Aujourd’hui, est un grand jour. Grâce à Will, j’ai décidé de sortir en solo, pour la première fois depuis très longtemps. Autre fois, sortir seul était interdit, Logan préférait privilégier les binômes et c’était normal. Mais à l’heure actuelle, si on bat tendrement des cils et qu’on jure partir dans la zone nettoyée, il est probable de pouvoir quitter les lieux, si on a une arme sur soi et qu’on signe le registre. Aussi, après un peu de négociation avec le garde à l’entrée, je signe, et je sors. Malheureusement, je ne suis pas vraiment fane des mensonges. Mais aujourd’hui, j’ai envie de prendre un petit risque. Voilà trop longtemps que je vis dans la peur, plusieurs mois que je m’inquiète de ce qui se trouve dehors. Pourtant, jusqu’à rejoindre Fort Hope, j’ai vécu seule et solitaire pendant longtemps, dans un monde qui n’avait pas été nettoyé du tout par les militaires et qui comportait un grand nombre de petits groupes brutaux et rebelles. Aujourd’hui, les choses sont plus calmes. Toujours dangereuses, mais bien plus calmes.

Aussi, je prends la route de la zone non nettoyée et même si j’ai bien conscience être pour l’instant dans un endroit pratiquement sûr, je reste néanmoins sur mes gardes. Me voilà attentive, me voilà un poil sûr de moi. C’est un net progrès que j’effectue là, et je suis d’autant plus fière de l’effectuer seule. Ma fidèle machette est bien serrée, au creux de ma main. Je suis prête à être obligée de m’en servir, même si la quasi-totalité de mon voyage s’effectue dans un calme apaisant et sincère, un silence à peine dérangé par la nature. Alors que je marche, les bruits des oiseaux résonnent. Je n’aurais jamais cru trouver la ville plus belle, maintenant que des arbres avaient dévorés ce qu’il reste de bitume. La nature a clairement repris ses droits et quoi qu’on en dise, quoi qu’on en pense, à titre personnelle je trouve ce spectacle d’une rare beauté.

A mesure que j’approche de la zone à risque, les bruits de nature s'apaisent un peu, les animaux sont moins présents. Croiser mon premier mort vivant, me ferait presque sourire. Voici une éternité que je n’en avais plus croisé et finalement, ce n’est pas vraiment eux qui me font peur, mais plutôt les survivants. Je l’esquive avec soin et après avoir continué un certain temps ma marche, je tombe sur une maison, plutôt jolie. Même si elle est délabrée et que ses fenêtres sont barricadés, je trouve l’endroit très intéressant et assez beau. Aucun mort vivant à l’horizon et de toute façon, vu leur vitesse de croisière, j’aurais probablement fini de fouiller le lieu avant que l’un d’eux n’approche d’ici ou même ne songe à rentrer. Aussi, je pousse la porte, que je laisse ouverte. C’est certes un risque, car quelqu’un pourrait rentrer mais c’est aussi une assurance pour moi, de pouvoir fuir. A peine rentrée, que je tourne la tête sur ma droite. Une petite porte fragile se tient là, il ne me faut pas plus de deux petits coups d’épaules pour réussir à l’ouvrir. Une cave. Je n’aime pas trop ça, aucun survivant n’aime vraiment ça, car c’est généralement le premier endroit où les premiers infectés ont été enfermés par leur famille, pour les garder en sécurité par exemple.

Pourtant, aucun bruit ne se fait entendre. Je descends donc, et je commence à fouiller, ravi de voir que l’endroit n’a pas été trop visité. Cette pièce de la maison, en tout cas. Les boîtes de piles ou de munitions sont vides, les étagères où les ronds de poussière indiquent qu’il y avait des conserves sont vides, mais il y a encore des équipements plus communs, des vêtements, des jouets, quelques livres poussiéreux… Mais je n’ai pas le temps de fouiller. Du bruit, le parquet craquant sous des pas se fait entendre. Paniquée, je regarde autour de moi. Un ski ? Non, c’est ridicule. Un long tuyau rouillé attire mon attention et je m’en saisi rapidement. Avec douceur et discrétion, je monte les marches. J’ouvre doucement la porte de la cave, que j’avais elle en l'occurrence poussée derrière moi et je me retrouve au salon. Un homme est là, tête posée sur la table. Je brandi mon tuyau.

- T’es quelqu’un de dangereux ou un truc comme ça ?

Ma question est ridicule. Quelqu’un de dangereux ne prétendrait pas l’être évidemment. Mais sous la panique, je dis un peu ce qui me passe par le crâne. Je perds facilement mon sang froid face aux autres survivants maintenant. Alors que les morts-vivants, qui sont statistiquement plus dangereux, me font bien moins peurs.

- Je n’ai pas envie de me battre saches le, et j’ai rien d’intéressant sur moi que tu pourrais me voler, ok ?

Je me rends compte qu’avec mon tuyau, je ne paye pas de mine. Alors qu’avec ma machette, se trouvant à ma ceinture, j’aurais surement fait plus d’effet. Pourtant, je garde le tuyau bien en main. J’entends à travers la porte les gargouillis des rôdeurs. Ce type est venu pour se cacher ?

Peut-être avait-il posé sa tête contre la table, parce qu’il avait été mordu et qu’il se rendait compte qu’il allait se transformer ? Peut-être était-ce pour une autre raison ? Mon pauvre esprit tourmenté tourne à mille à l’heure, je suis terrifiée à l’idée de tomber sur un autre fou dangereux… Aussi, je préfère essayer de ne pas penser de trop. Face à ma question sur la dangerosité qu’il pourrait représenter, le type se met à rire. Je ne sais pas si je suis censée m’en inquiéter ou au contraire, me détendre, mais je me crispe inévitablement. Il prononce quelques phrases et je ne peux m’empêcher de me sentir idiote. Evidemment, il a remarqué pour le tuyau et pour l’arme. Ce qui me crispe un peu, c’est sa demande. Un sourire ? Serait-ce de la drague ? Une tentative de me séduire pour mieux me berner ? Mais encore une fois, je freine mes pensées. Je ne dois plus voir le mal partout, mon traumatisme est derrière moi, je ne dois plus y songer et encore moins projeter ce monstre sur tous les survivants que je rencontre.

- Oui… t’as raison pour le tuyau.

Je capitule, et bloque la porte au mieux, m’assurant que le tuyau est bien en place. Je me retourne vers lui, sans pour autant sortir mon arme, je pose la paume sur ma machette. L’air assez tendu, le visage inquiet et voulant paraître assez ferme, je marmonne avec calme quelques mots.

- Moi c’est Azia. Et toi ? Désolée, je veux pas être méchante. Je suis un peu sous pression, c’est tout. Tu ne risques rien de moi… Sauf si tu m’attaques !

J’approche doucement, juste histoire de m’éloigner de la porte. Je reste à bonne distance de lui, au moins deux bonnes foulées en sprint, histoire d’avoir le temps de fuir ou de dégainer s’il a l’intention de me charger. Je regarde autour de nous, pour être bien sûr que tout est sécurisé, mais je ne m’inquiète pas de ça. Ceux qui vivaient ici, ont complètement barricadés les lieux, personnes ne peut passer aux fenêtres, et seuls certains carreaux ne sont pas encombrés, laissant filtrer assez de lumière pour que l’on se voit assez clairement tous deux.

- Tu joues pas trop dans la discrétion pas vraie ? J’ai réussis à venir ici sans attirer l’attention, les gargouillements que j’entends dehors c’est toi qu’ils cherchent je parie. Tu ne t’es pas fait mordre au moins, parce que tu n’as pas l’air en grande forme.

Loin de moi l’idée de lui dire qu’il a une sale tête, mais il a l’air fatigué. Au moins aussi ravi que moi d’être dehors. Serait-il un solitaire, comme j’ai pu l’être aussi par le passé ?

Ce type est un peu bizarre, et à bien y réfléchir finalement, il semble aussi en forme que moi. Enfin, mes blessures sont surtout mentales, lui il semblerait que la douleur soit établie sur les deux niveaux ; physiques et mentales. Du moins, c’est ce dont j’ai l’impression. Doucement, je me redresse, écoutant les présentations. Vaughn. C’est assez atypique, je crois bien ne jamais en avoir rencontré. C’est le geste qui suit qui me surprend davantage, lorsqu’il se saisit de son épée et qu’il me la laisse aux pieds. L’incompréhension se lit sur mon visage. Après ce que j’ai vécu dehors, je n’imagine même plus me débarrasser de mon unique arme, une seule seconde. Je continue de l’écouter avec attention, sans trop bouger. Il me parle de l’arène, il me parle de ses multiples contusions, me montre ses mains… Un frisson d’horreur parcours mon corps, sans pourtant que je ne comprenne tout. Je ne connais pas grand-chose de l’arène. Doucement, je réponds à son invitation. Je ramasse son arme et je m’avance vers la table. Je dépose avec délicatesse sur cette dernière, son tanto, avant de le pousser vers lui, du bout de mes doigts graciles.

- On ne se connait pas encore… S’il te plait, garde ton seul moyen de défense avec toi, t’en sépare jamais. A voir ton état, t’as l’air de t’attirer des ennuis de temps à autres.

Je ne le juge pas le moins du monde, je suis malheureusement pareille. Je pousse un doux soupir, abaissant mes épaules avec lenteur. Je me calme peu à peu, me rendant bien compte que l’homme avec qui je suis, n’est pas un danger pour moi.

- Je ne connais pas vraiment l’arène, pour tout te dire… C’est juste ma deuxième sortie en plusieurs longs mois. Moi aussi, j’ai eu quelques problèmes, je compatis à la douleur que tu sembles afficher.

Avec douceur, je souris faiblement... Non pas un sourire de pitié, mais bel et bien de compassion. Je croise doucement les bras et appuie mes coudes sur la table.

- Je ne suis plus vraiment à la page de ce qu’il se passe hors des murs… Si tu en as envie, j’aimerais bien que tu me parles de ton groupe. Je connais le mien, un peu par cœur et je voudrais savoir ce qu’il se passe au-delà des murs. Mais… S’ils sont méchants, que tu n’as pas envie d’en parler, on peut trouver autre chose. Ce n’est pas les sujets qui doivent manquer.

Et à moins d’avoir envie de s’ennuyer jusqu’à ce que le cortège dehors se mette à courir après un autre écureuil, nous allons devoir nous tenir compagnie. Autant que cela puisse être intéressant, non ? Je me retourne vers la porte, surveillant d'un air attentive. Ce n'est pas qu'un tuyau que j'aurais dû installer, mais peut-être en plus une chaise ou un balai...

Je l’écoute avec attention, assez contente d’avoir un petit récit de la part de quelqu’un qui est extérieur au fort. Ce qui me plait un peu moins, c’est sa petite leçon de morale sur les dangers extérieurs.

- Je connais parfaitement les risques extérieurs, j’y ai été exposée longuement. Je sais qu’une arme ne change rien à la donne parfois, mais malgré tout. Ça reste un atout en plus… Ta remarque ne… me plait pas trop. Je pense qu’on sait tous les deux comment affronter l’extérieur à notre façon.

Je souris finement, loin de moi l’idée de l’énerver ou de lui provoquer, j’avais juste envie de dire ce que je pensais de sa vision de la chose. A priori, avec ou sans armes, on s’est pris un beau retour de flamme du destin il semblerait, alors… changer de sujet sera surement la meilleure chose à faire. Je repense à ce qu’il a dit sur l’arène, l’endroit me semble être absolument affreux vu le tableau qu’il m’en dépeint. Mais s’il reste là-bas alors que comme il l’a signalé, il connaît le fort, c’est qu’il doit avoir ses propres raisons, que je n’ai ni à juger, ni à commenter. Si les survivants sont en paix avec leurs choix, je ne peux que les y encourager ! Finalement, l’ancienne Azia semble revenir peu à peu. Je me sens calme, à l’écoute, incapable de porter un jugement négatif sur les autres… Rester sur ses gardes est primordial. Mais je me sens bien en sa compagnie, même s’il n’a pas la langue dans sa poche non plus pour dire ce qu’il pense lui aussi.

- J’ai atterri à Fort Hope par un concours de circonstance assez désastreux. J’ai… Passé beaucoup de temps seule et ça me convenait, je rencontrai des petits groupes de gens très sympathique, des familles recomposées, j’entendais de belles histoires. Je rencontrai des gens malveillants aussi, mais je m’en sortirai toujours, jusqu’à la fois de trop, disons simplement.

Tant que je me contentai de ce récit doux et sans détails, je n’eus aucun flash de mon agression, aussi, je ne préfère pas pousser davantage la description, et préfère lui offrir un de mes nouveaux sourires francs et détendus. Parler de mon arrivée à Fort Hope, me remémore malgré tout, quelques souvenirs agréables.

- J’ai rejoint là-bas des amis, qui m’ont offert un magnifique cadeau, à savoir du bon matériel pour reprendre mon métier. Je me suis bien habillée, alors tu n’en vois aucun, mais j’ai beaucoup de tatouages partout, pour cause, j’étais tatoueuse autre fois. Aussi, j’offre des tatouages pour le plaisir à ceux qui le souhaitent. Dans le monde d’autrefois, je rencontrai beaucoup de gens qui voulaient des tatouages pour immortaliser certains passages de leurs passés, d’autres qui voulaient juste une décoration indélébile. Aujourd’hui, je suis assez contente de voir que j’ai la même clientèle malgré les drames actuels.

Je ne peux m’empêcher de sourire, encore.

- Et toi. Le bar dont tu me parles, entretenu par le bel homme que tu me vends, c’est ton bar c’est ça ? Même si l’arène n’a pas l’air de te plaire, t’aime ce rôle que t’as ?

Je souris avec finesse et amusement, quand il parle de peut-être un jour, sauter le pas de se faire tatouer. C’est quelque chose qui selon moi, pourrait aller à tout le monde et il existe tant de styles différents, que chaque personne serait à même de trouver le tatouage dont il rêve. Quelque chose de léger et doux, quelque chose de franc et de plus imposant, chacun peut choisir d’exprimer ses envies, sa nature de milles manières et c’est ce qui me plait dans mon art. L’idée de le tatouer, m’emballe complètement, mais je préfère pour l’heure, me concentrer sur autre chose, à savoir le reste de ses palabres et explications. Il me raconte son histoire, son vagabondage, je comprends rapidement quel chemin il a parcouru jusqu’ici grâce à ses explications. Puis finalement, il en revient à parler de mes tatouages et je souris avec douceur.

- C’est un beau parcours que tu as eu là, tu m’as l’air d’avoir parcouru beaucoup de trajet.

Doucement, je remonte ma manche le long de mon avant-bras.

- Je peux te montrer celui-ci, qui est le plus facile à exhiber et le moins intime. Evidemment, les tatouages que j’ai sur le corps ne sont pas de moi, ce sont de talentueux confrères qui me les ont faits.

Je lui expose alors ma merveilleuse manchette, cet assortiment floral noir, basé sur la totalité de mon poignet et remontant légèrement le long de mon bras. Il n’y a pas à dire, l’exposer aux yeux des yeux est toujours synonyme de fierté à mes yeux. Je frémis de plaisir, et lui sourit à nouveau.

- L’un de mes premiers, à vrai dire. La plupart des gens ne peuvent plus s’arrêter, une fois qu’ils ont commencé !

Je me reconcentre néanmoins sur la discussion qui tournait autour de l’arène. Je comprends parfaitement ce qu’il m’explique, vis à vis de sa mission, vis à vis de tout le reste. Je hoche la tête doucement, avec délicatesse.

- Tu es lié à l’arène en quelque sorte par ta mission c’est ça ? Je peux comprendre. mais je suis sûr que si tu n’y es pas bien du tout, rien ne t’empêcheras de trouver autre chose ! Fort Hope est pleins de gens formidables. Si un jour t’en as vraiment marre de l’arène, je suis sûr que le camp te trouvera une place.  

Je tends l’oreille, j’ai l’impression que les morts-vivants se calment et s'éloignent tour à tour. Avec un peu de chance, nous n’aurons plus à attendre bien longtemps pour être à nouveau libre.

La discussion avec lui, est assez plaisante, il faut bien l’admettre. Un petit sourire étire mes lèvres, alors que je reçois son compliment avec plaisir, suivie d’un petit clin d’œil complice et séducteur. Moi, jolie, d’après ses dires. Même si le compliment me met un peu en garde, son narrateur ne se cachant pas de me draguer je crois bien, je me détends bien vite. Il n’a pas l’air agressif, la discussion avec lui, est plutôt plaisante, agréable…. J’ai l’impression qu’il écoute vraiment ce que je dis, puisqu'il rebondit aisément sur mes paroles. Will, Elias, Lucy et Max, sont des gens que j’adore. Discuter avec eux, est toujours un réel plaisir. Mais je dois admettre, qu’après autant de temps passé à leurs côtés, et seulement aux leurs, je me sens tout de même libérée d’un poids à mesure que la discussion suit son cours. Ça fait du bien, de parler à quelqu'un que je ne connais pas, quelqu'un d’extérieur qui, même si je l’ai menacé avec un tuyau rouillé, continu de parler avec moi, d’une extrême bienveillance. Je sens petit à petit la tension qui m’habite, se relâcher et s’évacuer de mon corps. J’ai bien fait aujourd'hui, de me forcer à sortir.

Je ne suis pas très compliquée à faire voyager ou à stimuler. Ses simples mots, m’envoient efficacement les images en tête. La moto, la pipe, la canne à pêche et la cabane. Oui, dans une époque comme la nôtre, il n’est pas du tout ridicule de souhaiter ce genre de choses, quelque chose de calme, tranquille et surtout, sans l’ombre d’aucun souci. Je bois ses paroles, jusqu'à ce que d’une simple et habile réplique, il me renvoie la balle. J’échappe un petit rire, prenant le temps d’ordonner ma réponse en jouant de mes doigts fins sur la table.

- D'aucun trouverait mon rêve ridicule, mais tu viens de me parler d’une pipe et d’une canne à pêche, alors je pense que je peux me risquer à te raconter sans être raillée.

Je lui accorde un nouveau sourire. Décidément oui, c’est une belle journée.

- L’art n’est plus quelque chose de primordial aujourd'hui, tout le monde s’en fiche et c’est normal, ils pensent à leur survie. Pourtant, un jour j’aimerai beaucoup rouvrir un salon de tatouage. C’est idéaliste, évidemment… Mais quand même. J’aimerais trouver un bâtiment, barricader entièrement le bas. Le salon serait donc à l’étage et mon lieu de vie, à l’étage du dessus. On ne pourrait ainsi accéder au lieu, qu’à l’aide d’une échelle. Comme ça, je serai bien perchée et protégée. Aucun habitant hostile ne pourrait m’atteindre, et encore moins c’est horribles morts-vivants ! Les habitants qui voudraient un tatouage, n’auraient qu’à me payer avec de la nourriture, des vêtements, un sourire, n’importe quoi qui me permette de vivre correctement et non pas simplement, de survivre. Ça, ça serait chouette…

Pour un rêve, je note soudain qu’il est malgré tout très réfléchi… Je ne peux m’empêcher de sourire et reprends, en posant mon menton sur ma paume, le coude appuyé sur la table.

- Et j’aurais un chat aussi. Un gros matou farouche, ou un sphinx ridicule. Plutôt idéaliste, tous ces rêves, pas vrai ?

Plutôt stupide, d’autres m’auraient répondu...

La question de la durée de vie d’une encre, est une question intéressante. Heureusement pour moi, il existe des milliards de réponses à cette question.

- Comme dans beaucoup d’arts, il existe milles méthodes et milles outils. Ne t’inquiète pas pour ça, c’est ma passion, je trouverai toujours un moyen d’exercer !

Lorsqu’on sait que le tatouage est un art aussi vieux que les momies égypciennes et peut-être encore plus, et que certaines des premières encres étaient fabriquées avec de la suie et des fragments d’os, on peut assurer sans mal, que cet art n’est pas prêt de disparaître. C’est ce qui me fascine et c’est ce qui m’avait fait tomber dans cet art. Je n’ai pas beaucoup de talents ou de facultés dans l’art de la survie, du combat ou de la chasse. Mais si notre survie pouvait dépendre de la rapidité avec laquelle j’apprends quelque chose qui me passionne, je serai surement une survivante au moins aussi impressionnante que Logan. Malheureusement, j’ai tiré le mauvais dé et si l’on parle seulement des capacités physiques, je suis loin du compte. Finalement, il revient à la charge en me parlant de Fort Hope et surtout, de savoir comment et avec qui je vis. Intérieurement, je ne peux m’empêcher de sourire. Je peux le voir arriver, gros comme une maison, lorsqu’il me demande si j’habite avec un "mari" ou un "amant". Ça veut tout simplement dire, “est-ce que le champ est libre ?”

Heureusement pour lui, je ne veux pas vraiment le repousser. Et je peux même aller jusqu’à dire, que ça me fait un peu de bien. Non pas que je sois hypnotisée de ses charmes, mais il est attendrissant, il a un petit côté franc assez agréable. D’ailleurs, je note même qu’il n’a pas le traditionnel discours du survivant aigri qui en a marre de la vie, et même, qu’il est aussi utopiste que moi. Espérer avec un cabanon sur un lac, vivre tranquillement vu l’époque que nous traversons, relève effectivement d’un espoir certain. Même s’il n’est pas très subtil, j’admets, qu’il est séduisant. J’hésite un instant à prétendre avec un mari, voir une femme, avec trois enfants, histoire de noter ses réactions. Mais je préfère ne pas risquer de le voir partir en courant. Après tout, les morts-vivants rôdent encore…

- Je vis avec mon meilleur ami, en réalité. Je n’ai plus vraiment en vue ma famille de sang, comme beaucoup de gens aujourd’hui d’ailleurs.

Je souris avec finesse, me redressant en un mouvement délicat et lent, qui traduit facilement ma tranquillité d’esprit.

- Mais je pense à bouger, un jour. J’adore Fort Hope, j’adore mon meilleur ami, mais je sais qu’on peut trouver des choses surprenantes quand on se donne un peu la peine d’explorer. Prends en bas par exemple. L’endroit n’a pas été complètement fouillé, j’ai vu quelques affaires, des livres, des fringues, on peut aller fouiller si tu veux. On pourrait trouver des trucs sympas ! Et s’il n’y a rien… On prendra le bazar pour le jeter sur les morts-vivants. Avec un peu de chance, ils doivent être déjà tellement décomposés qu’un carton sur le crâne pourrait les décapiter.

Mon regard glisse sur lui, c’est vrai qu’il a l’air fatigué, mais je ne pense pas que descendre trois marches puissent vraiment l’épuiser.

- Qui sait, on pourrait te trouver une canne, avec une épée cachée dedans ? Comme dans les films d'action un peu cool. Ça pourrait te donner un petit style sympa.

Je le taquine avec le coup de la canne, mais j'espère qu'il ne le prendra pas mal. Il a cependant l'air beau joueur et je serai prête à parier, que ça ne le vexera pas vraiment, du moins je l'espère. Qui dit ancienne Azia qui revient, dit aussi maladresse...

L’idée de venir fouiller, semble lui plaire. Il se lève, mimant la difficulté du geste en faisant référence à ma blague précédente. Il fait mine d’être trop vieux, comme je l’avais prétendu et se dirige vers la cuisine. Je l’y accompagne, même si je doute qu’on y trouve grand chose. Je me mets à fouiller, ouvrant les placards, fouillant bien derrière chaque verre, derrière et dedans chaque boîte, mais il n’y a rien. Je me retourne alors vers Vaughn, pour sourire finement.

- La cave, je te disais qu’il y a encore pas mal de bazar. On trouvera sûrement plus de trucs intéressants ! Surement pas des vivres mais… Des objets utiles au moins.

Je me redresse, m’étirant doucement. Le temps passe, les rôdeurs font de moins en moins de bruits, il n’est pas impossible que je puisse bientôt reprendre la route, mais en attendant, continuer de fouiller ne pourra être que plus divertissant. Mes pas résonnent sur le parquet de plus en plus fragile à cause de années, tandis que je me dirige vers la dite cave. Je pousse délicatement la porte du bout des doigts, celle-ci ayant déjà été ouverte par mes soins en peu plus tôt dans la journée. Je descends ainsi donc les marches, une à une et je rejoins finalement, les caisses que j’avais quitté plus tôt. Trop tôt d’ailleurs, si bien que je n’avais pas eu le temps de les fouiller alors que j’avais vu des livres et je sais que Will adore les livres. Et je suis sûr qu’une maison non loin, peut-être même celle là, a gardé une malle avec des affaires pour enfants. C’est connu que les gens stockent tout un tas de ce genre de choses. Pour les souvenirs, pour le reste de la famille qui aura aussi un jour un bébé ou même pour la venue sous ce toit, d’un éventuel autre bambin.

Je descends donc les escaliers, m’avançant à nouveau dans cet endroit, que je n’avais pas pu explorer. Mes doigts glissent avec légèreté sur les étagères. Je souris avec finesse, imaginant la vie de ceux qui avaient autrefois pu vivre ici. Je finis par m’agenouiller devant une caisse et je souris.

- Je viens de trouver des livres. Ils sont plus en très bon état, mais je pense que ça fera plaisir à des gens que je connais. Tu trouves quelque chose de cool toi ? J'ai trouvé des trucs pour enfants, y a une peluche chouette, un petit lion, des vêtements et quelques bouquins.

Un livre de fables pour le petit Max, et un livre fantastique pour Will. J’aurais aimé trouver quelque chose pour Lucy et Elias aussi, mais je connais moins leurs goûts et je n’ai pour l’instant rien vu de vraiment alléchant…

Vaughn, attire mon attention en me tendant un jouet, qui ne marche plus, pour ainsi dire il n’a plus de pile. Mais il me le vend, en expliquant qu’il fera malgré tout surement plaisir à un gosse du fort et là-dessus, je suis plutôt d’accord avec lui. Je souris, m’en saisi et bien évidemment, je le remercie. Je ramènerai ce jouet avec les deux bouquins, ça sera ça de pris. Mon sac n’est pas vraiment vide, alors autant ne pas trop l’encombrer, si je venais à trouver d’autres choses plus intéressantes.

Je continu à observer et à fouiller avec minutie, concentrée. Je considère un peu Max comme un petit frère, je n’irai certainement et surtout pas, jamais parler de lui comme d’un fils. Mais j’ai envie de prendre soin de lui, de le chouchouter. Parfois, je me freine, j’ai peur de faire un transfère sur lui de ce que j’ai perdu, que Elias et Will n'interprètent pas bien l’amour que j’éprouve pour lui, mais je ne peux pas m’en empêcher bien longtemps. Je sens en moi un puissant instinct maternelle, j’ai envie de protéger ce petit et de lui apprendre milles choses variées. Plus jeune on apprend les choses et plus vite elles sont assimilées c’est bien connu. Aussi, lui apprendre à dessiner ou à jouer de la flûte de pan est toujours un vrai bonheur pour moi. Ce qui pourrait combler davantage mes plaisirs, seraient sûrement de pouvoir lui ramener quelque chose d’autre, qu’un livre volé. Quelque chose pour le rassurer, et lui apprendre par le jeu à se battre, comme les petits garçons à mon époque. Se battre avec des épées en bois, avec un arc de fortune construit avec un fil tendu et du bois jeune… Mais malheureusement, il ne s’agit là que de jouets, un peu plus commun. Je suis sûr que je finirai par lui trouver une fausse arme, pour qu’il puisse déjà s’amuser un peu et plus discrètement, assimiler ce que c’est, que de se battre. Même pour jouer. Après tout, les chiots apprennent les lois de la hiérarchie et de la vie ainsi, me semble-t-il ; en jouant avec leurs frères et sœurs. Soudain, Vaughn me tire de ma rêverie, avec une demande, que je trouve très déplacée. J’amorce un mouvement un peu brutal pour me redresser, surprise.

- Oh hé bien… C’est une question assez explicite et… déplacée. On ne se connait pas. Ce que je t’ai raconté c’est mon rêve, mais c’est tout ce que c’est et c’est tout ce que ça restera. Un rêve.

Sa demande me met aussitôt mal à l’aise, je retrouve dans sa technique de drague, le petit frisson d’angoisse qui m’avait couru l’échine lorsque ce monstre m’avait attaqué.

- Le prends pas mal… Mais je ne te connais pas du tout. Et… Par logique. Tout ce que tu m’as raconté sur toi est peut-être faux et c’est pareil pour moi. Il ne faut pas... Chercher à faire ce genre de choses si tôt.

Mon angoisse se traduit immédiatement, incapable de cacher ce que je pense. Je ramasse mon sac, le jetant sur mon dos.

- T’as trouvé une canne je vois. Elle est cool. On ne trouve pas grand-chose ici, on a qu’à remonter.

Il m’a mis mal à l’aise, mais en même temps, c’est chose aisée avec moi en ce moment et je m’en rends bien compte. Je suis devenue bien trouillarde, moi, la fille zen et souriante qui allait autre fois vers tous les survivants. Azia, la fille souriante et déterminée qui n’avait pas peur de grand-chose. Je me tends doucement, en évaluant une nouvelle fois dans ma tête, toutes les fois où j’avais été vraiment, beaucoup trop naïve. Une mise en danger certaine et surtout, permanente. Mon estomac se vrille presque immédiatement. J’ai été égorgée, j’ai survécu. J’ai été agressée par un malade et je suis encore là pour en parler également.  La vie a été douce avec quelqu’un comme moi. Une survivante, qui a eu à elle seule, plus de chance d’avoir survécu que d’autres, qui auraient franchement pu en profiter surement en étant bien plus productifs que moi. Je viens de perdre plusieurs longs mois de survie à me cacher et à vivre aux crochets de gens, plus déterminés et doués que moi. Finalement, j’arrive en haut des escaliers et observe autour de moi. J’analyse ce qui m’entoure, comme si silencieusement je m’attendais à ce que Vaughn ne remonte que pour m’agresser. Mais ses paroles, désamorcent un peu mes inquiétudes ou plutôt, mes paranoïas.
Il me propose donc de fouiller l’étage, mais que si je tiens tant à partir, rien ne m’en empêche et surtout pas lui. Je souris finement, plutôt rassurée, tandis qu’il s’éloigne pour monter les marches armé de sa canne.

- T’as raison. Autant… attendre encore juste un peu, avant de sortir me paraît judicieux.

J’esquisse un faible sourire et lui emboîte tranquillement le pas. Je grimpe lentement, effleurant avec tranquillité, du bout des doigts, la rambarde qui fait office de garde-corps. J’hésite un peu et murmure finalement, avec douceur.

- L’arène… Tu dis que ça te plait pas et que si t’es comme ça c’est parce que t’as énervé euh… César. T’aurais envie de m’en parler un peu plus ? Je t’avoue que … J’ai parfois songé à me rapprocher de ce lieu. Certains disent que c’est l’antre des fous et de tous les tueurs, mais d’autres disent que… Hé bien, que c’est au contraire là que les plus braves combattants gagnent leur pain.

On entendait toutes sortes de bruits courir. Comment savoir ce qui était vrai et ce qui était faux, si ce n’est directement demander ?

Plus de psychopathes que de braves, d’après lui. Je grimace doucement.

- En effet… il a l’air super chouette cet endroit…

Définitivement, je pense devoir le tenir loin de cette fameuse arène. Je l’accompagne ainsi jusqu’à l’étage et je lui laisse la première chambre à fouiller, me faufilant vers la seconde. Je laisse mon regard glisser le long des affaires entreposées ici, mais rien de bien intéressant ne me fait saliver. Finalement, c’est bien vite le retour du brun, qui me tend une bouteille de soda, l’abandonnant dans les mains avant que je n’ai pu répondre si oui ou non, cela pouvait m’intéresser. Je renifle doucement la bouteille mais n’y prête pas plus d’attention que ça. Je n’ai jamais été trop fan de soda, j’étais plus cocktails autre fois. Je finis par sourire finement malgré tout et bois une très fine gorgée pour lui faire plaisir, avant de fermer la bouteille et de la reposer près de lui, qui s’est affalé sur le lit présent dans la pièce. Son regard glisse sur ma cicatrice et aussitôt, je grimace un peu. On peut dire qu’il a le chic pour taper là où ça fait mal, sans vraiment s’en rendre compte. Mes doigts viennent glisser doucement le long de ma vieille cicatrice, alors qu’un petit sourire amusé étire finement mes lèvres. Avant, je mettais du fond de teint pour la cacher. Aujourd’hui, même si cette cicatrice-là est visible, je m’acharne à en cacher d’autres, qui ne sont-elles pas visibles. Cette cicatrice, voilà longtemps que je n’y avais plus pensé. Les marques plus récentes réquisitionnent toute mon attention, et peu à peu je me rends compte qu’aucun doute n’est plus possible. Ces mêmes blessure seront un jour minime dans mon esprit je l’espère et feront malheureusement place à de nouveaux traumatismes, que je devrai soigner. Les yeux perdus dans le vague, je murmure pour moi-même.

- La peur d'un nom ne fait qu'accroître la peur de la chose elle-même.

Autrefois, j’avais peur de formuler que je m’étais faite égorger. Aujourd’hui, j’ai peur du mot viol, ou fausse-couche. Quel mot sera bientôt ma nouvelle crainte ?

- Ne t’en fais pas, comme tu le vois cette blessure est cicatrisée, je n’y pense presque plus. Même si j’avais un genre de retourneur de temps en ma possession, je crois que je ne changerai pas cet épisode de ma vie.

Je souris donc doucement et me lance dans un récit bref, mais néanmoins efficace.

- J’ai rejoins un groupe de survivants après le début de l’épidémie. La loi du plus fort avait déjà commencé à régner. Et de fait… Je me suis faite attaquer. Heureusement, le type qui a fait ça, l’a fait vite et mal. Alors… J’ai survécu. Tant pis pour lui, tant mieux pour moi !

« On vit des heures sombres, c’est indéniable. »
Cette phrase m’était familière, j’aurai pariée l’avoir entendue déjà milles fois depuis le début de la fin. Un petit sourire ironique étire mes lèvres. Je repense aux combats que des gens ont menés, pour l’écologie par exemple, la sauvegarde de la planète et de l’humanité plus largement. Aujourd’hui, la cause a été entendue par la terre elle-même. Je sais qu’Il y a des causes, pour lesquels il vaut la peine de mourir, mais je suis prête à parier que les écologistes, espéraient que l’Homme pourrait vivre en harmonie avec la planète et non que cette dernière se rebellerait un matin pour montrer son mécontentement. Des gens meurent tous les jours, des amis, de la famille…La vie aujourd’hui n’est que survie et déambuler ici, observer les objets et les boissons qui appartenaient à d’autres… ça me rend inévitablement triste, je dois bien l’admettre. Malgré tout, je sais qu’on ne doit pas pleurer les morts, mais plutôt plaindre les vivants qui vivent sans amour. Malgré tout, j’ai une forte pensée émue, triste, pour ceux qui ont perdu par la mort, leurs amours…Vaughn me réveil brutalement, alors que je sursaute, sortant de ma rêverie dramatique. Les rêves c’est bien, c’est ce que je préfère. Quand nous rêvons, nous entrons dans un monde qui n’appartient qu’à nous, pourtant, ces rêves, Vaughn a bien fait de m’en tirer. C’était un coup à déprimer seule dans mon coin, une fois de plus…

- Je vais juste rentrer chez moi, avec ce que tu as déjà vu. Je suis sûr que ça fera plaisir aux quelques personnes pour qui j’ai trouvé des présents…

Je ne rentre pas chez moi… Pas vraiment. Fort Hope m’est de plus en plus étranger, à mesure que j’ose à nouveau en ressortir. Malgré ma peur de l’extérieur, j’admets y être attirée à nouveau, comme autrefois. C’est surement pour ça, que je pose ces questions sur l’arène après tout.
Je me redresse et souris finement, essayant de redevenir un peu positive. Après tout, la vie est ce qu’elle est, on ne peut pas tout en changer, sinon ça ne serait pas « la vie ».

- On devrait descendre, voir si les affreux se sont éloignés un peu, t’en dis-quoi ? T’as trouvé des trucs pour toi, ou rien d’intéressant ?