Je ne peux pas m’empêcher d’avoir un petit rire quand je l’entends prononcer ce prénom que j’aime tant, avec son accent à découper au couteau. C’est vrai que j’aurai pu trouver plus simple qu’un prénom français, mais je crois que je n’ai pas vraiment choisi, il s’est imposé à moi. Non pas que je suis ce genre de nanas à avoir un petit livret dans lequel je note scrupuleusement toutes les idées de prénoms qui me passe par la tête depuis toute jeune, histoire d’avoir l’inspiration si l’occasion se présente. Ce n’est pas du tout le cas. Disons simplement que depuis mon arrivée un peu en catastrophe à Fort Hope, j’ai eu pas mal de temps pour réfléchir, à tout, et à rien, et forcément, l’idée de prénoms n’a pas tardé à germer dans mon esprit.

Je fronce légèrement les sourcils, mais ne relève pas quand il dit, sur le ton de l’humour, que j’ai pris perpétuité avec lui. Ça sonne comme une punition, comme si j’avais commis un crime, et que je m’apprêtais à aller en prison pour le reste de ma vie. Alors que c’est loin d’être le cas. Être avec Isha ne ressemble en rien à la prison, bien au contraire. Si j’étais aussi douée qu’Aaron avec les mots, je trouverais sans doute comment décrire ce à quoi me fait penser notre relation, la liberté que j’y ressens d’être simplement moi-même, sans fard ni artifice, de pouvoir faire ma tête de cochon quand j’en ai envie, ou au contraire, de me blottir contre le brun quand je suis plus d’humeur câline. De toutes façons, il détourne vite mon attention de ce genre de considération métaphorique, et je me retrouve tout contre lui, les pieds au-dessus du sol, tandis que mes bras se nouent derrière sa nuque. Nos baisers perdent vite en chasteté, mais pour notre défense, ça fait bien trop de temps que nous avons été privés du contact de la peau de l’autre, et nous ne sommes pas habitués à passer si longtemps l’un sans l’autre.

Mais toutes les bonnes choses ont une fin, même ces baisers amplement mérités, et après quelques secondes de plus, mes pieds retrouvent le sol, alors qu’Isha reprend la parole avec entrain. Je hausse un sourcil, et comprends un peu à retardement qu’il ignore totalement que la nana zarbe dont il parle n’est autre que sa sœur. Ou du moins, celle qui se fait passer pour telle. Je l’écoute, en hochant légèrement la tête, avant de la secouer vivement : « -Oui, ou alors on peut se débrouiller tous seuls. On va forcément patauger au début, c’est le cas de tous les parents. Mais n’oublie pas ce que t’as dit sur le fait qu’on soit deux… » J’essaye de ponctuer ma phrase d’un petit sourire, même si le cœur n’y est pas. J’ai beau avoir accepté cette rencontre en dehors de Fort Hope, je ne fais pas pour autant confiance à la brune dehors, et l’idée de lui confier notre bébé ne m’emballe pas des masses. Du moins, pas tant que je ne saurai pas qui elle est réellement, et quelles sont ses vraies intentions.

Je reste silencieuse un moment, me contentant d’observer ces traits que je connais pourtant déjà par cœur, et dont je pourrais reproduire le dessin exact, à la cicatrice près. Tellement de mots se bousculent dans mon esprit en ce moment que j’ai du mal à faire le tri, et à vrai dire, je crois que je jette l’éponge, et laisse cette délicate opération pour plus tard. J’ai beau le voir, là, juste devant moi, une part de moi continue de penser, sans doute à raison, que tout n’est pas résolu pour autant, et que tout peut encore basculer d’un instant à l’autre, de la pire des façons qui soit. Je ne serai réellement rassurée que lorsque je me coucherai dans un lit, à l’abri, Isha contre moi. En attendant…j’ai plus la désagréable impression d’être en sursis.

Même en pleine tourmente, et en proie aux pires questions, Isha parvient toujours à me redonner le sourire, je crois que c’est son super pouvoir à lui. Quelques mots, ses doigts dans mes cheveux, un geste tendre, et j’oublie les troubles dans lesquels je me trouvais jusque-là. D’ailleurs, quand il me parle de passer sa vie sous la couette dans mes bras, ce petit sourire en coin qu’il doit bien connaître depuis le temps refait son apparition : « -Mais c’est ce qui est prévu…toute une vie, et bien plus ! » Et autant dire qu’après tant de temps privé de lui, moi aussi je suis plus qu’impatiente de pouvoir me lover de nouveau contre son corps chaud, et de rattraper le temps perdu. Mais je ne peux m’empêcher de froncer doucement les sourcils aux nouvelles paroles prononcées par le jeune brun. J’essaye d’éloigner de mon esprit les images douloureuses qui s’imposent à moi, celles du gladiateur prisonnier du feu des fouets, sans aucune échappatoire à sa portée. Je glisse mes doigts sur sa pommette, puis dans ses cheveux, et me hausse légèrement sur la pointe des pieds : « -Tu seras toujours le plus beau pour moi… » Et pour sceller ces quelques mots, je dépose un nouveau baiser sur ses lèvres, puis me recule pour lui adresser un doux sourire.

Mes yeux se noient dans les siens pendant encore quelques instants, avant qu’une avalanche de questions sur Fort Hope ne s’échappent des lèvres d’Isha. Je hausse spontanément les sourcils pendant de brèves secondes, étonnée par cet engouement soudain alors qu’il n’a jamais montré de réel intérêt à cet endroit où il a pourtant passé de nombreux mois. Est-ce que ça veut dire qu’il compte vraiment me rejoindre au camp ? La surprise me laisse silencieuse encore un léger moment, avant que je finisse par secouer légèrement la tête, et tente de me remémorer toutes ses questions. « -Fort Hope, c’est…grand. » C’est stupide, clairement, et pourtant, c’est la première chose qui me vient à l’esprit, sans même que je sache pourquoi. C’est peut-être le contraste avec l’arène, qui bien qu’étant relativement vaste, n’est certainement pas de la même taille que Fort Hope. Je me force à réfléchir un peu plus pour trouver des réponses plus convaincantes, et travaillées. « En fait…c’est comme un petit village. Ils ont construit des barricades autour de plusieurs maisons, il y a un bout de lac, et même une espèce de petite ferme avec des champs… » Je fronce les sourcils, parce que c’est bien plus difficile que ce que je pensais de réussir à faire le tri dans toutes les infos que je possède, et qui sont sommes toutes assez maigres, sur le camp, vu que je n’y ai pas passé tant de temps que ça. « -En fait…on aura notre propre chambre, dans une maison. Ou alors, si tu préfères, on peut retourner dans la maison dans laquelle tu vivais avant ton arrivée à l’arène. Elle est gigantesque ! Et puisque tu ne dois pas t’en souvenir, on pourra une nouvelle fois baptiser toutes les pièces, pour que tu t’y sentes comme chez toi. Et crois-moi, il y en a beaucoup. » Je lui adresse un sourire amusé, et mes mains se posent sur ses hanches. C’est fou à quel point j’ai hâte que tout rentre dans l’ordre, qu’on ai une vie bien rangée, sans drames, une vie simple.

A bien y réfléchir, Fort Hope présente quand même beaucoup de différences par rapport à l’arène, mais celle que je préfère reste le fait que là-bas, on puisse avoir notre propre maison, un coin de paradis rien qu’à nous, à l’abri des regards et des oreilles indiscrètes, dans laquelle on pourra écrire chaque nouvelle page de notre histoire ensemble. La tranquillité des lieux n’a rien à voir avec les innombrables allées et venues de l’arène, et à Fort Hope, personne ne viendra toquer à la porte de notre maison parce qu’un idiot à fait joujou avec son épée et s’est entaillé le bout du doigt. J’aime le fait qu’on puisse se promener librement dans les rues du camp, qu’on puisse longer la rive du lac, se prélasser au soleil assis au bord de l’eau, tout en se sentant en sécurité parce que les sentinelles postées sur les barricades assurent notre sécurité. Et puis, dans le camp, aucun combat, pas de violence, pas de rôdeurs retenus captifs dans le but de divertir des brutes assoiffées de sang. Alors c’est vrai, à bien, bien des égards, je préfère Fort Hope à l’arène, et le camp me semble, de loin, être le meilleur des deux endroits pour élever un enfant. Pourtant, je sais que je me contenterai d’une pauvre maison sans électricité, sans eau même, sans la sécurité que nos deux lieux de vie actuels assurent, sans un lit douillet, tant qu’Isha est avec moi. Ça ne ressemble pas à la nana que j’ai toujours pu être, forte, indépendante, clamant sur tous les toits qu’elle n’avait pas besoin d’un homme pour vivre sa vie épanouie, et pourtant, aujourd’hui, j’ai du mal à envisager un avenir dont le brun ne ferait pas parti. Et je trouve même cette simple idée tout simplement terrifiante.

Au moins, on semble poursuivre ce même rêve difficile à saisir, cette envie de rester ensemble quoi qu’il puisse se passer, de se battre côte à côte jusqu’au bout. Et je ne demande rien de plus que d’être avec lui, avec eux, et de vivre une vie simple faite de petites joies quotidiennes. Quand il me demande si Logan sait, j’ai un temps de réflexion de quelques secondes, qui me perturbe un peu. « -Si tu veux savoir s’il sait qu’on va avoir un bébé, la réponse est oui. J’ai du lui expliquer pourquoi j’avais trouvé refuge dans son camp, et pourquoi je ne pouvais pas retourner à l’arène dans l’immédiat… » Des flashbacks de cette conversation que nous avons eu dans sa cuisine, où il m’a plus ou moins traînée de force pour m’arracher des aveux me reviennent en mémoire, alors que je déglutis péniblement. Les paroles de Logan se forment dans mon esprit, cette demande qu’il m’a faite de cacher à Isha sa future paternité, et mon échec évident, malgré ma promesse. « -Ton père veille à ce que je ne manque de rien, et surtout pas d’un suivi médical. » Et pour ça, et le fait qu’il m’ai accueilli derrière ses barricades sans réserve quand j’en avais le plus besoin, je lui en suis reconnaissante.

J’ai du mal à suivre ce qui peut se passer dans la tête d’Isha quand je dois faire face à un nouveau revirement de situation, et pendant quelques secondes, je ne peux rien faire d’autre que me hausser sur la pointe des pieds pour déposer mes lèvres sur son front, à la lisière de ses cheveux. Je prends une petite inspiration avant de parvenir à ordonner mes pensées. « -Moi aussi je suis morte de trouille Isha. Tous les jours, tout le temps. J’ai l’impression de ne pas savoir faire un pas sans avoir peur que le pire arrive. Mais tu sais quoi, ici, maintenant, avec toi à mes côtés, cette peur arrive à régresser, et même si elle est toujours là, quelque part, elle a moins d’emprise sur moi quand tu es là… » Je me recule légèrement, et d’un doigt sous le menton, l’incite à relever la tête pour pouvoir regarder son visage, et plonger dans ses yeux. « -Tu as raison…Joshua peut nous atteindre partout. A l’arène, à Fort Hope, dans cette rue en contrebas, il pourrait même surgir par la fenêtre…mais si on le laisse avoir autant de pouvoir sur nous, c’est comme s’il gagnait déjà un peu. Et puis…s’il peut vraiment nous faire du mal n’importe où, alors à quoi bon s’infliger une nouvelle séparation ? Je sais pas si je supporterais une journée de plus à me demander comment tu vas, si tu es toujours en vie ou si Joshua a mis son plan à exécution, si on se reverra, si tu me serreras une nouvelle fois dans tes bras, ou même si tu verras naître notre enfant…Je suis plus rassurée quand tu es là, et je sais que c’est pareil pour toi. » C’est vrai quoi, si Joshua peut simplement réussir à se pointer, et à faire son sale boulot, autant rester ensemble maintenant, et affronter tout ce qui pourrait nous arriver côte à côte. Ce n’est pas lui qui disait, à peine quelques minutes plus tôt, qu’à deux, on pouvait tout affronter ?