Tenir jusqu’à la fin de la journée avec ce mal de tête carabiné n’a pas été chose aisée, et pourtant, j’ai tenu bon, jusqu’à la fin de l’éternel show du samedi soir. Quand les tribunes ont commencé à se vider peu à peu, que j’ai constaté qu’il n’y avait aucun blessé, et que mon travail de la journée était donc terminé, je n’ai plus pensé qu’à une seule chose : notre lit, et mon empressement à m’étaler dessus. J’ai donc trouvé Isha, ou peut-être était-ce l’inverse, et après un dernier baiser, nous sommes partis chacun de notre côté, moi vers la chambre pour un repos bien mérité, et lui vers la taverne, pour fêter son combat du soir, avec la promesse que nous nous retrouverions plus tard.

Je me suis donc couchée sans traîner après un bon débarbouillage, et il ne m’a pas fallu plus de quelques instants pour m’endormir, preuve que cette journée a été plus qu’éreintante. J’ignore l’heure qu’il est exactement quand un frisson me tire à moitié de mon sommeil, et par réflexe, je tends le bras vers la place d’Isha, pour venir me coller contre lui, et puiser dans sa chaleur. Pourtant, là où d’ordinaire ma main aurait trouvé son bras, ou son torse, mes doigts se referment à cet instant sur le vide, ce qui ne manque pas de me tirer totalement de mon sommeil. Je me tourne vers la place du brun, et étouffe un cri quand je distingue une silhouette debout au pied du lit. Comme si j’avais le diable au cul, je sors du lit comme une furie et me jette presque sur l’interrupteur de ma lampe de chevet pour éclairer la chambre. Et mon cœur manque un battement, avant que je ferme brièvement les yeux. La dernière fois que quelqu’un s’est tenu de la sorte devant moi, c’était Joshua, débarqué en pleine nuit armé d’un couteau, pour proférer ses douces menaces. Je crois que le traumatisme est toujours bien palpable.

Pourtant, ce soir, ce n’est pas Joshua qui est venu perturber mon sommeil, mais son fils, qui me fixe avec un drôle d’air. Je le regarde en fronçant les sourcils, tandis que je prononce doucement son prénom. Pourquoi est-ce que ses fringues sont tâchées de sang ? Ce n’est qu’en m’approchant de lui que son visage sort totalement de l’ombre, et que je peux voir les hématomes et blessures sur son visage. « -Qu’est ce qui s’est passé ? Tu t’es battu ? » J’attrape doucement son menton entre deux doigts, et le penche délicatement, pour mieux jauger des dégâts subis. Ce n’est pas joli joli, mais honnêtement, Isha m’a déjà habituée à pire.

Isha n'a pas besoin de le dire avec des mots pour que je vois à l'expression de son visage qu'il n'est pas très emballé par l'idée de quitter le bain, ni même de me laisser soigner ses blessures. Et pourtant, il ne tarde pas à se relever, m'aidant à en faire de même, et on quitte la baignoire en en mettant autant à côté que d'habitude. J'attrape une serviette dans laquelle je m'emballe rapidement, avant d'éponger doucement le corps du brun, ce qui me permet de pouvoir localiser tous les endroits qui vont avoir besoin de mon attention. Quand il me demande si les soins ne peuvent pas attendre demain, j'affiche un air désapprobateur, et le rudoie gentiment : « -Absolument pas, jeune homme. Va t'asseoir sur le lit, j'arrive. »

Et je le laisse quelques secondes pour aller chercher des compresses et de quoi désinfecter dans le placard près du lavabo. Et tandis que je m'applique à nettoyer ses nombreuses plaies en douceur, Isha me relance sur le sujet des militaires, ce qui me fait froncer les sourcils. J'espère qu'ils ne vont pas devenir sa nouvelle obsession, parce que j'ai l'impression que ces militaires pourraient rimer avec gros ennuis pour lui, et que vraiment, on a déjà eu notre lot d'ennuis en tout genre. Je prends quelques secondes pour réfléchir réellement à sa question, avant de hausser les épaules. « -Je n'aurai pas de chiffres précis à te donner, mais...disons que tu peux pas passer à côté de leur présence dans le camp. Ils sont assez nombreux en tout cas. Pourquoi ça t'inquiète ? » Parce que oui, ça m'inquiète moi aussi que ça l'inquiète à ce point. Je reste à observer son visage marqué quelques secondes, avant d'imbiber une nouvelle compresse pour la passer sur ses blessures, pestant à voix haute. « -Rah, il me faudrait un bidon d'un litre pour nettoyer tout ça ! » D'accord, j'exagère peut-être un peu, mais à peine, et c'est sans doute surtout l'angoisse qui parle, alors que je l'entends encore me demander de vérifier qu'il n'a pas été mordu.

Il me faut quelques secondes pour laisser la peur refluer une nouvelle fois, et me laisser redevenir maîtresse de mes émotions, une sacrée paire de manches en ce moment. Mais Isha va bien, du moins il ne va pas mourir, et j'imagine que c'est déjà une sacrée victoire. Je prends sur moi, et en même temps une longue inspiration quand je vois les marques rouges laissées sur son torse, son dos, et ses hanches par sa cotte de mailles, en luttant pour ne pas penser à ce qui a du les provoquer. « -Et oui, ton nom de famille est bien Cornwell. Et je te jure, Isha Cornwell que si tu rentres encore un jour à la maison en me demandant de vérifier que tu n'as pas été mordu, je t'étripe moi-même ! » Je l'ai attrapé par le menton pendant que je parlais, sans geste brusque pour éviter toute douleur non nécessaire, et soulève sa tête pour pouvoir plonger mes yeux dans les siens, et lui montrer à quel point je suis sérieuse concernant mes menaces. Je solde mes paroles par un baiser un peu dur sur ses lèvres, avant d'aller jeter les innombrables compresses à la poubelle, et ranger la bouteille de désinfectant à sa place. « -Tu risques d'avoir sacrément mal les jours à venir, mais tout devrait finir par rentrer dans l'ordre... »

Les jours suivants ce que je préfère qualifier de petit incident, face au drame qui aurait pu arriver, n’ont pas vraiment été de tout repos. Je n’ai quasiment pas dormi, trop occupée que j’étais à veiller sur Isha, et à angoisser sur son état de santé. L’infirmerie s’est passée de moi pendant de longues, longues heures, sauf cas d’extrême urgence, et je n’ai quasiment pas quitté la chambre, Marley s’occupant de faire le relai entre le reste de l’arène et moi. Elle m’a apporté à manger, du linge, des produits de l’infirmerie, et surtout sa présence, qui a été un gros soutien au plus dur de cet épisode.

Isha a été…méconnaissable. Si on enlève la fièvre, la sueur qui a inondé notre lit, je crois que je vais avoir beaucoup de mal à effacer de ma mémoire ses cris de bête blessée, le fait de le voir se tortiller de douleur, ou délirer complètement. Dire que je n’ai pas compris la moitié de ce qu’il baragouinait n’est pas un euphémisme, mais je ne suis pas sûre qu’il y ai réellement quelque chose à comprendre dans ses paroles vu l’état dans lequel il était. La fièvre a baissé depuis hier, mais il reste dans un état léthargique qui me fait paniquer au possible. Marley m’a aidé à rapprocher un lourd fauteuil du lit, mon camp de base pour rester proche de lui, et pouvoir le surveiller.

Il fait nuit noire dehors, et je viens tout juste de poser un nouveau linge trempé d’eau fraiche sur le front d’Isha, quand il semble émerger tout à coup. Je viens m’assoir sur le bord du lit, et pose ma main sur son torse pour qu’il évite de se redresser. « -Isha, reste couché…il faut y aller doucement. » J’attends qu’il ai fini d’observer la chambre, lui laisse le temps qu’il faut, avant de caresser doucement sa joue. « -Comment tu te sens ? »

En meilleure forme qu’aujourd’hui, oui clairement, ça ne fait aucun doute. Je me contente pourtant de répondre un simple « hm », avant de récupérer le linge que j’avais mis sur son front un peu plus tôt. Quand son humour, ou ce qui s’y ressemble le plus, revient au triple galop, je lève les yeux au ciel, et lui répond du tac au tac : « -La douche attendra que tu reprennes des forces. Tu veux manger, ou boire quelque chose ? »

Il finit par rouvrir les yeux, et me poser cette vaste question du « qu’est-ce qu’il s’est passé ? » Je reste à l’observer quelques secondes en fronçant le nez, avant de hausser les épaules. « -Je pense que c’est le coup que tu t’es pris sur la tête il y a quelques jours. Tu as dû avoir une commotion cérébrale. » Je me penche en avant, et à l’aide d’une petite lampe de poche, j’observe ses yeux. Ses pupilles ne sont pas dilatées, et répondent au flux de lumière qu’elles viennent de recevoir. « -Tu es passé par quelques sales jours, mais ça a l’air d’aller mieux. Ta fièvre est tombée. » Et mon angoisse également, par la même occasion. Dire qu’il m’a fait deux très grosses frayeurs en moins d’une semaine ne serait pas exagéré du tout.

Oui, il a l’air d’aller vraiment mieux, et je ne saurai dire à quel point cela me rassure. Je crois que le plus dur est vraiment derrière nous cette fois-ci. J’ai à peine le temps de poser la lampe sur la table de chevet que je sens les mains d’Isha sur ma taille, m’attirant contre lui. Je me laisse faire volontiers, me collant contre son torse, avant de me laisser aller à un baiser dans le cou. « -Un mètre ? Ça ne me laisse pas beaucoup de marche de manœuvre. Mais il doit rester sur la table du pain de mon repas de hier soir, et un peu d’eau… » Mais encore faudrait-il qu’il desserre son emprise sur ma taille pour que je puisse aller les chercher.

Je reste immobile contre lui quelques instants, avant de redresser la tête pour pouvoir l’observer quand il reprend la parole. Je sens bien qu’il tente de faire de l’humour, mais qu’une part de vérité se cache derrière ses propos malgré tout. Et je refuse qu’il s’en veuille pour mon manque de sommeil. Je suis l’infirmière de cette arène, et je veille toujours sur mes patients, surtout quand il s’agit de ce patient-là. Aussi, je lui réponds avec sérieux bien rapidement : « -Je peux pas le larguer…je l’ai trop dans la peau. » Littéralement parlant même, si on pense à la bosse sous mon vêtement. Je reste contre lui quelques secondes de plus, avant de repenser à ses paroles. « -Toi aussi tu as besoin de te reposer…mais d’abord, dis-moi de quoi tu veux parler. » Parce que peut-être que ça m’inquiète un petit peu plus que ce que je veux bien le montrer.

Je fronce les sourcils à sa remarque, avant de secouer vivement la tête : « -Oh non, crois-moi, vu comme tu t’agitais, tu es loin de t’être reposé pendant ces quelques jours. C’est même tout le contraire. » Vu ses cris, ses plaintes, ses sursauts dans le lit, ses combats acharnés contre lui-même, je peux dire sans me tromper que je suis certaine qu’il est au moins autant crevé que moi, si ce n’est pas plus. « -Et si tu me crois pas, on a un miroir là-bas, je peux te l’apporter pour que tu puisses voir ta sale tronche ! » Et je lui lance un sourire amusé. Avec ses traits tirés et les marques violacées sous ses yeux, il ne pourra plus douter de mes propos comme ça.

Sa nouvelle remarque me fait rire malgré moi, et même s’il n’y met pas les mots exacts, ses allusions, mais surtout son regard, me font parfaitement comprendre ce à quoi il pense. Je n’arrive même pas à le regarder avec un air désapprobateur, incapable de ravaler le sourire que j’ai sur les lèvres. « -Ok Don Juan…pense d’abord à reprendre des forces, d’accord ? Tu tiendras pas mon rythme sinon ! » Je le taquine, bien sûr, même si dans le fond, je pense ce que je dis. Vu les sales jours qu’il vient de passer, mieux vaut y aller mollo pour l’instant. Et puis…on a toute la vie pour combler cette faim de l’autre qu’on ressent en permanence, non ?

Je suis tirée de mes pensées par sa main qui part à la conquête de mon ventre, et il se montre aussi délicat que s’il avait peur de nous briser en deux, le bébé et moi. Je ne cherche pas à l’interrompre dans sa manœuvre, me contentant de le regarder en fronçant légèrement les sourcils. C’est moi, ou il a l’air…perturbé ? Bébé répond à son contact par une floppée de petits coups qui ont l’air de surprendre Isha. Ce n’est pourtant pas la première fois qu’il assiste à ce phénomène. Je hoche la tête à ses paroles, tandis que je quitte doucement son étreinte, puis le lit. « -Un peu trop en forme à mon goût, si tu veux mon avis. Y’a eu un vrai match de boxe là-dedans cette nuit ! » Et pendant que je parle, je vais jusqu’à la table de la chambre, qui n’est pas très loin du canapé, emportant avec moi ce qu’il reste d’une miche de pain, autant dire suffisamment pour caler Isha, et plus de la moitié d’une bouteille d’eau. Manger quand le père de votre enfant semble à l’article de la mort se révèle assez…compliqué. Je reviens auprès du lit, et lui tend tout ça avec un petit sourire : « -Tu vois, j’ai été tellement rapide que tu ne m’as même pas vu partir ! » Je m’installe sur ce fauteuil que j’ai rapproché de notre lit pour le veiller, pour le laisser manger tranquillement. « -Tu veux que je te coule un bain pendant que tu manges ? Les douches me paraissent être bien loin… »