L’air mauvais, Will quitta la réserve avec la caisse à outils qu’il venait de récupérer à l’intérieur. Bien qu’aucun son ne lui échappait réellement, un observateur attentif aurait pu voir ses lèvres bouger rapidement. Ajouté à cela la façon dont sa mâchoire carrée était crispée et son pas étonnement nerveux, il ne fallait pas être un génie pour savoir qu’une fois n’est pas coutume, Will Burbank était de très mauvaise humeur. Ça n’aurait surpris personne qui vivait depuis assez longtemps à Fort Hope pour avoir déjà assisté ou été la victime de l’une de ses crises. Non pas que le jeune homme soit particulièrement méchant, mais il n’y avait pas grand chose qu’il aimait plus que d’avoir le dernier mot. Et aujourd’hui, malgré les trente longues minutes de conversation avec Logan, l’ingénieur n’avait pas obtenu gain de cause : le leader du groupe considérait que le congés paternité que Will avait pris de son propre chef quatre mois plus tôt avait assez duré. Une défaillance s’était révélée sur l’un des panneaux solaires du camp et, d’après Logan, ça ne prendrait pas plus de quelques minutes à Will pour réparer ça, il pouvait bien laisser le petit garçon qu’il avait recueilli seul avec Elias juste un instant. Bien sûr, il le pouvait, mais il n’avait tout simplement pas envie qu’on lui dise quoi faire.

Et pourtant, à peine quatre minutes après que Logan l’ait envoyé sur les roses, Will arriva à la hauteur du panneau récalcitrant. Il fulminait encore un peu, mais commençait à se dire qu’avec un peu de bonne volonté, il n’aurait pas à travailler très longtemps. Perdu dans ses pensées - dont la plupart consistaient en des fantasmes de ce qu’il aurait voulu faire subir à Logan s’il en avait eu la force - il remarqua à peine le gosse qui traînait près des panneaux. Il regretta vite de ne pas avoir été plus attentif quand le gamin lui sauta dessus, d’abord pour se présenter, avant de se lancer dans une incroyable petite thèse sur les bienfaits de l’éolienne. Jusqu’à ce qu’il s’arrête de parler, Will l’observa avec des yeux ronds, perdu entre l’envie de fuir en courant et de se mettre à rire. “Putain, mais t’es qui, toi ?” furent les seuls mots qu’il parvint à lâcher pendant quelques secondes, même si le jeune homme s’était déjà présenté. Et aussi qu’il savait mieux que personne qu’on était pas censé jurer devant des enfants…

Une fois le choc passé, Will secoua la tête pour y remettre ses idées en ordre. Ses traits s’apaisèrent légèrement, ne marquant plus grand chose d’autre qu’une certaine exaspération. “Ecoute, petit, c’est génial que tu t’intéresses à tout ça, mais je n’ai pas vraiment le temps de te donner des cours pour l’instant. Visiblement je suis le seul putain d’ingénieur dans ce groupe et je dois réparer ça, alors va… Je ne sais pas, jouer aux cartes Pokémons ou peu importe ce que vous faites maintenant que la télé n’existe plus, ok ?” Il ne cherchait même pas à être volontairement désagréable ou condescendant, c’était depuis longtemps devenu une seconde nature chez lui, une sale habitude dont il ne parvenait pas à se débarrasser malgré les importants changements opérés dans sa vie depuis la fin du monde. Ignorant le gamin, Will posa la boîte à outils sur le sol et se pencha sur le panneau dans l’espoir que ce qui causait la panne lui sauterait aux yeux. Il n’eut malheureusement pas cette chance, ce qui ne manqua pas de l’agacer encore un peu plus. “C’est trop bruyant.” grogna-t-il dans sa barbe, sans même se tourner vers l’adolescent à qui il s’adressait pourtant. “C’est pour ça qu’on n’utilise pas d’éolienne. Ça fait beaucoup trop de bruit et c’est bien trop visible. Fort Hope n’a pas vraiment besoin d’attirer encore plus l’attention.” Pourquoi prenait-il finalement la peine de lui répondre ? Bonne question. Sans doute parce qu’il resistait rarement à la tentation de faire taire quelqu’un de trop curieux.

Contre toute attente, le gosse avait une incroyable répartie qui, si elle ne parvint à entâcher l’ego de Will, attira au moins son attention. Il rencontrait bien souvent des crétins de tous les âges prêts à en découdre pour prendre l’ascendant sur lui. Il s’agissait presque toujours d’hommes, raison pour laquelle l’ingénieur soupçonnait un problème de virilité le faisant doucement rire. Malgré les saloperies qu’on lui avait parfois envoyé en pleine face, Will ne souffrait pas de ce manque de confiance en lui qui l’aurait poussé à répondre aux provocations. Il leva simplement les yeux au ciel et laissa le jeune homme porter la caisse à outils jusqu’aux panneau, s’occupant plutôt de les inspecter dans l’espoir que tout soit vite réglé. Il rêvait en couleur, sans aucun doute. Sa frustration reportée sur autre chose que le gamin, il consentit enfin à lui expliquer pourquoi il n’avait pas encore demandé à ce qu’on installe d’éolienne dans le camp. Même à ça, l’enfant avait quelque chose à répondre, arrachant un petit rire à Will. Celui-là ne manquait pas d’aplomb, en tout cas.

“Ce serait vraiment long de fabriquer une petite éolienne pour chaque maison de ce camp, même si on se contente de le faire uniquement pour celles qui sont occupées.” fit-il remarquer. Il se détourna du panneau pour fouiller dans la caisse à outils, réfléchissant dans son coin à cette histoire d’éolienne. Il en avait déjà parlé à Logan, presque aussitôt que le chef du camp lui avait demandé conseil pour l’installation électrique, mais ils avaient renoncé à cette solution et pas pour rien. Un ado inconnu ne changerait rien, qu’importe sa bonne volonté. “Ce n’est pas une mauvaise idée, mais elle n’est pas adaptée à nos besoins. Il y a beaucoup trop d’utilisateurs pour l’énergie qu’on arriverait à produire comme ça et ça demande bien plus de temps de travail qu’on ne peut se permettre d’en donner. L'ingénierie, ce n’est pas seulement l’histoire de construire des trucs pour s’amuser, on doit prendre en compte tout un tas de paramètres pour choisir la solution la mieux adaptée et la plus rentable. Le photovoltaïque convient mieux sur le long terme.”

Il n’y avait pas réellement de sympathie dans sa voix, mais il n’était plus aussi désagréable. Simplement factuel. “J’ai déjà réfléchi à tout ça il y a des mois. J’y ai même passé beaucoup de temps et j’ai étudié toutes les options. C’est mon travail, je sais ce que je fais.” affirma-t-il, comme pour conclure sur le sujet. Quelque chose lui disait quand même que son expertise ne suffirait pas à convaincre l’adolescent de lâcher l’affaire. “Pourquoi ça t’intéresse, de toute façon ? Tu ne préférerais pas rejoindre l’équipe de ravitaillement pour pouvoir sortir quand tu veux, comme tout le monde ? Ici, à la maintenance, on ne fait pas grand chose de passionnant, tu peux me croire.” Quoi que pour Will, ce soit absolument parfait : il était en sécurité et avait tout le temps au monde pour être avec sa famille. Il n’en restait pas moins parfaitement conscient que c’était une tâche fort ennuyeuse comparée aux aventures dangereuses et excitantes qu’on pouvait vivre dehors. “La plupart du temps, je dois juste réparer des trucs, je n’ai même pas droit à une équipe au complet tellement c’est simple.”

Pour la première fois, ou presque, depuis que ce gosse l’avait pris en otage, Will accepta d’abandonner ses travaux pour lui lancer un regard. “Quel âge tu as ?” demanda-t-il en l’observant avec attention. Il était de plus en plus étrange, ces derniers temps et chaque fois qu’un gosse passait sous ses yeux… Devenir père l’avait certainement rendu un peu fou. Il tendit une main vers l’adolescent, décidant pour d’obscures raisons qu’il était largement temps qu’il fasse un effort. “Je m’appelle Will, au fait. Will Kaneki-Burbank.” Il n’utilisait presque jamais le nom de son mari quand il se présentait. En fait, ce devait bien être la première fois qu’il le faisait depuis leur mariage. Tout ça n’avait vraiment aucune importance de leurs jours, pas vrai ? Tout le monde se fichait des états civils désormais, et Will le premier. S’il le faisait cette fois… C’était peut-être raciste, il n’en savait rien en fait. Il voyait juste que ce gamin était asiatique, lui aussi et il voulait lui faire savoir subtilement qu’ils avaient d’autres choses en commun qu’une étonnante passion pour les énergies renouvelables. Quelque chose de plus subtile, mais de plus important aussi : une communauté, des gens vers qui se tourner quand on commençait à se sentir seul au monde. Quelque chose que Will avait cherché toute sa vie et qu’on lui avait rarement donné. “C’est quoi ton truc, exactement ? T’es passionné par le far-west ou par les éoliennes ?” demanda-t-il, abandonnant définitivement son travail pour croiser les bras sur sa poitrine et se concentrer pleinement sur le gamin.

Si seulement Will avait été une femme, il aurait pu accuser les hormones de se sentir légèrement troublé par le petit air triste du gosse qui s’avouait enfin vaincu. La réalité était malheureusement beaucoup plus triste et décevante : il arrivait à bout de forces pour supporter la misère ambiante, la moindre petite déception et le sentiment d’impuissance qui allait avec. Ils pouvaient seulement survivre et espérer. Ça devenait réellement insupportable. Il enviait la manière dont le gamin ne se laissa pourtant pas abattre plus de quelques secondes. L’épuisement venait peut-être avec le temps. Hélas, la brève sympathique que Will ressentit pour le jeune homme s’essouffla vite. Il était pourtant parfait, n’est-ce pas ? Il avait la passion de Will pour les sciences et les traits d’Elias. Vraiment, s’il en avait eu le cran, l’ingénieur aurait rêvé d’avoir un enfant comme ça, rien que pour lui, avoir le droit et la fierté de l’appeler son fils. Il espérait que Max grandirait pour aimer les sciences autant que Will l’avait fait quand il n’était qu’un gamin comme celui qui se tenait en face de lui en ce moment. Il n’y avait qu’une seule petite chose qui coinçait, qui suffisait à calmer son détestable désir d’adopter tous les gamins orphelins du monde… “Tu parles trop, gamin. Vraiment trop.” Il aurait pu le dire avec un peu plus de douceur, mais après tout, le gosse ne se gênait pas pour s’exprimer alors pourquoi l’aurait-il fait ? “Si tu veux que je t’enseigne quoi que ce soit, va falloir que t’apprenne à te taire pour commencer. C’est la leçon numéro une : ne prend pas la tête au type à qui tu demandes de l’aide.”

Ce fut en entendant sa propre voix qu’il réalisa qu’il allait accepter de le prendre comme apprenti, comme le gosse venait de le dire. Ça ne lui avait jamais traversé l’esprit avant. Il était plutôt le genre solitaire et il ne pouvait même pas justifier ce retournement par un désir de se balader avec un admirateur aux trousses. Elias l’avait vraiment changé, presque trop, et pour l’instant, Will décida de lui en vouloir pour ça. “Maintenant, pour te répondre, je suis diplômé du M.I.T. J’imagine que tu sais tout de cette école, j’espère qu’elle entre dans tes standards. J’ai un Master d’ingénierie en physique nucléaire et un autre de physique appliquée. Je me spécialisais principalement dans l’utilisation du nucléaire dans le domaine civil et sur la façon de réduire les risques liés à ce genre de structure.” expliqua-t-il, sans rien perdre de son petit air renfrogné. Ça faisait bien longtemps qu’on ne lui avait pas demandé de dérouler son CV pour justifier de quoi que ce soit et le fait que ce soit un gamin n’ayant probablement même pas fini le lycée qui s’y colle le premier avait quelque chose d’assez étrange. “Ca va, je mérite de devenir ton professeur ? Parce que je doute que tu trouves quelqu’un d’autre avec un diplôme du supérieur dans ce camp.”

Il lui laissa quelques secondes pour prendre la pleine mesure de cette remarque. S’il voulait aller emmerder quelqu’un d’autre, Will ne le retiendrait pas, mais il imaginait mal un militaire avoir la patience de supporter ses bavardages. Ce serait amusant de le voir essayer, cela dit. “Deuxième leçon : pourquoi on a rejeté l’idée de l’éolienne.” reprit-il après quelques secondes à peine. “Ce qui compte de nos jours, c’est de survivre. Aller traîner dehors à retourner chaque caillou dans l’espoir de trouver une boîte de conserve, ça ne t’amuse peut-être pas, mais c’est le plus important si on veut continuer de vivre et de s’améliorer. Construire une éolienne, même toute petite, quand tu ne sais pas comment t’y prendre, ça demande non seulement des ressources en matériel, en mains d’oeuvre et en temps, mais aussi de former chaque personne pour qu’on perde le moins de temps possible à l’étape de la réalisation. Pendant ce temps-là, on a des personnes en moins à d’autres postes qui peuvent tout changer. Il faudrait sûrement des mois et plusieurs essais avant d’obtenir un résultat correct et on pourrait tout juste produire un dixième de ce qu’on a avec les panneaux photovoltaïques déjà présents sur les lieux.” Il n’essayait plus de lui clouer le bec, cette fois, mais seulement de lui faire comprendre pourquoi cette décision avait été prise et surtout, réaliser tous les détails à prendre en compte pour une seule petite idée.

“Chaque décision prise ici a un impact sur la totalité du camp et des personnes qui y vivent. C’est la première question que tu dois te poser à chaque fois que tu as une idée : comment ça va se répercuter sur le reste de ton environnement.” Il aurait pu être un bon professeur, pas vrai ? Ca ne l’avait jamais effleuré parce qu’il ne supportait pas vraiment les autres êtres humains, mais l’idée lui plaisait bien, là tout de suite. Tellement qu’il allait peut-être un peu vite en besogne. “Voyons voir si t’es fait pour ça, ok ? Tu parlais de la machine à vapeur. Imaginons qu’on envisage de suivre cette piste. Sur quel projet tu voudrais utiliser cette technologie et quelles sont les ressources dont tu aurais besoin pour ça ?”

C’était vraiment étrange comme Will avait l’impression de se regarder dans un miroir quand il observait Nathan s’exciter sur des questions d’ingénierie. Bon, un miroir qui n’aurait reflété que la personnalité, mais qu’importe. Même dans sa façon de rétorquer, pleine de sarcasmes, il ressemblait à une version encore un peu brute de ce que Will se rappelait être à son âge. Ce fut pour cela, sans doute, qu’il ne douta plus du tout que pour les semaines à venir, il aurait ce gamin collé aux talons partout où il irait. “Tu comprends vite. C’est très bien.” remarqua-t-il, quand l’adolescent eut compris que ses grands rêves de machine à vapeur n’étaient pas encore réalisables pour le moment. “T’as du potentiel, je veux bien voir ce qu’on peut faire de toi.” Ca n’était qu’une façon de formaliser son accord déjà donné depuis quelques minutes, mais ce gamin méritait bien une petite victoire.

D’autant plus quand, un instant plus tard, il proposa une idée vraiment intéressante. Ça n’était pas une chose à laquelle Will avait pris le temps de réfléchir pour le moment. Il avait eu bien d’autres choses en tête, mais c’était différent maintenant. Il y avait Max et même s’il avait confiance en Elias pour protéger leur enfant, un coup de pouce supplémentaire ne serait pas de refus. Son intérêt fut à peine visible dans la manière dont il se redressa légèrement, son regard posé sur le gosse qui s’expliquait avec sérieux et enthousiasme. Will le laissa aller jusqu’au bout, laissa même un petit silence suivre avant de sourire à son tour, presque aussi largement que le gamin. “Ça, c’est une très bonne idée.” concéda-t-il, après un petit instant. Il ne se montrait pas aussi excité, voire survolté, que son interlocuteur, mais ils tenaient vraiment quelque chose avec du potentiel. “Ces bouquins, tu les as encore avec toi ?”

Il s’autorisa encore un peu de réflexion. Ça demanderait beaucoup de travail, peut-être que ce serait même irréalisable et qu’ils seraient tous les deux déçus quand ils comprendraient… Mais ça valait le coup d’essayer. Les militaires ne seraient pas difficiles à convaincre sur un sujet tel que celui-là, ils offriraient à Will toutes les ressources nécessaires pour mener à bien un projet utile pour tout le monde. “Ok, mon grand, on a trouvé ton premier projet d’étude. On va travailler là-dessus ensemble et si on arrive à monter un dossier digne de ce nom, je le présenterais au conseil de Fort Hope pour qu’il soit adopté.” Il avait presque envie de s’y mettre dès maintenant, malheureusement, il ne pouvait pas “oublier” la mission que lui avait confié Logan avant qu’elle soit menée à bien. “Réunis les bouquins dont on a besoin, que tu les aies avec toi ou pas. Peut-être qu’on peut se faire une petite virée à la bibliothèque universitaire, toi et moi ! Et fais-moi la liste des étapes qui te semblent importantes pour qu’on fabrique cette petite usine ici. Et viens me retrouver demain matin. Ma maison est la première après l’entrée du camp sur Grand Marais, celle avec le carton sur la fenêtre.”

Le projet de Nathan garda Will tout excité et plein de bonne volonté tout le reste de la journée, au point qu’il répara même les panneaux solaires sans plus se plaindre, même tout seul. Comme souvent, hélas, son excitation retomba aussitôt qu’il rentra chez lui et que d’autres choses un peu plus importantes ne l’accaparent jusqu’au lendemain. Et malheureusement pour Nathan, Will n’était pas vraiment un oiseau du matin, encore moins depuis qu’il devait prendre soin d’un enfant de trois ans traumatisé qui refusait de faire ses nuits dans son propre lit et débarquait souvent au milieu de la nuit dans celui de ses parents adoptifs. Aussi, quand Nathan frappa à la porte le lendemain matin, comme convenu, l’homme aux prises avec un Max de très mauvaise humeur n’en menait pas large non plus. Rien qu’à la façon dont il ouvrit la porte un peu trop brusquement, on sentait déjà que ce n’était pas le moment de lui prendre la tête. Il ouvrit la bouche pour balancer quelques gentillesses à l’adolescent en le trouvant sur le pas de sa porte à une heure aussi matinale, mais il n’eut pas l’occasion d’en faire plus que le gamin se lançait dans l’un de ses fameux monologues enflammés, laissant l’adulte cent fois plus épuisé à la fin.

“Tu sais quelle heure il est ?” demanda seulement Will, quand le jeune homme eut terminé de lui faire un rapport terriblement complet de ce qu’il avait préparé pour cette séance de travail. Au moins, il se rendait compte qu’il recommençait à parler trop et Will avait réussi à ne pas lui fermer la porte au nez, preuve qu’ils faisaient tous les deux des progrès. “Quand j’ai dit “retrouve-moi demain matin”, je voulais dire à une heure raisonnable, genre onze heures… midi… ” Désespéré, l’homme secoua la tête et se pencha pourtant pour ramasser les livres du gosse avant de lui tourner le dos pour entrer dans la maison. “Allez, maintenant que t’es là, entre.” grogna-t-il. Il déposa les bouquins sur la grande table qui servait aux repas, et dont l’un des côtés était actuellement encombré par des morceaux de pain saccagés et un bol de lait à moitié renversé sur le bois. “Nathan, je te présente Max.” lança Will en abandonnant les livres pour s’approcher du petit garçon qui lui ressemblait comme deux gouttes d’eau, assis devant le carnage, à qui il tendit une nouvelle tranche de pain. “C’est mon… Enfin, disons que je m’occupe de lui. Il ne parle pas. Et ce matin, il a décidé qu’il ne mangerait pas non plus.” résuma-t-il, son regard noir posé sur Max qui refusait encore et toujours d’avaler quoi que ce soit. Il se laissa tomber sur la chaise la plus proche du petit garçon, désespéré et épuisé, mais bien motivé à lui faire manger au moins un morceau de pain avant de le laisser tranquille.

“Alors, raconte-moi,” lança-t-il à l’adresse de Nathan, ne lui jetant pourtant guère plus qu’un regard en coin, “Quel genre de machines on doit ramener ? Je sais fabriquer mes propres flèches, mais tout ce qui est arme à feu, ce n’est pas vraiment mon domaine. Faudrait que tu sois un peu plus précis, que je me fasse une idée de la taille des installations, de comment on peut les déplacer et les réinstaller ici. Ce n’est pas utile qu’on s’embête à chercher comment fabriquer de la poudre si on ne peut pas avoir le matériel de base.” Une autre question lui important bien plus que la chimie pour le moment, à laquelle ils auraient à réfléchir avant d’aller plus loin. “Est-ce que toutes tes recherches expliquent comment fabriquer des munitions pour des armes modernes ? Parce que nos amis militaires ont de super fusils de la dernière génération et je ne suis pas convaincu qu’on arrive à les forcer à faire un bond dans le passé. Tu sais comment ils sont, ces types et leurs armes…”

L’opinion de Will, déjà plutôt tranchée en matières d’armes à feu, ne s’arrangea pas aux explications de l’adolescent. Il ne s’attendait pas à ce que ce soit simple, mais il constatait surtout qu’il aurait mieux valu qu’ils se trouvent d’autres moyens de se défendre que celle-ci. Et il n’avait aucunement l’intention de s’en cacher, comme le montrait la grimace qu’il laissait reposer sur ses traits à mesure que Nathan s’enfonçait dans ses explications. “Je vois.” souffla-t-il à l’issue de celles-ci, ne relevant même pas le nez vers le jeune homme. “Ce n’est pas l’idéal, mais ça peut toujours nous sauver la mise pour un temps.” concéda-t-il, davantage pour faire plaisir au gosse que par réelle conviction. On ne pouvait malheureusement pas reprocher à un démocrate de conserver quelque opinion définitive sur l’intérêt de ce genre d’arme, n’est-ce pas ? Il ne comptait pas s’en excuser en tout cas, surtout s’il se lançait réellement dans ce projet. “Si tant est qu’on trouve quelques amorces dans ce qu’il reste des armureries de la ville… Il y a eu pas mal de mouvement à Détroit, ces dernières années, c’est déjà un miracle quand on arrive à trouver une boîte de pilules pour le régime, alors de l’armement…” Et il était sûr d’une chose : il ne serait pas le crétin qui irait perdre son temps à retourner chaque pierre de cette foutue ville pour ramener une boite d’amorces à la maison. Par chance, il pouvait faire jouer son rôle de superviseur pour rester bien à l’abri derrière les murs de Fort Hope plutôt que de mettre le pied sur le terrain.

“Très bien. La première chose à faire, c’est déjà de passer la ville au peigne fin pour trouver toutes les amorces qu’on peut. On peut facilement trouver une équipe pour ça, quitte à ce que ce soit fait pendant une autre mission.” Et il ne doutait pas une seule seconde que tous les soldats de ce camp seraient ravis de prêter main forte s’il s’agissait de renflouer les réserves de balles. Sur ce point, il n’y aurait pas besoin de perdre du temps à négocier avec qui que ce soit. “Dans le meilleur des cas, on en trouve assez pour que le projet vaille le coup. Dans le pire des cas… Ce sera toujours un truc que les autres groupes n’auront pas, ça nous donne un avantage stratégique qui fera très plaisir à nos supérieurs.” Rien de tel qu’un petit plan de bataille en cas de guerre pour convaincre un soldat de marcher, pas vrai ? Dans la vision étriquée que Will se faisait de l’armée, en tout cas, il venait de trouver un argument de poids. “Après ça, si on a suffisamment de matières premières, ce sera un jeu d’enfant d’enrôler quelques gros bras pour déplacer des machines de… vingt kilos, comme tu dis.” Pour la première fois depuis le début de cette conversation, l’ingénieur lança un vrai regard au gosse et il n’était presque pas moqueur. “Où est-ce qu’on trouve ces machines ? Dans une usine de production ?” Encore une fois, il n’irait pas en personne, mais peut-être qu’il pourrait proposer à Nathan de se joindre à l’équipe qui ferait le déplacement, histoire de lui donner l’impression de superviser un peu le truc. Il méritait bien ça, même si Will n’était pas vraiment convaincu qu’une bande d’adultes mal lunés verrait un gosse de treize ans comme un chef d’équipe digne de ce nom.

“Et la poudre ? Qu’est-ce que tes livres disent à ce sujet ?” demanda-t-il ensuite, sans attendre que l’adolescent ait répondu. Il lui faisait confiance pour se lancer dans une très longue réponse au cours de laquelle il penserait à peine à respirer, autant qu’il profite pour poser toutes ses questions tant qu’il le pouvait encore. “Si on doit la fabriquer nous-même aussi, ça demande sûrement certains composants qui ne se trouvent pas à tous les coins de rue. Mais il doit y avoir moyen de trouver de quoi faire dans des usines aussi, non ? Tu peux parler, vas-y, toute mon éducation est à faire sur le sujet des armes, chez moi on se contentait de militer pour les interdire et je doute que les statistiques sur combien de gens sont morts d’une blessure par balle en 2012 nous soit d’une grande utilité, là.”