu ne voulais pas du tout que ça arrive, tu ne m’aurais pas suivi. Tu es vive, intelligente. Tu savais ce que j’allais te demander, on n’emmène pas quelqu’un dans un endroit pareil pour des prunes, pas vrai ? Alors ce soir, je te fais cette proposition. On mérite d’être heureux, de ne pas se prendre la tête. D’avoir l’un l’autre, quelqu’un qui prend soin de nous. Je serai cet homme pour toi. J’ai connu par cœur celle que tu étais et je suis prêt à apprendre celle que tu es. Tu sais, que tu peux me faire confiance. Je sais que tu as peur, et je ne ferai rien sans ton consentement. Mais je suis intimement convaincu, que ça nous ferait du bien à tous deux.

Je ricane doucement, restant penché vers elle avec un petit sourire joueur.

- Tu peux m’embrasser pour me dire oui, ou me coller une gifle pour refuser. C’est plus simple comme ça, non ?

Le menton posé sur le genou, j’observe les flots attentivement, mon regard glissant imperceptiblement sur le côté pour suivre les mouvements d’Aaron, qui se rapproche doucement de moi. Même s’il y va tout en douceur, comme s’il me traitait comme un petit animal blessé qu’il tente d’apprivoiser, je ne peux pas m’empêcher de sentir les poils de mes bras se hérisser, et mes instincts naturels me crier de fuir, le plus vite possible. Pour toute réponse, j’ancre mes talons plus profondément dans le sol, et resserre mes bras autour de mes jambes, réponse silencieuse pour empêcher mon corps d’avoir toute réaction de fuite imprévue. Inutile de lui préciser que je sais que ce n’était pas où il voulait en venir, je l’avais déjà parfaitement compris.

En revanche, je dois avouer qu’il me perd encore un peu quand il parle de nos boulots respectifs, qui nous ont effectivement habitués à beaucoup de dangers, et à mettre nos vies après celles des autres. « -Protéger et servir. On savait à quoi s’attendre. » Telle est la devise des forces de police aux Etats-Unis, et elle résume plutôt pas mal ce dont il est en train de parler. Même si pour le coup, je ne sais pas si c’est toujours d’actualité dans le monde qui est désormais le nôtre. Maintenant, on est tous exposés aux mêmes dangers, aux mêmes risques, et nos métiers peuvent justement faire la différence, parce qu’on sait comment réagir quand nos vies sont menacées, on a été formés pour ça.

Quand il finit par se décaler complètement pour se mettre face à moi, je sens la tension qui m’habite monter encore d’un cran. Et je crois qu’inconsciemment, je me dis que ça y est, on est arrivés à la partie de cette entrevue qui m’angoisse le plus. Je déglutis péniblement, alors que ses premiers mots me confortent dans l’idée que ça y est, il n’est plus possible de faire marche arrière. Je fronce doucement les sourcils quand il me met face à mes torts, face à ce départ que je lui ai imposé, à la fin de nos fiançailles, de notre relation. Il a raison, bien sûr, je suis partie comme une voleuse, comme la lâche que j’étais à l’époque, et que je suis peut-être encore un peu aujourd’hui. Malgré moi, je détourne le regard le temps de quelques secondes, pour fixer Shadow qui s’étend à nos côtés. Le silence ne dure pas longtemps jusqu’à ce qu’il exprime le fond de sa pensée, ses envies réelles. Qu’on tente le coup. Mon cœur cogne un coup sourd contre ma poitrine. Il aimerait qu’on se remette ensemble. Mon cœur se met à battre furieusement sous mes cotes. Est-ce que, comme il le soupçonne, je savais pourquoi il m’amenait ici ? Je crois que je n’en suis pas certaine, et que je suis trop chamboulée pour me poser réellement la question. Mon regard retrouve le sien avec lenteur, alors que je peux y lire sans problème à quel point il croit en ce qu’il dit. Il en est même intimement convaincu, d’après ses dires, et je n’ai aucun mal à le croire sur le sujet.

Même sa petite tentative d’humour ne parvient pas à faire s’étirer le coin de mes lèvres. Je l’observe longuement, prolongeant le silence sans doute au-delà de l’acceptable, ou du confortable. Mais j’ai besoin de temps, pour contrôler ma réponse, pour essayer de comprendre ce que je veux, moi aussi. Et c’est tellement…compliqué. Je ne suis pas sûre de penser, comme lui, que ça nous ferait du bien à tous les deux d’être ensemble. Comment ça pourrait lui faire du bien, à lui, d’être avec la nana qui lui a brisé le cœur, et qui est partie sans se retourner ? Je soupire doucement : « -Aaron… » Je baisse les yeux quelques instants, fronçant doucement les sourcils. Je crois que j’ai toujours envié les personnes qui arrivent à parler aussi librement de ce qu’elle ressente, sans ressentir la moindre gêne. J’ouvre la bouche, et pourtant, il me faut encore de longues secondes pour réussir à prononcer le moindre mot. « -Non…non, c’est pas plus simple comme ça… » Je secoue doucement la tête de droite à gauche, avant de baisser une nouvelle fois le regard.

Pourtant, malgré tout, je détache doucement mes mains l’une de l’autre avec toute la lenteur du monde, libérant mes jambes. Mes yeux vont timidement à la rencontre de ceux d’Aaron, et avec hésitation, je lève le bras, jusqu’à ce que ma main se pose doucement contre sa joue chaude. Mon pouce caresse sa peau mangée par la barbe, avant que ma main retombe mollement contre ma cuisse. « -Je ne sais plus comment on fait…pour prendre soin de quelqu’un, ou…ou même pour laisser quelqu’un prendre soin de moi… » Je hausse maladroitement les épaules, avant de déglutir, et de regarder une nouvelle fois les flots, tournant la tête vers la droite. Au-delà du fait que je pense réellement que je suis redevenue complètement sauvage, et hermétique au contact humain, j’ai l’impression qu’il y a autre chose qui cloche. « -Je…je crois que quelque chose est cassé…en moi… »

Elle est morte de peur. Il faudrait être aveugle, stupide ou ne pas du tout la connaître pour ne pas le remarquer. Mon entreprise est risquée. Périlleuse et même très douloureuse. Pour moi, comme pour elle. Je ne me leurre pas. Même si j’ai parlé de comment elle m’avait quitté, j’avais bien remarqué en se retrouvant, qu’elle avait une tête bien spécifique chaque fois que j’en parlais. De la douleur, des remords, de la colère, jamais je ne saurai. Mais pour l’heure, je suis satisfait, satisfait de ce que je vois. Anja, même si elle a du mal à se mouvoir, qu’elle a du mal à parler, exprime beaucoup de choses rien qu’avec ses beaux yeux. Elle me regarde parfois, détourne le regard, se crispe puis se détend, serres ses petits poings… Elle est tourmentée. Finalement, son regard se plante dans le mien. Sa main tremblante se lève pour effleurer ma peau, avant de retomber sur sa cuisse.

Elle m’explique, qu’elle ne sait pas, qu’elle ne sait plus. Elle ne sait plus comment faire, elle ne sait plus quoi faire. La vie à deux est un concept tellement compliqué, déjà avant la fin du monde. Mais maintenant, que de nouveaux facteurs entrent en compte, il est très compliqué de gérer ça autrement qu’en ayant peur au premier abord. La voir si sincère me fend le cœur, alors que je crispe doucement la mâchoire. Quelque chose s’est brisé en moi… Mon cœur cogne fort dans ma poitrine, et aussitôt, mon regard change. Je la fixe avec détermination, compassion.

- Alors si tu ne sais plus comment faire, laisse-moi faire. Moi, je prendrais soin de toi, et peu à peu, je suis certain que tout reviendra naturellement. Tu dis que quelque chose s’est brisé en toi, moi je suis sûr que ça peut se réparer. Tu es forte, vaillante et je suis patient. A deux, on peut y arriver tu verras, réaliser de jolies choses. Pouvoir vivre quelque chose d’agréable, plutôt que de faire comme l’avant fin du monde, à ne nous occuper que de notre travail. T’en dis quoi ? Je m’occuperai toujours de toi, Anja.

Un fin sourire étend mes lèvres, toutes mes paroles sont sincères. Je reste proche d’elle et délicatement, je lui prends la main.

- Quand on a peur de nager, faut parfois se jeter à l’eau. Faut commencer quelque part, pour savoir si ça pourrait fonctionner.

Avec douceur, c’est ma propre main cette fois qui rencontre sa joue. Me penchant vers elle, mes lèvres rencontrent les siennes, en un baiser simple, chaste, mais tant attendu. Un baiser lent, plein de promesses et d’attentions. Enfin, je m’éloigne légèrement, pour observer ses réactions, mon regard inquiet et pourtant tranquille, cherche si elle va bien. Si ça lui a fait, le même effet ravageur qu’à moi. Tant de souvenirs doux et agréables me remontent en mémoire, nos repas, nos fous rires, nos parties de sexe et le meilleur, nos nuits ensembles. Son corps s’accorde parfaitement au mieux, se callant à la perfection contre mon corps. Je n’ai qu’une hâte, la redécouvrir. Mais sans son accord, je ne ferai jamais rien de plus que ce baiser. Je veux la choyer, l'apaiser, surtout pas la faire souffrir.

C’est moche à dire, et pourtant, c’est exactement ce que je ressens. L’impression que quelque chose, quelque part en moi, ne tourne plus vraiment dans le sens où il devrait tourner, et refuse de fonctionner comme il le devrait. Ça fait un moment que je me sens comme ça à vrai dire, depuis que mes parents sont morts je crois, mais j’ai le sentiment que cette sensation de vide s’accentue de plus en plus, au fil du temps qui passe. En temps normal, je m’en accommode plutôt facilement, mais parfois, ce poids sur mes épaules est plus lourd à porter que d’autres jours. Et c’est un poids que je dois endosser seule, il n’y a pas de raison que quiconque, dans mon entourage, ai à supporter ça avec moi. Chacun son fardeau, comme on dit, et bien celui-là est le mien.

Mais pourtant, Aaron n’a pas l’air de voir les choses comme ça, lui. Est-ce que, comme il le pense, je peux réellement être réparée ? Je n’en ai pas l’impression tant la fissure en moi semble profonde. Pourtant, il a l’air de croire tellement à ce qu’il dit, comme si tout pouvait être aussi simple que ça. Et puis…j’ai beau ne pas être une experte, est-ce qu’on peut vraiment avoir une relation, s’il n’y a qu’une seule personne qui prend soin de l’autre ? Les choses sont censées être réciproque, couler de source, se faire facilement…et tout ça me fait bien plus peur que ça ne le devrait. Le pire, c’est que je le crois sans douter une seule seconde quand il dit qu’il prendra toujours soin de moi, parce que je le sais, même si je me suis mal comportée avec lui par le passé, Aaron reste un garçon attentionné, et d’une rare gentillesse, un homme que je ne mérite clairement pas.

Il se rapproche, et je me crispe malgré moi quand il m’attrape la main, luttant contre cette envie naturelle de tirer dessus pour m’échapper de son étreinte. Je l’écoute me dire qu’il faut bien commencer quelque part, et sa main ne tarde pas à venir à la rencontre de ma joue. Je sais ce qu’il va faire. Chaque fibre de mon corps le sait aussi, et se crispe en circonstance, alors que je ne parviens même plus à penser, ni à bouger. Les douces lèvres d’Aaron se posent sur les miennes, et je sens mon cœur se mettre à battre de manière désordonnée dans ma poitrine, mon souffle se couper. C’est doux, c’est même tendre, et ça achève de mettre définitivement le bordel dans mon cerveau. Au bout de quelques secondes, Aaron se recule, et je ne peux échapper à son regard inquisiteur dès lors qu’il s’éloigne de moi. Je sens la panique gagner en puissance, et avant même de comprendre ce que je fais, je suis déjà sur mes jambes. « -Je suis désolée Aaron… » Et je m’éloigne des rives du lac aussi vite que mes jambes me le permettent.

Je marche sans trop savoir où je vais, et ne remarque pas tout de suite que j’ai quitté le camp. Ce n’est que lorsque je me fais rattraper par un militaire qui me choppe la manche pour me dire que je n’ai pas rempli le registre que je reviens à moi. Merde. Je me laisse gentiment raccompagner jusqu’à l’intérieur du camp, et prends la direction de la maison d’Alix, croisant les doigts pour qu’elle soit là. C’est heureusement le cas, et il me faut plus d’une longue heure à taper avec mes mains gantées pour réussir à rétablir l’ordre dans mes pensées. La magie du sport sur moi, de la boxe notamment, qui m’a toujours permis de m’y retrouver. Quand notre petite séance de sport improvisée prend fin, je me traîne jusqu’à la maison pour filer sous une douche glacée qui achève de calmer mes nerfs. Pas une seule seconde n’a passé sans que je ne repense à ce moment au bord du lac, à tout ce qu’Aaron a dit.

Peu après ma douche, une fois rhabillée, je quitte de nouveau la maison, mais sans me rendre très loin, puisque je vais jusqu’à la porte du voisin, qui n’est autre qu’Aaron. Plusieurs heures se sont passées depuis le baiser, des heures passées dans un brouillard épais. Je ferme le poing, prête à taper sur la porte, mais m’arrête en plein mouvement, pour me mettre à faire les cent pas sur le seuil de la maison. Je sais pourquoi je suis là, je sais ce que je dois dire, j’ai répété les mots dans mon esprit inlassablement. Et pourtant, la tension est toujours là, bien présente. Mon poing finit par s’abattre sur la porte, et je toque un peu plus fortement que je ne le voudrais, emportée par mes nerfs. Mais aucune réponse ne me parvient, aucun son de l’autre côté de la porte, rien que du silence. Je m’apprête à toquer une nouvelle fois quand j’entends un aboiement derrière moi, et vois Shadow surgir dans l’éclairage de la rue. Et qui dit Shadow, dit bien sûr Aaron.

Il ne tarde pas à arriver à son tour, et ne peut sans doute pas passer à côté de mon air paumé et gêné. « -Je…je pensais que tu étais chez toi… » Manifestement non, et maintenant, j’ai l’air d’une idiote. Je me gratte l’arrière de la tête, et regarde autour de nous, avant de me rapprocher du jeune homme. Si j’avais l’impression d’avoir un discours construit et clair dans ma tête, maintenant qu’Aaron est là, juste devant moi, tous mes beaux mots volent en éclat, et je ne sais même plus par où commencer. « -Tu pensais tout ce que tu disais tout à l’heure, pas vrai ? » Bien sûr qu’il le pensait, je le sais très bien. C’est un homme droit, il l’a toujours été. Je sonde son visage quelques instants, avant de prendre une petite inspiration, et de me mordiller la lèvre inférieure. « -Tu me promets qu’on prendra notre temps ? Je te l’ai dit, je sais plus comment on fait tout ça… »

Mon petit monde s’effondre, mon excitation part en fumée brutalement. A peine le baiser achevé, alors que j’aurais juré la sentir bien réagir, et même apprécier cet échange, il n’en est rien. Elle se lève brutalement, le visage fermée et s’enfuit. De brèves excuses marmonnées, et la voilà qui file. Mon cœur se serre et ma déception ne peut que se lire sur mon visage. Pourtant, même si ma main se lève, dans une supplique silencieuse, elle retombe mollement dans l’herbe bien vite. J’ai tout gâché. Mes yeux se ferment, mon visage se baisse, l’air tendu. Shadow revient vers moi et me lèche la main, elle relève le nez vers Anja et la regarde partir, comme si elle aussi ressentait tout ce qu’il se passe. Un pauvre sourire, un misérable sourire étire légèrement mes lèvres, alors que je récupère le bâton de ma chienne, pour le relancer aussitôt à l’eau. Ma chienne oublie bien vite les tracas qui me rongent et elle galope vite à la suite de son jouet improvisé.

Le temps passe, alors que je reste dans mes pensées, inévitablement triste, essayant de savoir à quel foutu moment de ma déclaration la situation m’avait échappée. Je crispe un peu ma mâchoire, avant de me redresser. Je ne saurais dire combien de temps a pu passer depuis la fuite de la brune, mais ce que je sais, c’est que Shadow est défoulée bien comme il faut et que moi, je suis perdu. Le soleil disparaît de plus en plus, alors que je continu à espérer futilement un revirement de situation. Milles fois dommage, ce genre de chose n’arrive pas dans la vraie vie et seulement dans les films. Et surtout, ces genres de choses n’arrivent pas avec Anja. J’ai dû la brusquer, y aller trop vite, alors que je jurais de la respecter et de lui laisser tout le temps qui lui serait nécessaire. Le baiser était de trop, mais peut-être qu’il y avait autre chose. Une parole de trop, un mot déplacé, comment savoir ? Anja est trop secrète pour m’expliquer où j’ai foiré mon coup.

Continuant d’avancer, la tête encore plus haute que les nuages, c’est l’aboiement de Shadow qui me tire de ma rêverie. Arrivé sur mon porche, je relève le nez, et ma surprise peut se lire sur mon visage. Anja s’y trouve, venant sans doute de frapper. Ca l’aurait probablement arrangé que je ne sois pas là, ni dans la maison, ni devant, pour lui permettre de s’enfuir à nouveau et éviter d’affronter un quelconque malaise de plus et pourtant, je suis bien là. Et je ne peux m’empêcher de sourire avec finesse et douceur. Si elle est là, c’est que je n’ai peut-être pas tout totalement foiré ? Je m’arrête, souris et l’écoute avec la plus grande attention qui soit.

- Oui Anja. Tout était vrai. Excuse-moi, si c’est mon baiser qui t’a brusqué, je pensais au contraire que ça t’aiderait, que ça nous aiderait, à faire un choix.

Je m’avance jusqu’à la porte, que j’ouvre avec douceur, laissant Shadow entrer comme une flèche pour rejoindre son panier. Je me tourne vers Anja, laissant la porte ouverte derrière moi.

- Je te promets qu’on prendra tout le temps qu’il nous faudra. On n’est pas obligé de s’embrasser, de se caresser en un premier temps. On peut juste essayer de se voir de façon un peu plus régulière, d’accord ? Quand t’auras envie de m’embrasser, que je t’étreigne contre moi, tu n’auras qu’à le faire ou le demander. On y va en douceur, en confiance. Commençons simplement, regardes. Ça te dit de rentrer ? J’ai du lapin. Et je peux faire du thé, puisque tu ne bois pas de vin. Rassasiée, réchauffée tu seras peut-être un peu plus tranquille. T’en dis quoi ? T’es pas obligée d’accepter ce soir, on peut faire ça demain soir, ou quand ça t’arrange.

J’achève ma proposition avec un sourire. Je m’appuie, dos sur l’encadré de la porte, bras croisés. Mon sourire, ma position détendue, tout prête à croire que mes mouvements sont en accord avec mes paroles. Rien ne presse.

Je place mes mains dans mon dos, les y tordant à l’abri du regard d’Aaron. De toutes façons, ses paroles tout à l’heure me laissent penser qu’il me connait toujours bien, et il doit bien se douter qu’à l’heure actuelle, je ne suis pas des plus à l’aise. Heureusement, il ne semble pas offusqué de ma réaction de tout à l’heure, et me confirme ce que je savais déjà : chaque mot sorti de sa bouche était véridique. Je hoche doucement la tête, comme pour dire que je le savais bien, et fronce subitement les sourcils à la mention du bref baiser que nous avons échangé. « -Non, non…ce n’était pas ça…enfin…je pense que ça faisait trop d’un coup… » Même expliquer le pourquoi de ma fuite me semble incroyablement compliqué. C’était instinctif, une réaction totalement incontrôlée de mon corps, de mon esprit.

Je me force à ne pas bouger quand il se rapproche pour aller ouvrir la porte d’entrée à Shadow, qui s’empresse de rentrer à l’intérieur pour nous laisser en tête à tête. J’observe la queue de la chienne disparaître dans la pénombre du salon, et remonte mon regard ambré vers Aaron, au moment où il répond à mes angoisses, en me promettant de ne jamais me mettre la pression en allant plus vite que je ne pourrais le supporter. Et une fois encore, je sais que je peux compter sur lui, et qu’il tiendra sa parole. Je hoche de la tête, pour lui indiquer que j’entends bien ce qu’il me dit. Peut-être que finalement, il réussira à me rassurer, et à me rappeler comment est censée fonctionner une relation de couple. « -Non…euh…maintenant, c’est bien. » Je l’observe contre l’encadrement de la porte, et finalement, passe devant lui pour entrer à mon tour dans le salon. Je retire ma veste, que je dépose sur un canapé, avant de me tourner vers Aaron qui vient d’entrer à son tour.

Je ne me sens pas encore tout à fait à mon aise, mais me connaissant, c’est quelque chose qui va durer pendant quelques temps, jusqu’à ce que je trouve réellement mes marques à ses côtés. Après trois ans de vie de pure solitaire, difficile de lutter contre certains instincts. Je fais un tour sur moi-même, avant de retrouver le regard d’Aaron. « -Tu veux que je t’aide à préparer quelque chose ? » Cuisiner n’a jamais vraiment été ma tasse de thé, mais je peux faire un effort, surtout s’il m’indique quoi faire au moment de le faire. On se retrouve donc dans la cuisine, où on prend un peu de temps pour cuisiner ce lapin. J’avoue ne pas faire la maligne quand il est question de dépecer l’animal, et j’affiche une franche grimace sur mon visage. Finalement, le repas est vite préparé, le thé également, et Aaron et moi passons donc la soirée ensemble, même si j’ai un peu de mal à parler spontanément.