Le Colonel Charles Toledo avait quitté les lieux, accompagnés de la plupart de ses hommes. Si Gemma avait bien compris, ce départ avait été décidé suite à un appel radio. Il fallait avoir encore beaucoup d'espoir pour prendre une telle décision s'était-elle dit. Avant de perdre Seth, Gemma avait encore entretenu l'espoir de voir leur ancien monde revenir à la normale. Cependant, après la perte de son mari, elle était plutôt pessimiste à ce sujet. Mais elle n'allait pas critiquer Toledo. Elle était même bien contente qu'il disparaisse avec une bonne partie de ses militaires. Il n'avait laissé que trois de ses hommes pour diriger l'hôpital et il fallait avouer qu'ils avaient bien du mal à se faire respecter. Ainsi, Gemma avait pu sortir à sa guise. Ils étaient de toute manière bien trop occupés pour se préoccuper de son sort à l'extérieur. Néanmoins, elle était moins sortit qu'elle ne l'avait d'abord prévu. En effet, elle trouvait tous ces changements assez divertissants. Elle était curieuse de voir combien de temps les trois soldats allaient s'en sortir sans Toledo pour leur donner des ordres. C'en était presque amusant.
Deux semaines après le départ des militaires, les trois restants organisèrent une réunion pour tenter de calmer les choses avec les civils. Ainsi, Gemma avait repoussée sa sortie du jour, ne voulant pas rater ça. Comme beaucoup, elle était bien décidée à partager son point de vue sur la situation. Très vite pourtant, elle se rendit compte que les autres habitants réclamait un changement plus radical. Ils ne voulaient plus être commander par les militaires. Gemma ne savait pas trop quoi en penser. Une part d'elle était d'accord avec eux, ils avaient trop subis, mais l'autre se demandait qui pourrait prendre leur place. Un des civils bien sur mais qui? Est-ce que quelqu'un seulement voulait de cette responsabilité? Plus important encore, est-ce que quelqu'un était prêt à occuper un tel poste?
Alors qu'elle se posait toutes ces questions et qu'elle écoutait les conversations dans son coin, Gemma fut surprise d'entendre son nom être prononcé. Et pas seulement une fois. Elle se redressa, observant ses colocataires avec qui elle n'avait pas crée beaucoup de liens. Beaucoup se mirent à la regarder, voulant connaitre son point de vue.
- Moi? demanda-t-elle en se pointant du doigt.
Sur le moment, elle crut avoir mal entendu ce qu'on lui demandait. Mais alors que beaucoup de regards étaient posés sur elle, elle comprit qu'elle n'avait pas rêvé. On lui demandait de prendre le pouvoir que Petterson acceptait de céder. Elle fut tentée de demander pourquoi elle et pas quelqu'un d'autre mais une personne n'attendit pas la question pour donner la réponse. Ayant toujours tenu tête aux militaires et sortant très souvent - ce n'était donc plus un secret - ils pensaient qu'elle pouvait se charger du groupe. Plusieurs acquiescèrent silencieusement.
Gemma, les yeux ronds, ne savait pas quoi dire. Elle ne s'était jamais investi dans ce groupe, préférant sortir en cachette pendant des heures pour aller tuer un homme qu'elle n'avait toujours pas trouvé. Et pourtant, plusieurs personnes la désiraient comme nouveau "sheriff" des lieux.
- Vous êtes sure de vouloir ça? Je veux dire...
Elle ne trouvait pas ces mots. Elle avait failli leur demander s'ils voulaient vraiment une femme qui cherchait à tuer depuis qu'ils la connaissaient mais cela l'aurait fait passer pour une psychopathe. Aussi, elle était à peu près certaine que beaucoup ignoraient encore le but de ses sorties alors mieux valait le cacher un peu plus longtemps. Avoir ce poste mettrait en péril sa vengeance, elle aurait moins de temps à y consacrer. Mais lorsqu'elle croisa le regard des militaires et qu'elle imagina la tête de Charles Toledo s'il apprenait la nouvelle - ce qui était puéril, elle l'admettait - et qu'elle croisa celui des civils, qu'elle vit qu'ils comptaient sur elle, elle s'entendit dire :
- D'accord. J'accepte.
Elle fut presque étonnée de s'entendre dire ça. Elle n'était pas sure d'avoir pris la bonne décision ou même qu'elle soit capable d'endosser un tel rôle mais elle ne pouvait plus revenir en arrière. Elle allait au moins essayer, pour eux.
- Heu oui, oui vous serez utile. répondit-elle à Petterson qui lui proposait d'assurer la sécurité du groupe. Mais il faudra qu'on en discute, qu'on se mette d'accord sur certains points.
Décidément, elle allait avoir beaucoup de difficultés à se faire à ce nouveau rôle et s'entendre parler ainsi. Mais qui sait, peut-être serait-ce temporaire. Peut-être qu'au bout de quelques heures les civils réclameront une autre personne. Elle se tourna alors vers ces derniers et se racla la gorge.
- Hum... Je pense que beaucoup de choses sont à changer dans l'organisation du groupe, la sécurité et tout ça. Mais je pense que le mieux soit que l'on en parle. Donc... Vous avez des réclamations? Des choses que vous aimeriez voir changé ou être amélioré?

S'il y avait bien une chose qui ne faisait plus aucun doute à l'hôpital désormais, c'est qu'Ezra était un homme étrange et légèrement à contre-pied. Peut-être un peu plus que légèrement, à vrai dire. Toujours est-il que depuis son arrivée à l'hôpital, il dénotait clairement avec les autres. Optimiste, bienveillant et surtout soutenant l'armée, il ne s'était pas fait que des amis, loin de là. Mais il considérait simplement qu'il n'était pas apte à cette vie et réalisait la chance d'avoir tenu jusque là. Ce qui ne serait pas arrivé si Toledo et ses hommes ne l'avaient pas pris en charge.

Maintenant que les militaires se faisaient moindre dans le groupe, le jeune homme désespérait un peu de la suite des événements. Le reste du groupe supportait mal les trois soldats restant et Ezra s'attendait à voir la situation dégénérer d'un jour à l'autre, espérant simplement que Petterson parviendrait à faire ses preuves et à rapporter le calme dans le groupe. C'est pourquoi il était particulièrement ravi -et peut-être un peu anxieux- lorsque le Major avait organisé cette petite réunion. Bien sûr, le jeune homme s'y était rendu, s'asseyant au premier rang, directement face aux trois militaires, attendant patiemment que l'annonce soit faite et qu'une solution durable soit trouvée, prêt à intervenir si quelque chose tournait mal. Il ne pourrait pas se faire plus d'ennemis en soutenant encore un peu Petterson, pas vrai ?

Mais clairement, il ne s'était pas attendu à ce que le Major leur avait finalement annoncé. Laisser sa place ? Vraiment ? Ezra était resté silencieux, en fin de compte. I n'avait aucun nom à proposer et certainement pas le sien. Pour lui, mieux valait un homme entraîné au combat qu'un civil trop orgueilleux pour se tenir au fait de ses propres limites. Mais un nom était ressorti souvent : celui de Gemma.

Il ne connaissait pas assez la jeune femme pour se permettre de juger totalement ce choix, alors autant se taire. Mais si les autres parvenaient à lui faire confiance, il était prêt à essayer aussi. Et elle semblait plutôt décidé à tenir la barque, proposant déjà d'écouter les réclamations des autres survivants, acceptant de conserver l'aide de Petterson et de ses deux acolytes... D'accord, peut-être qu'elle représentait un bon choix, à voir sur le long terme.  Elle voulait savoir ce qui clochait sincèrement dans ce groupe, dans l'espoir sans doute d'améliorer la vie de chacun et Ezra attendit quelques secondes que les plus vindicatifs d'entre eux ne se lancent avant d'oser prendre la parole lui-même. Quelqu'un se déplaça dans la pièce, le nouveau militaire arrivé depuis peu, avec qui il avait eu l'occasion de discuter brièvement quelques fois, toujours fidèle à lui-même. En fait, il ne manquait plus qu'un panier rempli de muffins et il aurait eu l'air de la parfaite ménagère qui accueille un nouveau voisin dans le quartier.

Le soldat prit quelques minutes pour expliquer son point, apportant des considérations très techniques dont Ezra doutait fortement qu'elles soient la préoccupation principale du reste du groupe et quand il eut terminé, le jeune homme se leva à son tour, se raclant la gorge avant de se lancer :

« Si on veut parler de sécurité, ce qui m'inquiète moi, c'est que ça devienne l'anarchie sans la vigilance du Major. Que certains en profitent pour n'en faire qu'à leur tête. Je comprends que l'uniforme et les agissements du Colonel vous aient refroidi, mais certaines des règles qu'il a instaurées ne manquent pas d'intelligence. Tout le monde n'est pas apte à sortir seul et j'ai pas spécialement envie qu'on laisse faire et que quelqu'un revienne un jour avec une morsure et nous tue tous. »

Il s'attendait déjà à recevoir la haine de ses comparses. Comme toujours, il prenait la défense de Toledo, ce que peu arrivaient à comprendre vraiment. Mais il préférait largement que tous les survivants le méprisent plutôt que d'avoir la surprise de voir son compagnon de chambre penché au-dessus de lui, prêt à le bouffer parce qu'on avait pas fait assez attention.

« Alors peut-être qu'on devrait organiser une inspection au retour de chacun ? Pour s'assurer que tout le monde est en bonne santé. »

Elle ne se sentait pas à sa place. Quand une réunion avait été annoncée, Heather s'était crispée. Elle aurait voulu ne pas avoir à prendre part à tout ça. Entre les militaires et les civils, c'était la guerre. Et elle ne comprenait pas toutes ces réactions. Tout ce que voulait l'infirmière c'était de retrouver un semblant de vie normale. De se sentir en sécurité. Elle était encore traumatisée par ce qu'il s'était passée à la pharmacie. Elle n'en avait parlé à personne, de cet événement. Elle s'était réfugiée dans son silence et ses médicaments.

Et maintenant, Heather était au milieu de cette réunion. Son amie, Gemma, avait été élue leader en quelque sorte. Et bien qu'elle soit heureuse pour elle, l'ex-infirmière ne voulait pas prendre part à cette discussion, à ces demandes de changements et d'initiatives. Se réfugiant dans son silence à mesure que tout le monde prenait la parole, Heather gardait la tête baissée. Elle serra ses bras contre elle-même, nerveuse, tremblant légèrement. Elle avait beau avoir confiance en Gemma, Heather n'était pas certaine que le départ des militaires et le retrait de ceux restants soit une bonne idée. Elle regarda tour à tour ceux qui s'étaient exprimés, enviant leur assurance. Mais qui pourrait vouloir écouter et croire une bipolaire qui voit son traitement diminuer chaque jour ?

S'avançant timidement aux côtés de Gemma, elle affronta le regard de son amie et dit d'une voix murmurée :

"Je... Je veux juste que ce groupe soit en sécurité. Je ne sais pas si la perte des militaires est une bonne chose. Mais... Le plus important c'est notre survie. Je suis là depuis le début. Je ne veux pas que cet endroit se vide si on est pas capable d'assurer notre survie sans les militaires."

Heather espérait qu'elle ne se ferait pas lyncher. Elle ne prenait la défense de personne, c'est une simple constatation qu'elle vient d'énoncer. Se rapprochant de Gemma, elle serra doucement son bras, car c'était son amie la plus proche et elle espérait qu'elle comprendrait ses paroles.

Gemma avait encore du mal à croire la décision qui avait été prise quelques secondes plus tôt. Sans s'y attendre ou y être préparée, elle était passée de simple civile à leader. Tout ceci paraissait irréel, comme dans un rêve. Cependant, elle n'avait jamais rêvée de cette place. Et pourtant, le peu d'humanité qui lui restait avait resurgit et elle avait été incapable de refuser l'aide qu'on lui demandait. Elle ne pensait pas avoir ça en elle. Si on lui avait dit quelques jours plus tôt qu'elle endosserait ce rôle, Gemma ne l'aurait pas cru. Elle qui avait soif de vengeance, qui avait tout perdu et pensait au suicide se trouvait maintenant à la charge d'un groupe de personnes dont elle ignorait le nom pour la plupart. Comme ce William qui prit la parole et la sortit de ses pensées.
Celui-ci avança parmi les foules et parla d'une voix claire et haute pour se faire entendre. Il était nouveau à l'hôpital et ô joie, lui aussi était un militaire. Gemma remarqua la méfiance de certains membres quant à ce William du fait de son métier. Il semblait à l'aise, un peu trop peut-être. Il avait de bonnes idées pour renforcer la sécurité de l'hôpital ce qui ferait de lui une personne très utile. Cependant, Gemma se méfiait quelque peu des libertés qu'il semblait prendre. Comme lorsqu'il lui tapota l'épaule, comme s'ils se connaissaient depuis longtemps. La brune éloigna quelque peu son épaule n'étant pas à l'aise avec ce geste un peu trop amical à son goût. Elle ignorait si elle pouvait lui faire confiance mais Gemma savait qu'il allait falloir cerner le personnage avant toute chose. Il faut dire qu'une personne aussi souriante pouvait cacher des choses.
- Je vous remercie de votre offre. Vous pouvez en effet prendre en note ce qui sera dit au cours de cette réunion mais ensuite, vous devrez vous adresser à moi pour toute requête à moins que je ne désigne une personne à cette charge. dit-elle finalement au reste de l'assemblée.
Elle n'était pas habituée à porter ce rôle mais si elle voulait bien faire les choses, elle allait devoir se faire respecter. Malgré tout, elle se doutait que ce ne serait pas la même chose que de se faire respecter par ses anciens élèves. Le nouveau militaire remarqua alors les regards noirs que certains habitants lui jetaient. Il prit à nouveau la parole pour leur faire comprendre qu'en effet, ils étaient quatre à présent. Il ajouta qu'il y allait avoir du changement et que les choses devaient changer. Gemma se dit qu'elle se faisait peut-être une fausse idée mais cet homme laissait presque penser qu'il voulait prendre la direction. Elle décida donc de prendre à nouveau la parole, au risque de lui paraître désagréable.
- Mais ces uniformes ne veulent rien dire tant que je n'en aurais pas décidé autrement. Néanmoins, je prend en compte vos observations qui nous seront certainement utiles pour le futur.
En effet, si la méfiance s'était installé, Gemma ne voulait pas passer à côté d'observations et solutions qui pourraient être bénéfiques au groupe. Et si jamais ils n'arrivaient pas à s'entendre, ils discuteraient à part pour mettre les choses aux claires.
Ezra prit ensuite la parole. Gemma redouta quelque peu ce qu'il allait dire, sachant que la situation avec les militaires lui convenait. Elle comprenait parfaitement, il savait que malgré toutes les restrictions, il était plus en sécurité à l'hôpital qu'à l'extérieur. Et c'est d'ailleurs ce qu'il exprima au reste du groupe une nouvelle fois, ayant peur que ça ne devienne l'anarchie et qu'ils se croient tous permis. Certains montraient leurs désaccord et Gemma décida de calmer la situation.
- Je suis d'accord avec Ezra.
Certains la regardèrent avec étonnement, ne s'attendant pas à ce qu'elle défende ce point de vue.
- N'allez pas croire que je défend les actes de Toledo, je pense que vous avez tous été témoins des désaccord que j'ai eu avec lui. Cependant, Ezra a raison quand il parle de la sécurité que le colonel a pu vous garantir. Alors certes ses actions étaient très contraignantes mais au moins il vous a gardé en vie. Alors ne croyez pas qu'en m'ayant pour leader, toutes les anciennes règles s'envoleront.
Gemma sentait déjà des regards noirs sur elle. Si elle s'en prenait dés le premier jour, les prochains n'allaient pas être faciles.
- L'inspection que tu proposes est une bonne idée Ezra. Ce sera plus sûre. Aussi, je pense qu'avant de sortir, chaque personne devra obtenir l'autorisation, comme c'était déjà le cas. Je sais que je suis mal placée pour dire cela, mais cela restera ainsi. Ne croyez pas que nous vous emprisonnerons à l'hôpital comme c'était le cas avant mais si on ne vous juge pas apte à sortir et à survivre à l'extérieur, il faudra respecter notre choix.
C'est à ce moment là qu'intervint Maureen. Elle informa que c'était déjà une pratique par le passé et qu'en effet, tout le monde n'était pas apte à sortir à l'extérieur. Elle proposa alors de les former.
- J'y ai pensé moi aussi et je suis d'accord. Il faudra vous entraîner, tous. Au moins vous apprendre les premiers gestes pour se défendre. D'accord vous êtes en sécurité derrière ces murs mais si on venait à se faire attaquer, il faudra savoir se battre. Que ce soit contre des rôdeurs... ou d'autres survivants.
Gemma vit les regards apeurés de certains. Elle comprenait leur réaction, elle-même savait combien il était effrayant de s'en prendre à un autre être humain. Elle repensa au balafré... Qu'arriverait-il si l'hôpital était attaqué par un autre groupe de survivants aux mauvaises intentions? Ils devaient tous savoir se défendre pour survivre à une telle situation. C'était leur seule chance. Il n'y avait plus tous les militaires pour les défendre à présent.
Gemma se tourna alors vers Heather, sa seule amie, qui prit la parole faiblement. Celle-ci voulait juste que le groupe s'en sorte, quoi qu'il arrive. Elle voulait ce qu'il y avait de mieux pour tous. Gemma comprenait la détresse de son amie, cette dernière ne pouvait survivre à l'extérieur. Elle avait besoin que ce groupe fonctionne. Cela lui était vital. Gemma posa une main réconfortante sur l'épaule d'Heather puis se tourna vers l'assemblée.
- Nous voulons tous que ce groupe fonctionne et nous ferons tout notre possible pour que cela soit le cas. Il ne faudra pas vous attendre à ce que je fasse tout le boulot. Nous devrons tous agir et participer. J'ai besoin de chacun d'entre vous.

Les regards noirs et les mines méfiantes avaient déferlé avant qu'Ezra ne commence à parler, mais il tâcha d'ignorer ses réfractaires et d'exposer son point de vue jusqu'au bout, sans se ramollir. Qu'on lui lance des tomates si on le voulait, ce serait difficile de le faire changer d'avis. Il n'était pas pris d'une fièvre patriotique et n'entretenait pas de lien étroit avec les soldats encore en place, il était simplement comme tous les autres ici : habité par l'envie de vivre, coûte que coûte. Et si pour cela, il devait endormir ses instincts rebelles... C'était toujours mieux que de se faire dévorer les entrailles, non ?

Mais par chance, ceux qui n'approuvaient pas ses paroles savaient rester discrets et le jeune homme fut assez surpris de ne recevoir que des paroles désobligeantes de la part de Maureen. Les tensions avec la jeune femme étaient nombreuses depuis qu'on le voyait officiellement comme le petit toutou de Toledo, mais ça restait vivable et même en ce moment, elle était plutôt calme et polie, bien que désagréable, aussi le jeune homme ne s'en formalisa pas et se contenta de lever les yeux au ciel en retournant s'installer sur sa chaise quand la jeune femme l'informa que sa proposition était déjà mise en pratique. Sauf qu'elle oubliait que la moitié des gens présents dans cette pièce prenaient un malin plaisir à sortir en douce pour éviter de rendre des comptes aux militaires, il n'était donc pas à exclure qu'ils rentraient tout aussi discrètement dans l'enceinte de l'hôpital après leur petite balade. Et si ce genre de pratique continuait à l'avenir, il y avait fort à parier qu'un accident finirait par se produire. Tout ce que proposait Ezra, il le disait dans l'espoir que ce soit mieux accepté et surtout plus respecté maintenant qu'ils n'avaient plus l'excuse de ne pas vouloir se soumettre au Colonel.

Le plus étonnant, ce fut sans doute d'entendre Heather et Gemma l'approuver, plus ou moins dans ces termes. Comme quoi, il passait beaucoup de temps à dire tout haut ce que sans doute d'autres pensaient tout bas. Vivre avec des règles strictes n'était pas une partie de plaisir tous les jours, mais au moins, ça maintenait tout le monde en vie !

« Si tu permets, Gemma, j'ai une question. » reprit Ezra maintenant que tout le monde semblait d'accord. « Tu dis « nous » depuis tout à l'heure, tu as l'intention de te choisir des généraux pour t'épauler dans tout ça ? » Il n'avait rien à redire contre le fait que chacun apprenne à se défendre, ils étaient plus d'un à en avoir besoin ici, lui le premier, même si l'idée de tuer l'une de ces créatures le mettait toujours un peu mal à l'aise. Il restait bien plus intéressé par la manière dont les choses allaient changer à l'hôpital dans les faits et à qui il faudrait rendre des comptes désormais.

Tout le monde était là, à poser des questions. A se référer à Gemma, d'ores et déjà. Et elle, elle ne faisait rien. Elle continuait de croiser les bras, de se frotter discrètement les bras pour tâcher de calmer son anxiété. Son regard était fuyant, aussi bien vis-à-vis des militaires que des autres, que les "civils" comme diraient les hommes armés justement. Heather pouvait sentir les regards noirs, voir les sourcils se froncer, les mines se crisper à chaque nouvelle intervention.

Heather sursauta légèrement quand Gemma posa la main sur son épaule, alors même qu'elle était à l'origine de ce contact physique. Néanmoins la main ferme, assurée mais douce de son amie eut le don de la calmer légèrement. Son corps se détendit quelques instants avant que la parole ne reprenne de toute part. Serrant les lèvres pour ne rien dire, l'ex infirmière laissait chacun s'exprimer, écoutant d'une oreille distraite. Les seules qui lui importaient étaient celle de la nouvellement élue Leader, les autres l'intéressaient peu. Non pas qu'elle se fichait de ce qui pouvait bien se dire ou même de ces gens qu'elle avait croisé voire soigné à plusieurs reprises. Mais elle réservait sa confiance à son amie, les autres n'étant que des personnes avec qui elle avait dû s'accommoder jusque là.

L'ex-taularde ferma les yeux quelques instants, dodelinant de la tête, cachée derrière ses cheveux, en position figée. Dans sa tête, malgré elle, les pensées tourbillonnaient. Ses mains recommencèrent leur mouvement frénétique, se frottant en dessous des manches, à nouveau nerveuse et inquiète. Elle n'avait pas peur non. Elle était juste... concernée peut-être. Par beaucoup de choses. Mais la survie était tout ce qui comptait maintenant, et la survie en pleine apocalypse n'avait jusque là pas beaucoup apporté à Heather, qui se revoyait encore prisonnière des mains de cet homme... Rouvrant les yeux en secouant la tête, Heath' tenta de se reprendre et de suivre les échanges. Tristement, elle songeait que la parole d'une bipolaire, d'une ancienne-prisonnière, d'une femme recluse dans un hôpital depuis presque le début de la catastrophe n'allait pas compter. Qui pourrait jamais la prendre au sérieux, quand elle-même se méprisait ? Alors, haussant les épaules, osant à peine croiser le regard de Gemma, elle se contenta de souffler du bout des lèvres :

"J'imagine que je ne serais pas très utile pour t'aider Gemma... Alors, je vous laisse décider de tout ça. Je suis juste une infirmière après tout, ça me va très bien comme ça. Je... je pense."

Si Gemma ne s'était pas entendue avec Toledo, elle avait malgré tout toujours compris une grande partie des règles qu'il avait imposé. Quoi que l'on puisse dire, il avait tout fait pour assurer la sécurité des civils au risque de les soumettre à plusieurs contraintes. Bien entendu, elle n'avait pas été d'accord avec tout, comme la plupart. Au point de transgresser les règles pour son propre intérêt. Maintenant qu'elle était leader, elle comprenait encore mieux pourquoi tous deux ne s'appréciaient pas. Gemma n'en avait fait qu'à sa tête quand Toledo, lui, pensait à sa sécurité. Peu importe qu'elle lui casse les burnes ou non. Et pourtant, il lui avait été impossible de voir le bon côté du colonel alors qu'elle était aveuglée par sa soif de vengeance. Elle avait eu l'impression qu'il l'empêchait d'accomplir sa mission, la seule chose qui la tenait encore en vie alors.
Cela allait être son rôle à présent. Interdire certaines choses pour passer la sécurité de la personne avant toute chose au risque que cette dernière ne la comprenne pas, ou ne veuille pas la comprendre. Il allait falloir raisonner et argumenter pour se faire respecter. Cela n'allait pas être facile. Gemma avait su se faire respecter lorsqu'elle était professeur, gagnant le respect et la confiance de ses élèves mais un groupe de survivants en apocalypse était une toute autre chose que des classes d'adolescents rebelles. La vie des survivants étaient en jeu à présent et chaque décision qu'elle prendrait devrait être longuement réfléchie. Alors peut-être qu'elle aurait le mauvais rôle et qu'elle ne serait pas appréciée par tous, comme tout leader, mais elle était contrainte de faire avec et d'avancer malgré tout. Passer la sécurité de tous avant toute chose, peu importe les conséquences.
Néanmoins, à la différence de Toledo, Gemma n'avait pas une armée de militaires sous ses commandements. Et même si elle en avait possédé une, elle tenait à connaitre les avis de tous. Chacun devait y mettre du sien pour faire tenir se groupe. Ainsi, Gemma écouta attentivement la nouvelle proposition du dernier militaire arrivé sur place, William.
- C'est une bonne idée. Et ça nous permettra aussi de voir qui est le mieux placé pour s'occuper de tel ou tel poste. Et pour les fortifications, j'aimerais effectivement en parler avec vous. Vos idées sur la question m'intéresse.
Si elle avait eu une mauvaise impression sur ce William à leur rencontre quelques minutes plus tôt, Gemma était néanmoins intéressée par ces connaissances qui leur seraient très utiles à ne pas en douter. Elle se tourna alors vers Ezra qui lui posa une question dont la réponse semblait attendue par tous. Gemma réfléchit quelques secondes en silence puis y répondit :
- Je pense oui. Comme je l'ai dit, je ne peux pas tout faire seule et certains auront donc plus de responsabilités que d'autres. Petterson m'a proposé quelques minutes plus tôt de continuer à assurer la sécurité du groupe. Si nous nous mettons d'accord, il pourrait prendre en charge la sécurité. Mais quand je dis nous, je vous inclue tous aussi. Je le répète, chacun aura son rôle à jouer dans cette communauté. Vous devrez tous vous impliquer, sans exceptions.
Fini les jours où ils attendaient que le temps passent.
La leader se tourna alors vers son amie qui ne se pensait pas utile à ce groupe. Avec un sourire assuré et rassurant, Gemma prit de nouveau la parole.
- Au contraire Heather. Tu nous es importante en raison de tes connaissances médicales. Tu pourrais être à la charge de l'infirmerie et apprendre à ceux qui le désirent tes connaissances pour qu'ils puissent t'apporter de l'aide.
Gemma reposa son regard sur l'assemblée en face d'elle.
- D'autres questions ou sujets qu'on aurait oublié d'aborder?
Le groupe garda le silence, les sujets importants ayant tous été abordés semblait-il. Le reste, elle ne doutait pas qu'on viendrait lui en toucher un mot plus tard.
- Bien. N'hésitez pas à venir me voir s'il y a quoi que ce soit.
Ainsi elle était vraiment leader. Elle avait encore du mal à réaliser mais cela viendrait petit à petit. La survie de toutes ces personnes qui, pour la plupart, étaient encore des inconnus à ses yeux, serait sa première préoccupation à présent. Et bien que pendant des mois elle ne pensait pas pouvoir se préoccuper d'autre chose que de sa vengeance, Gemma réalisait qu'aujourd'hui déjà, sa rage avait diminué. Laissant sa part d'humanité refaire surface petit à petit, alors qu'elle pensait l'avoir perdue.