Son physique imposant, son look atypique et son statut de militaire. Tout le monde a des a priori sur Abel et je suis persuadée que ça l'amuse beaucoup. Il peut se montrer insondable, peu loquace et capable, d'un regard, de vous transpercer, de vous mettre mal à l'aise ou bien de vous effrayer, il intimide par sa seule présence. Cela lui permet bien souvent d'obtenir des réponses rapidement ou encore d'éviter un combat. Ce qui dans le dernier cas, doit probablement quelque peu le décevoir de temps à autres, j'en suis certaine. C'est vrai qu'il est extrêmement casse-cou et ce malgré son âge mur.  En tout cas, Ab' est un homme fort et droit. Il est loyal et surtout incorruptible. C'est le genre à avoir des convictions et à les respecter. Obstiné et impulsif, il ne fera rien qui va à l'encontre de ses principes peu importe si cela déplait. De toute façon, ce n'est pas le genre à fuir devant les problèmes, mais plus à foncer dedans tête baissée. Il assume toujours ses actes. Il faut dire qu'Abel ne supporte pas la fuite ou la couardise des gens qui rejettent la faute sur les autres.
Il vous apparaît sûrement comme trop sérieux et coincé, mais vous avez tort. Il peut être un vrai môme ! Il a peut-être soixante ans, mais il est toujours persuadé dans avoir vingt. Toujours en train de rire ou de déconner, il aime faire la fête et s'amuser. Il est même souvent totalement déjanté. Le ridicule ne l'effraie pas et il est prêt à tout pour amuser la galerie, ce qui croyez-moi donne souvent lieu à des scènes mémorables. C'est un excentrique qui s'assume totalement. Si je devais, le résumé en un mot, ce serait sans aucun doute : épicurien. A croire que toutes les horreurs, qu'il a vécues, vues et faites durant ses années de services, lui ont appris encore plus à profiter de la vie.  Oui ne vous méprenez. Même s'il apparaît comme un homme solide, il trimballe pas mal de casseroles qui lui pèsent plus ou moins. Son retour à la vie civile a été, d'ailleurs, très compliqué et il est notamment passé par une longue phase de dépression. Il était alors totalement renfermé sur lui-même et acariâtre et souffrait sans aucun doute d'un SPT. Il a réussi à reprendre le dessus, pour devenir l'homme que je viens de vous décrire, mais je sais bien que tout ça n'est pas très loin. Il l'a juste relégué au second plan. Tentant de faire comme si, ça n'existait pas, mais parfois, certaines de ses réactions ou certains regards le trahissent. Mais, que voulez-vous il est de la vieille école et pas du genre à s'étaler sur ce genre de choses. Alors, il garde ça pour lui. Il n'en parle à personne, même pas à sa famille qui est pourtant tout pour lui, même si les rapports sont parfois compliqués.
Sur le plan professionnel, Abel est devenu une sorte de légende dans son corps d'armée. Il a servi pendant trente-deux ans dans des zones à haut-risque. Il faisait partie d'une unité d'élite et n'était pas un de ses médecins militaires bien gentiment planqué dans un hôpital de campagne en zone neutre, comme il dit. Il faut dire qu'Abel a toujours eu plus que les autres à prouver à cause de ses origines. Et, il n'aime pas faire les choses à moitié, quand il entreprend quelque chose, c'est pour viser le sommet. Rien d‘autre. Il fut major de sa promotion. Extrêmement intelligent, réactif et souvent créatif pour se débrouiller avec peu. De plus, ses aptitudes au combat et au tir dans le cadre de son entrainement militaire, ont fait de lui l'un des rares médecins militaires rattaché à une unité d'élite. Et, malgré quelques blessures et passages à vides, il a excellé tout au long de sa carrière, réalisant parfois l'impossible. Jusqu'à sa dernière mission durant laquelle les trois-quarts de son unité est morte.  Il en parle peu, mais il s'en tient en partie responsable et c'est pour ça qu'il a rejoint la vie civile. Mais, il ne pouvait pas rester inactif, ce qui d'ailleurs, aurait été un crime au vue de ses connaissances, de son expérience et de son talent naturel. Il a donc travaillé encore neuf ans dans le civil avant de prendre sa retraite.

Point de vue du Dr Ellen Cartwrigh, directrice des urgences d'un hôpital civil du New Jersey, collègue et amie du Capitaine Grigorian.

Assis sur le sable, le regard perdu dans l'horizon, où les lueurs roses-orangées du lever de soleil viennent danser et se refléter sur l'océan atlantique. Malgré la fraicheur du petit matin, il porte un simple short de bain. Comme tous les jours, il est allé faire son jogging, avant d'enchainer sur une série d'exercice pour finir par se baigner. Malgré ses cinquante-neuf ans, il tient une forme olympique. Son corps en grande partie tatoué est encore massif et tonique. Il est probablement même mieux dessiné que beaucoup d'hommes ayant la moitié de son âge.  C'est comme ça, il ne sait pas rester inactif. Bien qu'il ne fasse plus partie de l'armée, il en garde certaines habitudes tenaces. Comme le fait de s'entrainer et de garder la forme en toute circonstance, le laisser aller c'est pour les faibles. D'ailleurs, en l'observant de dos, assis-là sur la plage, on ne pourrait pas dire qu'il approche à grands pas de la soixantaine. Il semble totalement absorbé par le spectacle majestueux qui s'offre à lui. Pourtant, son esprit est ailleurs. En dépit de sa sérénité apparente, son esprit est tourmenté. Il regarde l'aube sans la voir, sent les embruns marins sans le sentir et écoute le relent des vagues sans les entendre. Devant ses yeux défilent des scènes de guerre où  les images de combat, côtoie celle des corps en charpie avec en bande son, des balles qui sifflent mêlé aux cris, tantôt de peur et  de douleur, tantôt d'ordre aboyer. Quant à l'odeur, c'est celle de la peur, de la sueur et du sang. Une main posée délicatement sur son épaule le sort de ses souvenirs. Il ne sursaute même pas, se contente de tourner la tête pour reconnaître la nouvelle venue. Il adresse un sourire à sa fille qui s'installe à ses côtés, lui tendant une tasse de café. « Je vois que tu continues de t'entraîner. Tu devrais peut-être commencer à lever le pied. » S'inquiète-t-elle, déclenchant un rire chez son paternel. « Les gars comme moi ça ne lève jamais le pied, ma belle. » Pour toute réponse, elle esquisse un sourire et tourne son regard vers l'horizon. « Tu es debout bien tôt, chérie. Un des mômes est réveillé ? Tu veux que j'aille m'en occuper pour que tu te reposes ? » Le sourire de sa fille s'agrandit. « Je n'arrivai simplement plus à dormir, les enfants dorment encore. Mais, merci papa. » Elle se tourne à nouveau vers lui et le sonde d'un doux regard chargé de tendresse. « Tu as toujours été un père merveilleux, ça on ne peut pas te l'enlever. Et, tu es un grand-père tout aussi génial. » Elle ressemble à sa mère quand elle le regarde comme ça. Et, sa remarque le conforte dans son idée, qu'elle cherche à aborder un sujet en particulier. Il arque un sourcil interrogateur. « Merci, mais que dois-je comprendre par le ‘ça au moins on ne peut pas te l'enlever' ? » interroge-t-il légèrement rieur. Elle laisse le silence pesait un instant, le temps de boire une longue gorgée de café et d'admirer le soleil qui apparaît enfin dans sa totalité. Finalement, après un long moment, elle finit par lâcher simplement. « Où est passé Jenny, papa ? » Abel sourit amusé de voir sa fille s'inquiéter pour sa petite-amie. « Elle te manque ? Je croyais que ce n'était qu'une petite bimbo décérébré qui pourrait être ma fille. » En la voyant rougir en réalisant qu'il savait comment elle parlait d'elle, il éclate de rire, alors qu'elle se justifie. « Admet que c'était pas une lumière. Et, elle a vingt-six ans ! Lachlan en a vingt-cinq et c'est ton fils ! Et, tu as un petit-fils de dix-neuf ans, il a presque son age » Nouveau silence. « Je m’inquiète pour toi, papa. Je ne voudrais pas que tu finisses seul. » Admet-elle finalement. Elle a passé la majeure partie de sa vie à voir son père au bras de femme plus jeune et le plus souvent insignifiante, bien que rarement méchante. Et, à chaque fois, elles finissent par le quitter. Du jour au lendemain, elle disparaisse, jusqu'à la prochaine. Parfois, il les épouse, d'autre fois il leur fait un gosse. Mais ça ne dure jamais. Et, le voilà à cinquante-neuf ans, divorcé six fois, père de cinq enfants allant de quarante-deux à dix-sept ans et une nouvelle fois seul. Lui, sait pourquoi bien sûr. Vivre à ses côtés, l'aimer est éreintant. Il faut bien du courage pour le supporter au quotidien et pourquoi ses femmes resteraient alors qu'au fond, elles finissent toutes par comprendre ce qui semble échapper à sa fille et qui est pourtant une évidence. Il ne les aimera jamais. Jamais comme elles le voudraient. Comment pourrait-il alors qu'il n'y a jamais qu'une seule femme qu'il a aimée et qu'il aime toujours. Pour seule réponse, il lui pose une question. « Comment va ta mère ? Elle vit toujours à Détroit avec Charles ? » Elle soupire pensant qu'il détourne la conversation, ne comprenant toujours pas.


On parle d’apocalypse, de fin du monde ou encore de punition divine. Abel, lui ne croit rien de tout ça. C’est peut-être les trente années passées à faire le sale boulot des politiques au cours de missions souvent tenues secrètes car totalement contre-éthique et dégueulasse. Mais, Abel, lui, reste persuadé que ce virus n’est pas arrivé là par hasard. Le réchauffement climatique, la surpopulation. Vous savez : sept milliards de connards qui s’entassent les uns sur les autres et se reproduisent encore et encore. Sept milliards de connards qui continuent de coloniser la planète, tout en prenant soin de la faire crever à petit feu alors que c’est à elle qu’ils doivent la vie. Non, Abel n’est pas un foutu écolo, il est juste réaliste et conscient que si rien n’est fait alors la situation deviendra rapidement critique. Pauvreté, famine, maladies, écarts sociaux qui se creusent, lutte de pouvoir entraînant des conflits armés. L’humanité tue doucement la planète cultivant lentement sa propre agonie. Bien sûr, tout ça n’est pas pour tout suite, mais on s’en rapproche doucement et les hautes sphères commencent à s’en inquiéter de plus en plus. La preuve au cours des dernières années, tout le monde a commencé à en parler. Vous ne voyez toujours pas où il veut en venir ? Quel est le rapport avec ces putains de rodeurs carnivores ? C’est pourtant simple, une solution évoquée n’est autre que la réduction de la population. Les scientifiques appelleraient ça, la sélection naturelle. Sauf que du point de vue d’Abel, cette sélection-ci n’est pas tout à fait naturelle. Ils en ont peut-être eu marre d’attendre que l’univers reprenne ses droits de lui-même. Alors à ses yeux, le virus a été choisi pour faire le sale boulot. Une bonne pandémie, rien de mieux pour décimer une grande partie de la population. Le grand nettoyage, sans même avoir à bouger le petit doigt et en plus, on peut jouer les innocents. Ca vous paraît fou ? Complètement insensé et irréaliste ? Paranoïaque, même. Pourtant, les armes biologiques sont à la mode, en ce moment et puis, honnêtement, tout le monde sait que ça ne serait pas la première fois. En attendant, que sa théorie soit juste ou pas, il  n'est pas du genre à l'exposer à tout le monde à tout bout de champ. Son opinion, il la garde pour lui, se contentant simplement d'être sceptique face à celles des autres. De toute façon, peu importe qui dit vraie, pour le moment l'important n'est pas là. L'important c'est de survivre, à toute cette merde, parce qu'ils y sont tous jusqu'au cou. Lui comme les autres. Dès l'annonce de l'épidémie, il n'a eu qu'une idée en tête retrouvée et réunir tous les membres de sa famille pour les protéger. Parce que c'est son rôle et que si quelque chose leur arrivait sans qu'il n'est pas tout fait pour les aider, il ne pourrait plus se regarder dans un miroir. Anthéa, sa plus jeune fille et Rafael l'un de ses petit-fils étaient en vacances chez lui quand tout a commencé. Quand à Lachlan, son fils de vingt-cinq ans résidant à New-York, il avait eu le bon réflexe de venir directement chez son père. Mais le reste de ses enfants vivent à Détroit ou Chicago, alors il avait décidé d'entreprendre le voyage pour aller récupérer tout le monde. Il avait emprunté le bus scolaire de la ville et avec Théa, Raf et Lachlan, ils avaient pris la route. Mais, lorsqu'il était arrivé à Chicago, il avait trouvé la maison de son fils vide et avait fini par aller voir un de ses anciens camarades de l'armé qui vivaient une petite centaine de kilomètres plus loin, dans une vieille ferme au milieu de nul part. « Tu vas faire quoi maintenant, Doc ? » Ils sont assis sous le perron, avec son ancien compagnon d'arme et Lachlan, alors que Théa et Rafael dorme déjà. Les deux plus âgés ont chacun un fusil militaire sur les genoux alors qu'ils se balancent lentement sur des rocking chairs, comme dans un mauvais western. « On reprend la route demain. On va à Détroit. Il a le reste de la famille là-bas, et j'ai entendu dire qu'un groupe de militaire c’était installé à l’hôpital. » Il marque une pause le temps de s'allumer une clope, avant de reprendre. « A croire, que c'est du sur mesure pour moi. Et toi, tu comptes rester terrer ici ? Tu peux venir avec nous. » L'autre secoue la tête, pour signifier que le plan est loin d'être brillant. « T'es sérieux là, Doc. C'est une putain d'épidémie ou je ne sais quoi sur lequel on ne sait rien. Mais, si y a une chose qu'on nous apprend à l'armée c'est que dans ces cas-là, mieux vaux éviter les regroupements trop important. C'est comme ça que ça se propage. Et, tout se putain de pays est allé s'amasser sur les routes en direction du nord. Le meilleur moyen de crever, si tu veux mon avis. » Il a raison, sans aucun doute. Abel le sait, il vaudrait mieux trouver un endroit isolé mis il est hors de question d'abandonnée sa famille. Que ce soit ses enfants ou sa femme. Même si cela fait bien longtemps qu'elle ne l'est plus. Lachlan semble un peu inquiet face à ses paroles et adresse un regard à son père. Ça suffit à la rassurer, peut-être qu'il l'idéalise trop mais il se dit que tant qu'à être dans ce merdier, son père est sans aucun doute la personne avec qui il faut se trouver. « Je vais rester ici, Doc. Et, si ça se dégrade, j'irai au sud. » Sur ces mots, le silence retombe. Alors que sans raison apparente, Abel sourit comme un môme. « Putain, t'es encore plus barré qu'avant. Qu'est-ce qui t'arrive. » Le sourire s'élargit. « Doc, on m'avait pas appelé comme ça depuis des années. Ça m'avait manqué. » Puis, il éclat de rire, sous l'œil ébahie des deux autres qui hésite un instant avant de se marrer eux aussi. Pas que se soit particulièrement drôle, juste le besoin de rire. De se sentir vivant et humain, l'espace d'un instant.