«Dis, tu crois qu'on pourrait faire un Road Trip, un jour ?» Elle était allongée dans l'herbe, dans le jardin des Reed, et à côté d'elle, Andrea avait préféré s'asseoir. Ils venaient de passer les deux dernières heures à se disputer. Des assiettes brisées devaient encore joncher le sol de la maison. Et après la dispute, la réconciliation avait annoncé le calme. Elle avait eu du mal à retrouver tous ses vêtements. Une vraie course. Entre eux, c'était toujours ainsi. Parfois, ça l'agaçait, de se dire qu'il fallait des disputes si violentes que la cuisine devait être tapissée de débris de porcelaine et de verre, pour qu'ils aient finalement un moment rien que tous les deux, un moment de douceur et de tendresse, qui finalement ressemblait plus à de la passion brûlante. Enfin, de son côté. Elle n'arrivait pas à cerner ce qu'Andrea pouvait bien penser. Elle, elle l'aimait pour ce qu'elle avait appris à connaître. Mais il ne montrait pas suffisamment ses bons côtés, et quand il s'agissait des autres, c'était pire.
Il n'était pas qu'une gueule d'ange à ses yeux. Certes, ça avait joué pour qu'elle se laisse séduire par lui, même si encore à ce jour, elle se demandait bien ce qu'il lui avait bien trouvé. Son corps, elle ne l'acceptait que partiellement, et c'était encore grâce à lui. Elle ne se trouvait pas forcément laide, mais elle se sentait banale. Trop pour qu'un garçon inaccessible comme celui qui était son petit ami s'intéresse à elle. Le genre de beau-gosse du lycée, après lequel toutes les filles courraient. Alors pourquoi elle, qui n'avait même pas tenté de s'intéresser à lui ? C'était un mystère.
Mais elle s'était laissée prendre au jeu, et au fil des jours, des semaines et finalement même des mois, elle s'était prise au jeu, pensant qu'il finirait par se lasser d'elle plus vite qu'elle ne pourrait en tomber amoureuse. Erreur de calcul ? Une chose était sûre : elle n'était plus certaine de vouloir qu'il se lasse. Peut-être la raison pour laquelle elle cédait à certains de ses caprices.
Une fois totalement rhabillée, elle avait eu ce sentiment d'avoir besoin de prendre l'air. De sortir de cette maison. Elle savait que le sujet de leur dispute finirait encore par revenir sur la table. Et elle se laissait penser qu'en sortant, même juste dans le jardin, ça éviterait que ça revienne. Il l'avait rejointe, et elle s'était allongée au sol à côté de là où il s'était assis, à regarder les nuages. Elle avait toujours aimé leur donner une forme. Et elle se demandait bien ce qu'il y avait au dessus des nuages. Ce qu'ils représentaient. Est-ce qu'ils étaient des coussins pour que les anges regardent ce qu'il se passait sur terre ? Voilà une pensée qu'elle n'oserait pas formuler à haute voix devant Andrea. Elle soupira, et tourna la tête vers Andrea. «Qu'est-ce qu'il y a, tu ne réponds pas?» remarqua-t-elle, accusant le long silence qui avait précédé sa première question.

Souvent, quand elle regardait dans les yeux d'Andrea, elle se sentait seule. Elle avait l'impression de n'y voir que son reflet. Un reflet ni embelli par un regard amoureux qui l'envelopperait dans tout son être, ni qui semblait avancer main dans la main avec elle. Pourtant, elle voyait qu'avec elle, il était différent. Et elle se souvenait très bien que les choses n'étaient arrivées entre eux que par son fait à lui. Sinon, c'était triste à dire, mais elle serait passée à côté de lui. Et c'était encore pire qu'il représentait son image de l'amour, la première personne pour qui elle avait réellement ressenti des sentiments. Mais elle aimait se dire qu'elle n'était pas tombée amoureuse dans le vent. Leah était du genre de personne à arriver à voir, compatir et comprendre les gens, et elle essayait de faire en sorte de se tromper le moins souvent, histoire de ne pas se trouver sur le cul en permanence. Et avec Andy, elle était certaine de ne pas se tromper. Au fond, il n'était pas qu'un gars qui se donnait un air de con. Et qui avait l'air de s'en foutre. D'ailleurs, avec elle il donnait l'impression d'avoir ne serait-ce qu'un peu d'affection pour elle. Ce qui était très certainement la raison pour laquelle Leah restait avec lui, en espérant ne pas souffrir. Mais peut-être bien qu'il ne faisait que donner le change.
Le regard dans les nuages (presque littéralement), elle attendait une réponse de son petit-ami. Et au final, elle n'avait eu droit qu'à une question, qui l'avait fait se redresser, et se retourner vers lui, donnant sans le vouloir, un coup de cheveux au garçon. «Bien sûr que non. Pourquoi tu me demandes ça?» La question était sortie tellement du néant qu'elle avait commencé à s'inquiéter de ce qu'elle avait bien pouvoir dit pendant leur dispute. Elle, tout ce dont elle se souvenait, c'était qu'ils étaient en colère, sans se rappeler à quel sujet, et elle se remémorait l'euphorie de l'instant de réconciliation juste après. Même si elle trouvait ça un peu facile, ça effaçait toujours le mauvais côté de la dispute. Mais pourquoi aurait-elle peur de lui ? Est-ce qu'elle aurait ne serait-ce que des raisons de s'inquiéter d'être en sa présence ? C'était plutôt cette question qui ouvrait sur elle un océan infini de question. Et qui amenait la peur, l'appréhension de sa réponse à lui.
Mais voilà que désormais, elle posait trop de question. Entre sa réponse à la question de l'homme qu'elle aimait, et le manque de réponse à sa question, la confirmation qu'un road trip pourrait être une bonne idée s'était faite attendre trop longtemps. Tellement qu'elle s'en était mordue l'intérieur de la joue si fort qu'elle sentait le goût argentin du sang dans sa bouche. Avant d'être soulagée par la réponse qui finit par arriver. «On pourrait commencer par se faire les Etats-Unis. Mes parents ont un vieux Camping Car qu'ils n'utilisent plus depuis qu'ils ont découvert les joies de l'avion et des voyages organisés. Mais il fonctionne à merveille ! Et après, on pourrait faire l'Europe les vacances d'après. Juste pour se changer d'air !» Qu'elle affirma, toute joyeuse et excitée comme une puce à l'idée d'être suivie dans son idée sortie pourtant du néant, parce que le nuage qu'elle avait regardé lui faisait penser à cette caravane.

Etre avec Andrea, ce n'est pas toujours simple. Elle n'y peut rien, elle l'aime. Plus que tout, elle l'aime. Mais il lui arrivait de se comporter bizarrement, de la laisser seule même en étant à côté d'elle. Et parfois, elle a bien du mal avec ça. Même si elle faisait l'effort de ne rien dire. Souvent, elle ne le comprenait pas, et elle n'arrivait pas à voir où il voulait en venir. Et c'était le cas, ce jour là. Elle soupira, un peu déçue de compter cette question parmi ses nombreuses incompréhensions face à lui. Dans le fond, avec lui, elle se sentait en sécurité là où tout le monde lui disait de se méfier. C'était peut-être con. Peut-être la chose la plus stupide qu'elle n'ait jamais fait. Mais toujours, elle trouvait son monde plus apaisant à ses côtés. Même s'ils se disputaient sans cesse.«OK..» Elle tourna la tête pour ne pas qu'il puisse lire sa déception dans ses yeux, essayant de penser à autre chose. Elle fit mine de regarder le ciel, le temps de sentir son cœur déçu apaisé par le temps, et le fait d'être dans les bras d'Andy. Malgré tout, elle se sentait soulagée qu'il ne s'agisse que d'une question comme ça. Elle ne voulait pas qu'il s'imagine qu'elle le craignait. Et encore moins que c'était la raison qui la maintenait avec lui. Elle l'aimait, vraiment.
Motivée par le soudain enthousiasme de son petit ami envers sa proposition, elle se redresse. «Chiche ! Si tu crois que ça me fait peur, tu me connais si peu, Andrea Reed! » Elle se redressa. Si elle avait été sur ses pieds, elle aurait perturbé son monde en sautillant presque d'enthousiasme. Evidemment, ils n'allaient pas partir le lendemain. Mais ça voulait dire que c'était un projet totalement réalisable. Et ça lui faisait du bien d'en avoir avec lui... Elle commençait à avoir les idées et les pensées qui partaient dans tous les sens... soudain rassemblées par la semi-déclaration d'Andrea. Elle baissa les yeux et rougit. Il ne lui avait jamais dit qu'il l'aimait. Mais cette phrase, sortie de la bouche du jeune homme, c'était la plus belle qu'elle n'ait jamais entendue. Et elle lui faisait plus d'effet qu'un simple "je t'aime". Quand il se releva, elle en fit de même. Elle regarda sa montre. Elle l'aurait bien aidé mais elle ne peut pas. «Je t'aurais bien aidé à ranger mais mes parents m'attendent.. Désolée.» Elle hoche la tête quand il lui parle du camping car. « Oui ! Quand tu veux. De toute façon, il est à la maison. Charge à toi de venir. » Elle lui offrit un rapide clin d'oeil. «Je suis sûre qu'ils seront ravis de te le montrer, et de voir tout ça avec toi !» Dans le fond, si ses parents n'étaient pas les plus grands fan des petits jeunes comme Andy, ils l'aimaient bien pour l'assurance, le sourire qu'il donnait à Leah. Alors elle n'avait pas de crainte à ce sujet. Elle ramassa ses affaires pendant qu'il s'éloignait, jusqu'à ce qu'il se retourne. Ses mots avaient le don panser toutes ses incertitudes, ses doutes et ses peines. Et quand elle s'en allait pour rentrer chez elle, c'était avec un coeur plus léger que jamais, avec des ailes qui lui poussaient tant elle se sentait bien et heureuse.