Quoi qu’il se soit passé autour d’eux, Will n’en eut aucune conscience. Il ne restait plus qu’une seule chose, une seule personne dans son monde. Elias et ses bras finalement autour de lui, sa chaleur contre sa peau. Il était réel. Il était là. Cette information peinait à s’imposer et à devenir crédible. Après tout ce temps, une éternité dans l’univers assombri de Will, il devenait compliqué de faire la distinction entre la réalité et les hallucinations auxquelles il s’était abandonné de plus en plus fortement. Ses yeux se fermèrent tous seuls et il sentit tout juste le sol se dérober sous ses genoux quand Elias le souleva dans ses bras, n’eut certainement pas conscience qu’ils sortaient. Qu’enfin, il quittait la cellule dans laquelle on le retenait captif depuis si longtemps. Il n’avait pas vu la lumière du jour depuis un long moment, si bien qu’une brûlante tache rouge se dessina sur ses paupières closes quand ils retrouvèrent l’air libre. Des larmes luttèrent pour perler au coin de ses yeux fatigués, détruits par trop de sanglots. Elles n’y parvinrent jamais et il n’eut même pas la force de le remarquer.

Ils rentraient à la maison. Cela aussi, c’était difficile à aborder pour Will. Malgré l’air frais sur sa peau à vif, malgré la sensation de se déplacer et l’odeur un peu moins angoissante de l’extérieur. Il ne se souvenait plus tellement de ce qu’était la maison, maintenant et pendant un long moment, il pensa à Boston, au manoir de son grand-père où il passait tant de temps autrefois et qui était réellement la maison pour lui. Plus que son appartement à Détroit ou que la ferme. Mais il y avait aussi Fort Hope et Elias, leur chambre à la fenêtre de laquelle, chaque matin, un rayon de soleil entrait et colorait toute la pièce d’une lueur chaude qui allait si bien à Elias. Les meubles qu’ils avaient ramené du Ikea, où Will lui avait dit qu’il l’aimait pour la première fois. Tout un monde dans leur petite maison, rien qu’à eux. Il avait hâte d’y retourner, de retrouver sa place dans leur bulle et tandis que son corps se retrouvait de nouveau immobilisé contre une surface froide, mais un peu plus douce pour son corps meurtris, il se surprit à imaginer qu’il y était déjà, que tout allait bien. C’était plus simple, tellement plus simple, de dessiner ces images dans son esprit que d’envisager d’y être vraiment. Et si la réalité n’était plus aussi belle que dans ses fantasmes ? Elias lui semblait déjà tellement différent. Son odeur avait changé, la forme de son corps sous ses doigts aussi. Le reste serait sans doute pareil et il eut peur, un instant, de ne plus se sentir à sa place dans leur vie.

Cette pensée s’envola sous le souffle de la voix d’Elias. Will se força à rouvrir les yeux pour voir l’homme penché sur lui, une bouteille en plastique à la main à laquelle il lui offrait de boire. Il eut un moment d’hésitation, tellement habitué à refuser tout ce qu’on lui proposait d’avaler ces temps-ci, mais il croisa le regard du soldat et tous les doutes s’envolèrent. Il tendit la main pour prendre la bouteille et laissa l’eau lui brûler la gorge , fut même forcé de s’arrêter après quelques gorgées seulement alors que le liquide lui faisait si mal qu’il en eut des quintes de toux assez inquiétantes. Il rendit la bouteille à Elias et lui laissa tout juste le temps de la ranger avant d'agripper sa main pour le tirer vers lui. “Reste avec moi.” demanda-t-il, reculant un peu pour lui laisser de la place à ses côtés. Et pourtant, aussitôt que l’homme fut assis près de lui, il plongea de nouveau vers lui, s’accrochant désespérément à son corps sans se soucier davantage du reste. Il ne sentit même pas la voiture démarrer, entendit tout juste la voix lointaine de Logan quelque part, sans vraiment savoir qu’il s’agissait de lui. Tout ça lui était complètement égal. Il avait retrouvé son Elias, ils rentraient à la maison. Le reste, qu’importe ?