Dire qu’Anja était de mauvaise humeur était un pur euphémisme. Enfin…la différence entre la Anja de tous les jours n’était pas franchement flagrante tant la jeune femme ne respirait pas la joie de vivre en temps normal, mais aujourd’hui, sa mauvaise humeur était encore pire que d’habitude. La faute à un problème de robinetterie dans la maison qu’elle partageait avec Ezra, et qui l’avait empêché de pouvoir se glisser sous la douche, et pouvoir se laver. Et après l’entraînement et la course auquel elle s’était astreinte la veille, autant dire qu’avec la toilette de chat qu’elle avait fait, la policière ne se sentait pas des plus à l’aise. Voilà donc que ses cheveux pas très propres, et elle avaient quitté la maison sans grande conviction, mais avec le visage on ne peut plus fermé, pour aller sur le lieu de rendez-vous de son cours avec Harvey.

A vrai dire, pour être honnête, Anja plaignait même un peu le jeune homme qui devait la rejoindre près du lac, pour leur leçon de combat. C’était un endroit où elle aimait passer du temps, sans doute parce qu’il lui apportait un calme qu’elle n’aurait su expliquer, et la brune y passait pas mal de temps lorsqu’elle prévoyait d’entretenir son corps, et de faire chauffer ses muscles. Si bien que lorsqu’au détour d’une conversation avec le jeune mécanicien qui passait pas mal de temps chez elle, elle lui avait proposé de s’entraîner avec elle, Anja lui avait naturellement donné rendez-vous sur les berges du lac. Enfin…pour être tout à fait honnête, cela faisait un petit moment que le jeune survivant n’était plus venu chez Ezra et elle, alors qu’il avait pourtant l’habitude de venir y passer de longues heures encore quelques semaines plus tôt. Elle ignorait ce qui s’était passé entre les deux jeunes hommes, même si elle ne doutait pas que son colocataire lui aurait fait part d’une quelconque dispute.

Anja commença donc à échauffer son corps, courant le long du lac sur plusieurs mètres, pour faire grimper sa température corporelle. La silhouette d’Harvey ne tarda pas à se matérialiser, et la policière le suivit du regard un moment, se rendant compte que pour une raison qui lui échappait, elle ressentit une pointe de colère grimper dans sa poitrine. Dire que la brune s’était liée d’amitié avec Ezra n’était pas tout à fait véridique, elle qui le considérait désormais comme un membre de sa famille à part entière, comme le petit frère qu’elle n’avait jamais eu. Et le voir triste parce qu’Harvey avait pris ses distances avec lui n’était pas vraiment pour lui plaire. Ce dernier ne tarda pas à arriver à sa hauteur, tandis qu’elle lui lâchait d’une voix froide : « -T’es en retard ! » Son ton était cinglant, et son regard n’était pas des plus aimables tandis qu’elle s’avançait vers le jeune homme. « -T’es prêt ? » Parce qu’elle, elle l’était assurément. Et pas uniquement quand il s’agissait de lui botter le cul.

Anja fixa Harvey qui s’approchait du lac avec une expression similaire à la sienne sur le visage, lui qui respirait la joie de vivre et la bonne humeur. Au moins, le ton était vite donné pour cette séance sportive, et aucun doute n’était permis à voir l’expression de leur visage. Elle le toisa des pieds à la tête, avant de lui adresser un regard noir à sa remarque. « -Désolée princesse, j’ai pas eu le temps de passer chez le coiffeur ! » Elle le gratifia d’un nouveau regard assassin, et ne tarda pas à lui demander s’il était prêt, parce qu’elle l’était assurément, et n’avait pas de temps à perdre en bavardages inutiles. Tout comme Harvey, manifestement, qui ne s’embarrassa pas d’un échauffement, et se lança directement dans les hostilités. Tant mieux, cela plaisait à la policière, qui au moins, n’avait pas l’impression d’être venue là pour perdre son temps.

La force des coups du gamin se ressentait contre le corps musclé et sec d’Anja, qui parait les attaques avec une minutie apprise à la force des années d’entraînement, et répétée au millimètre près un nombre incalculable de fois, à tel point qu’elle n’avait même plus besoin de réfléchir pour exécuter ses coups et parades. Des tas et des tas d’heures à suer, à encaisser, à se réveiller le corps meurtri, courbaturée, couverte de bleus, jusqu’à savoir rendre, au coup pour coup. Après son agression, et ce sentiment d’impuissance qui l’avait maintenue éveillée pendant de nombreuses nuits, Anja n’avait trouvé sa paix qu’en revêtant des gants de boxe, puis en s’essayant à divers sports de combat, y trouvant une sorte d’apaisement qu’elle ne parvenait à trouver nulle part ailleurs. Et avec ce nouveau monde qui était le leur, elle ne regrettait aucune des heures investies dans des salles de sport.

Les coups d’Harvey étaient prévisibles, bien qu’il était clair pour quelqu’un bénéficiant d’un minimum de pratique que le jeune homme n’était plus tout à fait ce qu’on appelait un néophyte, et qu’il n’en était aujourd’hui pas à son coup d’essai. Et pourtant, Anja ne tarda pas à en venir à la conclusion que le jeune survivant se reposait sur ses acquis, répétant des gestes qu’il avait appris, et qu’elle le voyait simplement répéter. Si bien qu’elle ne tarda pas à augmenter la puissance de ses propres coups, ainsi que leur rapidité, désirant déstabiliser son adversaire autant que possible. Et lorsqu’il lui offrit une chance de le mettre au sol, sur un petit plateau en argent, Anja s’empressa de saisir cette opportunité, et d’un geste souple, elle vint faucher la jambe d’Harvey de lui des siennes, le précipitant sans douceur au sol. « -Tu n’es pas concentré. » lâcha-t-elle de sa voix de robot, tandis qu’elle reprenait déjà place, les poings levés en parade devant son visage.

Pas concentré, c’était le moins qu’on puisse dire. Il était physiquement présent, mais Harvey lui faisait à cet instant précis l’effet d’une coquille vide, d’un robot qui agissait bêtement et simplement, programmé pour parer les coups, les porter et les rendre, comme si quelqu’un avait paramétré ses circuits à l’avance, pour qu’il agisse d’instinct. Elle le savait, parce qu’Anja était très souvent exactement pareille, elle qui laissait ses émotions sur mute pour garder le contrôle de tout ressemblait parfois à un bout de ferraille qui faisait ce qu’on lui disait, ce qu’il fallait, et sortait rarement des cadres. Au moins, elle pouvait accorder à Harvey qu’il se relevait vite après s’être fait envoyer au tapis, c’était un bon point pour lui, assurément, bien que sa professeure se garda de le lui faire remarquer. Le jeune homme semblait agacé, mais la policière n’en avait que faire, et elle ne comptait pas se montrer plus douce pour autant.

Anja haussa un sourcil quand elle entendit les quelques remarques d’Harvey, qui ne lui laissa pas l’opportunité de répondre, et attaqua aussitôt, poussant la jeune femme à parer ses attaques sans pouvoir donner des coups, elle aussi. Pourtant, elle ne pouvait nier que le jeune mécano s’était amélioré, ses coups étaient plus sûrs, plus puissants, mais ce n’était pas encore suffisant. Et son jeu de jambes, bien trop statique, laissait à désirer. La brune le laissa mariner quelques instants dans son jus, et après l’avoir laissé prendre le dessus le temps de quelques coups qui manquèrent de peu de la toucher, elle replaça avec férocité et précision ses coups, avant de lui donner un bon coup de pied dans le genou, le faisant fléchir, et se précipiter en avant au sol. « -Pas concentré ! » s’exclama-t-elle, tandis qu’elle bondissait déjà en arrière, hors de portée des coups du jeune homme.

La jeune flic le fixa de ses prunelles de miel, incandescentes, tandis qu’elle sautillait sur place, le visage couvert de sueur, le corps prêt à parer une nouvelle attaque. « -Oh pardon, excuse-moi…tu trouves peut-être encore une fois que ce n’est pas fairplay ? C’est ce que tu diras au type qui te tombera dessus dans la rue…que son attaque n’est pas fairplay ? Que tu n’étais pas prêt ? Qu’il a été méchant avec toi de pas t’avoir prévenu de ce qu’il allait faire ? » dit-elle d’une voix douce et innocente forcée, qui n’était pas la sienne. La brune le titillait, le narguait, cherchait sciemment à le faire sortir de ses gonds. Car Anja en était convaincue, Harvey et elle étaient faits du même bois, et il n’y avait que lorsqu’elle était proche de la fusion qu’elle parvenait réellement à donner tout ce qu’elle avait en elle, quitte à faire des dégâts. Et puis, il lui faisait l’effet d’une cocotte-minute, à bouillir dans son coin, sous une pression monstrueuse, incapable d’exploser une bonne fois pour toute, alors que ça lui ferait sans doute le plus grand bien.  « -T’es venu pour te reposer, ou quoi ? Encore ! » dit-elle de sa voix autoritaire, tandis qu’elle adressait au jeune homme un geste du menton pour l’inciter à se remettre debout et à reprendre sa position.