Un jour, peut-être, Will apprendrait sa leçon : s’opposer à l’armée par simple esprit de contradiction ne le mènerait jamais nul part. La dernière fois qu’il s’y était essayé, on avait remplacé sa fausse sortie ravitaillement slash rencard avec son mari par un tête à tête avec le jeune Ariel Young. Cette fois… Il ne considérait même pas avoir fait quelque chose de mal ! Il n’avait pas souvenir d’un mauvais comportement, en tout cas, mais puisqu’on l’avait obligé à accompagner Lyanna en sortie, il ne pouvait s’agir que d’une punition. Il préférait quand même se retrouver dehors avec l’infirmière plutôt qu’avec le soldat Young. Elle, au moins, elle ne lui parlait pas et il n’avait rien à lui dire non plus. En grande partie parce qu’il avait encore un peu honte depuis leur dernière conversation. Elle l’avait vu plus vulnérable qu’il ne l’aurait voulu. Il n’aimait pas ça. Alors depuis le départ de Fort Hope une heure plus tôt, jusqu’à ce que la pharmacie qu’ils devaient fouiller ne se dresse enfin devant leurs yeux, Will avait réussi le miracle de ne pas décrocher un mot. Il était bien trop occupé à fulminer dans son coin, de toute façon.

À quelques mètres de la pharmacie, cependant, la présence d’une bonne quinzaine de rôdeurs l’obligea à revoir entièrement sa politique de non-communication. Il avait bien son arbalète à la main, prête à servir en cas d’urgence, mais certainement pas assez de carreaux pour régler le problème. Si quelqu’un pouvait éventuellement le faire, c’était la militaire, non ? Et encore, il trouvait le coût en munitions trop élevé pour avoir simplement accès à une pharmacie dans laquelle ils ne trouveraient sûrement rien. “On peut essayer de contourner ou de les attirer ailleurs, si tu veux.” proposa-t-il sans préambule. C’était peut-être les premiers mots qu’il lui adressait depuis leur départ, mais il ne perdit pas de temps en politesse pour autant. “Ou bien on décide que ça ne vaut pas le coup de prendre le risque et on rentre chez nous ?” offrit-il, sans cacher une lueur d’espoir dans sa voix. Ça lui semblait la solution la plus simple et la plus efficace, franchement. Peut-être que ça révélait un peu son manque de courage, mais il avait tellement de défauts aux yeux du monde qu’un de plus ou un de moins…

“J’ai une carte de la ville plutôt bien fournie, si tu préfères qu’on cherche un autre endroit.” offrit-il malgré tout, après quelques secondes de délibérations avec lui-même. Il le faisait sans une once de bonne volonté, mais il essayait sincèrement ce concept étrange de prendre en considération les désirs et les besoins des autres, y compris les gens dont il n’était pas follement amoureux. Il trouvait cela encore un peu difficile, pas vraiment naturel, mais ça améliorait considérablement ses relations humaines et Dieu savait combien il avait besoin que Lyanna et lui aient une relation au moins cordiale. “Tu ordonnes et j’exécute, chef !”

Avec le maximum de bonne volonté dont il soit capable, Will donna sa carte annotée à Lyanna, essayant tout juste d’observer par-dessus son épaule tandis qu’elle étudiait leurs options. Il avait barré d’une petite croix rouge un grand nombre de bâtiments au sud, le long de la Detroit River, bien loin d’où ils se trouvaient en ce moment. Sur cette partie-là de la carte, à vrai dire, il n’y avait même aucune note manuscrite ajoutée par lui. Il constata tout de même, tout comme l’infirmière, qu’ils pouvaient contourner la horde et sûrement entrer par l’arrière, mais était-ce vraiment utile ? La vitrine devant la pharmacie était immense. Il suffisait qu’un rôdeur les voit bouger, qu’ils fassent un peu trop de bruit et le verre risquait de ployer sous le poids d’un trop grand nombre de cadavres enragés… “Tu veux passer de ce côté, c’est ça ?” demanda-t-il, après que Lyanna lui ait expliqué la marche à suivre qu’elle envisageait pour entrer quand même et essayer. Il voulait bien croire que l’infirmerie de Fort Hope ne pouvait se passer d’un petit renouvellement de stock, mais pas au péril de leur vie.

“Très bien, bon plan, tu fais comme ça !” lança-t-il, presque enjoué, après quelques secondes d’intense réflexion. C’était un bon plan, après tout, à condition que la horde ne les remarque pas une seule fois jusqu’à ce qu’ils quittent les lieux les poches pleines. Will avait une sainte horreur des situations conjoncturelles. Il aimait les faits, les choses immuables, certaines. Et quand l’univers refusait de le satisfaire, il se débrouillait seul pour obtenir gain de cause quand même. “Quant à moi, je vais passer par là,” expliqua-t-il à la jeune femme, en poitant la direction opposée à celle qu’elle offrait de prendre pour contourner le bâtiment “je vais me trouver un coin tranquille à quelques mètres de ta position et faire en sorte d’attirer l’attention de nos potes rampants.” Rien de cette explication n’attendait l’approbation de Lyanna, le ton assuré de Will suffisait à le prouver. Il n’avait pas non plus l’intention de rester là à débattre avec elle du bien fondé de son idée. “Attends-moi à la pharmacie, parce que crois-moi, que ça me prenne vingt minutes ou quinze heures, je vais revenir et si tu ne m’as pas entendu, je serais vraiment blessé et en colère...” Sur ces mots, il lui tapota gentiment l’épaule et disparut en courant avant de savoir si elle avait quelque chose à redire ou pas. Aucune autre femme que sa mère n’avait le pouvoir de le raisonner, de toute façon.

Il continua de courir en ligne droite trois ou quatre minutes environ, jusqu’à ce que ses poumons n’en puissent plus et qu’il décide qu’il était bien assez loin de la pharmacie comme ça. Il alla s’appuyer contre le mur d’une petite ruelle jusqu’à retrouver son souffle, puis se hissa sur une benne à ordures à laquelle personne ne devait avoir touché depuis trois ans, à en croire l’odeur. S’emparant d’un morceau de cagette en bois, il se pencha et frappa de toutes ses forces sur la benne métallique, poussant des cris pour accompagner le capharnaüm qu’il produisait. Quelques minutes, il eut l’impression de s’épuiser pour rien, mais continua quand même. Il avait perdu trop de temps pour abandonner et ils n’avaient aucune autre option pour s’assurer de libérer la pharmacie. Par chance, par miracle peut-être, ses efforts finirent par payer quand, enfin, les premiers rôdeurs tournèrent à l’angle de la ruelle où il s’était réfugié. Il arrêta de hurler assez rapidement, mais continua de frapper sur la poubelle jusqu’à ce qu’une partie de la horde soit assez proche pour essayer de l’attraper, ce qu’ils ne se privèrent pas de faire. Avant qu’il ne soit vraiment trop tard, il balança son instrument de musique improvisé dans la fenêtre derrière lui et se faufila dans le bâtiment qu’il eut à traverser entièrement pour ressortir en toute sécurité de l’autre côté. Il avait réussi à s’écorcher le bras dans la vitre en passant par la fenêtre et il eut un peu de mal à retrouver le chemin vers la pharmacie, mais à force d’acharnement, il retrouva le bon bâtiment, probablement assez longtemps après avoir abandonné l’infirmière pour qu’elle soit déjà là. “Lyanna ?” appela-t-il quand il entra à son tour par la porte de derrière. “Lyanna ? T’es là ?!” Si elle ne l’avait pas attendu ou qu’elle avait essayé de le suivre, il prévoyait de l’étrangler de ses propres mains.

Il ne l’aurait pas admis, mais lorsque Lyanna lui répondit enfin, un profond soulagement s’empara de Will et pour la première fois, il était vraiment content de la revoir. Il réussit malgré tout à ne pas le montrer et entra simplement derrière elle dans la petite réserve pleine de bazar. Pas besoin d’être un expert pour deviner que quelqu’un, peut-être même plusieurs personnes différentes, était passé là avant eux. Le jeune homme devinait que peu importe la pharmacie qu’ils voudraient choisir dans cette ville, le constat serait le même. C’était utopique - pour ne pas dire stupide - de croire qu’il restait la moindre ressource utile quelque part dans Détroit, après trois ans et tous les groupes passés par là en plus de Fort Hope. “De rien.” souffla-t-il très vaguement, un bon moment après que la jeune femme l’ait remercié, alors qu’il arrêtait enfin de regarder autour de lui pour se concentrer sur elle. “Tu penses vraiment qu’on va trouver un truc ici ?” demanda-t-il, sans attendre vraiment de réponse. Il fit un petit tour sur lui-même, seul geste qu’il adressa pour aider Lyanna à trouver le tiroir de morphine qu’elle cherchait.

Will, lui, avait d’autres priorités pour le moment. “Peut-être du désinfectant ? Un kit de suture ? Des antalgiques ?” proposa-t-il, son regard passant l’air de rien d’un coin à l’autre de la réserve. La fierté imposante de Will n’était un secret pour personne, mais la douleur dans son avant-bras peinait de plus en plus à se faire oublier et il était là, dans l’arrière-salle d’une pharmacie, en tête à tête avec une infirmière… Le genre qui savait garder ses secrets, en plus de ça, comme elle le prouvait déjà au quotidien depuis sept mois. Il fit quelques pas avant de s’asseoir directement sur le sol encombré de boîtes vides, son dos appuyé contre le mur, sa tête suivant bientôt, lui offrant une vue dégagée sur le plafond. Il n’était pas vraiment inquiet pour cette blessure, il avait déjà vu bien pire que ça, mais la douleur risquait de le rendre un tout petit peu moins patient d’une minute à l’autre et, évidemment, il fallait qu’il soit avec Lyanna pour ça… De toutes les personnes qu’il ne voulait surtout pas agacer, elle était probablement en deuxième position, peut-être même en première s’il était tout à fait honnête, car énerver Elias ne l’avait jamais réellement arrêté.

“Cela dit, si tu trouves de la morphine, ça me va aussi.” lâcha-t-il en la cherchant des yeux. “Je crois que je me suis accroché le bras sur un morceau de verre en passant par une fenêtre.” Il souleva son bras droit pour lui montrer, bien qu’il n’y ait pas grand chose à voir de plus que la manche de son pull déchirée et poisseuse. “Si jamais t’as envie d’exercer tes talents de soigneuse sur moi, n’hésite surtout pas. Pour la science, je suis même prêt à essayer les soins aux plantes ou autres conneries du genre. Tout du moment que je rentre à Fort Hope sans une infection.” Si une telle chose se produisait, il n’aurait probablement plus le choix que de dire à Elias que son ancienne collègue se trouvait à Fort Hope et il n’était pas tout à fait sûr d’être prêt pour ça…

Sans trop de surprise, même Lyanna et Will arrivaient à se mettre d’accord sur le fait que de continuer à piller les pharmacies de Détroit ne servait à rien. Le jeune homme était à la fois satisfait qu’elle lui donne raison et déprimé qu’elle ne soit pas un peu plus optimiste que lui. Tout le monde voyait le verre à moitié vide dans ce fichu monde, la naïveté lui manquait sérieusement. Quoique quelque part, envisager la médecine douce et les remèdes de grand-mère avait un petit côté utopique que Will appréciait sérieusement. Il aurait même adoré en débattre des heures, si seulement il n’avait pas d’autres préoccupations plus urgentes pour le moment, comme de rentrer chez lui sans un bras en moins, chose que son mari n’aurait certainement pas très bien pris… Et pour le coup, Will doutait sincèrement qu’Elias décide d’en vouloir à Lyanna s’il rentrait blessé. En grande partie parce qu’il s’était mis dans cette situation seul, comme un grand, sans demander son avis à l’infirmière.

Dans l’espoir de sortir d’ici avec l’ensemble de ses capacités, Will s’essaya subtilement à faire comprendre à la jeune femme qu’il avait besoin de son aide, mais son message dut être beaucoup trop subtile, à en croire la réponse complètement à côté de la plaque de Lyanna. Cette histoire de jeux vidéos le fit grincer des dents, quelque peu irrité qu’elle ait le temps de penser à ça au lieu de s’inquiéter de savoir pourquoi il réclamait ces trois choses spécifiquement. C’était toujours un peu déconcertant pour lui de se trouver face à quelqu’un pour qui il n’était pas le centre du monde, en particulier quand il n’était pas de très bonne humeur. Il la laissa tranquille encore quelques instants, mais abandonna vite la subtilité pour lui dire clairement qu’il avait besoin de son aide, serrant les dents quand elle eut l’audace de le gronder pour ne pas avoir parlé plus tôt. “J’ai essayé !” se plaignit-il dans une grimace, “c’est toi qui déblatère à propos des jeux vidéos au lieu de m’écouter !” Il faisait peut-être preuve de mauvaise foi, mais il déconseillait à Lyanna de le lui faire remarquer.

Il serra les dents alors que madame triturait la plaie, puis l’aspergeait de désinfectant, mais parvint le miracle de rester un homme digne de ce nom en ne se mettant pas à pleurer. Quand Lyanna revint auprès de lui avec une aiguille, cela dit… “Oh mon Dieu, dis-moi que tu plaisantes…” essaya-t-il, en sachant parfaitement qu’il perdait son temps. Cette fois, quand l'infirmière enfonça l’aiguille dans son bras, serrer les dents ne servait absolument à rien. Il se força à retenir ses cris autant que possible, mais les gémissements qu’il laissait échapper devinrent rapidement bruyant et, pire encore, il sentait des larmes brûlantes couler sur ses joues malgré ses paupières fermées.

Quand elle libéra enfin, il essuya ses joues et lui lança un regard noir pour faire bonne figure, mais ne rétorqua rien, essayant simplement de reprendre son souffle, un simple hochement de tête pour signifier à la jeune femme qu’il l’avait entendu. Il resta silencieux, à moitié ailleurs, un petit moment, avant que sa voix ne s’élève de nouveau. “Est-ce que… Est-ce que tu as envie de voir Elias ?” demanda-t-il, sa question semblant venir un peu de nul part. Si Lyanna fut surprise, il ne le remarqua pas, bien trop occupé à observer le plafond, perdu dans ses pensées. “J’y ai pas mal pensé, depuis quelques temps et… ça me met à l’aise de lui mentir. Alors, si tu veux le voir, je suis d’accord.” Il se garda bien de lui dire ce qui l’avait fait changer d’avis, mais le principal, c’était bien qu’il soit enfin ouvert à ne plus se mettre en travers de leur chemin, n’est-ce pas ?

Peu à peu, Will parvenait à se faire à la douleur et se concentrer sur Elias et Lyanna aidait pas mal pour ça. Il serrait quand même les dents, pas parce qu’il avait mal, mais parce que la manière dont l’infirmière parlait de son mari le mettait pas mal en colère. Comme s’il n’était plus l’homme qu’elle avait connu. Pourtant, à la différence de bien des gens que Will avait connu à Fort Hope, Lyanna reconnaissait ce qu’Elias était, autrefois mais aujourd’hui encore. “Il est toujours le même homme.” souffla-t-il, juste légèrement désagréable. Protecteur, plutôt. Pour la plupart des gens qu’ils fréquentaient chaque jour, Elias n’était que le chef de la sécurité, pas très bavard, marié à un crétin imbuvable, mais pour Will il était tout, le centre du monde et plus encore. L’idée qu’on ne voit pas combien il était merveilleux rendait toujours le jeune ingénieur assez… susceptible. Il essaya pourtant de se calmer. La douleur ne l’aidait pas à rester tranquille, mais la manière dont Lyanna semblait réellement se soucier du bien-être de son homme l’apaisa un peu. Quand elle lui demanda enfin pourquoi il avait soudainement changé d’avis, lui qui venait de passer sept mois à redoubler d’efforts pour que Lyanna et Elias ne se croisent jamais, il se calma pour de bon et jeta enfin un regard en coin à la jeune femme. Ils n’étaient pas amis et pourtant, elle était peut-être l’une des rares personnes à qui il faisait réellement confiance. Il s’en rendit compte à cet instant, non sans surprise.

“Je l’aime vraiment, tu sais ?” souffla-t-il, pas tout à fait hésitant, mais on aurait pu le croire. Elle devait le savoir, ça ne faisait aucun doute honnêtement. “J’ai cru que je pouvais lui mentir si c’était pour le protéger, mais… On ne ment pas aux gens qu’on aime pour les protéger eux, mais pour nous protéger nous-même, pas vrai ?” Il ferma les yeux le temps de lâcher un soupir un peu agacé. Tout ça était terriblement cryptique et n’aidait sans doute pas la jeune femme à comprendre, mais il avait un peu peur de la perdre s’il lui disait la vérité. Tant pis, après tout, ça lui était bien égal qu’elle arrive à le suivre ou pas, parler l’aidait à oublier combien elle lui avait fait mal en lui charcutant le bras, alors chacun son tour de souffrir. “J’étais très proche de mon grand-père, avant tout ça. C’était mon héros, vraiment, je lui faisais aveuglément confiance et je croyais bêtement que c’était plus ou moins réciproque. J’ai découvert il y a quelques jours que pendant toutes ces années, il nous a menti à tous. Il a eu un enfant illégitime avec une espèce d’actrice de série B et il nous l’a toujours caché.” expliqua-t-il, sans trop entrer dans les détails pour autant. Il n’était pas encore prêt à accepter que Lazare soit un membre de sa famille et encore moins ce que ça impliquait pour Max. “Ca a eu le mérite de remettre les choses en perspectives, tu vois… Je n’ai pas envie qu’Elias découvre un matin que je lui ai caché que t’étais là et qu’il se sente comme je me sens ces jours-ci.”

Il avait peut-être tort de prendre la bonne décision pour de mauvaises raisons, mais il faisait au mieux à sa manière. “Il est le seul à avoir survécu à l’attaque de l’hôpital. Je ne sais pas s’il aura envie de te voir, je ne sais pas s’il est prêt à repenser à tout ça, mais c’est à lui de décider, pas à moi.” Et ça, c’était bien plus difficile à reconnaître pour Will qu’il ne voulait bien le montrer en ce moment. “Je lui dirais tout dès qu’on sera rentrés.” conclue-t-il, montrant plus d’assurance qu’il n’en ressentait réellement. “À ton tour de te confier, maintenant. Dis-moi quelque chose sur toi, parce que mon bras souffre déjà bien assez comme ça, pas besoin de faire du mal à mon ego aussi.” C’était sa façon à lui de mettre fin à la conversation la plus gênante qu’il ait eu depuis bien longtemps et, malgré toute la confiance qu’il portait à cette femme, il avait un peu peur qu’elle ne lâche pas l’affaire sur ce sujet.

La mâchoire serrée, Will essayait de ravaler sa déception et, un peu aussi, sa colère. Ça lui était bien égal que Lyanna ne lui fasse pas confiance, qu’elle ne veuille pas se confier à lui. Il ne lui avait jamais donné la moindre raison de le considérer comme le genre de personne à qui elle pourrait parler. Il était seulement… habitué à ce qu’on lui donne tout ce qu’il exigeait et elle continuait de lui refuser, même quand il faisait de véritables efforts pour se montrer plus gentil. Ça lui semblait pourtant très logique : il faisait un pas vers elle, elle devait en faire un en retour, sinon comment pourraient-ils avancer ? Il ne demandait même pas la Lune, si ? Juste qu’elle lui parle un peu, le temps qu’il oublie la douleur dans son bras. Le temps qu’il puisse se tenir debout et rentrer à Fort Hope. Il lui offrait même Elias comme preuve de sa bonne foi, lui confiait des choses que son mari ne savaient même pas encore…

Si Will pouvait contrôler sa langue, il n’en allait hélas pas de même pour ses yeux et, malgré ses efforts, il ne put retenir le regard noir qu’il lança à la jeune femme quand elle l’envoya sur les roses. Comme un enfant, il posa ensuite les yeux sur le mur en face de lui et prétendit qu’elle n’était plus là, jusqu’à ce qu’elle lui concède un point en acceptant au moins qu’il lui pose des questions. La première fusa presque aussitôt, à croire qu’il la retenait depuis bien longtemps. “Pourquoi tu t’es engagée dans l’armée ?” C’était l’un de ces sujets qui l’obsédaient depuis plusieurs années maintenant, depuis Aiden et toutes ses confidences sur son service dans l’armée américaine, sa désertion, ses mensonges pour obtenir la protection d’une bande de civils, ses cauchemars toutes les nuits et son sacrifice final pour protéger et servir. Cet engagement l’effrayait depuis qu’il s’en était approché pour la première fois et il n’avait eu de cesse d’essayer de comprendre, sans succès. Il ne se faisait pas trop d’illusions quant au fait que Lyanna pourrait lui offrir une réponse qu’il soit capable d’accepter, mais il ne pouvait s’empêcher de demander quand même, d’essayer encore une fois.

“Tu avais une famille, avant tout ça, pas vrai ?” demanda-t-il ensuite, un peu plus doucement. Il ne savait laquelle de ces deux questions Lyanna trouverait la plus indiscrète, mais d’une façon ou d’une autre, elles étaient liées aux yeux de Will. “Ca ne t’a jamais inquiété qu’on puisse un jour te demander de choisir entre l’un ou l’autre, d’une certaine façon ? Servir son pays, c’est censé être la chose la plus importante qu’on puisse faire, c’est ce qu’on nous rabâche ici, je ne comprends pas.” Il aurait été surpris qu’elle soit capable de lui expliquer, aussi décida-t-il de lui laisser une échappatoire immédiatement, conservant encore le souvenir cuisant de sa toute première conversation avec Elias. Il abordait le sujet avec plus de douceur aujourd’hui, mais Dieu seul savait pour combien de temps encore, avant qu’il ne perde patience et ne retrouve sa défiance naturelle. Mieux valait ne pas tenter le Diable. “Laisse-moi boire un peu d’eau et on pourra bientôt rentrer, si tu veux.” offrit-il.