Je grogne un peu quand il énonce avec un naturel qui n’appartient qu’à lui que je suis une bonne mère, et prend le parti de ne pas répondre. Connaissait Isha, il va essayer de me démontrer par A+B que j’ai tort, ou me faire part de ses nouveaux savoirs livresques appris au cours de ses innombrables lectures sur le sujet, et qui indiquent surement que c’est normal d’hésiter, et tous ces trucs là. C’est marrant, mais je ne l’ai jamais vu aussi assidu que pendant qu’il lisait tous ces bouquins sur les gamins. Déjà à ce moment-là je savais qu’il s’investirait comme un dingue avec le bébé, et je ne me suis pas trompée.

Je reste pensive quelques instants, et ferme les yeux quand je sens les doigts du brun sur mon front, ce qui me fait sourire doucement. Est-ce que j’ai le droit de dire que j’aime quand il fait ça ? Je reste étendue contre lui, alors qu’il me dit de ne pas m’inquiéter pour ses insomnies, ce qui, bien sûr, à l’effet totalement inverse. Bien sûr que je m’inquiète, et sans doute à raison même. Ses nuits n’ont jamais été un long fleuve tranquille, et même si on a souvent trouvé comment occuper sportivement ses longues heures d’insomnie, je sais que quelque chose d’autre se cache derrière le fait qu’il ne dort pas autant qu’il le devrait. Et qu’il ne soit pas, d’après lui, un gros dormeur, n’est pas suffisant pour moi.

Quand je rouvre les yeux, je tombe sur son visage qui me fixe, alors qu’il me dit qu’il m’aime. Je lui souris tendrement, attrapant cette main libre qui vient de me caresser. « -Nous aussi, on t’aime. » Je reste silencieuse un moment, me mordillant la lèvre inférieure. Et finalement, je décide de me jeter à l’eau. « -Et c’est parce que je t’aime que je m’inquiète pour toi. Je sais que tu n’es pas un gros dormeur, comme tu dis. Mais tu dormais quand même mieux avant ce qui s’est passé avec les militaires… » Avant ce gros choc sur sa tête, et toutes les conséquences qu’il a eu. Je presse sa main dans la mienne, et il ne me faut que quelques secondes avant d’enchaîner. « -Je…je sais que tu me dis pas tout, Isha. Que quelque chose te tracasse… » Ce n’est pas parce que je ne l’ai pas harcelé de questions pour savoir ce qui se passait que je n’ai rien remarqué. Seulement…on n’est pas vraiment de ceux qui parviennent à parler de tout, ce n’est pas tout à fait naturel pour nous. « -Comment tu vis le retour de tes souvenirs ? »

Quand pour toute réponse à ma question, il me répond qu’il « fait avec », j’avoue que je ne cache pas ma désapprobation. Pour le coup, ce n’est pas vraiment la réponse la plus évoluée qui soit. Mais après un court moment de silence, Isha finit par reprendre la parole, m’expliquant qu’il a l’air de croire que le retour de ses souvenirs s’apparente à un retour de bâton. Comme s’il pensait que ce n’était pas normal qu’il soit privé de ses souvenirs, et des mauvaises choses qu’il a faites. Qu’à cause du mal qu’il a pu faire, il mérite de vivre avec ces images en tête. Je ne partage bien sûr pas son point de vue, mais je me garde bien de le lui dire, pour éviter de le couper en plein élan. Quand il ferme longuement les yeux, je ne peux pas m’empêcher de froncer les sourcils, inquiète sur ce qu’il peut se passer dans sa tête à ce moment précis.

Je l’écoute avec attention, et comme je le supposais, ce n’est pas vraiment la joie dans ses pensées à cet instant. Je me redresse pour me rapprocher de lui, et pose ma main sur sa cuisse. Mais il ne me laisse pas l’occasion d’en placer une qu’il enchaîne, avec des mots qui me serrent le cœur, même si je n’en laisse rien paraître. « -Je t’aurai pas laissé prendre tes distances. C’est ce que je regrette le plus…t’avoir laissé partir du laboratoire ce jour-là…C’est toi qui flippais de Joshua, moi j’étais prête à prendre ce risque. » Et il le savait déjà à l’époque, on avait eu cette conversation dans son lit, à Fort Hope, peu de temps après que je me sois fait tirer dessus. Et peut-être que si j’avais plus insisté, peut-être que si je l’avais retenu, il n’aurait jamais eu son accident, et toutes les conséquences qu’il avait eu.

Je crois que je comprends ses réticences, ou en tout cas ce qu’il essaye de me dire, même si pour le coup, je ne suis pas d’accord avec lui. Encore. « -Isha…j’ai pas besoin d’un mec bien, j’ai besoin de toi. Tu m’as jamais caché qui tu étais, ou ce que tu faisais. Même sur la péniche. Je savais pourquoi tu restais en arrière, je savais ce que tu allais faire. Mais tu peux pas continuer à vivre en pensant sans cesse à tes erreurs du passé, à ce que tu as fait. Et tu peux pas non plus avoir peur de ce qui pourrait se passer, de ce qui pourrait arriver, tu vas passer à côté de pleins de belles choses sinon. On sait pas de quoi demain sera fait, et c’est tant pis. Et si vraiment quelque chose doit arriver, on fera ce qu’on aura toujours fait. On avisera, et on survivra. Je suis pas une pauvre petite chose sans défense, et si quelqu’un veut s’en prendre à l’une de nous, il risque de s’en mordre les doigts.» Et de mal finir aussi, si Isha lui tombe dessus. Pour le coup, je suis un peu frustrée, parce que je n’arrive pas à exprimer exactement ce que je ressens à cet instant précis, ou ce que j’ai envie de lui dire.

Une nouvelle fois, je secoue la tête de droite à gauche à ses paroles, et ferme les yeux quelques secondes, le temps de soupirer doucement. « -Laisse les morts où ils sont. C’est toi, le meilleur pour Gemma et moi. Toi, avec tes qualités, et tes défauts. Toi, tout entier. Et si tu as besoin de l’entendre tous les jours jusqu’à la fin de ta vie, jusqu’à ce que tu sois un vieux papi gâteux, y’a pas de souci, je peux faire ça pour toi. » Je soupire une nouvelle fois, et glisse ma main dans ses cheveux, à la base de sa nuque. « -Isha, je m’en fous de ce que t’as fait par le passé, ou pourquoi tu l’as fait. Ce qui compte, c’est ici, maintenant, avec elle. Alors tu ferais bien de t’habituer à être heureux, parce que c’est pas près de changer. »

Je reste à observer le petit visage rond de Gemma, qui dort paisiblement, insensible aux états d’âme de son père. Ma main n’a pas bougé de la nuque d’Isha, je crois qu’elle y a trouvé sa place, et je me retiens de ne pas venir me lover contre lui de peur de réveiller la petite. Je connais le brun quand il a des pensées aussi réjouissantes que celles qu’il semble avoir en tête en ce moment-même, je sais qu’il a besoin que je sois là, bien présente. Et de toutes façons, je déteste le laisser dans cet état d’esprit, en proie à ces idées qui pour moi ne sont pas tout à fait justes. Son sourire tordu ne m’échappe pas, et je fronce les sourcils, mimique qui s’accentue quand il me parle de son père adoptif. « -Sauf que je ne suis pas Logan. Et qu’il faudrait que tu fasses un truc sacrément sacrément moche pour que Gemma et moi on fasse plus partie de ta vie. Et comme je pense que ça n’arrivera jamais, t’es plutôt tranquille de ce côté-là. T’es pas près de te débarrasser de nous… » Et comme pour accentuer mes propos, ou souligner le fait que j’ai raison, Gemma laisse échapper un petit gémissement avant de gigoter un peu.

Son petit haut en profite pour se soulever légèrement, et j’avance la main pour redescendre le morceau de tissu, avant de me tourner d’un air interrogateur vers Isha quand il propose de reprendre les cours de combat qu’il avait commencé à me donner avant la grossesse. A croire que cette idée de me savoir capable de me défendre envers et contre tous lui tient vraiment à cœur. Bon, j’ai déjà de bonnes notions que j’ai acquises avant l’apocalypse, mais elles paraissent être insuffisantes du point de vue du gladiateur, qui me fixe d’un air qui pourrait passer pour de l’inquiétude. Mes doigts glissent toujours dans ses cheveux, et au bout d’un temps qui parait interminable, je finis par hocher la tête : « -Si ça peut te rassurer, d’accord, je le ferai. » Même si dans les faits, la violence et moi, ça fait clairement deux.

Je pensais que le sujet était clos avec mon acceptation, mais c’était sans compter sur le brun, qui après un regard lourd finit par reprendre la parole. « -Attends, tu veux dire…fuir ? » Je le fixe d’un air indiquant clairement mon incompréhension. Fuir devant le danger n’a jamais été dans mes habitudes, je crois que je le dois à mon caractère de téméraire, ou à ce boulot que j’exerçais auparavant. La simple idée de me planquer plutôt que d’affronter ce qui pourrait me menacer me laisse un goût amer. Est-ce que ça ferait de moi une lâche, de me mettre à l’abri comme le suggère Isha ? Je reste songeuse un instant, luttant contre cet instinct naturel qui me dit que fuir, ce n’est pas fait pour moi. Mais le regard insistant du brun, et la petite respiration de Gemma me rappellent vite à l’ordre. Les choses ont changé, et je ne suis plus toute seule maintenant. Si bien qu’après un nouveau long moment, je finis par lâcher : « -Je ferai jamais rien qui mettrait Gemma en danger, tu le sais, pas vrai ? Alors…si la situation se présente… » Je fixe le plafond pendant quelques nouvelles secondes, avant de reprendre : « -Je nous mettrais à l’abri, toutes les deux. »

Je soupire légèrement, avant de poser ma tête contre le dossier du canapé, fixant longuement Isha. « -A toi de me promettre quelque chose… » Je le regarde encore quelques secondes, avant de me lancer. « -Quand t’as ce genre de pensées, qui te prennent clairement la tête, parles-moi en, Isha. Je sais que discuter de ce qu’on ressent ce n’est pas vraiment notre fort à tous les deux, mais… » Et ce n’est pas un euphémisme. Même si on se comprend la plupart du temps sans avoir besoin de mettre de mots sur nos ressentis, je sais que je passe malgré moi à côté de beaucoup de ses états d’âme, parce qu’il n’ose pas en parler, ne sait pas comment le faire, ne veut pas m’accabler avec ça, et d’autres raisons qui ne me viennent pas en tête. « -Mais je suis pas là que quand c’est tout rose, et tout beau. Tu dois pouvoir réussir à discuter d’absolument tout avec moi…attention, je dis pas que t’es obligé de le faire, tu sais bien que je te forcerai jamais à te confier si t’en as pas envie. Mais si t’en as besoin, tu peux le faire quand tu veux, avant de te mettre à broyer du noir, de préférence… » Et je laisse un léger sourire flotter sur mes lèvres, continuant le manège de mes doigts dans ses cheveux.

J’ai l’impression que ma demande de s’ouvrir un peu plus à moi le surprend, et s’ensuit un long silence que j’ai un peu de mal à interpréter. Isha attrape ma main, et je le laisse faire sans broncher. Il m’explique que même s’il est prêt à tenter l’expérience, il n’est pas certain d’y arriver, et craint même de m’assommer avec ses histoires, ou simplement me pousser à fuir. Je glisse mes doigts entre les siens, et au bout de quelques secondes, j’hausse légèrement une épaule : « -Et moi je pense que tu pourrais être surpris… » parce que comme je viens de le dire, il est très peu probable que je puisse partir, juste comme ça.

Gemma ne tarde pas à se rappeler à nous, et à s’agiter de plus en plus, remuant ses petits bras dans tous les sens, et gémissant de plus en plus fort. Le signal du repas est donné, Isha et moi en avons parfaitement conscience. Je retire donc mon pull, et le gladiateur ne tarde pas à déposer avec mille précautions notre bébé dans mes bras, avant de se glisser juste derrière moi, tandis que je prends appui contre son torse. C’est un espèce de rituel qui s’est instauré presque naturellement après la naissance de Gemma, j’imagine que c’est le seul moyen qui existe pour que Isha n’ai pas l’impression d’être un simple spectateur de ce moment. Sa remarque me fait sourire, alors que je tords le cou pour déposer un baiser sur sa joue : « -Si c’est le cas, je te plains, entre elle et moi tu vas avoir de quoi faire ! » Je me laisse aller encore plus contre Isha, tout en tenant la petite tête de Gemma, et un nouveau silence apaisant s’étire entre nous, au point que je finis par fermer les yeux quelques secondes.

C’est la voix d’Isha qui me rappelle à l’instant présent, et je rouvre doucement les yeux pour les poser sur la petite, qui ne va pas tarder à rejoindre Morphée. Je hoche doucement la tête, avant de répondre. « -Je sais Isha, je le sais bien…Mais je t’assure que tout va bien. Pour la première fois depuis longtemps, personne n’a essayé de nous séparer, de nous monter l’un contre l’autre, ou de nous tuer. Alors franchement…c’est une sacrée victoire, non ? » Je laisse un petit sourire sur mes lèvres qu’Isha ne peut pas voir, décidant de laisser de côté tous mes doutes et mes craintes liés à ce nouveau rôle que j’ai un peu de mal à assumer pour l’instant. Gemma finit de téter, et après un rot, elle se retrouve dans ce petit lit que son père lui a trouvé pendant que je me cachais de Joshua à Fort Hope.

Et voila de quoi est fait notre quotidien à l’arène, à la fois similaire à notre vie précédente, mais en même temps, terriblement nouveau, et rythmé par Gemma, qui passe son temps soit avec Isha, soit avec moi. A croire qu’on a encore du mal à se séparer d’elle. Pourtant, ce soir est le grand soir. Gemma va passer la nuit à Fort Hope, chez son parrain, histoire de faire profiter quelqu’un d’autre que ses parents épuisés de ses vocalises nocturnes. Puisqu’Isha ne peut toujours pas aller au camp de Logan depuis sa mauvaise rencontre avec des militaires, il nous accompagne aussi loin qu’il le peut, et passe un temps considérable à bisouiller Gemma pour lui dire au revoir, à croire que cette première séparation lui semble insurmontable. Je lui laisse tout le temps dont il a besoin, et après un peu plus de temps que prévu, la petite et moi finissons par arriver à Fort Hope, où Aaron, ravi, nous attend de pied ferme. Je n’ai absolument aucune crainte sur cette nuit à venir, je sais qu’il fera tout ce qu’il faut pour que le bébé aille bien, et ne manque de rien. Et après un dernier câlin à Gemma, je quitte le camp à mon tour, et rejoins Isha, tandis que nous rentrons à l’arène en tête à tête. On est à peine arrivés dans la chambre que je vire ma veste de pompier, ainsi que mes bottines, et m’étale de tout mon long dans le lit en fermant les yeux. « -Est-ce que c’est mal si la seule chose à laquelle je pense, maintenant, c’est une bonne nuit de sommeil ? »

Je fais l’étoile de mer dans le lit, et ferme rapidement les yeux, avant de retirer mes chaussures sans aucune délicatesse, en m’aidant de l’autre pied, et en poussant. De petits « pouf » retentissent quand elles tombent par terre, et je pousse un long soupir. Pour être honnête, j’envisage même de sauter le repas pour pouvoir me glisser directement sous les draps, et dormir, dormir de longues longues heures. Et si ce programme doit faire briller quelques étoiles dans mes yeux, il semble qu’il ne tente pas du tout Isha, qui finit par briser le silence de la chambre pour me dire qu’il pense que cette nuit, il ne va pas dormir. Je rouvre les yeux, et me tourne sur le côté, prenant appui sur mon coude, et posant mon menton dans la paume de ma main. Je le fixe quelques instants, avant de demander d’un ton léger : « -Ah oui ? Tu vas rester devant la fenêtre d’un air mystérieux et mélancolique toute la nuit ? » Parce que pour le coup, je ne pense pas que j’ai très envie d’être solidaire.

Je regarde la silhouette d’Isha encore quelques secondes, avant de me décaler dans le lit jusqu’à prendre sa place, et tapoter celle que je viens de créer à mes côtés, l’incitant silencieusement à venir me rejoindre. « -Arrête de t’en faire pour Gemma. Tout va très bien se passer, Aaron va s’en sortir, tu sais très bien qu’on la lui aurait pas laissé si c’était pas le cas… » J’ai confiance en mon meilleur ami, je sais qu’il va assurer, et qu’il aime le petit bébé, lui aussi, depuis que ses yeux se sont posés sur elle. Moi aussi j’ai ressenti un pincement au cœur quand on a passé les palissades de Fort Hope en laissant Gemma derrière nous, mais je sais très bien que tout va parfaitement se passer, et qu’on retrouvera la petite en un seul morceau quand on ira la chercher, demain après-midi. « -Isha, elle est en parfaite sécurité à Fort Hope. C’est sans doute même plus sûr qu’ici ! Et puis tu sais aussi que j’ai donné mon talkie-walkie à Aaron, et qu’il nous contactera s’il se passe quelque chose, ce qui n’arrivera pas… » Non, je ne lis pas dans l’avenir, et pourtant, j’en suis intimement convaincue. Gemma a à manger, des vêtements chauds sur le dos, un lit dans lequel dormir, et des bras accueillants et doux pour s’occuper d’elle. Elle ne pourrait rêver de mieux.

J’aurai dû me douter que cette première séparation serait plus compliquée à vivre pour Isha que pour moi, et en même temps, j’ai bien l’impression qu’il s’en fait beaucoup trop pour pas grand-chose. On avait dit qu’on essayerait de mettre des mots sur ce qu’on ressentait, alors plutôt que de dire qu’il était d’accord sans broncher, il aurait mieux fait de m’expliquer ses réticences avant qu’on laisse Gemma à Fort Hope, et que la nuit tombe. « -Allez viens, on devrait en profiter pour se reposer. On en a besoin tous les deux… » Et ce n’était pas un euphémisme. En ce moment, et sans doute comme tout jeunes parents, il nous manquait principalement deux choses : du repos, et du temps pour nous. Car on peut le dire sans se tromper, toute notre vie tourne autour de Gemma à présent, à tel point que je ne sais plus de quand date la dernière fois que j’ai pris du temps pour faire quelque chose que j’aime, ou passé du temps avec Isha sans Gemma entre nous. Et ça doit en être de même pour lui. Alors plutôt que de s’en faire sans raison, on devrait vraiment profiter de ces quelques heures de répit qui nous sont offertes.

Je sais qu’Isha n’est pas du genre à dormir beaucoup, encore moins depuis que ses souvenirs lui sont revenus suite à ce choc sur sa tête, et pourtant, lui, tout comme moi, ou n’importe qui d’autre a besoin de sommeil, de se poser quelques heures, et de dormir pour recharger les batteries. Et même Super Isha en a besoin, malgré ce qu’il peut parfois penser, ou essayer de faire croire aux autres, moi en tête. Je continue d’observer son air de chien battu qui me fend le cœur, et suis à deux doigts de me lever pour le rejoindre près de la fenêtre quand le gladiateur lance un dernier regard plein de désespoir vers l’extérieur, et le moral dans les chaussettes, finit par se diriger vers moi, et s’étendre dans le lit à son tour.

Il m’attire contre lui, et je me laisse aller volontiers contre son torse, glissant l’une de mes jambes entre les siennes, et passant mon bras autour de sa taille. Je ne sais pas vraiment s’il a fini par se dire que je devais avoir raison, et qu’il est convaincu que Gemma ne court aucun risque, ou s’il s’est simplement rendu compte que je ne comptais pas lâcher l’affaire avec lui, prête que j’étais à y passer la nuit pour essayer de le convaincre qu’il se fait du souci pour rien, et que tout va parfaitement se passer pour la petite. Ma tête finit par venir se poser sur son torse, et je ferme les yeux, tandis que la chaleur de la couverture nous enveloppe tous les deux. « -Evidemment que j’ai raison ! Je pensais que tu avais compris depuis le temps que c’était très souvent le cas ! » Et je souris contre lui, espérant qu’il arrivera à se détendre un peu. Maintenant qu’on arrive sur la fin du mois de novembre, j’ai plus facilement froid, mais heureusement Isha la bouillotte est toujours là pour remplir son rôle à la perfection, même si le lit est bien trop souvent vide en cours de nuit à mon goût.

Quand il demande si je sais ce que j’ai envie de faire jusqu’à ce qu’on récupère Gemma, je me retiens de ne pas sortir avec un enthousiasme non feint que j’aimerai bien dormir seize heures à la suite. J’ai beau être vraiment crevée, sans doute comme lui, je sais que je m’en voudrais de dormir pendant plus d’une demi-journée en laissant Isha ruminer seul dans la chambre, sans Gemma. Et puis…avoir laissé la petite à Aaron n’était pas une démarche tout à fait innocente de ma part, puisque j’ai bel et bien une idée derrière la tête. Je me redresse donc suffisamment pour pouvoir plonger mes yeux dans ceux du brun, une main toujours posée sur sa poitrine. « -A vrai dire, oui…j’ai bien une petite idée… » Je reste silencieuse quelques instants, assez de secondes pour faire planer le doute, puis après un petit sourire en coin, finit par lâcher le morceau : « -Repose moi la question… » Et pour éviter tout malentendu, après quelques secondes de battement, je tapote mon annulaire gauche de mon index droit, pour lui faire comprendre où je veux en venir sans avoir besoin de le dire avec des mots.

Je vois Isha me regarder avec un air de poisson rouge qui serait tombé en dehors de son bocal, alors que ses beaux yeux foncés font l’aller-retour entre ma main tendu, et mon annulaire que je tapote, et mon visage, comme s’il cherchait à additionner 1+1. Franchement, avec toutes les demandes en mariage qu’il a pu me faire depuis qu’on se connait, je pensais que ça aurait fait tilt dans sa tête en un instant. Peut-être qu’au vu de tous mes refus précédents, Isha a fini par se faire une raison, et se dire que le mariage ce n’était définitivement pas pour moi, et qu’il pouvait tirer un trait dessus. Pourtant, l’illumination prend peu à peu place dans son regard, chassant les nuages de l’incompréhension, alors qu’il se redresse à son tour, une expression d’incrédulité sur le visage. Pour le coup, je ne peux m’empêcher de retenir un sourire en coin, en constatant que j’ai parfaitement bien réussi mon effet, et que la surprise est entière.

Et avant même de prononcer le moindre mot, ou de répéter ce qui semble être sa question préférée, Isha se penche sur moi, et pose ses lèvres sur les miennes, dans un baiser tout sauf chaste qui me fait vite rosir de plaisir. Si j’avais su que ma demande lui ferait un tel effet, je me serai peut-être lancée plus tôt. Il essaye de glisser quelques mots entre deux baisers, mais sa fougue l’emporte, et me fait rire contre ses lèvres. Je finis par me reculer légèrement, tout en souriant tendrement : « -Ca fait un moment déjà que j’en suis sûre Isha… » Mais comme il l’a déjà remarqué, je suis ce qu’on peut appeler une tête de bourrique, et quand j’ai une idée quelque part…Je reste donc en dessous de lui, tandis qu’il me domine de son corps, et passe une main dans ses cheveux en désordre. « -Enfin…à moins que tu ai changé d’avis, bien sûr… » Je plisse les yeux doucement, sachant très bien qu’au vu de sa réaction, il n’a sans doute pas changé d’avis du tout, et a sans doute toujours dans un coin de sa tête l’idée de me redemander d’être sa femme un jour.

Je hausse les sourcils d’un air malicieux quand il me demande comment je sais qu’il n’a pas changé d’avis à propos du fait qu’il veut me passer la bague au doigt, mais ne prends pas la peine de répondre, car on sait très bien tous les deux ce qu’il en est. Pourtant, même si ses baisers étaient assez parlants, et valaient bien tous les mots du monde, j’ai l’impression qu’il y a malgré tout une légère ombre au tableau, et qu’un voile passe dans les beaux yeux sombres d’Isha. Je le laisse faire quand il nous redresse, et on se retrouve assis sur le lit, côte à côte, yeux dans les yeux, tandis qu’il me fixe de cet air sérieux qu’il a uniquement quand quelque chose le tracasse. Une autre question à me poser, avant celle qui brûle d’ordinaire ses lèvres ? Là, j’avoue que je suis plus qu’intriguée, et je hoche légèrement la tête pour l’inciter à parler, bien que j’ignore totalement de quoi il peut s’agir, même si sa façon de présenter les choses n’a rien de bien rassurant.

Quand il semble utile de pointer que notre relation est devenue sérieuse, je ne peux me retenir de froncer doucement les sourcils, ne comprenant pas où il veut en venir. Enfin, si ce n’était pas sérieux entre nous, est-ce qu’il pense vraiment que je le relancerais pour sa demande en mariage ? Je le fixe donc tout en montrant sciemment que je suis larguée, alors qu’il continue sur sa lancée, et finis par me parler de fidélité. Ma fidélité, en l’occurrence. Et j’avoue que j’ai du mal à rester stoïque, et à passer à côté du coup de poignard que j’ai l’impression de me prendre dans le cœur. Si bien que je pince fort les lèvres l’une contre l’autre, et vais jusqu’à me mordre la lèvre inférieure avant de me lever, m’éloignant de lui. Et sa petite tentative d’humour à deux balles me donne à cet instant précis plus envie de l’étrangler qu’autre chose. « -Effectivement, les choses sont sérieuses entre nous. Tellement sérieuses, qu’alors même que j’ai toujours été contre le mariage, tu as réussi à me faire changer d’avis sur ce sujet. Et la seule chose que tu trouves à me dire quand je te dis que ça y est, je suis prête à devenir ta femme, c’est que tu espères que je vais pas aller baiser un autre mec ? Sérieusement Isha ? C’est ça l’image que t’as de moi ? » Dans le genre subtilité, ce mec affiche un zéro pointé. Moi qui pensais qu’on allait passer un beau moment de complicité, je dois avouer que l’excitation retombe un peu, alors que je ne peux m’empêcher d’afficher mon air blessé.

Mais quel petit crétin ! Je dois vraiment me faire violence pour rester dans la chambre avec lui après sa bourde, et n’ai qu’une seule envie, quitter la pièce pour aller exprimer ma rage ailleurs. Je n’en reviens pas qu’après des mois et des mois de relations, et la naissance de notre enfant, il en vient à me parler de fidélité. Non mais sérieusement, il me voit tous les jours pourtant, ce n’est pas comme s’il me voyait fricoter à droite ou à gauche, loin de là ! J’ignore royalement la moitié des mecs de cette arène, et envoie bouler sans y mettre les formes l’autre moitié. Je suis blessée par cette question peut-être tout à fait justifiée, mais pas dans ce contexte qui est le nôtre, à cet instant précis. Si bien que quand mes yeux se posent sur lui, je ne peux m’empêcher de le fusiller d’un regard assassin.

Et je n’ai pas besoin de l’entendre parler, ni même de poser la moindre question, pour comprendre qu’il ne se rend même pas compte de ce qu’il a pu faire de mal. Il finit par quitter le lit, et après un interminable regard, il va prendre je ne sais quoi dans sa table de chevet, alors que moi, j’ai juste envie de botter ce cul qu’il me présente. Quand il se retourne vers moi, Isha a une boîte dans la main, une boîte à bijou même, et je me fige tandis qu’il se rapproche. Je ne le vois pas venir quand il attrape mon visage pour l’attirer vers le sien, m’offrant un long baiser passionné qui me laisse vite essoufflée. Quand on se recule, je reste là, le souffle court, à le fixer complètement paumée par sa façon d’agir déroutante. Pourquoi n’a-t-il toujours pas prononcé le moindre mot ? Compte-t-il le refaire un jour ?

Mon visage exprime toujours ma profonde incrédulité quand il semble retrouver l’usage de sa langue, m’appelant de façon très carrée par mon nom et mon prénom, ce qui me fait hausser un sourcil. Je ne pensais sincèrement pas qu’il persisterait dans sa demande en mariage, et pourtant, les mots quittent sa bouche, alors que mes yeux restent ancrés dans les siens, tandis que mon cœur se met à tambouriner un peu plus fort dans ma poitrine, distillant à chaque battement la colère que je ressentais. Quand il a terminé de parler, je reste à le regarder un long moment, avant de lâcher du bout des lèvres : « -Tu es un crétin Isha Cornwell. » Et c’est le moins que l’on puisse dire. J’avale péniblement ma salive, bien plus nerveuse que j’aurai pu le soupçonner, sans même savoir réellement pourquoi. Je reste silencieuse encore quelques secondes, avant de reprendre la parole. « -Je t’ai déjà dit que je voulais pas d’une vie de rêve. Je veux juste d’une vie où toi et Gemma êtes présents. Alors oui…je veux t’épouser… » Je ne tarde pas à m’agenouiller à mon tour et nouer mes bras autour de son cou tandis que mes lèvres viennent à la conquête des siennes, sans doute un peu trop vivement.