Il avait fallu à Joey d'attendre que Dean se rende à Fort Hope pour pouvoir faire le trajet avec lui et ses gorilles, condition imposée par Isha, qui stressait comme un fou de laisser sa famille quitter l'arène. Il avait fait la route avec elles, aussi loin qu'il l'avait pu, mais sans pouvoir se rapprocher trop du camp à cause des militaires, et de la menace qu'ils semblaient représenter pour le jeune homme. Puis, après un dernier baiser, et un regard anxieux, il avait laissé Joséphine et Gemma filer, non sans s'être laissé dire au moins une bonne dizaine de fois que tout se passerait très bien, et qu'il retrouverait ses deux femmes à la fin de la journée.

Et c'est ainsi que les deux Desrosiers étaient arrivées à Fort Hope, Gemma lovée contre sa mère dans une écharpe de portage, enveloppée dans la veste en cuir d'Isha, que la brune avait revêtu pour la journée. La pompier n'avait pas mit longtemps à se rendre chez Aaron, l'objet premier de sa visite dans ce camp, lui qui l'avait accueilli des mois plus tôt, quand le gladiateur avait disparu et qu'elle avait compris d'où venaient ces étranges sensations éprouvées par son corps. Cet endroit où elle avait trouvé refuge, chez ce meilleur ami qui était toujours là pour elle, quoi qu'il arrive. Joey ne tarda donc pas à sonner à la porte de la maison d'Aaron, attendant avec impatience de le voir. Elle avait l'impression que cela faisait une éternité qu'ils ne s'étaient pas vus, et c'était peut-être le cas après tout, puisque lors des dernières semaines de sa grossesse, Joséphine avait rarement quitté l'arène.

Ce fut d'un large sourire qu'elle accueilli le jeune homme qui vint lui ouvrir la porte, tandis qu'elle s'avançait rapidement vers lui pour le serrer contre elle, du moins autant qu'elle le pouvait avec le petit nourrisson entre eux. Les deux amis gagnèrent le salon, tandis que Joey quittait la veste d'Isha, et défaisait les bandeaux du porte-bébé pour libérer sa fille endormie. Elle la prit dans ses bras précautionneusement, avant de s'approcher du brun. « -Je suis vraiment contente de te voir ! Et je te présente Gemma. Est-ce que tu veux la prendre ? » Elle lui adressa un doux sourire tendant les bras vers le jeune maître chien, prête à y déposer son bébé.

Que dire, que faire, si ce n’est attendre et admettre mon impatience. J’ai pris ma journée, afin de veiller sur Joey et de pouvoir passer un peu de temps en sa compagnie. L’accueillir convenablement, prendre soin d’elle et de la petite merveille qu’elle m’apporte. Elle vient me rendre visite, escortée depuis l’arène par Dean, ce type blond et carrément étrange selon moi. Son visage m’était familier, mais sans plus. Quand on m’a appris qu’il était une grosse star de cinéma, je me suis retrouvé bien surpris. Déjà parce qu’en effet, je me souvenais finalement de certains de ses films et ensuite, parce que la plupart des survivants qu’on croise aujourd’hui, sont, avaient ou ont, une personne avec eux, quelqu’un avec un métier du style militaire, flic, pompier ou autre, qui les a aidé et qui leur a appris la survie de base. Vivre dans un monde comme celui-ci, n’est pas l’œuvre de la chance mais bien d’un long travail acharné et effroyable. Alors lui, je suppose qu’il a été bien protégé au début de l’épidémie de par sa renom. Et qu’aujourd’hui encore, sa survie tient à ses escortes, que beaucoup mériteraient bien plus que lui. Mais qui suis-je pour juger ? Après tout, il me ramène Joey ici saine et sauve et c’est finalement, tout ce qui m’intéresse vraiment.

Je trépigne d’impatience, installé dans mon canapé, peinant à me concentrer sur mon livre et finalement, Shadow se redresse et aboie, quelques secondes seulement avant que quelqu’un ne frappe. Je me lève vite et file ouvrir à la brunette, la serrant contre moi avec à la fois, fermeté et douceur. Je souris largement, avant qu’elle ne commence à faire les présentations. Mon regard brille d’émerveillement devant un être si petit. Je ne connais pas avec exactitude quand elle a accouché, mais vu la taille du nourrisson, et ses petits mouvements incontrôlés même quand elle dort, cela semble tout frais. Joey me propose de la prendre, me tendant le petit être minuscule. Sans trop d’hésitation, je place mes bras, recueillant son petit corps contre mon torse, soutenant sa tête d’une main sûr et ferme.

- Oh ça alors… Il ne pèse rien ce petit bébé. Qu’elle est mignonne… C’est fou, elle te ressemble déjà…

Je n’ai d’instinct, eu aucune crainte. Sans vraiment me poser de questions ou même m’inquiéter, je garde le petit ange contre moi. Même si mon regard est rivé sur le jeune nouveau-né, mon ouïe est toute offerte à sa jolie maman.

- Tu n’es pas trop fatigué dis ? Elle est née récemment je crois bien non ?  Tu dois être fatiguée, viens, allons-nous asseoir. Je l’entraine vers mon canapé et sourit avec amusement. Fatiguée mais soulagée je paris. Je n’imagine pas comme la poitrine alourdie de lait et le bébé au terme d’une grossesse doivent être lourds. J’espère qu’Isha s’est bien occupé de toi ? Il doit être aussi inquiet que je l’ai été pour toi, et que je l’aurais été avec un tel trésor sur le point d’entrer dans ma vie.

La jeune femme esquissa un léger sourire en voyant l’air émerveillé qui se peignait sur le visage d’Aaron, le même que celui qu’exprimait quasi quotidiennement celui d’Isha, à chaque fois qu’il s’occupait de leur fille. Doucement, le bébé passa des bras de sa mère à celui de son tonton Ronron, qui aurait sans aucun doute une place de choix dans la vie de la petite gamine. C’était presque amusant de voir avec quel sérieux Aaron se positionnait, alors que la pompier n’eut même pas à lui donner le moindre conseil pour qu’il porte l’enfant au mieux. Joey laissa un léger rire quitter ses lèvres à la remarque de son meilleur ami, tandis qu’elle lui répondait, presque aussitôt. « -C’est aussi l’une des premières choses que j’ai dite après sa naissance. A quel point je la trouvais minuscule ! »

Joséphine n’était pas certaine de se reconnaître en Gemma, mais elle trouvait la remarque mignonne, et le sourire sur son visage ne s’estompa pas, tandis qu’elle hochait de la tête, acceptant la proposition de s’asseoir. C’est vrai qu’elle était assez fatiguée, les nuits étaient courtes et parfois agitées, mais Isha veillait en général à ce qu’elle puisse se reposer au maximum, pour éviter d’accumuler trop de fatigue. Joey se débarrassa donc de ses chaussures, et s’installa en tailleur sur ce canapé qui l’avait accueillie pendant de longues heures quelques mois plus tôt. Elle écouta les questions d’Aaron, avant de hocher doucement de la tête. « -Gemma est née le 7 octobre. Ça n’a pas été une franche partie de plaisir, mais bon…elle va bien, je vais bien aussi, et franchement…je demandais pas mieux. » Elle lui passa les moments de peur intense ces quelques heures qu’avait duré l’accouchement, la douleur qu’elle avait ressentie, l’incertitude qui la rongeait sur le sort qui allait leur être réservé, au bébé et à elle.

La brune observa pendant quelques secondes le visage endormi du bébé, qui n’était absolument pas gêné du fait d’être dans des bras pour l’instant inconnus. Joey n’avait jamais imaginé qu’elle serait mère un jour, et pourtant, il fallait dire qu’elle avait toujours plutôt eu la fibre avec les enfants, ce qui avait toujours été très utile au cours de ses interventions. Et d’un coup, Isha était entré dans son quotidien, et sans qu’elle ne voie rien venir, Gemma n’avait pas tardé à en faire de même. C’était sans doute l’une de ces choses étranges que réservait parfois la vie. « -Et Isha est…tout simplement parfait. On dirait que c’est inné chez lui, c’est assez fou. Il assure vraiment…aussi bien avec elle, qu’avec moi. Je suis pas certaine que j’y arriverais sans lui… » Son sourire vacilla quelques instants, et manqua de se faner face aux aveux de la jeune femme, mais pourtant, il tint bon, sans que Joey sache très bien comment. La jeune femme resta silencieuse quelques instants, avant de demander à son tour : « -Et toi alors, comment ça va depuis tout ce temps sans se voir ? »

Comment qualifier en cet instant ce que je ressens. Tenir sa petite fille contre moi, après toutes les épreuves traversées pour en arriver là. La perte de l’un de mes doigts, est le plus gros gage de ce que Joey et moi avons en commun dans nos passés respectifs. Il m’est impossible d’envisager être à un quelconque autre endroit à cet instant. Rien en ce monde, ne pourrait me sembler plus beau que ça. Ce petit trésor, la belle petite fille qu’a fabriquée ma plus chère amie. Je me mords la lèvre, imaginant comme cet enfant aurait pu grandir dans un monde cent fois meilleur. Pourtant, je n’ai aucune crainte. Je sais qu’avec Joey, Isha et moi, cette enfant aura toutes les cartes en main pour survivre comme une chef s’il devait un jour nous arriver malheur. Je me fais déjà de multiples films, ou cette petite chose serait adolescente, ou adulte. L’emmener chasser, lui apprendre à tirer, à se battre, à affronter le monde extérieur sans encombres. Rien ne serait plus beau que ça, qu’elle puisse s’en sortir comme une chef. Comme sa mère.

- Je suis soulagé d’entendre toutes ces belles nouvelles. Vraiment. Je suis heureux pour toi Joey.

Soudain, son attention se reporte sur moi. J’aurais aimé qu’on continu à parler de son bel enfant plutôt que de ma solitude chronique. Je soupir un peu, voulant ce l’abus révélateur un minimum discret, sans que je ne puisse vraiment le retenir.

- Hm. Disons simplement qu’il n’y a pas grand-chose de neuf de ma part tu sais. Y a beaucoup de morts à déplorer autour de moi et comme je ne sors pas, je ne fréquente que les gens d’ici. Et encore, j’admets que je préfère travailler que de socialiser en ce moment, tu vois ?

Je tente malgré tout un doux sourire désolé. On ne peut pas dire que ça soit très réjouissant, ni déprimant. Disons seulement qu’il s’agit d’une nouvelle assez banal, et vu mon calme, elle devait bien se douter que ma vie n’était pas très palpitante. Pourtant je ne m’en plains pas, car d’un point de vue extérieur et objectif, il s’agit de la situation la plus stable que j’ai pu avoir jusqu’ici.

- Honnêtement, je le vie pas si mal. Après tout, je n’ai juste aucune mauvaise nouvelle ou bonne nouvelle supplémentaire à t’apprendre. C’est décevant pas vrai ? Peut-être que je devrais te rendre visite à l’arène et voir ces fameux combats. C’est palpitant au moins ?

A bien y réfléchir, ça pourrait être intéressant. Voir, ou plutôt participer, serait challengeant ? Loin de moi l’idée de me suicider. Il doit bien y avoir des combats avec peu de risques. Toujours aussi doux dans mes gestes, mon sourire renaît et je l'observe avec douceur.

- Tu veux la reprendre contre toi ?

Joséphine laissa échapper un long bâillement, avant de fixer le petit nez de sa fille, qui dormait paisiblement contre Aaron. Elle semblait tellement fragile à cet instant, si petite aussi, contre le large torse du maître-chien.  La brune adressa un sourire à son meilleur ami quand il lui parla de toutes ces bonnes nouvelles qu’elle venait de lui communiquer. Evidemment, dans des cas comme celui-ci, lors de la naissance d’un enfant, ce qui était généralement perçu comme un heureux événement, il n’était coutume de ne parler que des choses agréables. Personne ne parlait des choses difficiles, des crises de larmes interminables du bébé, de sa mère au bord de la crise de nerfs face à son incapacité à calmer sa propre fille. Peu évoquaient les doutes mordants qui pouvaient vous saisir, à toute heure du jour ou de la nuit, sur à peu près tout, de sa capacité à être parent, à celle d’être capable de protéger ce petit être envers et contre tout.

Finalement, parler d’Aaron lui donnait l’occasion de changer de sujet, ce qui convenait parfaitement à Joséphine. Elle observa son ami, tandis qu’il lui expliquait qu’il ne se passait rien de bien extraordinaire dans sa vie en ce moment. « -Le banal, c’est bien aussi tu sais…je ne serai pas contre un peu de tranquillité… » Elle lui adressa un nouveau sourire, se disant qu’effectivement, elle ne serait pas contre un peu de normalité. Même si clairement, ces derniers temps, les choses allaient bien mieux, notamment à l’arène, où elle n’avait plus à craindre la présence de Joshua. La brune ne put en revanche s’empêcher de grimacer quand Aaron parla des combats de l’arène, qui attiraient pas mal de monde de Détroit, ou ses environs. A croire que la violence et la dureté de leur vie actuelle ne leur suffisait plus, et qu’ils avaient besoin d’encore plus de sang, et de tripes. « -C’est…dangereux. Et stupide. » dit-elle d’une voix un peu dure, avant de pousser un soupir. Elle resta silencieuse quelques instants, essayant de revoir son jugement, et surtout sa réponse hâtive. Mais dans le fond, pour Joey, l’arène ne se résumait qu’à cela. Aux combats qui y prenaient place, et à la violence gratuite dans les lieux. « -Je ne suis pas certaine que ça te plairait. C’est…disons que j’ai du mal à comprendre que certaines personnes puissent cautionner le combat d’un homme contre des rôdeurs, ou face à d’autres survivants tout autant désespérés, pour une bouchée de pain. Et Sam…le dirigeant de l’arène, il profite de leur détresse. C’est à gerber… » Bon…le deuxième jet de réponse n’était pas forcément plus doux. Mais Joséphine le pensait. Elle ne restait à l’arène que parce que c’était un endroit où Isha se sentait bien, et qu’elle ne voulait plus être séparée de lui.

Quand il lui proposa de reprendre sa fille, Joey se redressa légèrement, avisant les traits détendus de la gamine, puis elle secoua négativement la tête. « -Non, elle a l’air bien dans tes bras. Ne prenons pas le risque de la réveiller. » Même si clairement, elle avait le sommeil plutôt lourd en journée. Joséphine regarda sa fille encore quelques secondes, avant de se racler doucement la gorge. « -Aaron… » Elle s’arrêta presque aussitôt, ne sachant pas exactement comment formuler ce qu’elle avait derrière la tête, elle qui préférait éviter de tomber dans le pathétique et le larmoyant. « -Tu…tu sais que je tiens énormément à toi, et que je te considère comme un membre à part entière de ma famille, comme le frère que j’ai jamais eu. Et…si…s’il nous arrivait quelque chose, à Isha ou à moi…hum…je voudrais que ce soit toi qui élèves Gemma pour nous. Donc…euh…si tu acceptes, bien sûr…je, enfin on aimerait que tu sois son parrain. »

Je ne voulais pas inquiéter Joey en parlant de l’arène, j’étais juste curieux et je me demandais si cela apporterait à ma vie, un certain piment. Mais d’après ce qu’elle semblait m’expliquer, cela ne m’apporterait rien d’autre que du danger. J’espérais un truc un peu challengeant, un peu de jeu, de stratégie, mais avec ses quelques phrases, je comprends que la belle jeune maman, a un avis bien arrêté sur la chose. Je me vois mal aller à l’encontre de ses pensées, juste pour ressentir un petit frisson d’excitation. D’autant que telle que je la connais, elle me tuerait de ses mains si je venais à être blessé et qu’elle doive elle-même me soigner. Aussi, j’abandonne vite l’idée. Je me reconcentre sur le petit bout de choux qui se trouve dans mes bras, tout en continuant à prêter l’oreille à sa courageuse maman.

Soudain, Joey attire toute mon inquiétude. Elle me fixe avec un air très solennel, prononce mon prénom. Les mots qui suivent, resteront dans ma tête pendant des années, surement tout autant que la fois où Anja a accepté d’être ma femme, ou quand mon frère a annoncé partir. Joey me demande avec douceur, si j’accepterai d’être le parrain de son petit trésor. La surprise et la joie me prennent à la gorge, mes yeux clignent plusieurs fois de suites, comme pour vérifier être bien réveillé. Je pousse un petit soupir rapide et très sec, être estomaqué serait ma définition.

- Joey merde… ce n’était pas prévu ça ! Isha… sera d’accord ? Il ne m’aime pas trop.

Je ris doucement, avant de secouer la tête activement.

- Tant pis s’il n’est pas content, si tu demandes c’est que pour toi, c’est important. Et pour moi, ça serait franchement parfait à mes yeux. Un véritable honneur et plaisir.

Je me perds aussitôt, complètement ailleurs dans mes pensées. Cette nouvelle tombe à merveille, moi qui disais que je n’avais rien de bien, ni de mal à raconter et ce soir grâce à elle, j’ai quelque chose de merveilleux à raconter. Moi qui ne parle pas à grand monde, j’ai envie d’arrêter tous les passants de Fort Hope pour leur raconter cette belle petite histoire et leur présenter la petite merveille qui partagera à jamais ma vie en tant que filleul. Mais soyons francs, hormis les proches, tout le monde se fiche bien de l’arrivée d’un bébé. Les connaissances qui viennent d’avoir un enfant, étaient autrefois les pires amis à avoir sur les réseaux sociaux. Aujourd’hui au moins, avec notre étrange époque, cette merveilleuse nouvelle ne sera partagée qu’avec les personnes qui prendront soin de Gemma pour tout le reste de sa vie.

- T’as raison. Le banal est beau. Des milliards de bébés ont vus le jour sur cette planète et malgré tout, je trouve que c’est beau et extraordinaire. Tu es belle, et extraordinaire. Honnêtement, j’aurais toujours cru être papa avant toi, j’aurais adoré avoir des enfants… Mais je trouve que c’est bien, que tu en ai. Tu as peur et c’est normal, mais tu seras incroyable comme maman.

Mon regard se fige sur elle alors que je finis par sourire.

- A bien réfléchir, si. Y a quelque chose de neuf. Je réfléchis de plus en plus, à me rapprocher d'Anja. Essayer de rebâtir quelque chose avec elle.

Même si la jeune femme savait parfaitement que son meilleur ami accepterait sans hésiter d’être le parrain de sa fille, Joey ressentait malgré tout une sorte de pression à l’idée de poser cette question. C’était ridicule, elle le savait bien, mais le stress était pourtant bien là, s’agitant sous sa cage thoracique. Elle fixa donc Aaron avec un peu d’appréhension, mais la réaction de ce dernier la rassura bien rapidement, tandis qu’un fin sourire naissait sur le visage de Joséphine, et détendait ses traits. Si c’était parfait pour lui, elle ne demandait pas mieux, même si elle ne tarda pas à préciser : « -Isha est d’accord, ne t’en fais pas. Et c’est vrai, c’est important pour moi. Je ne vois pas de meilleure personne pour prendre soin de ma fille si on est plus là pour le faire nous-même… »

Au moins, la nouvelle avait l’air de lui faire plaisir, et cela rassurait Joey, qui couva un instant du regard le parrain et sa petite filleule. Lorsque le couple avait abordé ce sujet de conversation pour la première fois, ils n’étaient pas vraiment d’accord. Isha n’avait jamais eu ni parrain, ni marraine, et ne voyait pas forcément l’intérêt pour Gemma d’en avoir à son tour, surtout dans ce nouveau monde. Pour Joséphine, c’était surtout à cause de ce nouveau monde qu’il lui semblait nécessaire que leur bébé ai des personnes sur qui compter si ses parents venaient à mourir. Il fallait être lucide, le danger se cachait à chaque coin de rue, ils avaient failli y passer, l’un comme l’autre, un nombre incalculable de fois, et Isha n’était jamais à l’abri de se prendre un mauvais coup, celui de trop, au cours d’un combat. Elle non plus n’avait jamais eu de parrain et de marraine sur qui compter, mais elle voulait que Gemma puisse en avoir, elle. Et la personne adéquate lui était tout de suite venue à l’esprit.

La brune quitta rapidement ses pensées quand Aaron reprit la parole, alors qu’elle le retrouvait bien dans ses propos, doux et rêveur comme il l’était. Elle hocha la tête avec conviction, avant de hausser les épaules. « -Tu sais…moi aussi je pensais que tu aurais des enfants avant moi. Enfin…tu sais ce que je pensais du fait d’avoir des enfants avant. Si on m’avait dit, autrefois, qu’un jour j’aurai Gemma, j’aurai rigolé à m’en décrocher la mâchoire. Et pourtant, elle est là, aujourd’hui… » Comme quoi, la vie se moquait royalement des désirs et des aspirations de chacun. De là à savoir si elle serait réellement une mère aussi incroyable que le dépeignait Aaron, elle n’était sûre de rien, elle qui avait tant de mal à prendre ses marques dans ce nouveau rôle qui était le sien. Elle espérait simplement que le temps ferait son œuvre, et qu’elle serait un jour aussi à l’aise avec Gemma que l’était Isha.

En revanche, la brune ne s’était certainement pas attendue à ce que son meilleur ami lui parle subitement de son ex-fiancée, qui vivait juste dans la maison d’à-côté. Elle fronça les sourcils, avant d’en hausser un subitement face à ses paroles. « -Anja…Anja…la seule Anja que moi je connaisse, c’est ça ? » C’était purement rhétorique, bien sûr, ce prénom ne courait pas les rues, et elle doutait qu’il puisse y avoir une seconde Anja dans le coin. Rien qu’une, c’était déjà bien suffisant. Et puis, il parlait de rebâtir avec elle, cela voulait tout dire. « -T’as vraiment envie de te relancer là-dedans ? T’as besoin que je te rappelle comment ça s’est fini la dernière fois ? » Elle fronça de nouveau les sourcils, vraiment peu emballée à l’idée que son meilleur ami offre de nouveau son cœur en pâture à cette nana qu’elle ne portait pas vraiment dans son cœur.

Que dire de cette nouvelle somptueuse. Non pas Joey qui me propose d’être paraît, mais plutôt son information, qui m’explique que Isha serait soi-disant d’accord avec ça ? On dit que devenir père, en change n’importe quel homme et aujourd’hui en particulier, je veux bien le croire. La seule fois où j’avais pu rencontrer cet homme, il ne m’avait lancé qu’une horrible impression, mais s’il rendait heureux Joey, vraiment heureuse et qu’il avait réussis à la convaincre d’avoir un enfant, je ne pouvais pas renier son existence indéfiniment. Bien au contraire, je devais admettre que finalement, c’était plutôt beau joueur de sa part.

Finalement, j’en viens à annoncer ma nouvelle, l’idée saugrenue que j’ai en tête, à savoir retenter ma chance avec Anja. C’est avec un petit sourire en coin que j'attends la réaction de la brune, me rappelant sans mal de la réaction qu’elle avait eu autrefois en apprenant tout ceci. La rupture soudaine, mon cœur brisé en mille morceaux… Je ne lui en veux pas du tout, de ne pas aimer Anja, après tout, je lui en ai voulu pendant longtemps moi-même. Et si quelqu’un avait autant fait souffrir Joey que j’avais pu avoir mal, je n’aurais pas donné cher de sa peau non plus. Joey fait donc ce constat, cherchant à s’assurer que c’est bien la Anja qu’elle pense, puis me donne son opinion, aussi prévisible que possible.

- Je sais tout ça Joey.

Je me réinstalle plus confortablement dans le canapé, gardant le petit être tout contre moi.

- Mais bon, t’as raison ce n’est pas comparable. Le père de Anja t’as pas pris en otage pour te couper un doigt hein ?

Ceci n’est pas un vrai reproche, bien au contraire, je parle de cette expérience avec un grand sourire rieur et taquin à son égard. Après tout, on s’en est sorti indemne et moi, j’ai une fausse histoire à raconter à chaque fois qu’on me le demande.

- T’en fais pas, je reste prudent. C’est juste que j’aie réfléchis. Et… Je suis devenu un docil chien de garde ici. Je fais attention à la sécurité du camp, j’ai repris ma routine de militaire à savoir, tout dans le boulot et rien dans la vie personnelle. Anja est comme moi. On a un passé commun, aussi joyeux que douloureux et même si j’ignore encore pourquoi elle a fui, je me rends compte chaque fois que je croise son regard qu’elle a un genre… Regret. Je ne saurais pas dire si c’est un regret sur la fin de notre histoire, sur la manière dont c’est arrivé ou si c’est parce qu’il y a quelque chose qu’elle ne m’a pas dit, en revanche. Mais je sens que quelque chose à mon sujet la torture depuis tout ce temps. De plus… Je pense qu’on n’a pas fini quelque chose. Notre histoire ne devait pas avoir son point final à cette époque.

Je me tourne vers elle avec un large sourire attentif et franc.

- Mais ça m’intéresse vraiment, d’avoir ton avis Joey. Tu penses vraiment que c’est si dangereux que ça ? Moi au contraire, je pense que ça me rendrait probablement heureux... On était complice, dans la vie et au lit, on était franc, surtout elle et j’adorais cuisiner pour elle, histoire d’éviter l’empoisonnement pour moi.

Retenter sa chance avec Anja…On pouvait dire que Joey ne s’était certainement pas attendue à cette nouvelle-là. Elle observa avec attention son meilleur ami, comme pour essayer de voir s’il n’était pas tout simplement en train de se moquer d’elle, mais elle dû rapidement se rendre à l’évidence. Aaron était tout ce qu’il y avait de plus sérieux. Elle ne put s’empêcher de le toiser d’un regard noir quand il évoqua cet épisode traumatisant de Joshua qui était tombé sur eux en pleine sortie, et qui les avait attachés à une chaise pour mieux les torturer. Si le militaire évoquait manifestement cela avec humour, et un sourire sur le visage, ce ne fut pas du tout le cas de Joey, qui se renfrogna même un peu. Elle n’avait toujours pas digéré ce qui était arrivé à son meilleur ami par sa faute, lui qui s’était fait amputer d’un doigt des mains de ce foutu père Cornwell.

Néanmoins, et même si elle s’était un peu refermée à l’évocation de ce souvenir brutal, elle écouta chacun des mots prononcés par son meilleur ami, qui lui expliquait les raisons pour lesquelles il voulait retenter sa chance avec Anja. Joséphine pinça les lèvres fortement l’une contre l’autre pour éviter de dire quoi que ce soit face aux arguments avancés par son meilleur ami. Elle espérait bien que la petite flic avait des regrets, elle espérait même que ses regrets la poursuivaient jusque dans ses songes, la nuit. La pompier avait bien essayé de comprendre pourquoi Anja avait quitté Aaron, elle lui était tombée dessus plus d’une fois à l’hôpital, les fois où elles se croisaient dans le cadre de leurs boulots, ou allant même jusqu’à l’attendre à la sortie de son commissariat. Mais la policière n’avait jamais lâché la moindre information, pas la moindre explication. Et Joey ne le comprenait pas. Même si elle semblait s’être renfermée sur elle-même peu à peu après le décès de ses parents, ce qu’Aaron lui avait confirmé, elle avait pourtant semblé heureuse avec lui malgré tout, Joey l’avait vu de ses propres yeux. Et du jour au lendemain…elle était simplement partie, laissant son fiancé seul, et sans explication. Et ça, la brune ne pouvait l’oublier ou l’excuser. Pas comme Aaron, qui semblait, lui, avoir tourné la page, et pardonné à son ex.

Joey ne pouvait en tout cas pas passer à côté de la conviction qui suintait des mots d’Aaron, qui semblait croire, dur comme fer, que son histoire avec Anja était encore en cours d’écriture. Et quand il demanda son avis à la jeune femme, celle-ci ne put s’empêcher de soupirer, gardant cependant le silence un long moment, comme si elle réfléchissait réellement au sujet. Même son petit trait d’humour ne parvint pas à dérider la jeune femme. « -Franchement…j’en sais rien, Aaron. Pour moi, elle restera toujours la nana qui t’as brisé le cœur, et qui s’est barrée comme une voleuse après des années de vie commune, sans même te dire pourquoi elle prenait cette décision. » Son ton était dur, et pourtant, elle ne mentait pas. Elle voyait vraiment Anja comme une lâche qui avait fui, et cette image dominait au point qu’elle en oubliait les années où Aaron et elle avaient été vraiment heureux, et s’étaient aimés. Joséphine soupira une nouvelle fois, avant de tourner son visage vers son ami. « -Mais…si tu penses qu’elle peut te rendre heureux…ça vaut peut-être le coup d’essayer… » Elle haussa les épaules, fixant un long moment Aaron, avant de reprendre soudain, en levant l’index. « -Tu la préviendras quand même que si elle merde encore avec toi, je serai nettement moins sympa que la dernière fois ! » Et pourtant, à l’époque déjà, Joey n’avait pas été un amour. Elle observa encore Aaron quelques secondes, son expression se radoucissant considérablement : « -Ne la laisse pas te broyer le cœur une nouvelle fois, d’accord ? »

Joey est inquiète, et je la comprends. Ma question était sincère, son avis me tenait à cœur même si je suis presque sûr de malgré tout tenter la chose avec Anja. La belle brune me manque et même si j’ignore réellement le fond de sa pensée, je la connais bien assez pour savoir que si elle ne voulait vraiment plus rien avoir à faire avec moi, elle me l’aurait bien clairement exprimé. Que ce soit avec ses palabres tranchantes ou avec un geste physique plus que compréhensif. Aussi, c’est avec douceur que j’écoute ce que Joey me rétorque. Après tout, je comprends parfaitement son point de vue et je sais que si elle me parlait aujourd’hui de reconquérir un type qui l’avait fait souffrir, je me serais montré bien réticent moi aussi. Joey ne veut que mon bonheur c’est évident, et comment lui en vouloir après tout ? Je la laisse m’expliquer son point de vue et étonnement, elle ne me donne qu’une seule phrase bien précise en défaveur de mon idée. Elle m’explique qu’à ses yeux, sa faute à mon égare n’a pas encore était pardonnée. Mais elle m’explique que si je suis sûr de mon coup, que ça pourrait me rendre heureux, pourquoi pas essayer ceci ? Un fin sourire se dessine sur mes lèvres, quand elle menace de ne pas se montrer aussi gentille que la première fois, si Anja vient à me blesser, une seconde fois. A bien y repenser, à retourner la chose dans ma tête, je ne me souviens pas qu’elle ai été gentille avec Anja la dernière fois. Pourtant, je ne lui fais pas remarquer, au contraire, ça me fait plaisir de l’entendre. D’autant que Joey, même si elle ne veut pas l’admettre, n’est pas aussi différente d’Anja qu’elle le voudrait sur certains points.

- Tu es sans conteste, la meilleure amie dont tout le monde pourrait rêver.

Je lui adresse un petit clin d’œil, avant de repositionner le petit bout de choux contre moi.

- Je te jure que je serai prudent. Vraiment. Mais je t’assure, que j’en ai envie, et besoin. Je sens que je pourrai vivre un super truc avec Anja. Elle a changé, comme moi. Tant en bien qu’en mal vu tout ce qu’il s’est passé, mais franchement, je suis heureux. Elle m’a l’air plus réfléchie et plus mature. Plus blessée aussi, mais c’est ce qui je pense, pourrait la rendre plus attentive. J’ai changé aussi, je suis moins détendu, plus fermé, un poil plus aigri aussi. Mais malgré ça, je sais qu’elle saurait m’apporter sur long terme, ce dont j’ai besoin. Et moi je pourrai m’occuper d’elle aussi, et l’aider à se reconstruire après toutes les pertes qu’elle a subie récemment. Rien ne me ferait plus plaisir.

Je souris finalement et murmure avec douceur.

- Bébé semble plutôt bien. Moi j’aimerais savoir si maman, aurait pas un peu faim, ou si elle n’aurait pas elle aussi un peu sommeil ? T’as vécu un accouchement récent.. Il est temps mademoiselle, de se reposer un peu après ton voyage jusqu’ici.

Avec douceur, je transfère sa fille dans ses bras, avant de me consacrer à Joey, et à elle uniquement. Un bon repas ravira ses papilles et une bonne sieste lui fera sans aucun doute grand bien. C’est la mission du parrain non ? S’occuper du bébé pour que les parents se reposent.